CA Paris, Pôle 6 ch. 13, 11 avril 2025, n° 22/07647
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse primaire d'assurance maladie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carbonaro
Conseillers :
M. Revelles, Mme Coupet
Avocat :
Me Viegas
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de préciser que le 27 avril 2017, M. [Z] [L] a effectué une déclaration de maladie professionnelle, en joignant un certificat médical initial établi par le docteur [R] le même jour mentionnant « tendinopathies bilatérales des deux épaules ».
La caisse a ouvert deux dossiers pour chacune des deux épaules. Le présent litige concerne le dossier numéro 172427759 relatif à l'épaule gauche.
Après instruction, le 30 novembre 2017, la caisse a informé la société qu'elle acceptait de prendre en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, la maladie déclarée par M. [L], pour son épaule gauche, sur le fondement du tableau 57.
Le 8 février 2019, la caisse a fixé la consolidation de l'assuré au 5 février 2019 et par décision du 03 mai 2019, la caisse a fixé un taux d'incapacité permanente partielle de 10% pour une « limitation légère des amplitudes de l'épaule gauche chez un gaucher ».
La société a contesté cette décision devant la commission médicale de recours amiable, qui, par décision du 13 décembre 2019, a confirmé le taux d'incapacité permanente partielle à 10%.
Par courrier recommandé expédié le 24 décembre 2019, la société a saisi le tribunal de grande instance de Paris, à la suite de la décision de rejet de la commission médicale de recours amiable.
Par décision du 5 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
- Rejeté le recours de la société contre la décision de la commission médicale de recours amiable du 13 décembre 2019 maintenant à 10% le taux d'incapacité permanente partielle attribué à M. [L] suite à la maladie professionnelle consolidée au 5 février 2019 ;
- Confirmé le taux d'incapacité permanente partielle de 10% attribué à M. [L] suite à la maladie professionnelle déclarée le 27 avril 2017 et consolidée le 5 février 2019, dans les rapports caisse-employeur ;
- Rejeté la demande d'expertise médicale de la société ;
- Rejeté la demande de condamnation de la caisse au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que la société supportera la charge des dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a d'abord retenu que, dans son avis médico-légal, le médecin mandaté par la société, le docteur [H], évoque expressément le rapport d'évaluation des séquelles, de telle sorte qu'il ne peut ensuite arguer de ne pas avoir été mis en mesure de consulter les documents médicaux.
Ensuite, le tribunal a rappelé que la décision de la commission médicale de recours amiable, motivée en référence au rapport médical et signée des trois membres, a été envoyée à l'assuré et au médecin de l'employeur, de telle sorte que l'article R. 143-8-5 du code de la sécurité sociale a été respecté.
Enfin, le tribunal a estimé que le taux d'incapacité permanente partielle attribué se situe dans la fourchette prévue au barème et que le médecin mandaté de la société ne fait valoir aucun argument pertinent pour justifier une baisse de ce taux à 6%.
Ce jugement a été notifié le 19 juillet 2022 à la société, qui en a interjeté appel par courrier recommandé expédié le 5 août 2022.
L'affaire a été examinée à l'audience de la cour d'appel du 11 février 2025.
Par conclusions reçues au greffe le 3 février 2025, la société, dispensée de comparution, demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;
A titre principal :
- Juger recevable et bien fondé le recours introduit par la société à l'encontre de la décision explicite de rejet de la commission médicale de recours amiable du 13 décembre 2019, reçue par la société le 16 janvier 2020 ;
- Juger inopposable à la société la décision prise par la caisse en date du 03 mai 2019 fixant un taux d'incapacité permanente partielle de 10% à M. [L] au titre des séquelles sur sa maladie professionnelle ;
A titre subsidiaire :
- Ordonner que soit pratiquée une expertise médicale aux fins de trancher la question suivante : Est-ce que le taux d'incapacité permanente partielle de 10% attribué à M. [L] suite au titre des séquelles de sa maladie professionnelle n'est pas surévalué '
En tout état de cause :
- Lui décerner acte qu'elle sollicite la communication au docteur [H] de tous documents médicaux, et notamment tous rapports d'expert ou médecin consultant désigné comme tous rapports, éléments ou informations communiqués à l'expert ou au médecin consultant désigné ;
- Annuler la décision explicite de rejet de la commission médicale de recours amiable en date du 13 décembre 2019 notifiée à la société le 16 janvier 2020 ;
- Juger que le taux d'incapacité permanente partielle de 10% attribué par la caisse à M. [L] au titre des conséquences de la maladie professionnelle est manifestement surévalué, réduire la valeur du taux d'incapacité permanente partielle attribué à M. [L] de 10% à 6% ;
- Condamner la caisse à verser à la société la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société expose, d'abord, que le dossier médical de M. [L] sur lequel la caisse s'est fondée pour établir le taux d'incapacité permanente partielle n'a pas été transmis au médecin-conseil de la société, puisque le docteur [H] indique expressément qu'il n'a pas eu connaissance du certificat médical initial, des arrêts de travail et/ou des soins prescrits, du certificat médical final. Elle précise que, conformément à ce que prévoit l'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale, elle a fait connaître à la commission médicale de recours amiable les coordonnées de son médecin-conseil et qu'il appartenait alors à la commission médicale de recours amiable de lui transmettre l'intégralité des documents médicaux sans délai, et sans autre demande de sa part. Elle en conclut que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu'il appartenait au docteur [H] de demander une copie du rapport.
