CA Bordeaux, 1re ch. civ., 15 avril 2025, n° 22/01185
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Touzan (SAS)
Défendeur :
Coates Assurances (SAS), Generali IARD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Vallee, Mme Lamarque
Avocats :
Me Maillot, Me Tahtah, Me Monroux, Me Planet, Me Knafou, Me Guespin
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1. Suivant contrat du 25 juin 2012, la SAS établissements Touzan s'est engagée à fournir à la société civile [Adresse 3], propriétaire exploitant un domaine viticole classé AOC [Localité 5] et [Localité 5] Grand Cru en reconversion vers une agriculture raisonnée, une mission de suivi et de conseil phytosanitaire concernant le suivi des maladies et ravageurs, le suivi des vers de la grappe, la mise en oeuvre de la protection du vignoble, l'optimisation des consommations de produits phytopharmaceutiques et la mise en conformité réglementaire, pour une durée de douze mois a compter du 1er janvier 2012 renouvelable par tacite reconduction par périodes annuelles, avec interventions régulières pendant la période végétative de la vigne entre avril et septembre et interventions ponctuelles en dehors de cette période.
2. À la suite d'une contamination par le mildiou de la récolte 2015 qu'elle impute à une prestation défectueuse de la société établissements Touzan, la société [Adresse 3] a sollicité l'avis de deux experts puis saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux qui, par ordonnance du 29 janvier 2018, a ordonné une expertise judiciaire.
M. [J] [N], expert désigné a cette fin au contradictoire de la SA Generali
Iard, assureur de la société établissements Touzan, et de la SAS Coates assurances, courtier en assurances, a déposé son rapport le 17 octobre 2018.
3. Par acte du 19 février 2019, la société civile [Adresse 3] a fait assigner la SAS établissements Touzan, la SA Generali Iard et la SAS Coates assurances devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de réparation de son préjudice matériel lié à un surcroît de traitement et à une perte d'exploitation, sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil.
4. Par jugement du 17 février 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré les demandes à l'encontre de la SAS Coates assurances recevables,
- condamné la SAS établissements Touzan a payer à la société civile [Adresse 3] les sommes suivantes, à titre de dommages et intérêts :
- 1 852 euros au titre du surcroît de traitement,
- 113 210,40 euros au titre de la perte d'exploitation,
- condamné la SAS établissements Touzan à payer à la société civile [Adresse 3] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties pour le surplus,
- condamné la SAS établissements Touzan aux dépens, comprenant les dépens de l'instance en référé dont les frais d'expertise judiciaire,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
5. Par déclaration électronique en date du 8 mars 2022, la SAS établissements Touzan a relevé appel de ce jugement par déclaration du 8 mars 2022, en ce qu'il a :
- condamné la SAS établissements Touzan a payer à la société civile [Adresse 3] les sommes suivantes, à titre de dommages et intérêts :
- 1 852 euros au titre du surcroît de traitement,
- 113 210,40 euros au titre de la perte d'exploitation,
- condamné la SAS établissements Touzan a payer à la société civile [Adresse 3] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS établissements Touzan aux dépens, comprenant les dépens de l'instance en référé dont les frais d'expertise judiciaire.
6. La société établissements Touzan, par dernières conclusions déposées le 17 octobre 2022, demande à la cour de :
- juger la SAS établissements Touzan recevable et bien fondée en son appel,
- rejeter comme étant infondées toutes les prétentions formées par la société civile [Adresse 3],
- rejeter comme étant infondées toutes les prétentions formées par la SA Generali
Iard,
- rejeter comme étant infondées toutes les prétentions formées par la SAS Coates Assurances,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable les demandes formées à l'encontre de la SAS Coates Assurances,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté comme étant infondée la demande d'indemnisation du préjudice moral et financier formée par la société civile [Adresse 3] pour la somme de 50.000 ',
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il :
- condamne la SAS établissements Touzan a payer a la société civile [Adresse 3] les sommes suivantes, à titre de dommages et intérêts :
* 1.852 euros au titre du surcroît de traitement,
* 113.210,40 euros au titre de la perte d'exploitation,
- condamne la SAS établissements Touzan a payer a la société civile [Adresse 3] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- déboute les parties pour le surplus,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- juger que la SAS établissements Touzan n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles ;
En conséquence,
- débouter la société civile [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la SAS Etablissements Touzan ;
A titre subsidiaire,
- juger que la société civile [Adresse 3] est responsable à hauteur de 50% dans la survenance de son préjudice;
A titre infiniment subsidiaire,
- condamner la SA Generali Iard à relever la SAS établissements Touzan intégralement indemne des condamnations prononcées à son encontre en vertu du contrat d'assurance.
