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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 11 avril 2025, n° 24/02377

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SAS Immobilier

Défendeur :

Le Mistral (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Vareilles, M. Maitral

Avocats :

Me Vajou, Me Martinez, Me Reboul, Me Sabatier

JEX Carpentras, du 28 juin 2024, n° 23/0…

28 juin 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 11 juillet 2024 par la SARL [O] Immobilier à l'encontre du jugement rendu le 28 juin 2024 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras, dans l'instance n° RG 23/01711 ;

Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 30 août 2024 ;

Vu le jugement rendu le 24 juillet 2024 par le tribunal de commerce d'Avignon ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL [O] Immobilier, et nommant la SELARL [G] [Y], prise en la personne de Maître [Y] [G], en qualité de mandataire judiciaire;

Vu l'assignation en intervention forcée contenant signification de la déclaration d'appel et des conclusions de la SAS Le Mistral, délivrée le 22 octobre 2024 par la SAS Le Mistral à la SELARL [G] [Y], ès qualités, par acte laissé en l'étude de l'huissier ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 20 novembre 2024 par la SARL [O] Immobilier, appelante à titre principal, intimée à titre incident, et par la SELARL [G] [Y], ès qualités, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 14 mars 2025 par la SAS Le Mistral, intimée et appelante à titre incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé;

Vu l'ordonnance du 30 août 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 20 mars 2025.

Sur les faits

La SAS « Le Mistral » exploite une agence immobilière à [Localité 7] (84) qui lui a été apportée par Monsieur [X] [S] et qui est exploitée sous le nom commercial « [S] Immobilier » associé à celui de « Agence Le Mistral ». Monsieur [O] [S] a été salarié de la SAS Le Mistral du 3 octobre 2005 au 10 août 2009. Il a ouvert sa propre agence immobilière à [Localité 4] (84), après avoir constitué, avec deux autres associés, la société [O] immobilier qui a été immatriculée le 14 octobre 2009.

Monsieur [O] [S] est devenu gérant de la société [O] immobilier le 1er mars 2016, à la suite de la démission du gérant non associé de cette société.

Par arrêt du 19 décembre 2013, la cour d'appel de Nîmes a ordonné à la Sarl « [O] [S] Immobilier » de cesser de faire usage dans l'exercice de son activité commerciale, du nom commercial « [S] Immobilier » et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt, ladite astreinte étant limité à deux mois, puis au-delà sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée par huissier de justice .

Suivant jugement du 27 Août 2014, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras a notamment :

- liquidé l'astreinte provisoire à la somme de 3.000 euros et condamné la Sarl «[O] Immobilier » à payer cette somme à la SAS « Le Mistral »

- fixé l'astreinte définitive à 2.500 euros par infraction constatée à l'expiration du délai de 15 jours à compter de la signification du jugement

- dit que l'astreinte définitive devra inclure également les affiches avec bandeau portant le nom « [S] ».

Le jugement du 27 Août 2014 a été signifié le 9 juin 2023 à la Sarl [O] Immobilier.

Sur la procédure

Par exploit du 21 novembre 2023, la SAS Le Mistral a fait assigner la SARL [O] Immobilier aux fins de voir liquider l'astreinte fixée par le jugement du 27 août 2014 et fixer à 3 000 euros par infraction constatée, le montant de l'astreinte à compter de la signification du jugement à intervenir.

Par jugement du 28 juin 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras a :

- Liquidé à la somme de 35 000 euros, l'astreinte prévue par le jugement rendu le 27 août

2014 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Carpentras ;

- Condamné la SARL [O] Immobilier à payer à la SAS Le Mistral la

somme de 35 000 euros ;

- Ordonné à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale, du nom commercial « [S] Immobilier » et ce sous astreinte de 3 000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après la signification de la présente décision, ladite astreinte étant limitée à 6 mois ;

- Débouté la SAS Le Mistral de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné la SARL [O] Immobilier à payer à la SAS Le Mistral la

somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la SARL [O] Immobilier aux dépens.

La SARL [O] Immobilier a relevé appel de ce jugement pour le voir infirmer, annuler, ou réformer en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la SAS Le Mistral de sa demande de dommages et intérêts.