Ensuite, la société fait valoir que la décision de la commission médicale de recours amiable n'est pas motivée et qu'elle n'est signée que par l'un de ses membres, ce qui place la société dans l'impossibilité de vérifier que la commission médicale de recours amiable a valablement statué en présence de ses trois membres.
Enfin, la société expose que l'avis du docteur [H] permet d'établir que le taux d'incapacité permanente partielle retenu est surévalué, puisqu'il s'agit d'une tendinopathie discrète du sus-épineux, pour laquelle il n'est pas possible de retenir une véritable limitation des mouvements, mais seulement une gêne fonctionnelle douloureuse. Le docteur [H] précise que la gêne fonctionnelle douloureuse n'est pas uniquement en lien avec la tendinopathie non rompue de la coiffe, les remaniements acromio-claviculaires participent à la gêne fonctionnelle douloureuse.
La société rappelle que la cour pourra ordonner une expertise, si elle s'estime insuffisamment éclairée.
Par conclusions visées par le greffe et reprises oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- Déclarer mal fondé l'appel de la société à l'encontre de la décision rendue le 5 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Paris ;
- Confirmer la décision déférée, le jugement du 5 juillet 2022, rendu par le tribunal judiciaire de Paris, en toutes ses dispositions ;
- Confirmer la décision de la commission médicale de recours amiable du 13 décembre 2019 ;
- Confirmer le taux d'incapacité permanente partielle de 10% attribué à M. [L] ;
- Ne pas faire droit à la demande d'expertise ;
- Ne pas faire droit à la demande de condamnation de la caisse au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
Au soutien de ses prétentions, la caisse expose, d'une part, qu'il ressort de sa pièce 8, courrier du 19 novembre 2019, que le secrétariat de la commission médicale de recours amiable a transmis le 19 novembre 2019 la copie de l'intégralité du rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale. Elle estime qu'elle a donc respecté les obligations mises à sa charge par l'article R. 142-8-3 du code de la sécurité sociale, rappelant qu'elle n'est pas tenue de transmettre les pièces constituant le dossier médical de l'assuré. En tout état de cause, elle rappelle qu'au stade du recours préalable, ni l'inobservation des délais de transmission, ni l'absence de transmission du rapport médical ne peuvent être sanctionnés par l'inopposabilité de la décision à son égard (Cass., Civ. 2e, 11 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.945). Elle précise, à toutes fins, que la société avait déjà en sa possession le certificat médical initial, transmis avec le courrier de lancement des investigations (pièce 1).
D'autre part, la caisse fait valoir que la décision de la commission médicale de recours amiable, qui était composée d'un médecin-conseil et de deux experts judiciaires, est parfaitement motivée et que cela justifie l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle à hauteur de 10%. Elle souligne que la société ne produit aucun élément médical nouveau de nature à remettre en cause l'avis de la commission médicale de recours amiable. Elle rappelle que la société n'a aucun droit à l'expertise, et que la mesure d'instruction ne peut avoir pour objet de suppléer la carence des parties.
A l'issue de l'audience, les parties ont été informées que la décision serait mise à disposition le 11 avril 2025.
