CA Pau, 2e ch. sect. 1, 15 avril 2025, n° 19/02755
PAU
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Kennedy Tourasse (SCI)
Défendeur :
Guyenne Et Gascogne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pellefigues
Conseiller :
M. Darracq
Conseiller :
Mme Baylaucq
Avoué :
Me Idiart
Avocats :
SCP Aguer Idiart Pignoux Cabinet Advocare, Me Lipsos, Me Confino
JP/CS
Numéro 25/1209
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 15 avril 2025
Dossier : N° RG 19/02755 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HK6K
Nature affaire :
Autres demandes relatives à un bail d'habitation ou à un bail professionnel
Affaire :
SCI KENNEDY TOURASSE
C/
SAS GUYENNE ET GASCOGNE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 avril 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 04 Mars 2025, devant :
Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,
assisté de Mme SAYOUS, Greffier présent à l'appel des causes,
Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SCI KENNEDY TOURASSE
[Adresse 1]
[Localité 4]/FRANCE
Représentée par Me David IDIART de la SCP AGUER IDIART PIGNOUX CABINET ADVOCARE, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
SAS GUYENNE ET GASCOGNE SAS immatriculée au RCS de BAYONNE sous le n° 780 130 118, représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 2]
[Localité 3] / FRANCE
Représentée par Me Panayiotis LIPSOS, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Jean-Philippe CONFINO, avocat au barreau de Paris
sur appel de la décision
en date du 26 JUILLET 2019
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU
Par arrêt du 9 mai 2023 contradictoire, et en dernier ressort, la cour d'appel de Pau a :
- Confirmé le jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer l'annulation du commandement de payer du 20 juillet 2016 et en ce qu'il a débouté la société KENNEDY TOURASSE de sa demande de résiliation de bail.
- Condamné la société KENNEDY TOURASSE à verser à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE les charges indûment réglées pour la période du 1er juillet 2011 au 30 septembre 2016 et du 1er octobre 2016 au 31 mars 2020.
Avant dire droit sur le montant des condamnations mises à la charge de la société KENNEDY TOURASSE.
Ordonné une expertise confiée à [X] [B] avec mission de :
- prendre connaissance de l'ensemble des documents de la cause, du jugement rendu le 26 juillet 2019 et du présent arrêt ,
- entendre les parties en leurs dires, écrits et explications et, d'une manière générale, fournir à la cour tous renseignements lui permettant de statuer sur le litige qui lui est soumis
- procéder à une vérification des charges afférentes au fonds de commerce de supermarché situé à [Adresse 8], à l'angle de l'[Adresse 6] et de l'[Adresse 5], sans numéro, formant les lots numéro huit et neuf de la zone H du lotissement de« [Adresse 7] » ,
- déterminer le montant des charges exigibles et le montant qui devra être restitué au preneur la SAS GUYENNE ET GASCOGNE sur la période du 1er juillet 2011 au 31 mars 2020.
- dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la deuxième chambre civile section un de la cour d'appel de Pau dans les six mois de sa saisine,
Fixé le montant de la provision à consigner entre les mains du régisseur de la cour d'appel de Pau à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de 4000 ', cette consignation devant être faite par la société KENNEDY TOURASSE avant le 1er juillet 2023 à peine de caducité de la mesure d'expertise
Dit qu'en cas d'insuffisance manifeste de la provision allouée au vu des diligences faites ou à venir l'expert en fait sans délai rapport au juge qui s'il y a lieu ordonne la consignation d'une provision complémentaire ; il joindra à sa demande de provision complémentaire le calendrier prévisible de ces opérations et une évaluation détaillée du coût des opérations d'expertise avec copie aux avocats des parties auquel il devra indiquer qu'il dispose d'un délai de 15 jours pour faire valoir leurs éventuelles observations auprès du conseiller chargé du contrôle des mesures d'instruction,
Dit que l'expert devra adresser aux parties au moins un mois avant le dépôt du rapport définitif un pré-rapport détaillé en invitant celles-ci à lui faire part de leurs observations auxquelles il devra répondre
Dit que le dépôt par l'expert de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération, dont il adressera un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception. S'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction ou le cas échéant au magistrat chargé de contrôler les mesures d'instruction leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de 15 jours à compter de sa réception
Dit que l'expert pourra se faire assister en tant que de besoin par tout sapiteur de son choix dans une spécialité ne relevant pas de la sienne
Dit que les opérations d'expertise se dérouleront sous le contrôle du conseiller de la deuxième chambre civile section un de la cour d'appel de Pau chargé du contrôle des mesures d'instruction.
Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance sur requête d'office du conseiller chargé du contrôle des mesures d'instruction.
Réservé les dépens et les demandes des parties présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Après dépôt du rapport d'expertise, la SCI KENNEDY TOURASSE conclut à :
Vu les articles 204 et suivants du code de procédure civile
Vu les articles 232 et suivants du code de procédure civile
Vu les anciens articles 1134 et 1147 du code civil
Vu les articles 1224, 1741 et 1728 du code civil
Vu les pièces produites,
Vu l'arrêt rendu le 9 Mai 2023 par la Cour d'Appel de PAU
Vu le rapport d'expertise déposée le 11 Décembre 2023 par M. [X] [B]
Il est demandé à la Cour d'Appel de PAU de :
- DECLARER recevable l'appel interjeté par la SCI KENNEDY TOURASSE
1/Sur la demande de restitution des charges locatives
- HOMOLOGUER le rapport d'expertise déposé le 11 Décembre 2023
- INFIRMER le jugement rendu le 26 juillet 2019 en ce qu'il a :
- condamné la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la société GUYENNE & GASCOGNE la somme de 139 526,62', avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision
- condamné la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la société GUYENNE & GASCOGNE une indemnité de 2000' sur le fondement de l'article 700 du CPC
- la condamnée aux dépens, dont distraction au profit de Maitre GUILLEMIN
En conséquence,
JUGER que le montant des charges devant être restituées à la SA GUYENNE & GASCOGNE sur la période du 1er Juillet 2011 au 30 juin 2020 s'élève à 150.127,95 ' TTC.
CONDAMNER la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la SA GUYENNE & GASCOGNE la somme de 150.127,95 ' TTC au titre des charges indument perçues sur la période du 1er Juillet 2011 au 30 juin 2020.
DEBOUTER la société GUYENNE & GASCOGNE du surplus de ses demandes
2/Sur la demande de restitution des taxes d'enlèvement d'ordures ménagères et des frais de
fiscalité locale
A titre principal ,
DEBOUTER la société GUYENNE & GASCOGNE de ses demandes
Subsidiairement,
JUGER que le montant taxes devant être restituées à la SA GUYENNE & GASCOGNE au titre des années 2016 à 2020 s'élève à 29 836,07' TTC
CONDAMNER la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la SA GUYENNE & GASCOGNE la somme de 29 836,07' TTC au titre des taxes indument perçues au cours des années 2016 à 2020
DEBOUTER la société GUYENNE & GASCOGNE du surplus de ses demandes
3/ Article 700 du Code de procédure civile et dépens
- CONDAMNER la Société GUYENNE ET GASCOGNE au paiement de la somme de 8000' au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNER la Société GUYENNE ET GASCOGNE aux dépens d'appel, excepté le coût de l'expertise confiée à Monsieur [B] qui sera supporté par moitié par chaque partie.
