CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 avril 2025, n° 22/11087
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Diodon (SAS)
Défendeur :
Beyhan Tekstil Kozmetik SARL ve Tic Ltd Sti (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Garban, Me Boccon Gibod, Me Eruguz-Ozenici
***
La société de droit turc Beyhan Tekstil Kozmetik SARL VE TIC.LDT.STI (ci-après "la société Beyhan"), a pour activité la fabrication d'articles textiles en Turquie.
A compter de 2007, elle a livré et facturé des chemises à la société Diodon qui exerce en France le commerce d'articles de confection et qui commercialise notamment des chemises sous le nom commercial Xoos.
Le courant d'affaires existant entre les parties a cessé en 2018.
Par lettre du 10 décembre 2018, la société Beyhan a mis en demeure la société Diodon de lui payer la somme de 460.813,61 ', montant qu'a contesté la société Diodon dans sa réponse du 3 janvier 2019.
Le 24 janvier 2019, la société Beyhan a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris qui, par ordonnance du 22 mars 2019, a dit n'y avoir lieu à référé en raison d'une contestation sérieuse et a débouté la société Beyhan de sa demande tendant à bénéficier de la procédure de passerelle.
Entretemps, la société Diodon avait versé entre les mains de la CARPA les sommes de 100.000 ' par virement du 1er février 2019 et de 63.536 ' par chèque du 14 février 2019.
La société Beyhan a été autorisée, par ordonnance du 22 mars 2019, à pratiquer une saisie conservatoire sur le compte de la société Diodon à la banque HSBC et à inscrire un nantissement sur son fonds de commerce à titre de mesure provisoire, pour sûreté de la somme de 297.277,61 '.
Le 21 septembre 2020, la société Beyhan a fait assigner la société Diodon devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 297.277,61 ' au titre de factures impayées ainsi que d'autres sommes en réparation du préjudice résultant de la résistance abusive au paiement de la dette et de la rupture brutale de la relation commerciale établie, en réparation du préjudice économique résultant du manquement au principe de la bonne foi contractuelle, au titre de la réparation de son manque à gagner et au titre de l'indemnisation de son préjudice moral.
Par jugement du 14 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Diodon à payer la somme de 20.000 ' à la société Beyhan au titre du solde des factures, avec intérêts au taux légal à compter de la date de publication du jugement,
- condamné la société Diodon à payer la somme de 50.000 ' à la société Beyhan sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce,
- débouté la société Beyhan de ses autres demandes,
- débouté la société Diodon de sa demande reconventionnelle (pour procédure abusive),
- condamné la société Diodon à payer à la société Beyhan la somme de 3.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- écarté l'exécution provisoire du jugement,
- condamné la société Diodon aux entiers dépens.
La société Diodon a relevé appel par déclaration au greffe de la cour du 10 juin 2022.
