CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 avril 2025, n° 21/19523
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Barnes (SAS)
Défendeur :
Sterling International (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent
Avocats :
Me Lehman, Me Dujardin, Me Charlery
FAITS ET PROCÉDURE
La société Barnes exerce une activité dans le domaine de l'immobilier résidentiel international haut de gamme. Elle est dirigée par M. [R].
La société Sterling International (la société Sterling) est un cabinet de chasseur de têtes, spécialisé dans le recrutement de cadres et de dirigeants d'entreprises. Elle est dirigée par M. [C].
Aux termes d'une lettre-accord du 19 octobre 2018, la société Barnes a fait appel à la société Sterling pour sélectionner le dirigeant de l'entité internationale du groupe Barnes, la société luxembourgeoise Barnes Global Licensor.
Parmi les candidats présentés par la société Sterling, la société Barnes a recruté Mme [N] aux fonctions de dirigeant le 11 mars 2019.
La société Sterling est également intervenue pour le recrutement d'un cadre de l'entité française, processus qui a abouti à l'embauche de M. [U], en qualité de directeur d'exploitation, fin juin 2019.
Suite à des visites domiciliaires diligentées par l'administration fiscale française le 13 juin 2019, visant l'entité luxembourgeoise dirigée par Mme [N], des désaccords profonds sont apparus entre Mme [N] et les associés fondateurs de la société Barnes, conduisant au départ de Mme [N] le 23 juin 2019.
Ce contentieux s'est développé dans les médias.
Estimant que la société Sterling avait failli dans ses obligations contractuelles, la société Barnes lui notifiait par courrier du 25 juillet 2019 la résolution de la lettre-accord du 19 octobre 2018 et la mettait en demeure de lui restituer la somme de 260 488 euros correspondant aux honoraires de recrutement de Mme [N].
Par acte du 4 octobre 2019, la société Barnes assignait la société Sterling devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 12 octobre 2021 le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la société Sterling n'a commis aucune faute à l'occasion du recrutement de Mme [N] ;
- Débouté la société Barnes de sa demande de restitution du prix payé pour la mission de recrutement de cette dernière ;
- Débouté la société Barnes de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son image commerciale ;
- Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 2 000 euros pour procédure abusive, la déboutant pour le surplus ;
- Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 36 000 euros au titre de la facture du 2 juillet 2029, majorée du taux de la BCE plus 10 points à compter du 3 juillet 2019 ;
- Débouté la société Sterling de ses deux demandes de dommages et intérêts ;
- Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 30 000 euros ;
- Ordonné l'exécution provisoire ;
- Condamné la société Barnes aux dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe du 8 novembre 2021, la société Barnes a formé appel du jugement en ce qu'il a :
Dit que la société Sterling n'a commis aucune faute à l'occasion du recrutement de Mme [N] ;
Débouté la société Barnes de sa demande de restitution du prix payé pour la mission de recrutement de cette dernière ;
Débouté la société Barnes de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son image commerciale ;
Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 2 000 euros pour procédure abusive, la déboutant pour le surplus ;
Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 36 000 euros au titre de la facture du 2 juillet 2029, majorée du taux de la BCE plus 10 points à compter du 3 juillet 2019 ;
Condamné la société Barnes à payer à la société Sterling, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 30 000 euros ;
Ordonné l'exécution provisoire ;
Condamné la société Barnes aux dépens de l'instance.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 29 juin 2022, la société Barnes demande, au visa des articles 1217 à 1229 et 1352-6 du code civil, de :
- reformer le jugement du tribunal de commerce de Paris et statuant à nouveau,
A titre principal :
'constater que la société Barnes a valablement procédé à la résolution de la lettre-accord du 19 octobre 2018 par voie de notification auprès de la société Sterling, le 26 juillet 2019 ;
A titre subsidiaire :
'prononcer la résolution de la lettre-accord du 19 octobre 2018 aux torts exclusifs de la société Sterling ;
Dans tous les cas :
'condamner la société Sterling à rembourser à la société Barnes la somme réglée à hauteur de 260 488 euros au titre de la mission ainsi résolue ;
'dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la notification de cette résolution, le 26 juillet 2019 ;
'condamner la société Sterling à verser à la société Barnes une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la réparation de son préjudice de désorganisation ;
'condamner la société Sterling à verser à la société Barnes une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la réparation de son préjudice d'image ;
'débouter la société Sterling de toutes ses demandes ;
'condamner la société Sterling à payer à la société Barnes la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
'la condamner aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2023, la société Sterling demande de :
'Confirmer en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 octobre 2021, à l'exception du chef ayant débouté la société Sterling de sa demande d'indemnité pour atteinte à sa réputation commerciale ;
'Infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a débouté la société Sterling de sa demande d'indemnité pour atteinte à sa réputation commerciale,
Statuant à nouveau de ce chef,
'Condamner la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 100.000 euros ;
Y ajoutant,
Condamner la société Barnes à payer à la société Sterling les sommes de :
' 10 000 euros pour appel abusif ou dilatoire ;
' 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation au paiement de tous les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2024.