SUR CE :
Sur la transmission des pièces médicales :
En l'espèce, la décision attributive de taux a été rendue le 3 mai 2019 et la société a formé son recours postérieurement au 1er janvier 2019, de telle sorte qu'il convient de faire application des dispositions du code de la sécurité sociale, telles qu'elles résultent de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
L'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale dispose qu'en cas de recours préalable :
« Pour les contestations de nature médicale, hors celles formées au titre du 8° de l'article L. 142-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puisse lui être opposé l'article 226-13 du code pénal, à l'attention exclusive de l'autorité compétente pour examiner le recours préalable, lorsqu'il s'agit d'une autorité médicale, l'intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l'examen clinique de l'assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision. À la demande de l'employeur, ce rapport est notifié au médecin qu'il mandate à cet effet. »
L'article R. 142-8-3 du code de la sécurité sociale dispose :
« Lorsque le recours préalable est formé par l'employeur, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l'introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l'article L. 142-6 accompagné de l'avis au médecin mandaté par l'employeur à cet effet. Le secrétariat informe l'assuré ou le bénéficiaire de cette notification. »
Les dispositions de ces deux articles ne sont assorties d'aucune sanction et leur inobservation n'entraîne pas l'inopposabilité à l'égard de l'employeur de la décision attributive du taux d'incapacité dès lors que l'employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l'expiration du délai de rejet implicite de quatre mois prévu à l'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale et d'obtenir, à l'occasion de ce recours, la communication du rapport mentionné ci-dessus (Cass., 2e Civ., avis du 17 juin 2021, n° 21-70.007 et 2e Civ., 6 juin 2024, pourvoi n° 22-15.932).
En l'espèce, la copie du courrier daté du 19 novembre 2019 produite par la caisse en pièce 8 montre que le secrétariat de la commission médicale de recours amiable a adressé au docteur [H] la copie du rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale accompagné de l'avis du praticien-conseil. Dans son avis médico-légal du 9 décembre 2019, le docteur [H], médecin mandaté par l'employeur, indique qu'il raisonne à partir du « rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle du docteur [V] du 10 mars 2019 ». Ainsi, il ressort de ces éléments que le rapport d'évaluation des séquelles et l'avis du médecin-conseil ont bien été transmis conformément à l'article R. 142-8-3 du code de la sécurité sociale.
Toutefois, l'employeur, par la voie de son médecin mandaté, indique qu'il n'a pas eu accès aux certificats médicaux initial et final, ainsi qu'aux arrêts de travail et soins prescrits.
L'article R. 142-1-A V du code de la sécurité sociale, qui précise que le rapport médical mentionné aux articles L. 142-6 et L. 142-10 doit comprendre les certificats médicaux, détenus par le praticien-conseil du service du contrôle médical et, le cas échéant, par la caisse, n'est entré en vigueur qu'au 1er janvier 2020. Il n'est donc pas applicable au présent litige. En l'état des textes en vigueur au jour de la saisine de la commission médicale de recours amiable, le contenu du rapport médical n'est pas expressément défini.
En tout état de cause, même à supposer que l'employeur n'ait pas eu communication de tout ou partie des certificats médicaux détenus par la caisse, l'absence de transmission de ces pièces au médecin mandaté par l'employeur au stade du recours préalable n'entraînent pas l'inopposabilité à l'égard de ce dernier de la décision attributive du taux d'incapacité permanente partielle.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'inopposabilité fondée sur l'absence de communication au docteur [H] des documents médicaux.
Sur la régularité du rapport de la commission médicale de recours amiable :
L'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, prévoit :
« La commission médicale de recours amiable établit, pour chaque cas examiné, un rapport comportant son analyse du dossier et ses constatations et statue par une décision comportant des conclusions motivées.
« Le secrétariat de la commission notifie sans délai la décision à l'intéressé. Le secrétariat transmet sans délai une copie de la décision à l'organisme de prise en charge, une copie du rapport au service médical compétent et, à la demande de l'assuré ou de l'employeur, une copie du rapport à l'assuré ou au médecin mandaté par l'employeur lorsque celui-ci est à l'origine du recours. Le rapport est transmis sous pli confidentiel.
