CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 11 avril 2025, n° 23/08974
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Établissements Emily (SAS)
Défendeur :
Robert International (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseiller :
Mme Salord
Conseiller :
M. Buffet
Avocats :
Me Pelit-Jumel, Cabinet FTPA, Me Henry
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Marie SALORD, Présidente de chambre, en remplacement de Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, empêchée, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement rendu le 20 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Paris,
Vu l'appel interjeté le 17 mai 2023 par la société Etablissements Emily,
Vu les dernières conclusions de la société Etablissements Emily notifiées par voie électronique le 14 octobre 2024,
Vu les dernières conclusions de la société Robert International, notifiées par voie électronique le 21 novembre 2024,
Vu l'ordonnance de clôture du 28 novembre 2024,
SUR CE, LA COUR,
La société Etablissements Emily a pour activité la fabrication, la vente et la réparation de matériel agricole.
Elle est titulaire du brevet européen EP 3 033 938 (ci-après EP 938), désignant notamment la France, intitulé « dérouleuse-pailleuse » déposé le 17 décembre 2015, sous priorité française du 19 décembre 2014, publié le 22 juin 2016 et délivré le 2 août 2017 dont les annuités sont régulièrement payées.
La société de droit belge Robert International a pour activité la fabrication et la commercialisation de matériel agricole.
Lors du salon international de l'élevage pour toutes les productions animales qui s'est tenu à Rennes du 10 au 13 septembre 2019, la société Etablissements Emily a constaté que la société Robert International exposait et proposait à la vente une dérouleuse-pailleuse.
Estimant que celle-ci reproduisait les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de son brevet, elle a, le 11 septembre 2019, sollicité l'autorisation de faire procéder à une saisie-descriptive de la machine.
Autorisées par ordonnance du juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris du 11 septembre 2019, les opérations ont été diligentées le 12 septembre 2019. La société Etablissements Emily a aussi fait procéder à des constats d'huissier sur le site internet de la société Robert International les 12 et 13 septembre 2019.
C'est dans ces conditions que par acte du 4 octobre 2019, la société Etablissements Emily a fait assigner la société Robert International devant le tribunal de grande instance de Paris-devenu tribunal judiciaire- en contrefaçon de brevet.
Le 8 avril 2021, une saisie-contrefaçon a été autorisée par le président de la 3ème section de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 14 avril 2021 au siège de l'EARL Costil.
Par jugement du 20 avril 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :
- prononcé la nullité des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet EP 3 033938,
- dit que la décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au registre des brevets,
- annulé les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021,
- rejeté le surplus,
- condamné la société Etablissements Emily à payer à la société Robert International la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Etablissements Emily aux dépens dont distraction au profit de Maitre Guillaume Henry, avocat.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 octobre 2024, la société Etablissements Emily demande à la cour de :
- juger que le tribunal judiciaire de Paris a statué ultra petita en annulant les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021,
- infirmer le jugement du 20 avril 2023 en ce qu'il :
- a prononcé la nullité des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938,
- dit que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligence aux fins d'inscription au registre des brevets,
- a annulé les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021,
- a rejeté le surplus,
- l'a condamnée à payer à la société Robert International la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamnée aux dépens dont distraction au profit de Maître Guillaume Henry, avocat,
Statuant à nouveau :
- juger que les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938 sont nouvelles et inventives,
- juger que les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021 sont valables,
- juger que les machines DRB 200 avec option pailleur KP, aussi appelées DRBP 200 fabriquées, offertes à la vente et mises dans le commerce par la société Robert International sous diverses références, reproduisent les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française de son brevet européen EP 3 033 938,
- juger qu'en fabriquant, en offrant à la vente et en mettant dans le commerce les machines DRB200 avec option pailleur KP, aussi appelées DRBP 200, la société Robert International s'est rendue coupable de contrefaçon des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française de son brevet européen EP 3 033 938,
- interdire à la société Robert International de poursuivre la fabrication et la commercialisation du produit contrefaisant, quelle qu'en soit la référence, et ce, sous une astreinte de 30 000 euros par infraction constatée, passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société Robert International à lui verser la somme provisionnelle de 200 000 euros ou toute autre somme qu'elle jugera adaptée, en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon, quitte à parfaire à dire d'expert,
- enjoindre à la société Robert International de communiquer le nombre de machines contrefaisantes DRB200 avec option pailleur KP, aussi appelées DRBP 200, fabriquées et vendues, avec facture à l'appui, ainsi que le numéro de série de chacune de ces machines, dans un délai de 30 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jours de retard,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou magazines de son choix, aux frais de la société Robert International dans la limite de 10 000 euros (HT) par insertion,
- juger, à titre principal, que la société Robert International a également commis des actes distincts de concurrence parasitaire à son encontre,
- condamner la société Robert International à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence parasitaire distincts,
A titre subsidiaire :
- juger que les agissements de la société Robert International, consistant dans la reproduction des caractéristiques techniques, constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaire sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- condamner la société Robert International à lui payer la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire à titre subsidiaire,
