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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 15 avril 2025, n° 22/03626

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

El Bajha (SARL)

Défendeur :

El Bajha (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Moulayes, Mme Penavayre

Avocats :

Me Dulon, Me Sorel

TJ Toulouse, du 8 sept. 2022, n° 21/0118…

8 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL EL BAJHA exploite un fonds de commerce de restauration rapide dans un centre commercial situé [Adresse 2] à [Localité 1] depuis le 28 mars 2013.

Dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain du quartier ( [Adresse 4]), le centre commercial a fait l'objet d'un projet de démolition dans le but de créer un nouveau pôle commercial de 3500 m².

Parallèlement aux négociations concernant le montant de l'indemnité d'expropriation qui a été fixé par jugement du juge de l'expropriation du 18 janvier 2021 à la somme de 108 800 ', des pourparlers ont été engagés avec la société d'aménagement de [Localité 1] Métropole OPPIDEA, puis avec l'OFFICE PUBLIC DE LA MÉTROPOLE TOULOUSAINE- [Localité 1] METROPOLE HABITAT en vue de permettre à la SARL EL BAJHA de se réinstaller dans un bâtiment de la future ZAC.

Des échanges de courriels sont intervenus les 26 juin , 4 juillet , 7 octobre, 29 octobre et 13 novembre 2019, le conseil de la SARL EL BAJHA demandant par lettres des 15 janvier 2020 et 12 mai 2020 que le projet de bail lui soit communiqué.

Par acte d'huissier du 20 octobre 2020, la SARL EL BAJHA a assigné l'OFFICE PUBLIC DE LA MÉTROPOLE TOULOUSAINE devant le juge des référés aux fins de faire constater l'accord des parties sur l'établissement d'un bail commercial et obtenir la condamnation sous astreinte de l'Office à lui communiquer un projet de bail reprenant les termes des courriers échangés entre les parties outre le versement de la somme de 2000 ' au titre des frais irrépétibles.

Par courrier du 22 octobre 2020, la mairie de [Localité 1] a indiqué à la société EL BAJHA que le Comité d'Enseignes avait décidé de limiter le développement de la restauration rapide sur l'ensemble du linéaire commercial de la ZAC et que le local pressenti (n° 3 du bâtiment EM3B) accueillerait des activités de services et non pas de restauration.

Par ordonnance du 19 janvier 2021, le juge des référés a débouté la société EL BAJHA de l'ensemble de ses demandes .

Par acte d'huissier du 4 mars 2021, la SARL EL BAJHA a assigné l'établissement public [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT devant le tribunal judiciaire de Toulouse pour faire juger qu'il existe un accord entre les parties sur l'établissement d'un bail commercial et qu' un projet de bail doit lui être soumis sous astreinte et à défaut , pour obtenir des dommages et intérêts pour la marge perdue et subsidiairement, pour la rupture abusive des pourparlers.

Par jugement du 8 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- débouté la SARL EL BAJHA de l'ensemble de ses demandes

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration enregistrée au greffe le 13 octobre 2022, la SARL EL BAJHA a formé appel de l'encontre du jugement qu'elle critique en toutes les dispositions ci-dessus indiquées.

Au terme de ses conclusions notifiées le 3 juillet 2023, la SARL EL BAJHA demande à la cour, au visa des articles 1113 et suivants du Code civil, 1709 et suivants du Code civil, L 145-1 et suivants du code de commerce, 1217 alinéa 3 du Code civil :

- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 8 septembre 2022 en toutes ses dispositions

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- de constater l'accord pris entre les parties sur l'établissement d'un bail commercial par offre du 4 juillet 2019, 29 octobre 2019 et 18 novembre 2019 et acceptation du 15 janvier 2020

- de reconnaître la parfaite conclusion du contrat de bail commercial en date du 15 janvier 2020

- de condamner [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT sous astreinte de 1000 ' par jour de retard courant à l'expiration de délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à communiquer par toute voie officielle à la SARL EL BAJHA un projet de bail commercial conforme à la réglementation en vigueur et correspondant en ses termes et conditions aux accords pris entre les parties selon les pièces 6/ 9.1 et 9.2 versées aux débats

- de se réserver la faculté de liquider l'astreinte et d'en ordonner une nouvelle le cas échéant

A titre subsidiaire :

- de condamner [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT au paiement de la somme de 357 450,03 euros à titre de dommages-intérêts qui s'inscrivent dans la marge perdue du fait du dommage