SUR CE,
Sur la résolution du contrat
La société Barnes soutient :
- La société Sterling a manqué à son obligation de conseil en ne l'informant pas de l'existence d'un conflit d'intérêt avec Mme [N]. La société Sterling a privilégié sa candidature au détriment de son devoir de loyauté à l'égard de la société Barnes. Elle n'a produit que des références élogieuses, en taisant ses déboires professionnels et son absence d'exercice d'un poste de mandataire social depuis 2013.
- En refusant de lui communiquer le courriel que lui a transmis Mme [N] pour annuler par malveillance le recrutement de M. [U], la société Sterling a commis une faute, en étant déloyale à l'égard de la société Barnes.
- La société Barnes a versé à la société Sterling une somme globale de 260 488 euros pour le recrutement de Mme [N], somme qui doit lui être remboursée en raison de la résolution du contrat.
La société Sterling réplique :
- Le différend entre la société Barnes et Mme [N] est survenu trois mois après le recrutement : il n'a pas pour origine le processus de sélection et ne concerne pas la société Sterling.
- La société Sterling a respecté l'ensemble des obligations stipulées par le contrat de sélection des candidats. Le profil de dirigeant d'entreprise de haut niveau présenté par Mme [N] correspond au profil attendu. Aucune information n'a été dissimulée par la société Sterling qui a sollicité plusieurs professionnels afin d'étayer les références de Mme [N] dans le respect de la règlementation en vigueur. L'absence de mention de sa carrière politique se justifie par le caractère privé de cette activité.
- Dans le classement comparatif des aptitudes des candidats finalistes qu'elle a présenté, la société Sterling n'a pas favorisé Mme [N] et sa présentation n'a pas été différente de celle des autres candidats.
***
Sur la résolution du contrat
L'article 1224 du code civil énonce : « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice. »
L'article 1227 du code civil dispose : « La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »
La résolution judiciaire suppose non seulement que l'un des contractants ait commis un manquement à une obligation contractuelle, qu'il s'agisse d'une inexécution totale ou partielle, mais aussi que ce manquement soit suffisamment grave pour justifier l'anéantissement du contrat.
Il convient d'examiner si les manquements allégués de la société Sterling à ses obligations sont fondés et si leur gravité justifie que le contrat soit résolu.
En l'espèce, la lettre-accord du 19 octobre 2018 mentionne avoir l'objet suivant :
« le recrutement d'un CEO (embauche conditionnée à la levée de fonds) ou d'un directeur général et administrateur pour votre entité luxembourgeoise, Barnes Global Licensor. (') Notre méthode de recherche et nos conditions sont stipulées ci-après et nous adopterons une double approche afin de sélectionner des candidats susceptibles de répondre aux deux fonctions recherchées, de telle sorte que vous puissiez choisir l'une ou l'autre des options.
Dans ce contexte, nous vous avons exposé notre compréhension de votre projet et restons dans l'attente des caractéristiques du poste concerné. Cependant, concernant le poste de directeur général, nous avons compris que les éléments clés du poste portaient sur les principaux axes suivants :
1) la direction et le développement de la franchise Barnes à l'international,
2) la création et la supervision de toutes les procédures et outils de gestion des 80 agences actuelles et des agences futures incluant CRM, l'activité numérique etc'
3) la conception et le développement international de l'ensemble des entités du groupe.
Nous avons noté que compte tenu de votre souhait de pouvoir recruter soit un président, soit un directeur général, l'intéressé devra être pleinement orienté vers le partenariat et le développement ».
La société Barnes fait tout d'abord valoir que, du fait de liens d'amitié tenus cachés entre la candidate et le dirigeant de la société Sterling, la candidature de Mme [N] lui a été proposée « avec insistance ». Elle aurait été privilégiée par rapport à celles d'autres candidats.