Par jugement du 24 juillet 2024, le tribunal de commerce d'Avignon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [O] immobilier et désigné la SELARL [G] [Y] en qualité de mandataire judiciaire.

Par courrier du 29 août 2024, la SAS Le Mistral a déclaré sa créance au passif de la société [O] Immobilier pour un montant de 37 431,29 euros.

Par exploit du 22 octobre 2024, la SAS Le Mistral a assigné en intervention forcée la SELARL [G] [Y], en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société [O] Immobilier.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, la société [O] Immobilier, appelante, demande à la cour, au visa des articles L.131-1, L. 131-2 et L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution, de :

« Statuant sur l'appel formé par la SARL [O] Immobilier, à l'encontre du jugement rendu le 28 juin 2024 par le Juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Carpentras,

Le déclarant recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

.Liquidé à la somme de 35.000 euros, l'astreinte prévue par le jugement rendu le 27 août 2014 par le juge de l'exécution du le tribunal de grande instance de Carpentras ;

.Condamné la SARL [O] Immobilier à payer à la SAS Le Mistral la somme de 35.000 euros ;

. Ordonné à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale, du nom commercial "[S] Immobilier" et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après la signification de la présente décision, ladite astreinte étant limitée à 6 mois.

.Condamné la SARL [O] Immobilier à payer à la SAS Le Mistral la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

.Condamné la SARL [O] Immobilier aux dépens.

Confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Débouter la SAS Le Mistral de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre subsidiaire,

Juger que l'inexécution de l'obligation sous astreinte par la SARL [O] Immobilier provient d'une cause étrangère,

En conséquence,

Ordonner la suppression de l'astreinte définitive,

Débouter la SAS Le Mistral de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre infiniment subsidiaire,

Limiter le montant de l'astreinte définitive à la somme de 2 500 euros ;

En tout état de cause,

Débouter la SAS Le Mistral de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de son appel incident,

Condamner la SAS Le Mistral à payer à la SARL [O] Immobilier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.»

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que l'astreinte fixée par le jugement du 27 août 2014 doit être liquidée comme une astreinte provisoire en l'absence de terme venant l'assortir.

Le juge qui rend la décision doit déterminer lui-même une durée. L'interprétation selon laquelle

à défaut de durée, il conviendrait de s'en remettre aux dispositions de l'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution est contra legem. Il y a lieu de distinguer un jugement assorti d'une durée d'exécution et une astreinte assortie d'un terme.

L'appelante expose que l'astreinte a été mise en place afin de protéger la société Le Mistral du risque de détournement de clientèle par confusion. L'application mathématique de l'astreinte contrevient manifestement d'une part à l'esprit même de la décision ayant prononcé la condamnation sous astreinte et d'autre part aux principes de libre concurrence et liberté individuelle. Si aucun détournement de clientèle n'a pu être constaté au moment de la création de la SARL [O] Immobilier et de l'utilisation du nom commercial [S] Immobilier, un tel détournement ne peut exister plus de dix ans après. De 2014 à 2023, la SARL [O] Immobilier a développé sa clientèle propre et établi sa notoriété sans utiliser le nom commercial « [S] ». L'utilisation récente du nom [S] par la SARL [O] Immobilier s'explique en raison du nom de son gérant. Ce d'autant que l'Agence Le Mistral ne communique pas avec son nom commercial [S] Immobilier mais se fait connaître uniquement grâce à sa dénomination sociale. La SARL [O] Immobilier utilise des couleurs absentes des communications de l'Agence Le Mistral et prend le soin de poster une photo de Monsieur [O] [S], gérant de la structure sur la plupart des panneaux afin d'être identifiable. Plus de dix ans après la création de la SARL [O] Immobilier, le risque de détournement de clientèle par confusion est inexistant.

L'appelante indique que depuis son changement de gérant, elle ne peut plus être soumise à l'obligation de cesser de faire usage du nom commercial « [S] » dès lors que cette obligation reviendrait à priver indéfiniment Monsieur [O] [S] de faire usage de son propre nom dans les actes et faits de son commerce. Une telle obligation doit échapper au jeu de l'astreinte, dès lors qu'elle est marquée par un caractère personnel significatif.