« L'absence de décision de la commission médicale de recours amiable dans le délai de quatre mois à compter de l'introduction du recours préalable, vaut rejet de la demande. »
L'article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur, prévoit :
« Sous réserve des dispositions particulières prévues par la section 2 du présent chapitre et des autres dispositions législatives ou réglementaires applicables, la motivation des décisions prises par les autorités administratives et les organismes de sécurité sociale ainsi que les recours préalables mentionnés aux articles L. 142-4 et L. 142-5 du présent code, sont régis par les dispositions du code des relations du public avec l'administration. Ces décisions sont notifiées aux intéressées par tout moyen conférant date certaine à la notification. »
L'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit :
« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. »
En l'espèce, il résulte de la copie de l'extrait de la décision de la commission médicale de recours amiable telle qu'elle a été communiquée à l'employeur (pièce 3 de la société) que les conclusions de cette décision sont motivées, puisqu'il est mentionné « il ressort des éléments versés à votre dossier : arguments de votre conseil, du rapport d'incapacité permanente, du barème indicatif d'invalidité des accidents du travail/maladies professionnelles annexé au code de la sécurité sociale que le taux de 10% était justement évalué ».
En revanche, l'extrait de cette décision (pièce 3 de la société), qui comporte une signature qui n'est pas attribuée, ne mentionne pas en caractères lisibles les prénom(s), nom(s) et qualité(s) du ou des auteurs de la décision. La caisse justifie que la décision originale (pièce 5 de la caisse) a bien été prise par les trois membres désignés (deux experts et un médecin conseil) et signée par ces trois membres, ce qui montre que la décision originale est régulière en la forme. La copie adressée, pour information, à l'employeur a été tronquée pour en faire disparaître les éléments médicaux soumis au secret professionnel, puisque le médecin mandaté par l'employeur n'a pas fait de demande de communication de la décision conformément à l'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale.
Dès lors, la décision originale de la commission médicale de recours amiable, celle sur laquelle la cour doit porter son appréciation, est régulière et le moyen d'inopposabilité fondé sur l'absence de mention des auteurs de la décision de la commission médicale de recours amiable sera donc écarté.
Sur le taux d'incapacité permanente partielle :
L'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.»
L'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit.
« Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail. »
Le taux d'incapacité permanente partielle s'apprécie au jour de la consolidation (2e Civ., 21 juin 2012, pourvoi n° 11-20.323).
Les séquelles sont appréciées en partant du taux moyen proposé par le barème, éventuellement modifié par des estimations en plus ou en moins résultant de l'état général, de l'âge, ainsi que des facultés physiques et mentales.
Il appartient à la juridiction du contentieux de la sécurité sociale, saisie d'une contestation du taux d'incapacité permanente, de se prononcer sur l'ensemble des éléments concourant à la fixation de celui-ci. Cette dernière doit donc prendre en considération les lésions exclusivement imputables à l'accident, l'absence de tout contentieux préalable sur l'imputabilité des lésions à l'accident du travail n'étant pas un obstacle juridique à cette recherche (2e Civ., 21 mars 2024, pourvoi n° 22-15.376). Cette recherche implique en outre de discuter du rattachement à l'accident du travail ou la maladie professionnelle des lésions qui n'auraient pas été prises en compte par la caisse en l'absence de toute décision (2e Civ., 1er juin 2023, pourvoi n° 21-25.629).
Au cas présent, la consolidation a été fixée au 5 février 2019, date qui n'a fait l'objet d'aucune contestation.
Le paragraphe 1.1.2 'atteinte des fonctions articulaires ' blocage et limitation des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu'en soit la cause' du barème indicatif d'invalidité des accidents du travail, annexe I de l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, prévoit, en ce qui concerne l'épaule :
« La mobilité de l'ensemble scapulo-huméro thoracique s'estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d'une main, l'autre main palpant l'omoplate pour en apprécier la mobilité :
« - Normalement, élévation latérale : 170° ;
« - Adduction : 20° ;
« - Antépulsion : 180° ;
« - Rétropulsion : 40° ;
« - Rotation interne : 80° ;
« - Rotation externe : 60°.
« La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s'effectuer sans aucune gêne.
« Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d'éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d'adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l'amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxilaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques. »
DOMINANT
NON DOMINANT
Blocage de l'épaule, omoplate bloquée
55
45
Blocage de l'épaule, avec omoplate mobile
40
30
Limitation moyenne de tous les mouvements
20
15
Limitation légère de tous les mouvements
10 à 15
8 à 10
Dans la décision attributive du taux d'incapacité permanente partielle, la caisse a retenu des « limitation légère des amplitudes de l'épaule gauche chez un gaucher ». La commission médicale de recours amiable, dans sa décision du 13 décembre 2019, a confirmé ce taux. Le taux retenu est conforme au barème ci-dessus rappelé, dans sa limite basse.