A l'appui de cette affirmation, la société Barnes produit notamment un extrait du livre de Mme [N], « J'assume », paru en 2018 dans lequel elle écrit : « j'ai d'ailleurs toujours en mémoire le coup de sang de l'un de mes amis proches, chasseur de tête anglo-saxon réputé, qui a tout fait pour me dissuader d'aller en politique », le chasseur de tête auquel il est fait allusion étant le dirigeant de la société Sterling. Sont également versés aux débats plusieurs courriels dans lesquels la société Sterling valorise la candidature de Mme [N] et propose une rencontre avec elle autours d'un dîner, qui aura lieu le 17 janvier 2019.
L'existence de liens d'amitié entre Mme [N] et son dirigeant n'est pas démentie par la société Sterling. Elle soutient en avoir informé oralement la société Barnes au cours de deux réunions, les 24 octobre et 6 décembre 2018, ce que confirme M. [Z], son collaborateur, dans une attestation, ce dernier point étant contesté par M. [R]. Il convient donc d'examiner si la partialité alléguée de la société Sterling est démontrée.
Or, outre la présentation de deux autres candidats en priorité, MM. [J] et [E], la société Sterling a procédé à la sélection de dix autres candidats pouvant correspondre au profil recherché en faisant un « classement comparatif » basé sur leurs compétences. Dans son rapport, transmis le 9 novembre 2018 à la société Barnes, Mme [N] n'apparaît qu'en 8ème position sur 10, ce positionnement ne démontrant pas qu'elle ait été particulièrement favorisée.
Si la présentation faite le 19 février 2019 par la société Sterling de Mme [N] est très flatteuse (« c'est définitivement un leader, un numéro 1, qui bluffe toutes les personnes qui ont la chance de croiser son chemin par son charisme, son dynamisme, son énergie et sa vision »), les dossiers de présentation de plusieurs autres candidats sont d'une teneur identique. Ainsi, Mme [L] est dite « douée, rapide comme l'éclair et capable de générer de l'excitation, elle est un optimisateur de la dynamique relationnelle (') sa ténacité et sa détermination font d'elle une personne gagnante qui sait ce qu'elle veut et comment l'obtenir ». M. [J] est décrit comme étant « un individu très énergique et charismatique qui a la qualité d'une star. Courageux et déterminé, il est en quelque sorte capable de prendre toutes les capacités naturelles qu'il possède et de les pousser à l'extrême ».
Par ailleurs, la société Sterling justifie qu'après la présentation de la candidature de Mme [N] le 21 novembre 2018, elle a poursuivi ses recherches en proposant à la société Barnes d'autres candidats exerçant de hautes responsabilités dans diverses sociétés. Neufs d'entre eux ont été reçus en entretien par la société Barnes, sans qu'elle ne leur donne une suite favorable.
Au vu de ces éléments, il n'est pas démontré que la société Sterling ait priorisé la candidature de Mme [N] et fait preuve à son égard de partialité. La société Sterling justifie avoir présenté un panel suffisant de candidatures correspondant au profil attendu par la société Barnes.
La société Barnes reproche encore à la société Sterling d'avoir, par un courriel du 19 novembre 2018, fait part à Mme [N] qu'elle recherchait un candidat avant qu'elle ne signe l'accord de confidentialité stipulé par la lettre-accord du 19 octobre 2018.
La lettre-accord du 16 janvier 2019 stipule : « je vous confirme que les candidats que vous interviewerez durant cette phase confidentielle signeront un accord de confidentialité avant que nous lui révélions votre identité et que nous lui fournissions le moindre élément de contexte ». Le rapport de confidentialité a été signé par Mme [N] le 16 janvier 2019, alors que la société Sterling lui indiquait par courriel le 18 novembre 2018 : « concernant l'opportunité offerte par Barnes, j'ai eu une discussion relative à ta candidature avec [A] [R] ».
Il est donc établi que l'obligation de conclusion d'un accord de confidentialité préalable n'a pas été respectée en ce qui concerne Mme [N]. Cependant, la société Barnes ne justifie d'aucune conséquence dommageable en résultant. La faute de la société Sterling ne présente dès lors pas une gravité suffisante de nature à entraîner la résolution du contrat.
La société Barnes reproche par ailleurs à la société Sterling de lui avoir interdit, dans un courriel du 12 février 2019, de solliciter directement auprès de tiers des références sur Mme [N], en invoquant des motifs juridiques infondés.