En tout état de cause :
- débouter la société Robert International de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et en particulier de ses demandes en nullité du brevet EP 3 033 938 et des opérations de saisie-contrefaçon,
- condamner la société Robert International à lui verser la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Robert International aux entiers dépens, en ce compris les frais de saisie-contrefaçon et d'expertise, dont distraction au profit de la SELARLU Belgin Pelit-Jumel, représentée par Maître Belgin Pelit-Jumel, avocat au barreau de Paris, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 21 novembre 2024, la société Robert International, demande à la cour de :
A titre principal
- la juger recevable et bien fondée dans ses demandes et y faisant droit ;
- débouter la société Etablissements Emily de toutes ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence :
- juger le jugement rendu conforme aux principes posés aux articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile et que le tribunal n'a pas statué ultra petita,
- juger qu'il a été bien jugé et mal appelé,
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment et ce qu'il a :
- prononcé la nullité des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938 de la société Etablissements Emily,
- annulé les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021,
- rejeté la demande en concurrence parasitaire de la société Etablissements Emily, ainsi que sa demande en concurrence déloyale subsidiaire à l'action en contrefaçon,
- condamné la société Etablissements Emily à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre subsidiaire
Dans l'hypothèse où la Cour viendrait à annuler ou réformer le jugement entrepris :
- juger nulles pour défaut d'activité inventive les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938 de la société Etablissements Emily,
En conséquence :
- débouter la société Etablissements Emily de son action en contrefaçon des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938,
- juger que la partie la plus diligente procèdera à l'inscription de l'arrêt à intervenir au registre national des brevets,
- annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019,
- annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 avril 2021,
- rejeter la demande en concurrence déloyale de la société Etablissements Emily présentée à titre subsidiaire de ses demandes au titre de la contrefaçon,
- rejeter la demande en concurrence parasitaire de la société Etablissements Emily,
En conséquence,
- débouter la société Etablissements Emily de toutes ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire
Dans l'hypothèse où la cour considérerait valides les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938 de la société Etablissements Emily :
- juger que la machine Robert de la société la société Robert International arguée de contrefaçon ne reproduit pas les revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen EP 3 033 938 de la société Etablissements Emily, de sorte qu'aucun acte de contrefaçon n'a été commis,
- rejeter la demande en concurrence parasitaire de la société Etablissements Emily,
En conséquence,
- débouter la société Etablissements Emily de toutes ses demandes,
A titre très infiniment subsidiaire
- débouter la société Etablissements Emily de sa demande de provision de dommages-intérêts d'un montant de 200 000 euros et au titre de la contrefaçon de brevet,
- débouter la société Etablissements Emily de sa demande de provision de 50 000 euros au titre de son prétendu préjudice résultant des agissements de concurrence parasitaire,
En toute hypothèse,
- condamner la société Etablissements Emily à 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Etablissements Emily aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Guillaume Henry, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur la portée du brevet EP 938
Le brevet EP 938 porte sur une dérouleuse-pailleuse, machine qui a deux fonctions :
- pailler une botte de fourrage cylindrique, « parallélépipédique », c'est-à-dire la déchiqueter avec des dents coupantes et en projeter les brins pour former la litière destinée au bétail,
- dérouler, c'est-à-dire défaire une botte cylindrique par désenroulage de sa nappe enroulée et compressée au sol ou dans des mangeoires pour servir d'alimentation au bétail.
L'intérêt de cette machine, selon la description, est de faciliter et d'accélérer les opérations de paillage et de déroulage et ainsi gagner du temps au sein des exploitations agricoles.
La description enseigne que dans l'état de l'art antérieur, les machines bi-fonctions comprennent des bras articulés ou des moyens de basculement permettant de positionner un rotor de paillage pour pailler une botte de paille, ou selon le besoin, l'escamoter pour dérouler une botte de fourrage et qu'il est communément admis que les fonctions de déroulage et de paillage sont localisées du même côté de la machine.
Elle présente un type de machine comprenant deux bras articulés qui tiennent à leurs extrémités un rotor de paillage mobile entre une position basse et active de paillage et une position haute inactive de déroulage. Dans la position haute, les couteaux du retor à l'arrêt parviennent à accrocher la nappe qui se déroule en dessous, ce qui peut provoquer un bourrage car la matière peut rester accrochée à l'organe dédié à la pailleuse quand bien même il ne serait pas en fonction.
Selon la description, la longueur des bras peut être augmentée pour les surélever en position haute mais cela accroît la largeur de la machine dans la position basse du retor qui devient trop éloigné de la botte pour la pailler correctement.
Aucune explication ne porte sur l'amélioration par l'invention de l'efficacité du paillage et du déroulage.
S'il est mentionné que la construction de l'invention est relativement moins couteuse, du fait de l'absence de bras articulé des machines connues, cette problématique n'est pas plus développée et il s'ensuit qu'il s'agit d'une conséquence de l'invention mais non du problème qu'elle vise à résoudre. Ainsi, les pièces produites par l'appelante pour démontrer que sa machine est moins couteuse que les solutions alternatives existantes ne démontrent pas qu'il s'agissait du problème que tentait de résoudre le brevet.
Il en résulte que le problème technique que l'invention se propose de résoudre est de dérouler le fourrage, sans interférer avec le pailleur et donc sans bourrage.
Pour résoudre le problème technique ainsi défini, le brevet propose une machine séparant les fonctions de déroulage et de paillage de sorte qu'elles ne sont plus situées du même côté de la machine.