À titre subsidiaire, l'appelante explique que la nomination de Monsieur [O] [S] constitue une cause étrangère à la société empêchant l'exécution stricte de l'injonction du juge.

À titre infiniment subsidiaire, l'appelante souligne que la notion d'infraction n'est pas définie. Le constat d'huissier produit par la SAS Le Mistral révèle l'existence d'une seule infraction continue de sorte que le montant sollicité ne pourrait être supérieur à 2 500 euros. Le premier juge n'a pas tenu compte de l'enjeu du litige et des intérêts en présence.

Enfin, l'appelante soutient que la SAS Le Mistral ne justifie, en aucun cas, des circonstances faisant apparaître la nécessité de décider d'une nouvelle astreinte. La teneur de son préjudice n'est pas démontrée.

Dans ses dernières conclusions, la société Le Mistral, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles L 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de l'article 1240 du code civil, et de l'article L 622-22 du code de commerce, de :

« Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'astreinte fixée par le jugement du 27 août 2014 était provisoire,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Le Mistral de sa demande de dommages et intérêts ,

Confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau :

Débouter la SARL [O] Immobilier de l'intégralité de ses demandes,

A titre principal,

Dire que l'astreinte fixée par le jugement en date du 27 août 2014 est définitive et doit être liquidée en tant que telle,

Dire y avoir lieu au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Confirmer pour le surplus

En conséquence,

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 35.000 euros en principal

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 127,81 euros au titre des intérêts

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 808,48 euros au titre des dépens

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile selon jugement du 28 juin 2024 rendu par le juge de l'exécution du tribunal Judiciaire de Carpentras

Ordonner à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale du nom commercial « [S] Immobilier » et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après signification de l'arrêt à intervenir

Condamner la SARL [O] Immobilier à verser à la SAS Le Mistral la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts

Condamner la SARL [O] Immobilier au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré l'astreinte fixée comme étant provisoire et l'a liquidé à la somme de 2.500 euros par infraction constatée

Dire y avoir lieu au paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive

Confirmer pour le surplus

En conséquence,

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 35.000 euros en principal

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 127,81 euros au titre des intérêts

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 808,48 euros au titre des dépens

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile selon jugement du 28 juin 2024 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras

Ordonner à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale du nom commercial « [S] Immobilier » et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après signification de l'arrêt à intervenir

Condamner la SARL [O] Immobilier à verser à la SAS Le Mistral la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts

Condamner la SARL [O] Immobilier au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire

Dire que l'inexécution par la Sarl [O] Immobilier ne provient pas d'une cause étrangère

En conséquence,

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 35.000 euros en principal

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 127,81 euros au titre des intérêts

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 808,48 euros au titre des dépens

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile selon jugement du 28 juin 2024 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras

Ordonner à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale du nom commercial « [S] Immobilier » et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après signification de l'arrêt à intervenir

Condamner la SARL [O] Immobilier à verser à la SAS Le Mistral la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts

Condamner la SARL [O] Immobilier au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

A titre infiniment subsidiaire

Dire n'y avoir lieu à limiter le montant de l'astreinte à la somme de 2.500 euros

En conséquence

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 35.000 euros en principal

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 127,81 euros au titre des intérêts

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 808,48 euros au titre des dépens

Fixer la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile selon jugement du 28 juin 2024 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Carpentras

Ordonner à la SARL [O] Immobilier de cesser de faire usage, dans l'exercice de son activité commerciale du nom commercial «[S] Immobilier » et ce sous astreinte de 3.000 euros par infraction constatée par commissaire de justice à compter d'un délai de 15 jours après signification de l'arrêt à intervenir

Condamner la SARL [O] Immobilier à verser à la SAS Le Mistral la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts

Condamner la SARL [O] Immobilier au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. ».

Au soutien de son appel incident, l'intimée expose que l'astreinte dont il est sollicité la liquidation intervient postérieurement au prononcé d'une astreinte provisoire. Les décisions de justice sont nécessairement assorties d'un terme lié à la limite durant laquelle elles peuvent faire l'objet d'une exécution, soit dix ans s'il s'agit d'un titre exécutoire. L'astreinte à liquider consiste bien en une astreinte définitive et en tant que telle, elle ne peut être modifiée dans le cadre de sa demande de liquidation pour tenir compte du comportement du débiteur.