Pour contester cette analyse, le médecin mandaté par la société, qui a pris connaissance du rapport d'évaluation des séquelles, précise que :
- L'IRM de l'épaule gauche du 7 septembre 2017 fait mention d'une tendinopathie discrète du sus-épineux ;
- L'activité professionnelle (boucher désosseur) a été reprise à plein temps le 28 août 2018;
- La prise d'anti-inflammatoires, dont la fréquence et la posologie ne sont pas précisées, n'est pas uniquement en lien avec la maladie professionnelle objet du litige, puisque l'assuré a également trois autres maladies professionnelles ;
- L'état clinique décrit ne doit pas être confondu avec une symptomatologie séquellaire uniquement imputable à la maladie professionnelle objet du rapport ;
- La transcription de l'examen clinique est incomplète, puisque ne sont pas documentés les mouvements de rotations externe et interne, les mouvements main-nuque et main-vertex et le testing de coiffe ;
- Il n'est ainsi pas possible de retenir une véritable limitation des mouvements, mais seulement une gêne fonctionnelle.
Les remarques du médecin mandaté, qui ont été portées à la connaissance de la commission médicale de recours amiable, composée de trois médecins (un médecin-conseil et deux experts indépendants) ayant pris connaissance de l'intégralité du dossier médical, n'ont pas été retenues pour réviser à la baisse le taux d'incapacité permanente partielle.
Le médecin mandaté n'a pas sollicité la copie de la décision de la commission médicale de recours amiable. La note du médecin mandaté présentée devant la juridiction en charge du contentieux de la sécurité sociale est donc exactement la même que celle présentée à la commission médicale de recours amiable. Le médecin mandaté n'expose pas en quoi le collège d'experts de la commission médicale de recours amiable a fait une mauvaise appréciation de la situation et ne démontre donc pas la persistance d'un différend médical susceptible de remettre en cause les décisions prises. Dès lors, les éléments apportés par la société appelante sont insuffisants pour justifier une remise en cause du taux d'incapacité permanente partielle.
Aussi, il convient de retenir le taux tel que confirmé par la commission médicale de recours amiable, à savoir 10%.
Sur la demande subsidiaire d'expertise :
L'article 144 du code de procédure civile dispose :
« Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer. »
L'article 146 du code de procédure civile dispose :
« Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.
« En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve. »
Si les articles 144 et 146 du code de procédure civile, rendus applicables par l'article R. 142-1-A du code de la sécurité sociale aux juridictions désignées aux articles L. 211-16 et L. 311-15 du code de l'organisation judiciaire, donnent au juge du contentieux de la sécurité sociale la faculté d'ordonner une mesure d'instruction, il n'est nullement tenu d'en user dès lors qu'il s'estime suffisamment informé (Cass., Civ. 2e, 11 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.939).
En l'espèce, la cour dispose de l'avis de 5 médecins, le médecin-conseil de la caisse, le médecin mandaté par l'employeur et le collège de trois médecins de la commission médicale de recours amiable. La société n'apporte aucun argument pour remettre en cause les conclusions de la commission médicale de recours amiable, prises après avis de son propre médecin mandaté.
Dans ces conditions, une mesure d'expertise médicale n'apparaît pas nécessaire, la cour étant suffisamment informée.
La demande sur ce point sera donc écartée.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris de 5 juillet 2022 sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur l'annulation/confirmation de la décision de la commission médicale de recours amiable:
Les décisions des cours et tribunaux se substituent aux décisions des caisses, de telle sorte que la cour d'appel n'est saisie que du fond du litige.
La cour d'appel n'a donc pas à statuer sur les demandes d'infirmation, de confirmation ou d'annulation des décisions de la commission médicale de recours amiable. La demande sera donc écartée.
Sur les demandes accessoires :
La société, succombant en son appel, sera tenue aux dépens et sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DÉCLARE recevable l'appel formé par la société [5] ;
CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 5 juillet 2022 sous le RG 20/00174 ;
Y AJOUTANT,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société [5] aux dépens d'appel.