La demande d'expertise formulée par la société Beyhan a été rejeté par ordonnance du 7 mai 2024 du conseiller chargé de la mise en état.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 10 janvier 2025, la société Diodon demande à la Cour, au visa des articles 1101,1103, 1104, 1113 et 1128 du code civil, L. 442-1 et L. 420-2 du code de commerce ainsi que de l'article 1353 du code civil, de la déclarer recevable et bien fondée en son appel et de :
1) infirmer le jugement des chefs du jugement l'ayant condamnée dans les termes suivants:
" Condamne la SAS Diodon à payer la somme de 20.000 ' à la société Beyhan au titre du solde des factures dues, avec intérêts au taux légal à compter de la date de publication du jugement,
Condamne la SAS Diodon à payer à la société Beyhan la somme de 50.000 ' au titre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,
Déboute la SAS Diodon de sa demande reconventionnelle,
Condamne la société Diodon à payer à la société Beyhan la somme de 3.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Condamne la société Diodon aux entiers dépens",
2) statuant à nouveau :
- débouter la société Beyhan de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme de son appel incident,
- confirmer le jugement pour le surplus,
3) en toute hypothèse :
- débouter la société Beyhan de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme de son appel incident,
- condamner la société Beyhan à payer la somme de 7.500 ' en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Beyhan aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Garban en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 30 septembre 2024, la société Beyhan demande à la Cour de :
1) confirmer le jugement en ce qu'il :
- est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société Diodon au titre du solde es factures dues, de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- a débouté la société Diodon de sa demande reconventionnelle,
2) infirmer le jugement en ce qu'il a :
- limiter le quantum des condamnations prononcées à l'encontre de la société Diodon aux sommes de 20.000 ' au titre des factures dues et 50.000 ' au titre de l'article L .442-6 I 5° du code de commerce,
- débouté la société Beyhan de ses autres demandes,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires mais seulement en ce qu'il a débouté la société Beyhan de ses demandes,
3) et statuant à nouveau, condamner la société Diodon à payer à la société Beyhan :
- la somme de 297.385,11 ' TTC, au titre du solde des factures dues, avec intérêts au taux légal applicables entre professionnels à compter du 10 décembre 2018,
- la somme de 297.000 ', au titre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,
- la somme de 200.000 ' au titre du parasitisme, en réparation du manque à gagner et de la dilapidation du savoir-faire,
- la somme de 200.000 ' au titre de l'indemnisation de son préjudice économique,
4) Y ajoutant,
- condamner la société Diodon à payer à la société Beyhan la somme de 35.000 ' en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 15 janvier 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
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MOTIVATION
1) Sur la demande en paiement au titre des factures
Moyens et prétentions des parties
La société Beyhan expose, notamment, que la société Didon bénéficiait de tarifs avantageux compte tenu du volume commandé, alors qu'elle ne payait qu'après réception des commandes et accumulait un retard "colossal", qu'elle recevait les produits rapidement et n'avait pas à gérer de stocks. Elle souligne que c'est Beyan qui supportait la pression de la trésorerie et le risque de ce système.
Rappelant que pour obtenir paiement une créance doit être certaine, liquide et exigible, elle précise verser aux débats :
- l'historique du compte client Diodon depuis 2007, certifié par son expert-comptable, mentionnant un solde restant dû de 297.385,11 ',
- un bordereau récapitulatif des factures et livraisons entre le 17 août 2007 et le 25 juillet 2018 ainsi que les factures et bons de livraison pendant cette période,
- les 50 derniers bons de livraison pour la période du 22 mai 2014 au 25 juillet 2018.
Elle conteste les escomptes invoqués par la société Diodon, faisant valoir qu'elle n'y a pas consenti et précisant que lorsque des remises ont été accordées à titre exceptionnel, elles ont fait l'objet d'avoirs mentionnés sur factures. Elle souligne en outre que la société Diodon produit l'extrait d'un logiciel de suivi de commande transmis en cours d'exercice qui n'a aucune valeur comptable. Elle soutient que la société Diodon est dans l'impossibilité de communiquer le compte fournisseur Beyhan intégral et certifié conforme par son expert-comptable et que sa comptabilité est à la fois incomplète et inexacte, 13 factures étant manquantes, des escomptes ayant été appliqués sans son accord.
La société Diodon rappelle en réponse que si aux termes de l'article L. 110-3 du code de commerce, la preuve est libre en matière commerciale, il n'en demeure pas moins que les pièces comptables doivent être certifiées et conformes aux principes de sincérité et de régularité.
Elle soutient que la société Beyhan a retraité sa reprise de solde au 24 août 2015, en faisant apparaître un débit de 205.715,26 ' alors qu'elle lui avait adressé à cette date un mail avec l'édition de son grand livre comptable montrant que la société Diodon bénéficiait d'un crédit de 36.060,50 '.