L'intimée souligne que les décisions de justice rendues ont toujours vocation à être appliquées, quand bien même plusieurs années se seraient écoulées et qu'ainsi tout risque de confusion serait écarté. Au-delà du fait que c'est au créancier et à lui seul d'apprécier l'opportunité et le moment d'agir pour solliciter la liquidation d'une astreinte, l'utilisation du nom [S] Immobilier par une autre agence dans un secteur géographique très proche est source de confusion et lui occasionne bien un préjudice financier. Monsieur [O] [S] est devenu gérant de la Sarl « [O] Immobilier » le 1er Mars 2016. Jusqu'en 2021, c'est sans utilisation du nom patronymique de son gérant que la Sarl « [O] Immobilier » a développé sa propre clientèle. Le nom commercial « [S] Immobilier » est toujours associé à l'agence le Mistral, de façon systématique et particulièrement visible. Le blanc utilisé pour le nom [S] Immobilier est prédominant dans les communications de la SARL [O] Immobilier. La Sarl « [O] Immobilier' cherche à nouveau à profiter de la renommée et de la notoriété du nom commercial [S] Immobilier.

L'intimée rétorque que le juge saisi d'une demande de liquidation d'astreinte ne peut en limiter le montant au motif que celui-ci serait excessif eu égard aux circonstances de la cause. De même, la nature du litige ne peut limiter le montant de l'astreinte à liquider, pas plus que la référence au principe de proportionnalité. Le comportement de la Sarl « [O] Immobilier » atteste de sa volonté de ne pas de conformer à l'injonction judiciaire prononcée à son encontre.

L'intimée précise que la nomination de Monsieur [O] [S] en qualité de gérant ne constitue pas un évènement non imputable au débiteur de la créance d'astreinte ayant pour effet de faire obstacle à la décision de justice rendue à son encontre.

L'intimée indique que chaque utilisation du nom « [S] Immobilier » est constitutive d'une infraction. Au vu de la liquidation de l'astreinte provisoire et du défaut d'exécution persistant dont fait preuve la société « [O] Immobilier, le prononcé d'une astreinte définitive se justifie pleinement.

A l'appui de sa demande en dommages-intérêts, l'intimée prétend justifier de l'impact de l'utilisation du nom « [S] Immobilier» sur son activité commerciale au regard de l'attestation comptable versée aux débats.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur le caractère de l'astreinte

Aux termes de l'article L.131-2, alinéa 3, du code des procédures civiles d'exécution, une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.

En l'occurrence, le jugement du 27 août 2014 n'a pas fixé la durée de l'astreinte définitive dont il a assorti l'injonction de faire prononcée à l'encontre de la société [O] Immobilier. Faute de détermination du terme auquel cette astreinte cesserait de produire effet, c'est à bon droit que le premier juge l'a liquidée comme une astreinte provisoire.

2) Sur la liquidation de l'astreinte

Aux termes de l'article L.131-4 du code des procédures civiles d'exécution, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.

L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

Il résulte de l'extrait kbis à jour au 3 février 2025 de la SAS Le Mistral qu'elle exerce toujours son activité de négociation gestion achat et vente de biens immobiliers sous le nom commercial '[S] immobilier'. De plus, les constats des 15 et 24 mars 2022 produits par la société [O] immobilier, elle-même, à l'instar des photographies communiquées par la SAS Le Mistral, montrent que le nom commercial '[S] immobilier' figure au dessus de celui de 'agence le Mistral' et ce, de manière très apparente sur les deux façades de l'agence. Le nom commercial '[S] immobilier' est le seul mentionné sur les porte- affiches métalliques sur les murs de l'agence. Le nom commercial '[S] immobilier' est systématiquement associé à celui de 'agence le Mistral' sur le site internet, la page facebook de l'agence et sur les annonces immobilières qu'elle publie sur les sites internet 'se loger' et 'logic-immo'. Le nom commercial '[S] immobilier' apparaît également bien en dessous de celui de 'agence le Mistral' dans un encadré sur l'annonce trouvée sur le site leboncoin par la société [O] immobilier. La SAS Le Mistral est donc connue par sa clientèle tant sous le nom de 'agence le Mistral' que sous celui de '[S] immobilier' .