- A défaut,
- condamner la SAS Coates Assurances a relever la SAS établissements Touzan intégralement indemne des condamnations prononcées a son encontre, dans l'hypothèse où l'activité de suivi phytosanitaire ne serait pas garantie par la SA Generali Iard.
En tout état de cause,
- limiter le montant de la perte d'exploitation subie par la société civile [Adresse 3] à la somme de 71.443 ',
- rejeter comme étant infondée la demande d'indemnisation au titre du surcoût de traitement formée par la société civile [Adresse 3],
- condamner solidairement la société civile [Adresse 3], la SA Generali Iard et la SAS Coates assurances à verser à la SAS établissements Touzan la somme de 5.0 (sic) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et dont distraction pour ceux de la présente procédure au profit de la Selarl cabinet Caporale Maillot Blatt, Avocat à la Cour, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
7. La société civile du [Adresse 3], par dernières conclusions déposées le 11 juillet 2024, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 17 février 2022 en ce qu'il a :
- déclaré les demandes à l'encontre de la SAS Coates assurances recevables,
- condamné la SAS établissements Touzan aux dépens, comprenant les dépens de l'instance en référé dont les frais d'expertise judiciaire,
Et en appel incident :
- juger que la société des établissements Touzan a commis une faute dans ses obligations contractuelles et professionnelles,
- condamner la société des établissements Touzan in solidum avec la compagnie SA Generali France Iard au paiement de la somme de 307.993,80 euros au titre de son préjudice matériel, décomposé comme suit :
o 2.315 ' au titre du surcroît de traitement,
o 255.678,80 ' au titre de la perte d'exploitation.
o 50.000 ' au titre du préjudice résultant des résidus excessifs et anormaux de pesticides.
- condamner in solidum la société des établissements Touzan et la SA Generali Iard à payer à la société civile du [Adresse 3] la somme de 15.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris ceux d'expertise.
A titre subsidiaire,
- condamner la société des établissements Touzan in solidum avec la SAS Coates assurances au paiement de la somme de 307.993,80 euros au titre de son préjudice matériel, décomposé comme suit :
o 2.315 ' au titre du surcroît de traitement,
o 255.678,80 ' au titre de la perte d'exploitation.
o 50.000 ' au titre du préjudice résultant des résidus excessifs et anormaux de pesticides.
- condamner in solidum la société des établissements Touzan SAS et la SAS Coates assurances à payer à la société civile du [Adresse 3] la somme de 15.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris ceux d'expertise.
8. La compagnie Generali, par dernières conclusions déposées le 19 juillet 2022, demande à la cour de :
- juger la compagnie Generali Iard recevable et bien fondée en ses demandes,
Y faisant droit
Confirmer le jugement rendu le 17 février 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a considéré que la garantie de la compagnie Generali Iard n'était pas mobilisable et a mis hors de cause la concluante,
En effet,
- juger que la garantie de l'assureur concerne exclusivement le secteur d'activité professionnelle déclaré par l'assuré,
- juger que l'activité de 'Suivi Phytosanitaire' telle que prévue et détaillée dans le contrat signé par la société Touzan avec la société [Adresse 3] en juin 2012 n'a jamais été souscrite et qu'aucune prime (contrepartie de la garantie d'assurance) n'a été perçue par la compagnie Generali au titre de cette activité,
- juger que cette activité n'a pas non plus été déclarée dans le cadre de l'avenant n°2 à effet au 1er juillet 2012 ni dans l'avenant n°3 à effet au 1er juillet 2014,
- juger par suite que la garantie de la compagnie Generali n'est pas mobilisable,
- mettre hors de cause la compagnie Generali,
- débouter la société Touzan et toutes parties de toutes demandes à l'encontre de la compagnie Generali,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour ne prononçait pas la mise hors de cause de la compagnie Generali en dépit des arguments développés précédemment,
Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une part de responsabilité à l'encontre des Etablissements Touzan et l'a condamné à verser au [Adresse 3] la somme de 113.210,40 ' au titre de la perte d'exploitation et celle de 1.852 ' au titre du sucroît de traitement