Pour s'opposer à la demande de la société Beyhan, la société Diodon :
- dénie toute valeur probante au décompte fourni par la société Beyhan et lui reproche d'avoir procédé au retraitement de sa comptabilité pour les besoins d'un procès, en évitant soigneusement de comptabiliser les escomptes et avoirs sur lesquels les parties s'étaient antérieurement mises d'accord,
- renvoie à un courriel du 28 décembre 2017 dans lequel la société Beyhan reconnaissait qu'à cette date sa créance avoisinait 200.000 ' ;
- se réfère à de nombreux courriels attestant de l'existence de ses avoirs de trésorerie et des escomptes liés ;
- prétend que la dernière facture de 50.033,15 ' de juillet 2018 se rapporte à des marchandises qui n'ont jamais été commandées ni livrées ;
- fait valoir que les factures de 2011 de la société Beyhan ont été lettrées, comptabilisées et payées en totalité, comme prouvé par attestation de son expert-comptable et, en toute hypothèse, remontent à une période couverte par la prescription ;
- ajoute que la société Beyhan ne verse pas aux débats des bons de livraison, mais des lettres de voiture qui ne justifient pas de la bonne réception des marchandises et donc du bien-fondé de la facturation.
En dernier lieu, pour critiquer le jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 20.000 ', la société Diodon indique que cet avoir est justifié car correspondant à des marchandises défectueuses et qu'il n'a pas été défalqué du compte de la société Beyhan, ce pourquoi elle ne peut être condamnée à payer son montant.
Réponse de la Cour
Pour démontrer le bien-fondé de sa demande, la société Beyhan verse aux débats :
- en pièce n°4, un historique de factures et paiements depuis le 17 août 2007 jusqu'au 28 février 2019, faisant apparaître au 15 août 2015 un solde débiteur de 205.712,26 ' pour la société Beyhan et aboutissant à un solde débiteur de cette société de 297 297.385,11 ', les avoirs étant mentionnés pour 14.930 ' ; ce document porte la signature M. [X] [C] ;
- en pièce n°14, un certificat d'activité attestant que M. [X] [C] est inscrit à la chambre des experts-comptables d'[Localité 3] sous le titre d'expert-comptable ;
- en pièce n°22, des factures et lettres de voiture attestant de la prise en charge de marchandises par un transporteur à destination de la société Diodon ;
- en pièce n°46, des lettres de voiture attestant de la prise en charge de marchandises par un transporteur à destination de la société Diodon ;
- en pièce n°47, des avoirs consentis par la société Beyhan pour escomptes.
Cependant, ces pièces sont insuffisantes pour justifier du bien-fondé de la demande en paiement de la société Beyhan. En effet, la société Diodon produit de son côté :
- un courriel du 29 janvier 2019 dans lequel la société Beyhan écrit à la société Diodon que cette dernière lui doit environ 200.000 ' et lui en réclame paiement (pièce n°4) ;
- un courriel de la société Beyhan du 24 août 2015, auquel était joint un extrait de son grand livre comptable, duquel il ressortait que la société Diodon bénéficiait d'un crédit de 36.060,50 ' à la date du 15 août 2015 (pièce 1). La société Beyhan ne peut donc valablement objecter que 13 factures émises au cours de l'année 2011 n'auraient pas été prises en compte ;
- un extrait de compte arrêté au 31 décembre 2018, portant la signature de Cecca [Localité 4] et de Eurodex, experts-comptables, ainsi que celle de [E] [L], commissaire aux comptes, reprenant le solde débiteur de 36.060,50 ' au 15 août 2015 et aboutissant à une somme restant due par la société Diodon de 153.610,75 '.
Force est de constater, s'agissant des avoirs émis ou des escomptes appliqués par la société Diodon, que ces derniers n'ont fait l'objet d'aucune contestation par la société Beyhan au cours de leurs relations commerciales. Il ressort de surcroît des courriels produits en pièce n°1.1 à1.12 par la société Diodon que la société Beyhan demandait des avances de trésorerie et proposaient elle-même des escomptes de 2 %.