La société GUYENNE ET GASCOGNE conclut à :
Vu les articles 1103, 1104, 1193, 1190 et 1352-6 du code civil,
Vu l'article L 145-40-2 du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
DECLARER la société GUYENNE ET GASCOGNE recevable et bien fondée en son appel
incident,
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a :
- condamné la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE une somme au titre des charges indûment versées par elle ;
- débouté la société SCI KENNEDY TOURASSE de sa demande en résiliation du bail ;
- condamné la société SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 2.000 ' au titre de l'article 700 du CPC, et les dépens ;
Le REFORMER pour le surplus, et y ajoutant :
CONDAMNER la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme, sauf à parfaire, de 332.991,06 ' au titre des charges afférentes aux parties communes indûment réglées pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2020, avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation et capitalisation des intérêts ;
CONDAMNER la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme, sauf à parfaire, de 138.941,40 ' au titre des charges afférentes aux parties communes indûment réglées pour la période courant à compter du 1 er juillet 2020 et arrêtée au 30 juin 2024 ;
CONDAMNER la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme, sauf à parfaire, de 29.836,07 ' au titre des taxes foncières indûment réglées pour les années 2016 à 2020, avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l'assignation et capitalisation des intérêts ;
CONDAMNER la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme, sauf à parfaire, de 11.542, 32 ' au titre des taxes foncières indûment réglées pour les années 2021 et 2022 ;
CONDAMNER la société SCI KENNEDY TOURASSE à rembourser à la société GUYENNE ET GASCOGNE toutes sommes le cas échéant réglées par elle au titre :
- des charges afférentes aux parties communes pour la période courant à compter du 1 er juillet 2024 ;
- au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, des frais de gestion de la
fiscalité locale pour la période courant à compter du 1 er janvier 2023 ;
- et de la taxe foncière selon une clé de répartition non contractuelle (autre que 1.370 / 3.098) pour la période courant à compter du 1 er janvier 2023.
DEBOUTER la société SCI KENNEDY TOURASSE de l'intégralité de ses demandes ;
La CONDAMNER à payer à la société GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 15.000 ',
au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens y compris le coût de l'expertise, et AUTORISER Me LIPSOS, avocat au Barreau de Pau, à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
Par contrat de bail du 1er octobre 1996, la société JLJ Promotion, bailleur aux droits de laquelle vient la SCI Kennedy Tourasse, a loué à la société Altis un local commercial pour l'exploitation d'un supermarché, pour 9 ans et moyennant le paiement d'un loyer annuel
de 450.000 francs hors taxes et hors charges.
Par acte sous seing privé du 19 avril 1999, la SA Guyenne et Gascogne a acquis le fonds de commerce de la société Altis.
Par acte sous seing privé du 16 janvier 2009, la société Kennedy Tourasse a renouvelé le bail au pro't de la société Guyenne et Gascogne pour une durée de 9 ans à compter du ler janvier 2007, moyennant le paiement d'un loyer annuel de 90.015,40 euros hors taxes et
hors charges.
Par lettres recommandées avec accusé de réception des 7 janvier et 5 février 2016, la société
Guyenne et Gascogne a demandé à son bailleur le remboursement des charges payées par elle, estimant qu'aucune charge ne lui incombe en vertu du contrat de bail.
Puis, par acte extra-judiciaire du 7 juin 2016, la société Guyenne et Gascogne a sollicité le renouvellement de son bail auprès de la société Kennedy Tourasse, prolongé tacitement depuis le 1er janvier 2016.
Par courrier du 16 février 2016, la Société Kennedy Tourasse a rappelé à sa locataire que
celle-ci était redevable des charges d'utilisation des parties communes en vertu du contrat de bail et du règlement intérieur annexé.
A défaut de paiement, le bailleur a fait délivrer à son locataire le 20 juillet 2016 un commandement de payer pour un montant de 82.838,93 euros, somme correspondant principalement aux loyers et charges des 2ème et 3ème trimestres 2016 et visant la clause résolutoire à défaut de paiement dans le délai d'un mois.
La société Guyenne et Gascogne a réglé les causes de ce commandement afin d'éviter le jeu de la clause résolutoire.
Par acte d'huissier du 16 août 2016, la société Guyenne et Gascogne a assigné la Société
Kennedy Tourasse devant le tribunal de grande instance de Pau en paiement de la somme de 139.526,62 euros en remboursement des charges locatives d'utilisation des parties communes qu'elle a indûment réglées et dans ses conclusions, s'est s'opposée à la demande reconventionnelle de résiliation du bail de la société Kennedy Tourasse comme étant irrecevable et non fondée.
Le jugement dont appel du 26 juillet 2019 a fait droit à sa demande remboursement des charges locatives et débouté le bailleur de sa demande de résiliation de bail après avoir dit n'y avoir lieu à prononcer l'annulation du commandement de payer du 20 juillet 2016.
Par arrêt du 9 mai 2023 contradictoire, et en dernier ressort, la cour d'appel de Pau a donc
confirmé le jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prononcer l'annulation du commandement de payer du 20 juillet 2016 et en ce qu'il a débouté la société KENNEDY TOURASSE de sa demande de résiliation de bail.