Il s'en suit que le risque de confusion entre les deux agences immobilières concurrentes qui exercent une activité similaire dans le même secteur géographique n'a pas disparu. La SAS Le Mistral verse d'ailleurs au débat une attestation de son expert-comptable qui établit que son chiffre d'affaires a baissé en 2023 par rapport à celui de 2022. L'interdiction faite à la société [O] immobilier d'utiliser le nom de '[S]' tendait à ce qu'elle cesse de profiter de la notoriété qui était attachée à la SAS Le Mistral. Cet objectif poursuivi par l'arrêt du 19 décembre 2013 est donc encore d'actualité.

En prononçant une nouvelle astreinte de 2 500 euros par infraction constatée, le juge de l'exécution dans son jugement du 27 août 2014 a entendu faire respecter l'interdiction prononcée par la cour d'appel le 19 décembre 2013, y compris en faisant cesser la mention 'Directeur [O] [S]' sur le bandeau apposé sur les affiches de la société [O] immobilier. La liquidation de l'astreinte est donc bien conforme au but poursuivi par cette décision de justice dès lors que le constat dressé par commissaire de justice le 6 septembre 2023 met en évidence que la société [O] immobilier appose le nom de '[O] [S]' sur les pancartes publicitaires figurant sur les biens à vendre ainsi que sur le bandeau au dessus de la porte et de la fenêtre de son agence. L'utilisation de couleurs rouge, noire et gris anthracite n'est pas de nature à ôter tout risque de confusion avec l'agence exploitée par la SAS Le Mistral dans la mesure où le nom '[S]' est écrit en blanc et qu'il se détache davantage que le prénom [O] sur le fond rouge des pancartes publicitaires. Sur les murs des locaux de la société [O] immobilier, la photographie de Monsieur [O] [S] avec la mention de sa qualité de directeur ne permet pas non plus dans l'esprit de la clientèle de distinguer nettement son agence de celle de la SAS Le Mistral.

C'est à bon droit que le juge de l'exécution a rappelé que le droit à l'usage du nom ne concernait que les personnes physiques et non pas la personne morale qu'est la société [O] immobilier et que le changement de gérant intervenu le 1er mars 2016 était à cet égard indifférent.

Le nom patronymique du gérant de la société [O] immobilier ne constitue pas une cause étrangère exonératoire, à savoir un événement extérieur empêchant le respect de l'interdiction prononcée judiciairement . En effet, l'activité de la société a été exercée tantôt sous le nom commercial de [O] immobilier tantôt sous celui de Stéphane Plaza immobilier et c'est de sa propre initiative que le dirigeant de la société a ajouté le nom patronymique de [S] en 2022.

En fixant une astreinte de 2 500 euros par infraction constatée, le juge de l'exécution, dans son jugement du 27 août 2014, a voulu clairement sanctionner chaque utilisation du nom commercial '[S] Immobilier'. Il ne saurait donc être considéré qu'il n'y a qu'une seule infraction commise alors que le constat du 6 septembre 2023 et les annonces de vente trouvées sur internet en révèlent quatorze différentes.

La société [O] immobilier savait pertinemment qu'elle s'exposait au paiement d'une astreinte en faisant usage du nom commercial '[S] Immobilier' et elle s'est volontairement affranchie d'une décision de justice dont l'exécution ne présentait pas de difficulté avérée. Il n'existe donc aucun motif de diminuer le montant de l'astreinte lors de sa liquidation.

Selon l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

La Cour de cassation considère que l'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu'elle entre dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce protocole (2ème Civ., 20 janvier 2022, n°20-15.261, n°19-23.721, n°19-22.435).

Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.

En l'occurrence, il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant de 35 000 euros auquel l'astreinte a été liquidée et l'enjeu du litige qui est le droit pour une société commerciale d'obtenir l'exécution effective d'une décision de justice rendue à son profit tendant à faire cesser des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice et à en prévenir le renouvellement.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il liquide l'astreinte à 35 000 euros.