Statuant à nouveau
- juger que la SAS établissements Touzan n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles,
- juger par suite que la responsabilité des établissements Touzan n'est pas établie
- débouter en conséquence la société civile [Adresse 3] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des Etablissements Touzan et, le cas échéant, à l'encontre de la compagnie Generali mise en cause en qualité d'assureur des établissements Touzan,
- juger la société civile [Adresse 3] mal fondée en ses prétentions chiffrées,
- juger le cas échéant et à titre subsidiaire la compagnie Generali Iard bien fondée à opposer tant aux établissements Touzan qu'aux tiers invoquant le bénéfice de la police les limites de son contrat au titre de la garantie RC professionnelle, en application des dispositions de l'article L112-6 du code des assurances,
- juger par suite qu'en cas de condamnation de la compagnie Generali, il sera fait application :
o du plafond de garantie à hauteur de 80.000'
o des franchises contractuelles à hauteur de 10% des dommages avec un minimum de 400' et un maximum de 8000'
- débouter le cas échéant toutes les parties de toutes demandes au-delà de ces limites contractuelles,
En tout état de cause,
- juger que le préjudice financier allégué par la société civile [Adresse 3] ne saurait excéder la somme de 64 646',
- débouter par suite la société [Adresse 3] de toutes demandes au-delà de ce montant,
- débouter toutes parties de toutes demandes plus amples ou contraires à l'encontre de la compagnie Generali,
- débouter la société Ets Touzan de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens,
- condamner la société établissements Touzan à verser à la compagnie Generali la somme de 5.000' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
9. La société Coates assurances, par dernières conclusions déposées le 20 octobre 2022, demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 17 février 2022.
En conséquence,
- débouter la société Ets Touzan, la société civile du [Adresse 3] et toute partie de toutes ses demandes, fins et conclusions tournées à l'encontre de la société Coates Assurances.
- condamner tout succombant à payer à la société Coates assurances la somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner tout succombant aux entiers dépens.
10. L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 4 mars 2025.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 18 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
11. La cour est saisie par le biais de l'appel principal de la société établissements Touzan et incident de la société [Adresse 3] de l'action en responsabilité intentée par cette dernière à l'encontre de la première dans le cadre d'un contrat d'entreprise concernant une mission de suivi et de conseils phytosanitaires pour l'exploitation du domaine Viticole de la société [Adresse 3] classé AOC [Localité 5] et [Localité 5] Grand Cru.
12. La question posée à la cour est celle de la responsabilité de la société établissements Touzan pour manquement à son obligation de conseil à l'occasion d'une attaque au mildiou survenue le 4 mai 2015 dans les vignes de la société [Adresse 3] ayant occasionné un surcoût de traitement et la perte d'une partie de la récolte de 2015 ainsi que celle de l'éventuelle participation de la société [Adresse 3] à son propre dommage.
13. Le tribunal a retenu que, tenue d'une obligation de suivi régulier et de conseil personnalisé de terrain, il résultait de l'expertise que la société établissements Touzan avait manqué à son obligation de suivi entre le 23 avril 2015 et le 5 mai 2015, avait commis une erreur d'appréciation en différant le traitement à la fin de l'épisode pluvieux du 30 avril au 3 mai 2015, alors qu'elle disposait du modèle de prévision MOVIDA qui, dès le 18 avril 2015, avait détecté des risques de contamination, la société [Adresse 3] ayant elle même tardé à mettre en oeuvre le traitement n'intervenant que deux jours après l'observation des premières tâches sur le vignoble. Il en a déduit que la société établissements Touzan était responsable à hauteur de 80 % du préjudice subi par la société [Adresse 3] laquelle conservait 20 % de responsabilité dans la survenue de son propre dommage.