Dans ce message, la société Sterling écrit : « J'ai également noté que la société Groupe Arnault prendrait de son côté des références sur [K] [N]. Je ne doute pas que les choses soient faites dans les règles mais je me permets d'attirer votre attention sur le fait que la CNIL a édicté des dispositions précises sur les règles à respecter dans ce cadre et sur l'autorisation explicite que la candidate doit donner sur les personnes à contacter les références « sauvages » étant proscrites par la loi française. Comme vous le savez, nous prendrons de notre côté toutes dispositions pour ne pas exposer [K] et, en tant que cabinet chargé en exclusivité du recrutement nous aimerions avoir la garantie qu'aucune référence ne sera prise par quelque partie que ce soit sans l'accord préalable, écrit et explicite de la candidate. »
L'article L1221-9 du code du travail énonce qu' « aucune information concernant personnellement un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
Par ailleurs, selon l'article 21 du règlement général de la protection des données :
« 1. La personne concernée a le droit de s'opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement de données à caractère personnel la concernant, fondé sur les points e) ou f). (e) ou (e) ou f) de l'article 6, paragraphe 1, y compris un profilage fondé sur ces dispositions. Le responsable du traitement ne traite plus les données à caractère personnel, à moins que le responsable du traitement ne démontre l'existence de motifs légitimes impérieux pour le traitement qui prévalent sur les intérêts, droits et libertés de la personne concernée ou pour la constatation, l'exercice ou la défense de droits en justice.
2. Lorsque les données à caractère personnel sont traitées à des fins de prospection, la personne concernée a le droit de s'opposer à tout moment au traitement des données à caractère personnel la concernant à de telles fins de prospection, y compris au profilage dans la mesure où il est lié à une telle prospection.
3. Lorsque la personne concernée s'oppose au traitement à des fins de prospection, les données à caractère personnel ne sont plus traitées à ces fins. »
L'analyse de ces dispositions démontrent que, contrairement aux affirmations de la société Barnes, la collecte d'information sur un candidat à un emploi est soumise à son information préalable, et ce, quel que soit le dispositif envisagé. La faute de la société Sterling n'est donc pas caractérisée.
D'autre part, la société Barnes affirme que la société Sterling ne lui a pas présenté suffisamment de références concernant Mme [N], et notamment pas celles de ses anciens supérieurs hiérarchiques, ce qui ne lui a pas permis d'être informée des échecs et conflits ayant émaillé ses expériences professionnelles au sein des sociétés Canal+, Endémol ou dans le groupe politique Les Républicains.
Au soutien de ses allégations selon lesquelles la carrière de Mme [N] est émaillée d'échecs et de conflits, la société Barnes produit à ce titre aux débats :
- une interview de l'intéressée parue le 22 avril 2010 dans le journal « Le Point » où il est dit d'elle : « forte personnalité qui « clashe » avec [O] [H], le patron de canal+. Elle quitte la chaîne cryptée avec fracas » ; « [Y], chez M6, hésite à l'engager : elle est remuante lache-t-il. » ; « elle manque de partir lorsque la police découvre qu'Endemol soudoie deux individus pour espionner M6 » ; le journaliste cite ses propos à propos de son passage à Endemol : « j'ai démissionné. C'est [F] [B] qui m'a rattrapée sur le mode : [V] a besoin de vous. Vous ne pouvez pas l'abandonner. » ; « elle lui obtient un beau pactole, mais ils finissent fâchés » ; « [K] [N] découvrît par exemple que deux salariés avaient encaissé, via leur propre société, la moitié (7 millions d' euros) du budget de l'émission « secret story ». Le scandale fut étouffé. [N] se retint de déposer plainte au pénal. Elle conserve depuis quelques munitions au cas où ».
- un article du média régional « Presselib.com » (non daté) : « en 2012, Tf1 décide de mettre fin au contrat unissant les deux sociétés, considérant Endémol comme un simple partenaire, à égalité avec les autres sociétés de production. Sans doute pourquoi elle quitte son poste l'année suivante. »
- un article du journal « Capital » paru le 10 juillet 2013 : « ajoutons qu'Endemol ne peut plus compter sur un traitement privilégié à Tf1 : après une première renégociation menée par [K] [N], le contrat n'a pas été reconduit. La dame de fer ne reviendra pas à la charge. A peine nommée numéro 2 d'Endemol Monde, en mai dernier, elle a démissionné de toutes ses fonctions pour rejoindre le groupe Euro Disney. »
- un article du journal « les Echos » paru le 18 janvier 2013 : « Certains évoquent des problèmes avec l'actionnaire ».