S'agissant de la facture de 50.333,15 ' de juillet 2018, la société Beyhan ne rapporte pas la preuve de la commande, ni de la livraison des marchandises. Les lettres de voiture produites en pièce n°46 ne comportent pas de signature pour la société Diodon, mais seulement le cachet et la signature d'un transporteur. Les courriels échangés entre la société Diodon et le transitaire (pièce n°6.3) démontrent que la société Diodon a refusé la livraison.
Il s'ensuit que la société Beyhan, qui a reçu paiement des sommes de 100.000 ' et 63.536 ' en février 2019, ne démontre pas rester créancière de la somme de 297.385,11 ' au titre de factures. Elle sera donc déboutée de sa demande de paiement à ce titre.
Le tribunal a condamné la société Diodon à payer la somme de 20.000 ' au motif qu'il s'agissait d'un avoir non justifié. Pour contester cette décision, la société Diodon expose que cet avoir est justifié en produisant un courriel du 23 janvier 2018 par lequel elle réclame à la société Beyhan un avoir de 20.000 ' en raison de la livraison de marchandises défectueuses.
Cependant, il ressort des éléments versés aux débats par la société Diodon (extrait de compte (pièce n°11) et compte (pièce n°21) que cet avoir demandé par courriel du 23 janvier 2018 n'a jamais été comptabilisé et porté au débit du compte de la société Beyhan, ainsi que cette dernière le reconnait.
En conséquence, le jugement sera infirmé du chef de cette condamnation.
2) Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie
Moyens et prétentions des parties
La société Beyhan demande la somme de 297.000 ', à titre de dommages intérêts en faisant valoir les éléments suivants :
- la durée de la relation commerciale établie pendant 11 ans,
- la rupture intervenue sans préavis écrit, alors qu'un préavis de 18 mois aurait dû lui être accordé eu égard à son état de dépendance économique,
- l'absence de faute de sa part, dès lors que pour la dernière livraison de marchandises, elle s'est trouvée prise en étau entre les deux décisionnaires de la société Diodon et que dans ce contexte cette livraison ne peut être considérée comme justifiant la rupture d'une relation commerciale de 13 années.
Elle indique que son préjudice doit être calculé sur la base du taux de marge brute fixé à 33% (base donnée INSEE 2019 secteur fabrication de textiles, industrie de l'habillement) et sur la base d'un chiffre d'affaires mensuel d'environ 50.000 ' sur les trois dernières années pleines de 2015 à 2017.
La société Diodon s'oppose à cette demande pour les motifs suivants :
- la rupture de la relation commerciale établie peut intervenir sans préavis à condition que les manquements du partenaire évincé soient d'une gravité suffisante,
- si elle a rompu la relation commerciale sans préavis, c'est parce que la société Beyhan, de façon récurrente, a livré des colis incomplets, en retard, avec des défauts de coupe, taille et conditionnement des produits et qu'elle lui a expédié pour un peu plus de 50.000 ' de marchandises en juillet 2018 malgré son opposition,
- la société Beyhan a fait preuve de mauvaise foi en allant jusqu'à manipuler sa propre comptabilité.
La société Diodon fait ensuite valoir que la société Beyhan ne se trouvait pas en situation de dépendance économique. Cette dernière ne produit par ailleurs aucun justificatif attestant de l'importance de la part de son chiffre d'affaires avec la société Diodon, étant précisé qu'aucune exclusivité ne lui était imposée.
Elle ajoute qu'en toute hypothèse, le préavis réclamé n'est pas justifié. La société Beyhan ne produit pas ses comptes et revendique un taux de marge moyen qui n'est même pas le sien.
Réponse de la Cour
L'article L. 442-6-1 5 ° du code de commerce, applicable en la cause, sanctionne la rupture brutale de la relation commerciale établie, intervenue sans préavis écrit, mais réserve la possibilité de rompre sans préavis en cas de faute suffisamment grave.
Cette disposition sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion.
Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, qui doit être évalué au jour de la rupture, est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. Le calcul consiste à déterminer la moyenne mensuelle de la marge sur les deux ou trois exercices précédant la rupture et à multiplier le montant obtenu par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture.