La société KENNEDY TOURASSE a été condamnée à verser à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE les charges indûment réglées pour la période du 1er juillet 2011 au 30 septembre 2016 et du 1er octobre 2016 au 31 mars 2020 et une expertise a été ordonnée avant-dire droit sur le montant des condamnations.
- Sur l' expertise :
La SCI KENNEDY TOURASSE sollicite l'homologation du rapport d'expertise. Elle considère que l'expert a accompli strictement la mission qui lui a été confiée consistant à déterminer les dépenses pouvant être qualifiées de charges locatives et que la répartition qu'il a faite s'inscrit dans la logique de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau le 9 mai 2023 qui a retenu que le locataire était redevable de charges locatives.
La SAS GUYENNE ET GASCOGNE conclut au rejet de la demande d'homologation du rapport de l'expert au vu des principes applicables en matière de répartition des charges entre bailleurs et preneurs.
Elle considère que l'expert a outrepassé sa mission et adopté une méthode erronée contraire aux principes applicables en matière de répartition des charges dans le cadre d'un bail commercial que ce soit pour la période antérieure ou postérieure à l'entrée en vigueur de la loi Pinel.
En effet le locataire n'est redevable que des dépenses expressément prévues au bail. L'arrêt du 9 mai 2023 a d'ailleurs fait droit à la demande de restitution des charges locatives présentées par la société GUYENNE ET GASCOGNE sans aucune restriction quant à la nature des charges qui doivent être restituées. L'expertise a été ordonnée pour déterminer le montant des charges qui devraient être restituées à celle-ci. Il n'appartenait pas à l'expert d'opérer une répartition des charges locatives et sa mission ne peut avoir qu'un caractère technique et non juridictionnel.
L'article 232 du code de procédure civile prévoit que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.
L'article 238 du code de procédure civile dispose que le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d'appréciation d'ordre juridique.
L'article 246 du même code précise que le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien.
La Cour de cassation retient que la portée du rapport d'expertise relève du pouvoir souverain des juges du fond.
L'arrêt du 9 mai 2023 a clairement indiqué que le règlement intérieur modifié n'était pas opposable à la société GUYENNE ET GASCOGNE et qu'il y avait donc lieu de faire droit à la demande de restitution des charges locatives présentées par la société GUYENNE ET GASCOGNE.
Une expertise a été ordonnée pour procéder à une vérification des charges afférentes au fonds de commerce et déterminer le montant des charges exigibles et le montant qui devrait être restitué au preneur la SAS GUYENNE ET GASCOGNE sur la période du 1er juillet 2011 au 31 mars 2020.
L'expert a calculé les charges locatives du 1er juillet 2011 au 31 mars 2020 dans le cadre de la mission qui lui était confiée et obtenu du bailleur un décompte précis des charges et des justificatifs de celles-ci durant cette période.
Cependant il a également procédé à une répartition des charges alors qu'il avait indiqué en page 11 de son rapport : « nous n'avons pas à revenir ici sur la chose jugée. Nous devons nous en tenir à la répartition initiale telle qu'elle ressort du bail du 1er octobre 1996 du règlement intérieur ci-joint sans tenir compte des modifications ultérieures. »
L'expert judiciaire devait s'en tenir au calcul du montant des charges qui devaient être restituées à la SAS GUYENNE GASCOGNE.
Or il a porté une appréciation juridique sur la situation en partant du postulat que certaines charges sont toujours à la charge du preneur et d'autres toujours à la charge du bailleur.
Il appartiendra à la cour de rechercher et d'apprécier dans le rapport d'expertise les éléments techniques répondant à la mission qui lui a été confiée , ce rapport ne liant pas le juge .
- Sur le montant des charges à restituer à la société GUYENNE ET GASCOGNE :
La SCI KENNEDY TOURASSE soutient que l'intimée elle-même a reconnu être débitrice de charges, en s'acquittant spontanément depuis 20 ans des provisions appelées et des factures de solde des charges. Selon ses allégations, son adversaire ne peut en outre nier, au regard de ce même fait, ne pas avoir eu une parfaite connaissance de la liste des charges et de la clé de répartition.