14. La société établissements Touzan conteste cette décision, rappelant qu'elle n'est tenue que d'une simple obligation de moyens. Elle fait essentiellement valoir que, tout en convenant qu'elle a respecté les règles de l'art, le tribunal, sur la base du rapport d'expertise, a pourtant retenu sa responsabilité pour un manque d'anticipation de la contamination au mildiou qu'elle affirme qu'elle ne pouvait pas prévoir, contestant l'efficacité d'un traitement curatif dès les premières attaques. Elle estime au contraire avoir parfaitement rempli ses obligations contractuelles, ayant annoncé dans son bulletin d'information n° 3 du 24 avril 2015, la présence de premières contaminations au mildiou et préconisé les mesures alternatives à prendre mentionnant qu'aucun traitement curatif n'était alors à prévoir et que la société [Adresse 3] s'est au contraire abstenue de mettre en oeuvre ces mesures alternatives utilisées en matière d'agriculture raisonnée, préconisations qu'elle renouvelait dans son bulletin du 30 avril 2015, dans lequel elle préconisait en outre l'application de Slogan.
Elle estime au contraire rapporter la preuve de son suivi régulier par ses différentes fiches de visite et avoir mis en oeuvre tous les moyens en sa possession, le seul constat d'une attaque du vignoble par le mildiou ne suffisant pas à établir sa faute.
Elle insiste également sur l'analyse de l'événement par l'Institut français de la vigne et du vin qui fait état d'un contexte climatique exceptionnel à l'origine d'une contamination fulgurante par le mildiou n'ayant pas permis d'anticiper le développement de la maladie, avec des contaminations très localisées, le bulletin de santé végétale (BSV) émis par la chambre d'agriculture entre le 14 et le 28 avril, ayant lui même relayé une absence de risque de contamination et mentionné l'apparition de certaines tâches le 5 et le 12 mai, estimant que le BSV est l'indicateur de référence par rapport au modèle de prévision MOVIDA.
15. La société [Adresse 3] demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un manquement des établissements Touzan à leur obligation de moyen renforcée, s'appuyant sur le rapport d'expertise judiciaire, observant qu'elle dispose d'un constat d'huissier, de deux rapports et du rapport d'expertise judiciaire lesquels convergent vers une responsabilité pleine et entière de la société établissements Touzan pour :
- erreur de diagnostic et traitement tardif, malgré des éléments d'analyse utiles (MOVIDA, EPI,POSITIF) qui lui auraient permis de prévoir la contamination primaire, alors que tous convergeaient vers une telle contamination entre le 30 avril et le 2 mai.
- traitements inadaptés (nature et date d'application) : absence de traitement préventif en amont et absence de traitement curatif dès les signes de contamination primaire.
Elle lui reproche ainsi essentiellement un manquement au principe de précautions, contestant toute part de responsabilité qui lui est imputée dans l'évolution du mildiou.
Sur ce :
16. Selon l'article 1147 ancien du code civil le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
17. Il résulte de la convention de prestation de suivi phytosanitaire du vignoble et d'accompagnement réglementaire conclue entre les parties que la prestation portait sur une mission de suivi et de conseil phytosanitaires portant sur le suivi des maladies et ravageurs, le suivi des vers de la grappe, la mise en oeuvre de la protection du vignoble, l'optimisation des consommations de produits phytopharmaceutiques et la mise en conformité réglementaire.
18. Pour ce faire, l'article 2 alinéa 3 précisait les actions des établissements Touzan et notamment une action de conseil phytosanitaire en temps réel, comme suit :
'-un conseil personnalisé de terrain avec des passages réguliers aux périodes de sensibilité dispensé par un technicien qualifié ;
- des comptes-rendus de visite formalisés remis après chaque passage ;
- l'envoi d'un bulletin d'avertissement phytosanitaire hebdomadaire par mail ;
- la communication des données de notre réseau météorologique, de piégeage et d'observation pour la zone concernée ;
- la communication de nos synthèses météorologiques sur une station proche, de nos données de modélisation mildiou (EPI et POSITIF) et de notre indice risque botrytis ;
- des conseils sur l'adaptation des stratégies de lutte aux niveaux des pression rencontrés en cours de saison et aux modes d'action choisis ;
- la transmission d'éléments réglementaires pertinents '
19. Cette convention prévoyait encore (article 2 alinéa 2) que l'obligation du prestataire 'n'est, de convention expresse, que pure obligation de moyens', le client restant entièrement responsable de l'utilisation des produits.
20. Les parties ayant expressément convenu que l'obligation du prestataire était une simple obligation de moyen, il est constant que le prestataire était tenu de mettre en oeuvre tous les moyens dont il disposait pour remplir sa mission de conseil et d'assistance.