Au cas présent, la société Diodon se réfère, s'agissant des manquements allégués :
- ses courriels relatifs à des retards de livraison qui datent des 16 mai et 8 juin 2011 (pièces n°2.2 et 2.3)
- ses courriels relatifs à des retards de livraison qui datent des 22 juin 2010 et 16 mai 2011 (pièces n°2.2 et 3),
- ses couriels relatifs à des défauts de coupe, de taille ou de conditionnement, envoyés le premier le 18 février 2011 et le dernier le 23 janvier 2018 (pièces n°2.1, 2.2, 2.3, 2.4 et 4),
Il demeure qu'elle a poursuivi ses relations avec la société Beyhan, ce qu'elle n'aurait pas fait si les manquements avaient présenté pour elle un caractère rédhibitoire.
Par ailleurs, s'agissant du grief tiré d'une expédition unilatérale de marchandises par la société Beyhan, il ressort des pièces versées aux débats par la société Diodon que par courriel du 5 juillet 2018 (pièce 6.1) la société Beyhan a demandé l'autorisation de faire une livraison en s'adressant à M. [N], et que la société Diodon a refusé la livraison lors d'échanges avec le transitaire (pièce n°6.3 de la société Diodon). Cependant, la société Beyhan produit en réponse en pièce n°50 une capture d'écran, non contestée, relatant des échanges entre "[N]" (prénom du président de la société Diodon) et "[U]" (prénom de la dirigeante de la société Beyhan) au cours desquels cette dernière explique que lors d'un contact avec "[Y]" (prénom du directeur de la société Diodon), celui-ci lui avait dit d'envoyer la marchandise, ce que "[Y]" aurait ensuite démenti.
L'envoi forcé invoqué par la société Diodon n'est ainsi pas caractérisé.
La Cour observe que de surcroît, la société Diodon manquait elle-même à ses obligations en ne payant pas régulièrement les prestations fournies.
En cet état, la faute suffisamment grave n'est pas démontrée et un préavis aurait dû être accordé.
L'état de dépendance de la société Beyhan n'est aucunement prouvé. Au regard de l'ancienneté des relations commerciales, de la nature de l'activité exercée par la société Beyhan (et à la substituabilité des acteurs du secteur du textile, ainsi que l'observe à raison le tribunal), et du temps nécessaire pour lui permettre de trouver d'autres clients pour écouler sa production, la Cour retient qu'un préavis de quatre mois aurait dû être respecté.
Les chiffres d'affaires mensuels tels que résultant des factures comptabilisées au cours des années 2015, 2016 et 2017 sont en moyenne de 50.000 '. Le taux de marge résultant de l'indice INSEE (33 %) auquel la société Beyhan se réfère n'est qu'indicatif. En l'état des pièces fournies et des circonstances de la cause, il sera appliqué un taux de marge de 25%.Le préjudice sera dans ces circonstances évalué à 25 % de 50.000 ' x 4, soit la somme de 50.000 '.
Le jugement est confirmé pour ces motifs substitués.
3) Sur la demande de dommages-intérêts pour parasitisme
Moyens et prétentions des parties
La société Beyhan fait valoir que le parasitisme est un acte de concurrence déloyale susceptible d'engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Elle reproche à la société Diodon d'avoir transmis son travail de recherche et développement à ses concurrents turcs du secteur et de commercialiser ses modèles déposés. Elle fonde sa demande de dommages-intérêts, à hauteur de 200.000 ', sur sa pièce 51 intitulée "Brevet et comparaison du modèle de polo mis en ligne sur le site web de la société Diodon et du modèle fabriqué et déposé par la société Beyhan".
La société Diodon conteste cette demande en faisant valoir que :
- la société Beyhan ne démontre pas une ponction de clientèle, ni le fait qu'elle-même aurait reproduit un modèle original sur lequel la société Beyhan posséderait une exclusivité ;
- la société Beyhan ne produit pas un brevet, mais un certificat d'utilité turc qui n'a qu'une portée nationale ;
- ce certificat d'utilité est périmé depuis fin 2016 comme le montre l'attestation de péremption adressée à la société Beyhan en 2018 (pièce n°17).