À titre très subsidiaire :

- de constater la rupture abusive des pourparlers et l'intention particulièrement malicieuse de [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT

- de condamner [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT au paiement de la somme de 15 423,08 euros

En toute hypothèse :

- de condamner [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT à lui payer la somme de 8000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions notifiées le 3 avril 2023, l'OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA MÉTROPOLE TOULOUSAINE-[Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT demande , au visa des articles 1106, 1709 1231-2 du Code civil

A titre principal :

- de confirmer la décision entreprise et de débouter la société EL BAJHA de toutes les demandes formulées à son encontre

A titre subsidiaire si la cour devait estimer que [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT a engagé sa responsabilité :

- de juger que le préjudice subi par la société EL BAJHA a déjà fait l'objet d'une indemnisation et de débouter cette dernière de toutes ses demandes

- très subsidiairement, de ramener le montant des demandes formulées à de plus justes proportions

En toutes hypothèses :

- de condamner la société EL BAJHA à payer la somme de 3000 ' au bénéfice de [Localité 1] MÉTROPOLE HABITAT sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de Me SOREL avocat sur son affirmation de droit.

Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 12 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'existence d'un bail commercial :

En vertu de l'article 1709 du code civil, le bail est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer.

Le bail commercial est un contrat consensuel qui n'est soumis à aucune condition de forme particulière. Il se forme par la rencontre concordante des volontés sur les éléments essentiels du contrat .

La promesse de bail vaut bail lorsqu'il y a accord sur la chose, le prix et la durée.

En l'espèce il est soutenu par la SARL EL BAJHA qu'il se déduit des échanges de courriers intervenus entre les parties l'existence d'un accord ferme et définitif sur une promesse de bail commercial, ce qui est contesté par [Localité 1] METROPOLE HABITAT qui prétend pour sa part qu'il ne s'agit que de pourparlers qui n'engagent pas les parties, faute d'un accord précis sur la chose, le prix et la durée et qu'en réalité les pourparlers engagés relèvent davantage d'un contrat de réservation d'un local que d'un contrat de bail commercial.

Pour débouter la SARL EL BAJHA de sa demande, le Premier juge a considéré que le contrat ne s'est pas formé faute d'accord sur les éléments essentiels du contrat, notamment en ce qui concerne la prise d'effet du bail qui est d'autant plus déterminante qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un projet de construction et non pas d'un bail d'immeuble existant.

En l'espèce il y a lieu de constater que si des négociations ont été engagées par les parties sur les conditions d'un bail futur permettant à la SARL EL BAJHA de se réinstaller dans un immeuble à construire dans le cadre de l'opération de rénovation du quartier en remplacement du local dont elle venait d'être évincée, il n'existe aucun accord clair et précis de la part de l'OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA MÉTROPOLE TOULOUSAINE -[Localité 1] METROPOLE HABITAT , propriétaire du local ou de ses représentants disposant d'un pouvoir suffisant pour l'engager en qualité de bailleur.

Dans le courriel du 26 juin 2019 , il est demandé à la SARL EL BAJHA de communiquer diverses pièces comptables pour étudier son dossier, précision étant faite « qu'il s'agit pour [Localité 1] METROPOLE HABITAT d' une proposition sans lien contractuel préalable ».

Suite à une rencontre avec la société appelante pour présenter son projet , la représentante de [Localité 1] METROPOLE HABITAT a, par courriel du 4 juillet 2019 indiqué :

- que les éléments fournis sur l'activité permettent d'envisager une location,

- que le local proposé est un local commercial n° 3 de l'opération « champ du loup » îlot EM3BB d'une surface de 76,7 m²,

- que le loyer prévisionnel hors charges est de 11 ' le mètre carré par mois « à ajuster en fonction de l'équilibre de l'opération »,

- que la période de livraison est évaluée à fin 2021 en fonction du planning prévisionnel de l'opération

- que les éléments de négociation seront confirmés par un protocole d'accord.

Par ailleurs il est communiqué des plans du local dont il est précisé qu' « il s'agit toujours de documents de travail non contractuels » et que le local est livré brut, le coût d'aménagement revenant au preneur, qu'il convient de demander le raccordement à GRDF du gaz de cuisson qui n'est pas prévu dans le projet initial et que la demande de création d'une ouverture supplémentaire est à l'étude.

Par la suite il n'est fourni aucun courriel permettant de vérifier que les conditions précises du bail aient été définitivement arrêtées et les réserves levées.