21. L'engagement de la responsabilité des établissements Touzan suppose en conséquence la triple démonstration d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité, la charge de la preuve incombant à la société [Adresse 3].
23. En l'espèce, le contrat prévoyait à la charge des établissements Touzan (article 2), un conseil phytosanitaire en temps réel, avec notamment un conseil personnalisé de terrain et des passages réguliers, des comptes rendus de visite remis à chaque passage et l'envoi de bulletins. Il prévoyait également (article 5) des interventions régulières pendant la période végétative de la vigne (avril/septembre) et, ponctuellement, en dehors de ces périodes.
24. Ainsi que le relevait le tribunal, il n'est pas contesté que les premiers signes de contamination au mildiou du vignoble sont apparus le 4 mai2015 sur la parcelle [Cadastre 4], que la contamination s'est poursuivie jusqu'à la fin mai attaquant les grappes et les rameaux atteignant en définitive localement jusqu'à 60% des grappes (parcelle n°1 notamment) et sur l'ensemble du vignoble un taux de 13,3%.
25. Il n'est pas contesté que l'Institut français de la vigne et du vin, qui se réfère aux bulletins (BSV) publiés par les chambres d'agriculture qui se sont avérés erronés, n'avait pas anticipé cette contamination sur laquelle elle n'a communiqué qu'à compter du 10 mai 2015, contamination qu'elle qualifiait de 'chaotique' et qui s'est avérée fulgurante dès les premiers signes d'apparition du mildiou au printemps 2015.
26. Il n'est pas davantage contesté par la société établissements Touzan qu'elle disposait du modèle de prévision MOVIDA qui, dès le 18 avril 2015, avait détecté de potentielles contaminations et, POSITIF, qui émettait des alertes en ce sens à compter du 30 avril, de sorte que si l'Institut français de la vigne et du vin, à travers la publication des BSV erronés, n'avait pas anticipé cette contamination qu'elle impute à la conjonction de facteurs climatiques inhabituels, la société établissements Touzan, qui est un professionnel et qui était tenue de se donner tous les moyens pour accomplir sa mission, ne pouvait pas ignorer cette double alerte, quand bien même les données des BSV étaient contraires, alors qu'elle s'était engagée à faire bénéficier sa cliente de ses données de modélisation (POSITIF et EPI).
27. D'ailleurs, ainsi que pertinemment relevé par le tribunal, son bulletin d'information du 24 avril faisait expressément état de ces indicateurs selon lesquels 'des contaminations élites de faibles densité ont pu avoir lieu le 18 avril', alors que dans le même temps, l'expert judiciaire notait que le 18 avril, il avait été enregistré 29 mm de pluies en continu sur 8 heures et des températures comprises entre 11° et 15 °, la vigne étant réceptive, et les 25 et 26 avril, il était tombé 11mm de pluies sous 14° et 16 °, avec un stade de sensibilité de la vigne F dépassé.
28. C'est dès lors à bon droit que l'appelante observe que dans ce bulletin d'information n° 3 du 24 avril 2015 (sa pièce n° 1), également analysé par le rapport [L] (pièce n° 2 de l'intimée), comportant un point météorologique précis, elle mentionnait expressément de possibles phénomènes de contamination (infime vu le faible pourcentage d'oeufs à maturité) mis en évidence par les modèles de prévision MOVIDA et POSITIF. Elle écrivait encore que 'sur les sites précoces où des pluies significatives auraient lieu ce week-end, des contaminations primaires, non épidémiques et sans caractère de gravité pourraient se produire'.
Et elle préconisait, dans un encadré, s'agissant du mildiou, au titre des 'méthodes alternatives :
- maîtrise de la vigueur,
- mesure prophylactique : épamprage.'
29. De même, dans son bulletin d'information n° 4 du 30 avril 2015 (sa pièce n° 2), la société établissements Touzan rappelait des contaminations possibles par le mildiou, les conditions atmosphériques propices et les phénomènes à contrôler (pluies, températures, maturité des oeufs, réceptivité de la vigne), même si elle relativisait le risque en regard du stade de maturité des oeufs, dont elle indiquait cependant qu'il avait progressé ces derniers jours ou minimisait le niveau de réceptivité de la vigne quantifié E au lieu de F.
Elle maintenait cependant dans un paragraphe encadré ses préconisations antérieures alternatives s'agissant du mildiou :
'maîtrise de la vigueur et épamprage'.