L'article L.622-21 I du code de commerce dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

L'action en liquidation d'une astreinte prononcée par une décision antérieure au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ... et en condamnation au paiement de l'astreinte liquidée est soumise à la suspension des poursuites individuelles sans distinguer selon la période, antérieure ou postérieure à ce jugement, pendant laquelle l'astreinte a couru (Com., 21 janvier 2003, pourvoi n° 01-01.761).

En l'occurrence, le fait générateur de la créance d'astreinte de la SAS Le Mistral se trouve dans l'obligation mise à la charge de la société [O] immobilier par la décision de la cour d'appel de Nîmes du 19 décembre 2013. L'obligation est donc née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective du 24 juillet 2024. Ainsi l'action en liquidation d'astreinte ne saurait donner lieu à condamnation à paiement de la société [O] immobilier. Il convient, en revanche, de fixer la créance de la SAS Le Mistral de 35 000 euros en principal au passif du redressement judiciaire de la société [O] immobilier ainsi que celle de 127,81 euros au titre des intérêts arrêtés au 24 juillet 2024.

3) Sur la fixation d'une nouvelle astreinte définitive

La société [O] immobilier ne respecte pas les termes de l'arrêt du 19 décembre 2013 en dépit des astreintes provisoires prononcées tant par ladite décision que par le jugement du juge de l'exécution du 27 août 2014. Or, l'interdiction d'utiliser le nom commercial '[S] Immobilier' se justifie toujours par la confusion entretenue dans l'esprit de la clientèle avec l'activité de la SAS Le Mistral. Ces circonstances rendent nécessaire la fixation d'une astreinte définitive que le premier juge a, de manière pertinente, fixée à 2 500 euros par infraction constatée à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de sa décision.

4) Sur la demande de dommages-intérêts

Le juge de l'exécution tient de l'article 23 de la loi du 9 juillet 1991 (devenu l'article L.121-3 du code des procédures civiles d'exécution) le pouvoir d'allouer des dommages-intérêts en cas de résistance abusive du débiteur à l'exécution d'un titre exécutoire (2ème Civ., 17 Février 2011 - n° 10-10.814).

En l'espèce, la société [O] immobilier a fait usage du nom commercial [S] immobilier au mépris de l'interdiction prononcée par l'arrêt du 19 décembre 2013. Il en est résulté indéniablement un préjudice direct et certain pour la SAS Le Mistral dans la mesure où son concurrent tire profit, de manière déloyale, de sa notoriété. Il lui sera alloué, à ce titre, la somme de 3 000 euros.

La créance de dommages-intérêts pour résistance abusive a pour origine la présente décision. Elle est donc née régulièrement après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société [O] immobilier mais pas pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période. Il ne s'agit donc pas d'une créance visée à l'article L.622-17 du code de commerce qui doit être payée à son échéance. Elle est ainsi soumise à la suspension ou à l'interdiction des poursuites de l'article L.622-21 de sorte que la créance de 3 000 euros ne peut donner lieu à condamnation de la société [O] immobilier mais seulement à fixation à son passif.

5) les frais du procès

Les dépens de première instance ne sauraient comprendre le coût du constat du commissaire de justice qui fait partie des débours non tarifés, non compris dans la liste limitative des dépens afférents aux instances, actes et procédures d'exécution figurant à l'article 695 du code de procédure civile. Les dépens de première instance seront donc fixés à la somme de 434,28 euros outre l'indemnité de 1 500 euros allouée par le jugement du 28 juin 2024.

La société [O] immobilier qui succombe devra supporter les dépens de l'instance d'appel qui seront fixés à son passif.

Enfin, l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la SAS Le Mistral et de lui allouer une indemnité de 2 500 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il prononce des condamnations à l'encontre de la société [O] immobilier et en ce qu'il déboute la SAS Le Mistral de sa demande en dommages-intérêts pour résistance abusive,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 35.000 euros en principal,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 127,81 euros au titre des intérêts arrêtés au 24 juillet 2024,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 434,28 euros au titre des dépens de première instance,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile selon jugement du 28 juin 2024 rendu par le juge de l'exécution du tribunal Judiciaire de Carpentras

Y ajoutant,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 3 000 euros au titre de la résistance abusive,

Fixe les dépens d'appel au passif du redressement judiciaire de la société [O] immobilier,

Fixe la créance de la SAS Le Mistral au passif de la SARL [O] Immobilier à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

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