Bien au contraire le 29 octobre 2019, le conseil de la SARL EL BAJHA a réclamé des précisions sur la date exacte de livraison du nouveau magasin et la possibilité d'indemnisation en cas de retard, le montant du loyer « exact », la liste des équipements fournis et l'assurance de l'arrivée du gaz dans le local .

Il lui a été répondu le 18 novembre 2019 que le programme est toujours en phase d'étude, qu'ainsi les éléments communiqués sont donnés à titre prévisionnel, que [Localité 1] METROPOLE HABITAT ne peut s'engager sur une date exacte de livraison et que les seuls éléments connus à ce jour (pièce numéro 9.2) sont un prix prévisionnel de 11 ' le mètre carré par mois « avant appel d'offre travaux »,un démarrage prévisionnel des travaux au deuxième trimestre 2020 et une réception au deuxième trimestre 2022, le local devant être livré brut avec les vitrines et des raccordements à la charge du locataire.

Dès lors contrairement à ce qui est soutenu, il ne peut être considéré qu'à la date du 15 janvier 2020 où le conseil de la SARL EL BAJHA a fait part de l'accord de ses clients sur les termes du courrier précité et attendre le projet de bail, il y a eu une rencontre concordante de volontés des parties sur les éléments essentiels du contrat puisque les informations communiquées sur la chose et sur le prix n'ont été fournies qu'à titre prévisionnel.

Force est de constater qu'il n'y a aucun accord sur un prix ferme ni sur l'aménagement des locaux , GRDF n'ayant pas répondu à la demande de branchement indispensable pour un local destiné à la restauration et le maître d''uvre ayant pas encore établi l'état descriptif de chaque local commercial permettant de connaître les prestations qui seraient fournies.

Enfin il est fait observer à bon droit que la durée du bail n'est ni connue ni précisée alors que cette durée est un élément essentiel de l'accord des parties , la seule référence à un bail de nature commerciale ne permettant pas d'en déduire la durée effective .

Ces imprécisions et incertitudes excluent que les échanges de courriers intervenus entre les parties constituent une promesse valant bail au sens de l'article 1709 du Code civil.

Par ces motifs se substituant à ceux du premier juge, il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de [Localité 1] en date du 8 septembre 2022 et de rejeter la demande de dommages et intérêts formée par la SARL EL BAJHA pour la perte de chance subie du fait de son impossibilité de se réinstaller puisque aucune promesse de bail n'a été conclue et que partant ,il ne peut être reproché à [Localité 1] METROPOLE HABITAT aucun retard ni inexécution contractuelle .

Sur la rupture abusive de pourparlers :

Selon l'article 1112 du Code civil, l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations près contractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de bonne foi.

En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.

En principe les parties sont libres de rompre les pourparlers sauf à engager leur responsabilité délictuelle en cas d'abus.

Il y a abus lorsqu'une partie, sans dépasser les limites objectives de son droit, se sert de celui ci pour nuire à autrui.

Encore faut-il que la rupture émane du partenaire commercial avec lequel les pourparlers ont été engagés.

Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque c'est la Mairie de [Localité 1] et non pas l'Office public de la métropole qui a mis un terme définitif aux négociations.

En effet par courrier du 22 octobre 2020, la Mairie de [Localité 1] a informé la SARL EL BAJHA que dans le cadre du volet commercial de la ZAC, le Comité des Enseignes avait décidé de limiter le développement de la restauration rapide sur l'ensemble du linéaire commercial la considérant comme n'étant pas adaptée aux objectifs en termes d'attractivité commerciale de la place et qu'en conséquence le local n°3 accueillerait des activités de services et non pas de restauration.

L'intimé explique sans être sérieusement contredit sur ce point que le Comité d'enseignes est composé d'élus du quartier et de représentants des commerces , que cette décision lui a été « imposée » et qu'elle ne possède aucune maîtrise sur ce type de décision.

La rupture des négociations incombant au final à un tiers qui n'est pas dans la cause, il y a lieu de rejeter la demande de la SARL EL BAJHA tendant à voir engager la responsabilité de l'office public [Localité 1] METROPOLE HABITAT .

Sur les autres demandes :

En considération de l'équité, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés pour assurer leur représentation en justice.

Eu égard à la nature de l'affaire, il y a lieu de partager par moitié les entiers dépens de l'instance .

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 8 septembre 2022 en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la charge des dépens,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties,

Partage par moitié les entiers dépens de l'instance.

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