Ainsi, selon le paragraphe 12 de la description : « Le paillage de la botte est réalisé d'un côté de la machine. Le déroulement de la botte est réalisé de l'autre côté de la machine. Ces deux fonctions peuvent ainsi être optimisées individuellement et indépendamment l'une de l'autre ».
Le brevet se compose de 19 revendications, une principale et dix-huit dépendantes.
Sont opposées les revendications 1, 4 à 8, 11 et 14 à 17.
Sur la validité du brevet EP 938
La société Etablissements Emily demande dans le dispositif de ses conclusions de dire que les revendications du brevet EP 938 qu'elle oppose sont nouvelles mais aucune demande de nullité de ce chef n'a été formée par la société Robert International et le tribunal n'a pas statué sur la validité du brevet pour défaut de nouveauté. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur cette demande.
Au soutien de sa demande de nullité des revendications opposées, la société Robert International affirme qu'elles sont dénuées d'activité inventive en ce que lors du dépôt du brevet, les convoyeurs à double sens étaient très courants, que les revendications ne sont qu'une simple juxtaposition de moyens connus et qu'aucun préjugé technique n'a été vaincu.
Selon l'article 56 de la Convention sur le brevet européen, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l'état de la technique.
Aux termes de l'article 138(1) a) de la Convention : « (') le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ; ».
Pour apprécier l'activité inventive d'un brevet, il convient de déterminer d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d'examiner si l'invention revendiquée aurait été évidente pour la personne du métier.
La personne du métier est d'une façon générale celle du domaine technique où se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre.
L'appréciation du caractère inventif implique de déterminer si eu égard à l'état de la technique la personne du métier, au vu du problème que l'invention prétend résoudre, serait parvenue à la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations.
L'activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confrontée la personne du métier et il convient de comparer le brevet litigieux avec l'ensemble des antériorités, prises isolément ou en combinaison.
Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l'évidence à cette dernière d'apporter au problème résolu par l'invention la même solution que celle-ci.
Le jugement déféré a retenu que la personne du métier est « un ingénieur concepteur de matériel agricole disposant de connaissances en mécanique et électronique. Il dispose à ce titre d'une connaissance du fonctionnement d'un moteur hydraulique ainsi que de ses accessoires et composants. Il connait les problématiques posées par les opérations de déroulage et de paillage, en particulier s'agissant du bourrage de fourrage ».
Les parties ne contestent pas cette définition qui est pertinente.
Revendication 1
La revendication 1 s'énonce de la manière suivante :
« Dérouleuse-pailleuse (300) destinée à, soit pailler une botte de fourrage cylindrique (Bo) ou parallélépipédique (Bp) pour former une litière, soit s'agissant d'une botte cylindrique (Bo) la dérouler sur le sol, dans des mangeoires ou, pour servir d'alimentation à des animaux, tels que des bovins, la dérouleuse-pailleuse (300) comprenant :
- un organe de paillage (400),
- un moyen d'appui destiné à réceptionner une botte (Bo, Bp),
- un moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo,Bp) conçu pour la déplacer en direction de l'organe de paillage (400) afin qu'elle puisse être déchiquetée par ledit organe de paillage en fonctionnement,
caractérisée en ce que le moyen d'entraînement (320) est pourvu de moyens de déplacement (330) conçus pour déplacer la botte (Bo, Bp) suivant deux sens, de directions opposées (F1, F5), l'un vers l'organe de paillage (400) pour pailler ladite botte et l'autre, à l'opposé de l'organe de paillage (400), pour la dérouler, la dérouleuse-pailleuse (300) incluant un moyen de retenue de la botte (Bo) évitant qu'elle ne soit déchargée pendant son déroulage ».
Pour contester l'activité inventive, l'intimée se fonde sur les documents [K] et [T].
Le brevet français FR 2 849 985 dit [K] I intitulé « dérouleuse de balles à paillage à homogénéité automatique et améliorée » a été déposé le 17 janvier 2003, publié le 23 juillet 2004 et délivré le 25 mars 2005.
L'invention porte sur une dérouleuse pailleuse qui disperse de manière homogène la paille sans intervention humaine et ainsi optimise les opérations de déroulage paillage. Elle vise à résoudre le problème de la dangerosité de la maîtrise humaine de la dispersion du paillage au sol et à éviter que le conducteur tourne la tête pour vérifier cette dispersion.
Il n'est pas contesté par la société Etablissements Emily qu'il s'agit de l'art antérieur le plus proche du brevet contesté.
Le brevet néozélandais 196 268 dit [T] intitulé « convoyeur de botte cylindrique » déposé le 22 avril 1982 et publié le 9 mai 1986 porte sur les déchargeurs de balles de foin sous forme d'une dérouleuse et propose d'améliorer le déchargement des bottes de pailles sur l'un des côtés de l'appareil. Il décrit un chargeur de bottes de fourrage, monté sur un châssis, qui présente un moteur réversible permettant un déroulage d'un côté ou de l'autre de la machine. La description relève que le chargement ou le déchargement d'un seul côté de l'appareil entraine des difficultés de frottement puisque le berceau de l'appareil fait tourner des balles de foin autour d'un axe de rotation.