Réponse de la Cour
La société Beyhan n'apporte, lors du débat contradictoire, aucun élément de nature à contester la pertinence de la pièce n°17 de la société Diodon, rédigée en turc, et analysée comme une attestation de péremption du certificat d'utilité qui lui avait été délivré le 22 février 2016 et sur lequel elle fonde sa demande.
En cet état, la société Beyhan, qui ne rapporte pas la preuve de ses prétentions, doit être déboutée de sa demande.
4) Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice économique
Moyens et prétentions des parties
La société Beyhan expose successivement que :
- elle n'a pu revendre le tissu exigé par la société Diodon et qui venait de Chine qu'à 50 % de sa valeur, essuyant une perte de 184.500 $,
- face au refus de la société Diodon de payer ses factures, elle a dû "consentir un crédit d'un montant de 1.000.000 dollars" pour poursuivre sa production et payer ses employés (pièce n°12), crédit qu'elle ne peut plus rembourser,
- son expert-comptable a évalué à près de 400.000 ' les intérêts de retard (pièce n°14),
- elle détient encore un stock de tissus et d'étiquettes du fait de l'arrêt brutal des relations commerciales.
Elle évalue son préjudice à la somme forfaitaire de 200.000 ' pour manquement à la bonne foi contractuelle et préjudice économique engendré par la résistance abusive au paiement de ses factures.
La société Diodon s'oppose à cette demande en répliquant que :
- la société Beyhan ne produit pas le bon de commande qui aurait motivé son achat de tissu,
- son expert-comptable applique un taux d'intérêts de retard propre à la banque centrale turque sur tout le montant des factures qui est contesté,
- l'emprunt de 1.000.000 $ est sans rapport avec le chiffre d'affaires réalisé avec la société Diodon et il n'est produit en pièce adverse n°7, non pas un tableau d'amortissement, mais des mises en demeure se rapportant à plusieurs crédits ayant pu être souscrits lors d'années antérieures.
Réponse de la Cour
L'article 1231-2 du code civil dispose que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
Aux termes de l'article 1231-6 alinéa 3 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
Au cas présent, la société Beyhan allègue, mais sans en rapporter la preuve qui lui incombe:
- qu'elle aurait souscrit un emprunt d'un million de dollars en raison d'un retard pris par la société Diodon pour payer ses factures ;
- qu'elle aurait constitué un stock imputable à l'arrêt des commandes, les photos produites par Beyhan en pièce n°45 étant à cet égard insuffisantes ;
- qu'elle aurait subi une perte en raison de la vente de tissus commandés par Diodon à 50% de leur valeur.
Elle ne démontre pas non plus la mauvaise foi de Diodon lui permettant d'obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire dus à compter de la mise en demeure, laquelle (pièce Beyhan n°13) lui a été adressée le 10 décembre 2018 pour un montant de 460 813, 61 euros.
Le jugement qui l'a déboutée de cette demande est confirmé pour ces motifs substitués.
5) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société Diodon qui reste débitrice envers la société Beyhan doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 5.000 ' à la société Beyhan pour les frais irrépétibles qu'elle a exposé à hauteur d'appel et de rejeter la demande de la société Diodon à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Diodon à payer la somme de 20.000' à la société Beyhan Tekstil Kozmetik SARL VE TIC.LTD.STI au titre du solde des factures,
Statuant à nouveau de ces chefs, déboute la société Beyhan Tekstil Kozmetik SARL VE TIC.LTD.STI de sa demande de paiement de la somme de 20.000 ' au titre d'un solde de factures,
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant, condamne la société Diodon à payer à la société Beyhan Tekstil Kozmetik SARL VE TIC.LTD.STI la somme de 5.000 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
Déboute les parties de toutes autres demandes,
Condamne la société Diodon aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.