En conséquence, la Sci Kennedy Tourasse demande l'homologation du rapport d'expertise, aux termes duquel elle est dite redevable de la somme de 125 264, 56 euros TTC, après répartition.
La société GUYENNE ET GASCOGNE soutient que l'expert ne pouvait pallier l'absence de clé de répartition dans le bail, en appliquant celle « des taxes foncières afférentes aux locaux loués » à toutes les charges de manière indifférenciée.
Au regard de ce qu'il précède, la société Guyenne et Gascogne sollicite le remboursement de l'intégralité des charges « d'utilisation des parties communes » qu'elle a réglées entre le 1er juillet 2011 et le 30 juin 2016, pour un montant total de 332 991, 06 euros TTC, puisque le montant retenu par l'expert a été calculé HT.
La loi Pinel du 18 juin 2014 et son décret d'application du 3 novembre 2014 portant atteinte à la liberté contractuelle pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 5 novembre 2014 ne s'applique pas puisque la tacite prolongation du bail commercial n'est pas un renouvellement comme cela a été rappelé par la jurisprudence. Le locataire ne peut pas se prévaloir en effet des articles L 145-40-2 et R 145-35 du code de commerce lorsque le bail a été conclu avant le 5 novembre 2014 et s'est poursuivi au-delà de cette date par prolongation tacite.
Avant la loi Pinel, la répartition des charges entre bailleurs et preneur dépendait exclusivement des stipulations contractuelles.
Il faut se référer aux dispositions de l'article 1134 alinéa premier du Code civil (dans sa version antérieure à la réforme de 2016) qui dispose que : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »
Il convient donc de se référer au bail initial conclu le 1er octobre 1996 renouvelé pour neuf ans le 16 janvier 2009 à compter du 1er janvier 2007 et par tacite reconduction depuis le 1er janvier 2016.
Ce bail prévoit en page 5 que le preneur « remboursera au bailleur les taxes foncières afférentes aux locaux présentement loués au prorata des surfaces louées au rez-de-chaussée soit environ 1370 m². »
Il n'y est indiqué aucun autre mode de répartition des charges locatives.
L'arrêt du 9 mai 2023 a bien précisé que le règlement intérieur modifié n'était pas opposable au preneur. Il a été fait droit à la demande de restitution des charges locatives présentées par la société GUYENNE ET GASCOGNE pour la période du 1er juillet 2011 au 30 septembre 2016 et du 1er octobre 2016 au 31 mars 2020.
L'expert conclut à un montant total des charges locatives payées par la Sas Guyenne et Gascogne de 277 695, 47 euros TTC. Ce montant n'est pas utilement contesté par les parties qui contestent uniquement le mode de répartition des charges auquel l'expert s'est livré.
La société Sas Guyenne et Gascogne estime que ce montant a en réalité été calculé hors taxe sans toutefois en rapporter la preuve.
C'est donc le montant des charges locatives payées par la SAS GUYENNE ET GASCOGNE tel qu'il figure en page 22 du rapport d'expertise qui sera retenu à hauteur de 277 695,47 ' compte tenu du calcul fait par l'expert repris dans les tableaux joints à ses observations récapitulant le montant TTC de l'ensemble des charges.
La société KENNEDY TOURASSE sera en conséquence condamnée à verser à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 277 695,47 ' correspondant au montant des charges locatives payées par celle-ci du 1er juillet 2011 au 30 juin 2020.
S'agissant du montant des sommes à restituer à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE au titre des taxes indûment perçues durant les années 2016 et 2020 la somme de 29 836,07 ' TTC devra être restituée au preneur comme l'admet à titre subsidiaire la société KENNEDY TOURASSE puisque le calcul a été fait par l'expert HT.
En effet l'expert a relevé que le bail aurait dû préciser expressément que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et les frais de gestion étaient dus par le bailleur et qu'à défaut de prévision expresse dans le bail « ces taxes et frais étaient dus par la preneuse alors qu'il n' est question que des taxes foncières sans autre précision ».
Les sommes remboursées à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE seront assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice du 16 août 2016 et il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, de droit lorsque les intérêts sont dus pour une année entière.