Ce document porte sur le même domaine que l'invention contestée. L'appelante soutient que comme il ne traite pas du paillage et donc de la problématique du bourrage, l'homme du métier n'aurait pas été amené à le consulter. Cependant, outre que le document [T] évoque des difficultés de frottement, qui relèvent d'une problématique proche du bourrage, le moyen d'entrainement à double sens était repris par des machines commercialisées avant 2014, par exemple la dérouleuse Forager X 10 de la société Blaney (divulguée dans une vidéo sur Youtube en janvier 2013) ou la dérouleuse Rondo-Dan de la société He-VA (dont le mode d'emploi date de novembre 2013) assurant le déroulage des balles de foin et de paille dans les deux sens, à gauche et à droite. La cour constate que concernant cette dernière dérouleuse, elle comporte un rouleau démêleur, qualifié d'agressif dans la brochure de présentation, qui comprend des dents et se rapproche de l'organe de paillage du brevet.
Il s'ensuit que le moyen d'entrainement à double sens, reproduit sur des dérouleuses commercialisées, faisait partie des connaissances générales de l'homme du métier.
Cinq des six caractéristiques de la revendication 1 sont divulguées par le brevet [K].
En effet,
- concernant la première caractéristique, « dérouleuse-pailleuse (300) destinée à, soit pailler une botte de fourrage cylindrique (Bo) ou parallélépipédique (Bp) pour former une litière, soit s'agissant d'une botte cylindrique (Bo) la dérouler sur le sol, dans des mangeoires ou, pour servir d'alimentation à des animaux, tels que des bovins, la dérouleuse-pailleuse (300) comprenant », l'antériorité [K] porte sur une machine agricole comportant à la fois une fonction de déroulage de fourrage et de pailleuse de fourrage ainsi qu'il résulte des figures 3 et 4 du brevet,
- la deuxième caractéristique, l'organe de paillage, est divulguée par l'antériorité [K] et représentée par la figure 4 de ce brevet,
- la troisième caractéristique, « un moyen d'appui destiné à réceptionner une botte (Bo, Bp) », est mentionnée dans la description du brevet [K] et porte sur des lattes de support de balle,
- la quatrième caractéristique, « un moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo,Bp) conçu pour la déplacer en direction de l'organe de paillage (400) afin qu'elle puisse être déchiquetée par ledit organe de paillage en fonctionnement », est aussi divulguée par le document [K],
- la sixième caractéristique, « un moyen de retenue de la botte (Bo) évitant qu'elle ne soit déchargée pendant son déroulage », qui, selon le paragraphe 14 de la description, est constitué par le convoyeur lui-même qui est incurvé du côté où le déroulage de la botte de foin intervient, existe dans l'antériorité [K], le moyen de retenue étant assuré par la forme concave du berceau, plus précisément de la partie remontée et incurvée du convoyeur que l'on retrouve sur la figure 1.
La cinquième caractéristique porte sur le moyen d'entrainement « pourvu de moyens de déplacement (330) conçus pour déplacer la botte (Bo, Bp) suivant deux sens, de directions opposées (F1, F5), l'un vers l'organe de paillage (400) pour pailler ladite botte et l'autre, à l'opposé de l'organe de paillage (400), pour la dérouler ».
La seule différence entre le brevet EP 938 et l'antériorité [K] réside donc dans le fait que le convoyeur est réversible, c'est-à-dire que les tasseaux peuvent déplacer la botte dans un sens ou dans l'autre, vers l'un ou l'autre des côtés de la machine, pour effectuer d'un côté le déroulage et de l'autre le paillage alors que dans le document [K], ces fonctions sont effectuées du même côté.
L'intimée affirme qu'en partant du document [K] et en le combinant avec l'enseignement du document [T] et les machines reproduisant un moyen d'entrainement qui permet de déplacer la botte d'un côté ou de l'autre, l'homme du métier, serait nécessairement arrivé à la solution proposée par le brevet contesté.
L'appelante prétend que le brevet a vaincu un préjugé technique pour trouver une solution au problème de bourrage connu depuis plus de 10 ans en disposant la fonction de déroulage d'un côté et celle de paillage de l'autre en prenant le contrepied des solutions développées, ce que démontre le succès commercial de la machine Pick & Go mettant en 'uvre le brevet.
Or, le fait de disposer ces deux fonctions à des endroits différents impliquait un moyen d'entrainement adapté qui a été mis en place sur des dérouleuses commercialisées en 2013. De plus, il n'est pas démontré, par rapport aux chiffres du marché pertinent, en quoi la vente de 103 machines Pick & Go par la société Etablissements Emily entre 2014 et 2019 constitue un succès commercial qui démontrerait d'avoir vaincu un préjugé technique.
Le problème de bourrage étant lié à la proximité entre l'organe de paillage et de déroulage, ce qui implique pour le résoudre de séparer ces deux organes, au vu de l'antériorité [K], avec sa connaissance du moyen d'entrainement permettant un déplacement de la botte des deux côtés et incité par la dérouleuse Rondo-Dan qui comporte un rouleau démêleur se rapprochant de l'organe de paillage du brevet, la personne du métier était incitée à placer d'un côté et de l'autre le dispositif de paillage et de déroulage.