Toutefois, ces articles de presse, dont seul celui du journal « Le Point » évoque véritablement, sans en détailler ses sources, qu'un « clash » serait survenu entre Mme [N] et le patron de la société Canal+, ne permettent pas d'établir que Mme [N] présente un profil professionnel conflictuel et ponctué d'échecs, ni qu'elle présenterait une personnalité instable.
Quant aux deux articles de presse (BFM TV et France TV Info) faisant état de l'insuccès de Mme [N] dans son parcours politique, ils apparaissent hors de propos pour apprécier ses qualités professionnelles. Au demeurant, la société Barnes ne peut alléguer que l'activité politique de Mme [N] au sein du parti Les Républicains lui aurait été dissimulée par la société Sterling, alors que, dans un courriel du 23 novembre 2018, elle avait elle-même qualifiée la candidate comme étant « orientée dans la carrière politique ».
La société Sterling justifie en outre avoir inclus dans le rapport sur Mme [N] remis à la société Barnes plusieurs références émanant de ses anciens supérieurs hiérarchiques (M. [P], associé dans le cabinet d'audit Stalustro Reydel et M. [D], président de la société Numéricable et de la société TF1).
Le curriculum vitae de Mme [N], directrice financière au sein du cabinet d'audit Salustro Reydel, directrice financière de la société Numéricable, directrice administrative et financière de la société Skygate BV, directrice financière et développement de la société Canal+, administratrice de la société Technicolor, présidente d'Endemol France, administratrice de la société Iliad, directrice générale d'Endemol Monde, présidente du conseil de surveillance de la société Eurodisney, vice-présidente de l'établissement public Bordeaux Métropole et présidente de l'établissement public d'aménagement Bordeaux Euratlantique, apparaît correspondre aux profil d'une dirigeante de grande entreprise recherché par la société Barnes. L'authenticité de ses références professionnelles n'est pas remise en cause.
Contrairement aux affirmations de la société Barnes, le fait pour la société Sterling d'avoir dit que Mme [N] était « surqualifiée » ne constitue pas l'aveu d'une faute dans l'exécution de sa mission, la société Barnes ayant procédé à son recrutement en toute connaissance de cause.
Après l'embauche de Mme [N], la société Sterling justifie avoir transmis à la société Barnes, dans le cadre de l'accompagnement de son client « après le processus de recrutement », un courriel le 13 mai 2019, pour s'enquérir de sa bonne intégration au sein de la société, auquel celle-ci n'a pas répondu. La société Barnes ne peut donc reprocher à la société Sterling de ne pas lui avoir apporté une assistance qu'elle n'a pas sollicitée.
Enfin, la société Barnes reproche à la société Sterling de ne pas lui avoir transmis la copie du courriel de Mme [N] du 22 juin 2019, par lequel elle aurait interrompu le recrutement d'un collaborateur, M. [U]. La société Sterling justifie cependant avoir, dans son courrier du 24 juillet 2019, reproduit le courriel en question, sans que son absence d'authenticité ne soit avérée.
***
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est démontré que la société Sterling a répondu aux obligations qui lui incombaient en vertu de la lettre-accord du 19 octobre 2018. Il ne peut lui être imputé la responsabilité d'agissements ultérieurs de Mme [N] au sein de la société Barnes et survenus trois mois après son recrutement.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Barnes de résolution de la lettre-accord du 19 octobre 2018 ainsi que sa demande de restitution de la somme de 260 488 euros qu'elle a versée à la société Sterling en application du contrat.
Sur les demandes de dommages et intérêts de la société Barnes
La société Barnes sollicite la condamnation de la société Sterling à lui verser ls sommes de 100 000 et 150 000 euros au titre du préjudice de désorganisation et d'image qu'elle dit avoir subi du fait du recrutement de Mme [N].
La faute de la société Sterling dans l'exécution du contrat n'étant pas démontrée, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté les deux demandes de dommages et intérêts de la société Barnes. Il convient de confirmer le jugement de ces chefs.
Sur la demande en paiement de la société Sterling des honoraires au titre du recrutement de M. [U]
La société Sterling soutient :
- Qu'au prétexte du contentieux relatif au recrutement de Mme [N], la société Barnes a retenu abusivement les honoraires qui lui étaient dus pour sa mission de sélection de M. [U].
- Sachant qu'elle allait remettre sa démission le 23 juin 2019, Mme [N] a informé le 22 juin 2019 la société Sterling qu'elle n'aurait plus les pouvoirs de prendre une décision dans le processus de recrutement de M. [U], alors en cours. Le processus de recrutement de M. [U] s'est néanmoins poursuivi et le rapport de références concernant ce candidat a été transmis à la société Barnes.