Elle ajoutait :
'En lutte raisonnée:
La maturité des oeufs progresse et l'EPI évoluera suite aux pluies prévues (du 30 avril au 5 mai) Préparez vous à intervenir après l'épisode pluvieux à venir mais avant de nouvelles pluies contaminatrices (souligné par nous)'
Elle complétait son bulletin par un paragraphe encadré mentionnant en lutte raisonnée l'emploi de Slogan, à réaliser en concentration au regard du faible développement de la végétation.(sa pièce n° 2).
30. Il ne saurait dès lors être reproché à la société établissements Touzan d'avoir mésestimé un risque que les différents BSV n'avaient pas prévus, ce d'autant que les modèles MOVIDA et POSITIF étaient en faveur de 'contaminations primaires' seulement 'possibles' à compter du 18 avril pour Movida et 30 avril pour le modèle POSITIF (rapport [L] page 7 - pièce n° 2 de l'intimée), l'appelante n'étant pas utilement contredite lorsqu'elle mentionne dans ses bulletins que les risques objectivés par les modèles MOVIDA et POSITIF étaient des risques faibles.
31. Mais surtout, il apparaît que la société [Adresse 3] ne s'est pas pleinement conformée aux mesures alternatives préconisées dès le 24 avril 2015 (maîtrise de la vigueur et épamprage), puisque contrairement à ce qu'elle soutient, il résulte de sa pièce n° 18, que l'épamprage n'a été pratiqué avant l'attaque du 4 mai que sur quatre jours et de manière insuffisante, dès lors qu'une alerte était donnée :
- le 27 avril, soit après avoir laissé passer le week-end du 25/26, un seul salarié ([S]), n'a réalisé que 2 heures,
- le 28 avril, un salarié ([P]) y a passé 7 heures et un autre ([S]) 2 heures,
- le 29 avril un salarié ([P]) y a passé 4 heures et un autre ([S]) y a passé 7 heures,
- le 30 avril seul un salarié ([S]) y a travaillé 7 heures.
32. Aucune mesure alternative n'a été poursuivie ensuite sur le week end du vendredi 1er mai au dimanche 3 mai.
33. La société [Adresse 3], alors qu'elle disposait de données privilégiées, qui alertaient sur l'existence de contaminations au mildiou, même faibles, qui l'invitait dès le 24 avril à mettre en place des alternatives s'est donc montrée insuffisamment réactive en ne consacrant que 28 heures entre le 27 avril et le 30 avril 2015 à l'épamprage, en n'y employant pas toutes ses forces vives, sans qu'il soit alors porté mention d'un ébourgeonnement alors qu'elle avait été aussi invitée à maîtriser la vigueur des plants, ce qu'elle n'a effectué qu'après le 4 mai.
34. Ce faisant, la société [Adresse 3] qui ne conteste pas l'utilité de cette mesure, à propos de laquelle l'expert ne s'est pas prononcé, n'a pas pleinement respecté les mesures alternatives préconisées par les établissements Touzan.
35. Qui plus est, l'épisode pluvieux du 30 avril ayant cessé le 3 mai, la société [Adresse 3] disposait de préconisations d'emploi de Slogan dès cette date, selon les mentions expresses du bulletin du 30 avril qui la tenait en alerte pour traiter dès la fin de l'épisode pluvieux et avant le second, ce dont il ressortait clairement une notion d'urgence.
36. Si l'expert évoque à ce sujet une certaine prise de risque pour avoir préconisé le traitement à la fin de l'épisode pluvieux (mais avant le second), non seulement le risque était partagé ainsi que relevé par les établissements Touzan, mais surtout, la société Corbin qui n'a de toute façon pas respecté cette consigne en ne traitant finalement que les 6 et 7 mai, alors qu'elle aurait dû traiter dès le 3 mai, ne saurait faire aucun reproche à la société Touzan pour n'avoir pas donné consigne de traiter dès le début de l'épisode pluvieux du 30 avril.
37. C'est au contraire de manière singulière que l'intimée reproche aux établissements Touzan d'avoir préconisé de différer le traitement préventif à la fin de l'épisode pluvieux alors qu'elle ne l'a elle même pas mis en place dès la fin de cet épisode le 3 mai, ni d'ailleurs, le 4 mai lorsqu'elle a constaté les premiers signes de contamination et l'a differé aux 6 et 7 mai, le retard dans l'emploi du Slogan étant donc de l'ordre de trois jours et non pas seulement deux.