La société Etablissements Emily soutient que la personne du métier ne pouvait combiner ces deux antériorités et permettre un déroulage à gauche de la machine [K] en raison de la tôle de maintien qui empêche ce déroulage. Cependant, il résulte des dessins du brevet [K] que cette tôle de maintien du côté opposé à l'organe de paillage se déplace dans une position horizontale, notamment lors du chargement de la botte.
En conséquence, cette revendication est dépourvue d'activité inventive.
Sur les revendications dépendantes
La société Etablissements Emily conteste le jugement en ce qu'il a repris le raisonnement de la société Robert International basé sur huit documents pris seuls ou en combinaison, différents de ceux invoqués à l'encontre de la revendication 1, cette multiplicité de documents démontrant le caractère inventif des revendications dépendantes.
Cependant, les documents qui seront retenus par la cour constituent l'état de la technique accessible à la personne du métier en ce qu'ils portent soit sur des machines qui étaient déjà commercialisées, dont l'homme du métier s'est inspiré, soit sur un brevet dont était titulaire la société Etablissements Emily, soit sur un brevet antériorisant des éléments repris par la titulaire du brevet.
- La revendication 4 porte sur une « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications précédentes, caractérisée en ce qu'elle comporte deux flancs (Fc1 et Fc2) et en ce qu'un volet (340) est monté de manière articulée entre les deux flancs (Fc1, Fc2), ledit volet étant disposé au-dessus de l'organe de paillage (400) pour faire ricocher les fibres arrachées par l'organe de paillage (400) afin de les diriger suivant une trajectoire (F4) choisie ».
La machine dérouleuse-pailleuse DE 551 de la société Warzee, dont l'intimée justifie qu'elle était déjà commercialisée au moins depuis juin 2014, ainsi qu'il résulte du site materilagricole.info, comporte un volet intitulé déflecteur situé entre ses deux flancs, au-dessus du rotor qui constitue l'organe de paillage, et qui est destiné à régler la distance de paillage.
La personne du métier qui connaissait les dérouleuses pailleuses commercialisées n'avait à faire preuve d'aucune activité inventive pour reproduire cet élément.
- Selon la revendication 5, la « dérouleuse-pailleuse (300) selon la revendication 4, est caractérisée en ce qu'un rouleau (350) est disposé entre les deux flancs (Fc1, Fc2) et au-dessus de l'organe de paillage (400), pour servir de butée à l'encontre de ladite botte alors qu'elle est déplacée par le moyen d'entraînement (320) en direction de l'organe de paillage (400) ».
Afin de maintenir la botte, la dérouleuse-pailleuse, dont il n'est pas contesté qu'elle était commercialisée par la société Altec dès 2011, est pourvue d'une barre qui a une fonction de butée.
La personne du métier qui conçoit les machines agricoles possède les connaissances pour maintenir une botte dans une dérouleuse pailleuse et ne fera preuve d'aucune activité inventive en choisissant un rouleau, plutôt qu'une barre, à cette fin.
- La revendication 7 porte sur « une dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 à 6, caractérisée en ce qu'elle dispose d'un attelage mécanique sur l'un ou sur ses deux flancs (Fc1, Fc2) ».
Selon la description du brevet, cet attelage est capable de fixer la dérouleuse pailleuse sur le porte outil pour qu'elle puisse être déplacée et portée et il est proposé de la munir d'une paire de crochets.
La demande de brevet FR 3008273 de la société Emily déposée le 10 juillet 2013 porte sur « un porte outil destiné à être attelé à un engin pour porter un accessoire », cet accessoire étant défini dans la description comme notamment une dérouleuse pailleuse. Or, la personne du métier à la recherche d'un moyen de fixation de la dérouleuse-pailleuse sera incité à s'inspirer de cette antériorité qui propose un type de fixation mécanique comprenant deux crochets.
Dès lors, la revendication 7 est dénuée d'activité inventive.
La revendication 6 est relative à une « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 ou 5, caractérisée en ce que les axes de deux engrenages (Eg4, Eg5) ressortent au travers du premier flanc (Fc1), les deux engrenages (Eg4, Eg5) étant reliés mécaniquement, au moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo, Bp) et à l'organe de paillage (400), pour les faire fonctionner » et la revendication 8 à une « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 4 à 7, caractérisée en ce que l'axe d'un engrenage (Eg6) ressort du second flanc (Fc2), ledit engrenage étant relié mécaniquement au moyen d'entraînement (320) de la botte (Bo, Bp), pour le faire fonctionner ».
Le fait de faire ressortir les axes des engrenages du flanc, pour les relier au moyen d'entrainement de la botte et à l'organe de paillage pour les faire fonctionner afin qu'ils coopèrent à un porte-outil constituent de simples opérations d'exécution pour la personne du métier qui connaît des dispositifs similaires ainsi que relevé par le tribunal et l'ajout d'un engrenage sur un flanc opposé pour permettre au porte-outil de saisir la machine aussi de ce côté n'implique pas plus d'activité inventive.
- La revendication 11 est ainsi rédigée « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 9 ou 10, caractérisée en ce que l'organe de paillage (400) comprend un arbre moteur (Am) entouré d'un cylindre portant en périphérie des couteaux (Ct) et qui, pendant leur rotation, peuvent grignoter la périphérie de la botte (Bo, Bp) pour la défragmenter, un engrenage (Eg5, Eg7) étant monté de manière coaxiale à une extrémité ou aux deux extrémités de l'axe dudit arbre moteur (Am) ».