La société Barnes réplique :
Le 24 juin 2019, la société Sterling a informé téléphoniquement M. [U] que son recrutement était annulé sur instructions de Mme [N] transmises par courriel, acte de pure malveillance. La société Sterling a refusé de communiquer le courriel en question à la société Barnes, ce qui constitue une faute.
***
En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès.
L'article L.110-3 du code de commerce consacre le principe de la liberté de la preuve des actes de commerce à l'égard des commerçants.
En l'espèce, la société Barnes ne conteste pas avoir, avant la démission de Mme [N], conclu un contrat avec la société Sterling pour le recrutement d'un collaborateur. La candidature de M. [U] a été retenue et il a pris ses fonctions au sein de la société Barnes le 4 juillet 2019.
La société Sterling a émis le 2 juillet 2019 une facture d'un montant de 36 000 euros TTC pour sa prestation relative au recrutement de M. [U]. La société Barnes refuse de s'acquitter de son paiement au motif que la société Sterling aurait informé M. [U], à la suite du courriel de Mme [N], de l'annulation de son recrutement au cours d'une conversation téléphonique le 24 juin 2018, ainsi que l'intéressé en atteste.
La société Sterling a transmis à M. [U] sa promesse d'embauche, signée par Mme [N], encore présidente de la société Barnes, le 22 juin 2018 à 19h06. Paradoxalement, celle-ci affirme avoir été informée par Mme [N] de la « suspension » du recrutement de M. [U] par un courriel du 22 juin 2018 à 9h10, dans le sillage de sa démission de la société Barnes.
Les parties sont en désaccord sur la teneur de la conversation téléphonique entre la société Sterling et M. [U] sur le maintien, ou pas, de son recrutement du fait du départ de Mme [N] de la société Barnes.
Toutefois, sont produits aux débats plusieurs courriels échangés entre les parties le 25 juin 2019, concernant la prise de fonction de M. [U], ne faisant pas état de l'annulation de son recrutement. Il s'avère donc que l'information erronée de l'annulation du recrutement de M. [U], à supposer qu'elle ait été donnée à tort le 24 juin 2019, n'a pas empêché la poursuite du processus d'embauche et ce, en collaboration avec la société Sterling qui a transmis, le 25 juin 2019, à la demande de la société Barnes, le « rapport de référence » de l'intéressé.
La créance de la société Sterling, dont la société Barnes ne discute pas le quantum en principal ni les intérêts, est donc justifiée et il convient de confirmer le chef du jugement ayant condamné la société Barnes à payer à la société Sterling la somme de 36 000 euros de ce chef, majorée des intérêts au taux de la banque centrale européenne augmentés de 10 points à compter du 3 juillet 2019, date de la mise en demeure.
Sur les demandes de la société Sterling de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à l'image commerciale et au titre de la procédure abusive
La société Sterling soutient que :
- Les accusations de la société Barnes lui sont dommageables. Le marché du recrutement des hauts dirigeants est restreint, et la mise en cause de la probité d'un cabinet dans le cadre d'un procès incite aussi bien les entreprises clientes que les candidats potentiels à ne pas associer leur image ou leur projet, à un professionnel, simplement accusé en justice d'avoir manqué à son obligation de loyauté.
La société Barnes réplique que :
Le préjudice de la société Sterling n'est pas établi.
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme ayant causé un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La société Sterling invoque un comportement fautif de la société Barnes.
Cependant, elle ne démontre pas l'existence d'un préjudice d'image, se contentant de ses seules allégations.
L'existence d'un abus procédural de la part de la société Barnes ne ressort pas des éléments du dossier.
Il convient en conséquence de rejeter les deux demandes indemnitaires de la société Sterling.
Le jugement, qui a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Sterling en réparation de son préjudice commercial, sera confirmé. En revanche, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Barnes à payer la somme de 2 000 euros pour procédure abusive.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Barnes aux dépens et au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Barnes, partie qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel.
L'équité commande que la société Barnes soit condamnée à verser à la société Sterling la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés en appel.
Le surplus des demandes sera rejeté.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Barnes à payer la somme de 2 000 euros pour procédure abusive ;
Y ajoutant :
Rejette la demande de la société Sterling de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la société Barnes à verser à la société Sterling la somme complémentaire de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société Barnes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Barnes aux entiers dépens d'appel.