38. C'est dès lors également à bon droit que l'appelante reproche à l'intimée, pourtant engagée dans la voie d'une viticulture raisonnée, de lui faire le grief de n'avoir pas adopté 'une démarche prudente', signifiant un recours aux produits chimiques, alors que celle-ci disposait incontestablement dès le 24 avril, puis le 30 avril, des informations idoines lui permettant de mettre en place de manière effective les mesures alternatives préconisées mais également un traitement chimique préventif dès le 3 mai, étant seule maître du traitement à entreprendre et disposant des compétences professionnelles pour ce faire, validées par la détention par plusieurs de ses employés du certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, décideur et applicateur, comme justement relevé par le tribunal et alors même le rapport [L] lui-même versé aux débats par la société [Adresse 3] insiste sur la plus grande efficacité des traitement préventifs (appliqués suffisamment tôt) par rapport aux traitement curatifs ou stoppants.
39. Il n'est donc pas établi que la société établissements Touzan ait manqué à son devoir de conseil en période ante-contamination, soit antérieurement au 4 mai.
40. En outre, l'expert ne remet pas directement en cause le traitement par Slogan préconisé dès le 5 mai à la suite de l'alerte de la société établissements Touzan mais également envisagé dès le 30 avril pour la fin de l'épisode pluvieux, concluant au contraire que ce traitement aurait dû être anticipé, alors qu'il a été ci-avant retenu que la société [Adresse 3] disposait des informations lui permettant de faire le choix d'employer plus tôt des produits chimiques, dès le 3 mai, et s'il a émis l'hypothèse d'un dosage insuffisant, cette affirmation est relativisée par l'expert lui même par le fait que le sous dosage pouvait avoir été recommandé au regard de la faible surface foliaire développée à ce stade (rapport page 13), concluant encore que ce faible dosage n'a pas nécessairement eu d'incidence sur le développement de la maladie.
41. D'ailleurs, l'expert conclut à un manquement de la société [Adresse 3] ayant participé du processus de développement de la contamination pour n'avoir pas mis en oeuvre ce traitement préventif (Slogan) suffisamment tôt, ayant attendu 48 heures pour y procéder, ce qui a laissé 'du temps supplémentaire au mycelium pathogène pour se développer' (rapport page 35), reconnaissant ainsi que ce produit était adapté pour éviter l'évolution de la contamination au reste du vignoble à la date du 5 mai où il a été de nouveau prescrit par les établissements Touzan.
42. S'agissant du Slogan, l'expert a encore noté qu'il n'était d'aucun effet en curatif où son emploi est au contraire déconseillé mais, d'une part, il n'a pas remis en cause son effet préventif pour le reste du vignoble, ce d'autant que l'attaque était alors naissante, l'expert ayant exclu à ce stade une contamination secondaire estimant qu'elle n'était pas alors avérée et, d'autre part, il n'est pas établi que la société Touzan ait prescrit le Slogan autrement qu'à titre préventif, celle-ci rappelant que son mode d'intervention consistait à ôter les plants contaminés et à agir en préventif sur les plants non atteints.
43. C'est encore à tort que l'expert et le tribunal avec lui ont estimé qu'il n'y avait eu aucune visite de terrain entre le 22 avril et le 5 mai, la visite du 23 avril n'ayant eu pour seul objet que le contrôle d'un pulvérisateur alors que la fiche de visite du 23 avril (pièce n° 2 de l'appelante) fait au contraire état d'un relevé sur les parcelles de référence et du 'traitement des vers de grappe', ce dont il ressort que les parcelles de référence ont été contrôlées, la société [Adresse 3] n'ayant en toute hypothèse nullement attiré l'attention de la société établissements Touzan sur une quelconque contamination au mildiou avant le 5 mai.
44. Dès lors, en l'absence de tout signe d'attaque antérieur au 4 mai, l'absence de déplacement de la société établissements Touzan entre le 24 avril et le 5 mai, n'apparaît pas avoir joué un rôle causal dans le développement du mildiou.