L'organe de paillage tel que décrit est, comme l'a relevé le tribunal, antériorisé par deux brevets (FR 602 et FR 402). En outre, la personne du métier aurait été incitée à s'inspirer de la dérouleuse pailleuse Rondo-Dan commercialisée par la société He-VA dont le cylindre de paillage, appelé rouleau démêleur et qualifié d'agressif, comporte des dents et donc à reprendre un organe déjà présent sur le marché des dérouleuse pailleuses.
De plus, afin de tourner, le cylindre doit être relié au moteur, ce qui nécessite un engrenage.
Cette revendication est dénuée d'activité inventive.
- Concernant la revendication 14, elle porte sur une « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 5 et 7, caractérisée en ce que l'organe de paillage (400), le moyen d'entraînement (320), sont reliés respectivement à deux moteurs et préférentiellement des moteurs hydrauliques ».
C'est par des motifs adaptés que le tribunal a considéré que l'état de la technique était constitué par le brevet FR 896 qui porte sur un dispositif pour distribuer la matière végétale d'une balle cylindrique publié le 21 décembre 2000 et divulgue deux moteurs, respectivement pour l'organe rotatif de paillage et pour le transporteur, c'est-à-dire le moyen d'entrainement, la description précisant que ces moteurs peuvent être hydrauliques, étant ajouté que la personne du métier connaît cet état de la technique puisque le brevet vise à pailler la balle de matière végétale et à en maîtriser la projection, l'amenant plus près du châssis par le biais de la conception de l'organe de paillage constitué d'un organe rotatif qui arrache la matière végétale, le brevet en cause reprenant l'idée d'un organe de paillage rotatif.
- La revendication 15 est ainsi rédigée « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 13, caractérisée en ce qu'elle est associée à un porte-outil (100) destiné à être porté par un engin de levage pour la déplacer, la faire fonctionner » et la 16 porte sur une « dérouleuse-pailleuse (300) selon la revendication 15, caractérisée en ce que le porte-outil (100) comprend au moins deux engrenages (Eg1, Eg2 ; Eg3) conçus et disposés de manière à coopérer avec les engrenages (Eg4-Eg7) portés par ladite dérouleuse-pailleuse ».
Ce porte-outil a été divulgué dans la demande de brevet FR 3008273 de la société Emily déposé le 10 juillet 2013 relatif à « un porte outil destiné à être attelé à un engin pour porter un accessoire », cet accessoire étant défini dans la description comme notamment une dérouleuse pailleuse. Une caractéristique additionnelle porte sur un attelage mécanique comprenant deux crochets coopérant avec la paroi de guidage et un moyen d'entrainement pour faire tourner un engrenage porté par le porte outil qui coopère avec un engrange de l'accessoire à l'issue de l'attelage mécanique par soulèvement du porte outil. Une autre caractérisque additionnelle est relative au fait que la dérouleuse pailleuse comprend un engrenage disposé sur la face extérieure du flanc pour entrainer un organe de l'accessoire et deux axes solidaires du flanc pour coopérer avec les deux crochets porteurs du porte outil.
Ainsi, ces deux revendications sont dénuées d'activité inventive.
- Enfin, la revendication 17 porte sur une « dérouleuse-pailleuse (300) selon l'une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisée en ce qu'elle est pourvue d'un moyen d'accrochage destiné à permettre sa suspension par un convoyeur aérien capable de la déplacer ».
Etant relevé que ce moyen d'accrochage n'est pas décrit, la description du brevet indique qu'une dérouleuse pailleuse pourvue d'un châssis destiné à être porté par un engin de levage pour être déplacée sur le site d'élevage était connue de l'état de la technique. Ainsi, la personne du métier pourra prévoir un moyen d'accrochage pour un convoyeur aérien, ce qui ressort de ses connaissances de base.
En définitive le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des revendications 1, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 14, 15, 16 et 17 de la partie française du brevet européen 938 pour défaut d'activité inventive.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il dit que la décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au registre des brevets et a rejeté toutes les demandes fondées sur la contrefaçon du brevet, y compris les demandes de communication de pièces et de publication.
Sur la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon
L'appelante soutient que le tribunal a statué ultra petita en annulant les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 12 septembre 2019 et du 14 avril 2021, dès lors que cette annulation n'était demandée par la société Robert International qu'à titre subsidiaire. Elle demande l'infirmation du jugement de ce chef.
La société Robert International fait valoir que la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon doit être confirmée, tant en raison de la nullité du brevet que de la violation des règles de droit applicables.
Il résulte du jugement qu'en première instance, la société Robert International demandait à titre subsidiaire la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, si le brevet opposé n'était pas annulé.
Le jugement déféré n'a pas statué sur la demande présentée à titre subsidiaire (page 15 « : « I1 n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, présentées à titre subsidiaire »).
L'annulation d'un titre entraîne, par voie de conséquence, celle de la saisie-contrefaçon, mesure probatoire spécifique bénéficiant au titulaire d'un titre de propriété industrielle en vertu de l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, qui suite à l'annulation du brevet est réputée opérée sans titre, quand bien même des actes de concurrence déloyale et parasitaire sont allégués.