- Sur les demandes de la SAS GUYENNE ET GASCOGNE de règlement des charges afférentes aux parties communes indûment réglées pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2024, de sommes au titre des taxes foncières indûment réglées pour les années 2021 et 2022 et de remboursement de sommes pour la période courant à compter du 1er juillet 2024, à compter du 1er janvier 2023 en ce qui concerne la taxe foncière selon une clé de répartition non contractuelle :
La société GUYENNE ET GASCOGNE prétend qu'il ne s'agit pas là d'une demande nouvelle puisque cette demande est fondée sur des moyens exactement identiques à ceux déjà invoqués et constituent une simple actualisation de ses précédentes demandes. La circonstance que cette demande n' ait pas fait l'objet d'un examen par l'expert est inopérante puisqu'un tel examen ne peut évidemment pas être érigé en condition de recevabilité de cette demande.
La société KENNEDY TOURASSE conclut au rejet de ces demandes au motif que ces points ne faisaient pas partie de la mission impartie à l'expert , qu'une extension de mission aurait pu être sollicitée et que les demandes sont incohérentes alors qu'il est fait référence au règlement intérieur modifié à compter du 1er janvier 2018.
L'article 564 du code de procédure civile énonce qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger des questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d' un fait.
L'article 566 précise que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
La société GUYENNE ET GASCOGNE prétend présenter une demande additionnelle d'actualisation de sa créance.
Cependant cette demande s'inscrit dans un contexte de relations conflictuelles entre le bailleur et le preneur au sujet des charges locatives récupérables.
Le bail initial a été conclu le 1er octobre 1996 renouvelé le 16 janvier 2009 pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2007 et prolongé tacitement depuis le 1er janvier 2016.
Le 7 juin 2016, la société GUYENNE ET GASCOGNE a sollicité le renouvellement de son bail.
Cette demande est restée en suspens en état de la procédure en cours depuis plusieurs années concernant la contestation des charges locatives.
Par arrêt précité la cour de céans, confirmant le jugement déféré, a rejeté la demande de résiliation judiciaire du bail présentée par le bailleur.
Les dispositions antérieures à la loi PINEL de 2014 s'appliquent actuellement à ce bail dont le renouvellement, s'il est accepté par le bailleur, devra se faire suivant les modalités imposées par la loi PINEL.
Les demandes présentées n'apparaissent donc pas comme une simple actualisation de la créance mais supposent d'apprécier la situation des parties au regard de la demande de renouvellement de bail en cours, de trancher le litige sous d'autres aspects alors que le preneur sollicite dans le dispositif de ses conclusions le remboursement de : « toutes sommes le cas échéant réglées par elle au titre des charges afférentes aux parties communes pour la période courant à compter du 1er juillet 2024, au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, des frais de gestion de la fiscalité locale pour la période courant à compter du 1er janvier 2023 et de la taxe foncière selon une clé de répartition non contractuelle (autre que 1.370/3098) pour la période courant à compter du 1er janvier 2023.»
Outre leur imprécision, puisqu'il est mentionné des sommes réglées « le cas échéant », ces demandes ne présentent pas le même fondement que les demandes initiales et devront donc être considérées comme des demandes nouvelles irrecevables comme telles.
La somme de 5000 ' sera allouée à la société GUYENNE ET GASCOGNE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré,statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu l'arrêt du 9 mai 2023,
Vu l'expertise
Condamne la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 277 695,47 ' TTC au titre des charges locatives payées par celle-ci du 1er juillet 2011 au 30 juin 2020.
Condamne la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 29 836,07'TTC au titre des taxes foncières indûment réglées pour les années 2016 à 2020.
Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 16 août 2016.
Ordonne la capitalisation des intérêts
Déclare irrecevables les demandes nouvelles présentées devant la cour par la SAS GUYENNE ET GASCOGNE
Condamne la SCI KENNEDY TOURASSE à payer à la SAS GUYENNE ET GASCOGNE la somme de 5000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la SCI KENNEDY TOURASSE aux entiers dépens incluant le coût de l'expertise et autorise Me LIPSOS avocat au barreau de Pau à en poursuivre le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Catherine SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.