45. Enfin, si l'expert pointe l'inefficacité des traitements préconisés, surtout à compter du second traitement après généralisation de l'attaque constatée le 12 mai, alors que les mesures alternatives, puis préventives n'ont pas été strictement respectées, il conclut cependant que 'les conseils étaient en conformité avec le règles de l'art et le contrat, en ce qu'il respectaient la réglementation en vigueur', alors qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler ici l'inscription de la société [Adresse 3] dans une viticulture raisonnée.
46. De l'ensemble, il résulte qu'en définitive, la société établissements Touzan qui a fait état dans ses deux bulletins d'information des 24 et 30 avril 2015, des prévisions dont elle disposait, y compris celles des modèles MOVIDA et POSITIF en faveur d'une possibilité de contamination au mildiou, alors qu'aucun élément ne vient caractériser la présence d'une attaque du mildiou avant le 4 mai 2015, a formulé des préconisations alternatives à la société [Adresse 3] le 24 avril et le 30 avril qu'elle n'a pas sérieusement entreprises, puis alerté sur la nécessité d'un traitement chimique préventif par Slogan dès la fin de l'épisode pluvieux qui a cessé le 3 mai, puis a de nouveau prescrit ce traitement le 5 mai à la suite de la découverte des premières attaques, la veille, lequel n'a été mis en oeuvre par l'intimée que les 6 et 7 mai, ce dont il ne ressort pas qu'elle ait manqué à ses obligations. Il en ressort enfin qu'à tout le moins jusqu'au 12 mai (constat de la généralisation de l'attaque) il n'est pas établi que la prescription de Slogan en préventif en sus de l'éradication des plants contaminés n'était pas adaptée, alors qu'elle n'était pas contraire aux règles de l'art.
47. Il n'est donc pas établi que jusqu'à cette date, la société Touzan ait manqué à ses obligations contractuelles.
48. En effet, aucun élément ne permet d'affirmer que, même ayant mis en oeuvre de manière efficiente les premières préconisations, dès le 24 avril, puis la préconisation d'emploi du Slogan dès la fin de l'épisode pluvieux du 3 mai 2015, le mildiou se serait tout de même développé, ni qu'en tout état de cause, l'utilisation d'un traitement curatif dès le 12 mai, date à laquelle les traitements mis en place ont été jugés inadaptés par l'expert, aurait permis d'éviter la propagation du mildiou au reste du vignoble, la société établissements Touzan observant de surcroît que les traitements curatifs sont de peu d'efficacité sur les plants déjà atteints.
49. L'expert indique d'ailleurs (page 29) s'agissant de l'analyse du préjudice commercial que face à une absence partielle de production, il est impossible de chiffrer une perte exacte et s'interroge en ces termes' la quantité manquante (en 2015) aurait elle été réellement produite sans mildiou ''
50. Il apparaît d'ailleurs finalement que si l'atteinte a été massive (60%), elle ne l'a été essentiellement que sur deux parcelles, l'atteinte n'ayant finalement été sur l'ensemble du vignoble que de 13,3 %, ne permettant pas d'exclure l'efficacité des traitements préventifs préconisés, y compris les 2ème et 3ème traitements, notamment en l'absence d'éléments de comparaison avec les vignobles environnants.
Ainsi, dans son bilan phytosanitaire de 2015, la société Touzan mentionne, sans qu'aucun élément la contredise sur ce point, que dans les vignobles protégés avant le 30 avril, les tâches de mildiou sont rares (bilan page 11) .
51. En définitive, les conditions de la responsabilité de la société établissements Touzan n'étant pas réunies, la société [Adresse 3] est déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement entrepris infirmé, sauf en ce qu'il a débouté les parties du surplus de leurs demandes, incluant le débouté des demandes à l'encontre des assureurs, la société Generali Iard et la société Coates assurances.
52. Au vu de l'issue du présent recours la société [Adresse 3] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, étant déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et condamnée à payer à la société établissements Touzan une somme de 5 000 euros et à la société Coates assurances une somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité ne justifiant pas de faire droit à la demande de la société Generali de ce chef formulée à l'encontre de la société établissements Touzan .
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes envers la SA Generali assurances et la société Coates assurances.
Statuant à nouveau :
Déboute la société [Adresse 3] de toutes ses demandes à l'encontre de la société établissements Touzan.
Condamne la société [Adresse 3] à payer à la société établissements Touzan une somme de 5 000 euros et à la société Coates Assurances une somme de 2000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
Rejette toute autre demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société [Adresse 3] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.