En conséquence, le jugement a uniquement tiré les conséquences du prononcé de la nullité du brevet et n'a pas statué ultra petita.
Le brevet ayant été annulé, les opérations de saisie contrefaçon n'ont pas de fondement et le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon.
Sur la demande subsidiaire au titre de la concurrence déloyale et parasitaire
L'appelante fait valoir que la société Robert International, qui a présenté en décembre 2015 une dérouleuse pailleuse séparant les fonctions de paillage et de déroulage, s'est rendue coupable de pratiques déloyales en copiant sa dérouleuse pailleuse Pick & Go, présentée pour la première fois au public en février 2015 Elle affirme que l'intimée a profité indûment de ses investissements, que la machine Pick & Go constitue une valeur économique individualisée et lui procure un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et créatif et d'investissements. Selon elle, la machine commercialisée par la société Robert International reprend l'ensemble des caractéristiques innovantes de sa machine dont le moyen d'entrainement pouvant déplacer la botte de la gauche vers la droite, l'organe de paillage sous la forme d'un cylindre équipé de dents, un moyen d'appui incurvé comportant des barres transversales, des picots et des chaînes, un rouleau en libre rotation et un volet réglable, ces ressemblances n'étant requises par aucun impératif technique et témoignant de la captation de ses investissements.
La société Robert International répond qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux machines, que les éléments prétendument copiés sont banaux et qu'elle les a repris d'autres dérouleuses pailleuses antérieures à celle de la société Etablissements Emily.
Fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, la concurrence déloyale suppose l'existence d'une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux. Elle se définit comme la commission de man'uvres déloyales, constitutives de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui n'est pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moins que la reproduction ou l'imitation du produit ait pour objet ou pour effet de créer un risque de confusion entre les produits dans l'esprit du public, comportement déloyal constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil.
Si la société Etablissements Emily invoque des actes de concurrence déloyale, force est de constater qu'elle n'allègue, ni ne justifie d'une faute de la société Robert International résultant notamment d'un risque de confusion entre les deux machines, la machine commercialisée par la société Robert International ne constituant pas la copie servile de la machine Pick & Go, étant de couleur bleue et reproduisant à de nombreux endroits sa marque alors que la dérouleuse pailleuse Pick & Go est de couleur orange et comporte des dispositifs qui, s'ils ont des fonctions similaires, présentent des différences ainsi que l'établissent les photographies reproduites dans les conclusions de l'appelante.
Il résulte de l'attestation de l'expert-comptable du 26 septembre 2019 que 103 machines Pick & Go de la société Etablissements Emily ont été vendues entre 2014 et 2019. Ces ventes pendant 5 années ne démontrent pas, en l'absence d'éléments produits sur les chiffres de vente d'autres machines ayant les mêmes fonctions, une valeur économique afférente à ce produit. De plus, dans la revue de presse versée au débat, un seul article publié sur le site Farm connexion en février 2018 porte sur la machine, si bien que l'appelante ne justifie pas avoir mis cette machine en avant au sein des autres dérouleuses pailleuses qu'elle commercialisait notamment par des investissements publicitaires.
L'expert-comptable de la société Etablissements Emily indique qu'au vu du crédit d'impôts pour les années 2014 et 2015, le nombre d'heures consacrées à la conception et au développement de la dérouleuse pailleuse Pick & Go s'élève à 1 350 en 2014 et 3 320 en 2015. Il résulte cependant des tableaux joints à l'attestation que l'expert-comptable a inversé les chiffres puisqu'il s'agit de 3 320 heures en 2014 et de 1 350 heures en 2015. Ces heures correspondent d'après lesdits tableaux au nombre d'heures de travail de 5 salariés en 2014 et de 4 en 2015. En l'absence d'éléments permettant de comparer le temps passé par les salariés à concevoir et développer d'autres machines, ce qui implique toujours des investissements, ces chiffres sont insuffisants à démontrer un investissement particulièrement important pour la machine Pick & Go.
En conséquence, la valeur économique individualisée et identifiée de la machine lors de la commercialisation de celle concurrente par la société Robert International n'est pas justifiée, étant relevé que les éléments la composant faisaient partie du domaine public ainsi qu'il a été jugé au regard des antériorités examinées dans le cadre du brevet.
Au surplus, il n'est pas contesté par l'appelante que les sociétés Wessex International et Kolaszewski commercialisaient une dérouleuse pailleuse qui reprend les caractéristiques de celle Pick & Go, celle-ci indiquant qu'elle est libre d'adopter sa stratégie contentieuse à l'égard de ces tiers.
En conséquence, les seules reprises incriminées, même appréhendées dans leur globalité, ne caractérisent pas une volonté de l'intimée de s'inscrire dans le sillage de la machine de la société Etablissements Emily, dont la notoriété n'est pas démontrée, pour bénéficier d'un avantage concurrentiel.
Cette demande sera donc rejetée et en l'absence de motivation du jugement déféré sur cette demande, il y sera ajouté.
Sur la demande principale au titre du parasitisme
La société Emily Etablissements soutient que la société Robert International s'est rendue coupable d'actes de concurrence parasitaire distincts des faits de contrefaçon en reprenant systématique des caractéristiques particulières des dispositifs qu'elle propose. Elle affirme que la société Robert International a commercialisé des machines fondées sur un principe d'imitation quelques mois après leur lancement pour les substituer à ses produits innovants et que les différences de détails entre les machines ne peuvent masquer la reprise des éléments techniques et de présentation.
La société Robert International répond que les machines qu'elle commercialise ressemblent à celles de tous les acteurs du marché et que leur forme est imposée par leur fonction technique.
La cour constate que si l'appelante prétend que la conception, mise au point et promotion de ses machines lui ont demandé de lourds efforts humains et financiers, elle ne produit aucun autre élément que ceux portant sur la machine Pick & Go et ne justifie donc pas des efforts d'investissements et de promotion.
- Sur la machine Duo Mix
Selon l'appelante, la machine de godet mélangeur commercialisée par la société Robert International reprend les caractéristiques de la sienne, utilisée pour mélanger et distribuer les aliments secs, commercialisée à partir de 2006, à savoir la forme du godet et ses angles, la forme et la conception du mélangeur avec deux spires, le diamètre du mélangeur et la forme générale de la trappe, de l'ouverture dans le godet et du guide de celle-ci, les seules différences de couleur ne suffisant pas à cacher la reprise des caractéristiques.
Il résulte du courriel de M. [Y] [R] de la société VDW Constructie que cette société a commercialisé au moins depuis 2000 une machine similaire à celle de la société Etablissements Emily. De plus, la machine de la société Perard, dont il n'est pas contesté qu'elle est antérieure à celle Duo Mix, reproduit la même forme générale de trappe. Par ailleurs, le diamètre du mélangeur est imposé par sa fonction.
Il en résulte que la société Etablissements Emily ne peut revendiquer de monopole sur la machine Duo Mix.
- Sur la balayeuse Pro Sweep
La société Etablissements Emily soutient que les éléments de la balayeuse qu'elle a conçue en 2001 sont repris par celle commercialisée par l'intimée, à savoir les formes générales et la présence de tubes de traverse, sa marque de fabrique, pour le montage des roues de jauges.
La société Robert International fait valoir que la balayeuse qu'elle a commercialisée a été créée avant celle de l'appelante.
La cour constate que le dessin de la balayeuse « modèle pro », et non « pro sweep », reproduit sur le tarif public de la société Etablissements Emily pour établir que la machine a été conçue en 2001 ne reproduit pas les caractéristiques revendiquées, à savoir les tubes de traverse pour le montage des roues et la forme du flanc.
Par ailleurs, la société Robert International justifie par la production d'une photographie dont le verso indique qu'elle a été développée le 1er juin 2002 de l'existence à cette date d'une machine Robert avec des tubes de traverse reliées aux roues et un flanc en V.
Dès lors, l'appelante est mal fondée à prétendre que la société Robert International a commis des actes de parasitisme en reprenant ces éléments.
- Sur l'outil Repouss'net
Selon la société Emily International, l'outil Robert de repousse fourrage pour godet est similaire à l'outil Repouss'net qu'elle a commercialisé à partir de 2006 en ce que les formes sont identiques, le blocage se fait de la même manière et le système de pige de visualisation est le même.
La cour observe que les caractéristiques qui sont reprises sont dictées par la fonction de la machine, des machines de sociétés concurrentes présentant d'ailleurs des caractéristiques similaires.
Aucun acte de parasitisme n'est constitué.
- Sur les bons de commande
L'appelante affirme encore que la société Robert International utilise depuis 2017 sa présentation de bons de commande en reprenant le texte et ses illustrations, les conditions de vente, le positionnement du logo en haut à gauche, les termes « devis » et « commande » en haut à droite et les mêmes schémas de présentation des produits et en particulier le dessin d'une machine pour choisir le positionnement de l'outil utilisé.
L'intimée répond que la société Etablissements Emily ne rapporte pas la preuve de la création de ses bons de commande, ni qu'ils présenteraient une certaine originalité ou au moins créativité s'agissant de documents de nature administrative et comptable.
L'appelante justifie utiliser ces bons de commande depuis 2001 mais ne démontre pas qu'elle est à l'origine de leur création, ni d'un investissement réalisé les concernant.
Comme l'a justement relevé le tribunal, les éléments figurant sur ce formulaire sont banals. Ils reproduisent en haut à gauche le logo de l'entreprise, puis une case destinée à être remplie par le client avec les éléments d'identification nécessaires et ceux relatifs aux caractéristiques de la machine commandée avec des reproductions de dessin de l'engin porteur, étant relevé que les bons de commande de la société Robert International ne reproduisent pas les mêmes dessins mais un autre schéma pour la position la trappe et d'autres formes stylisées des engins porteurs.
En conséquence, aucun acte de parasitisme n'est démontré.
C'est donc à bon droit que le jugement a rejeté cette demande et il sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'appelante aux dépens et à indemniser les frais irrépétibles engagés par la société Robert International.
La nature de la décision commande en outre de condamner la société Etablissements Emily aux dépens d'appel et à indemniser les frais irrépétibles qu'a été contrainte d'engager la société Robert International en cause d'appel à hauteur de 15 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement dans son intégralité,
Y ajoutant,
Déboute la société Etablissements Emily de sa demande subsidiaire au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
Condamne la société Etablissements Emily aux dépens d'appel qui seront recouvrés directement en application de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Etablissements Emily à payer à la société Robert International la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.