Livv
Décisions

CA Colmar, ch. 1 a, 9 avril 2025, n° 24/00366

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 24/00366

8 avril 2025

MINUTE N° 154/25

Copie exécutoire à

- la SELARL V² AVOCATS

- la SELARL ARTHUS

Le 09.04.2025

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 09 Avril 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 24/00366 - N° Portalis DBVW-V-B7I-IHE6

Décision déférée à la Cour : 13 Décembre 2023 par le Juge des loyers commerciaux du Tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

S.A. LA POSTE

prise en la personne de son repésentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie SPIESER de la SELARL V² AVOCATS, avocat à la Cour

INTIMEE :

S.C.I. LE YORKTOWN

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Loïc RENAUD de la SELARL ARTHUS, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme RHODE, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

En présence de Mme Manon JOLY, greffière stagiaire

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par actes des 5 janvier 2010 et 13 avril 2011, la SCI Le Yorktown a donné à bail commercial à la SA La Poste un ensemble de locaux composé d'un hall, de bureaux et de places de stationnement [Adresse 6] à [Localité 5], moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 534'000 '.

Un avenant du 19 octobre 2016 a modifié le montant du loyer et l'a fixé à 500 000 ' par an à compter du 1er janvier 2017, selon les mêmes conditions.

Le 18 juin 2019, la SCI Le Yorktown a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement au 1er janvier 2020, moyennant un loyer renouvelé de 599 360 '.

La SA La Poste a accepté le renouvellement, mais a proposé de fixer le loyer renouvelé à la valeur locative, selon expertise privée, à 479 000 '.

Aucun accord n'étant intervenu, la SA La Poste a fait signifier le 18 mai 2020 son mémoire préalable à la saisine du juge des loyers commerciaux qui a finalement été saisi et a autorisé l'assignation de la SCI Le Yorktown, selon ordonnance du 11 septembre 2020, pour l'audience du 18 novembre 2020.

Par jugement du 12 mai 2021, le juge des loyers commerciaux a déclaré la demande recevable et ordonné une expertise, en désignant pour ce faire Mme [U] [G], expert.

L'expert a déposé son rapport le 1er juillet 2022.

Par jugement rendu le 13 décembre 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg a':

'Rejeté l'exception de nullité du rapport d'expertise judiciaire de Mme [U] [G] ;

Fixé le loyer de renouvellement à la somme de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges à compter du 1er janvier 2020, toutes autres clauses, charges et conditions du bail demeurant inchangées ;

Condamné la SCI Le Yorktown à rembourser à la SA La Poste le montant payé en trop par cette dernière (qui excède la somme de la valeur locative de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges) depuis le 1er janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;

Ordonné la capitalisation des intérêts ;

Condamné la SCI Le Yorktown à payer à la SA La Poste la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné la SCI Le Yorktown aux dépens, y compris les frais d'expertise ;

Rejeté les autres demandes des parties.'

La SA La Poste a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 12 janvier 2024.

La SCI Le Yorktown s'est constituée intimée le 26 janvier 2024.

Dans ses dernières conclusions datées du 19 février 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SA La Poste demande à la cour de':

'Juger l'appel de la SA La Poste recevable et bien fondé,

Réformer le jugement rendu le 13 décembre 2023 par le tribunal judiciaire de Strasbourg en ce qu'il a :

- fixé le loyer de renouvellement à la somme de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges à compter du 1er janvier 2020,

- condamné la SCI Le Yorktown à rembourser à la SA La Poste le montant payé en trop par cette dernière (qui excède la somme de la valeur locative de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges) depuis le 1er janvier 2020,

- rejeté les autres demandes des parties,

Statuant à nouveau :

Fixer le loyer de renouvellement à la somme de 444 000 ' annuel hors taxe hors charges à compter du 1er janvier 2020, toutes autres clauses, charges et conditions du bail demeurant inchangées,

Condamner le bailleur, la SCI Le Yorktown, à rembourser à la SA La Poste le montant payé en trop par La SA La Poste (qui excède la somme de la valeur locative susvisée, à savoir 444 000 ' annuel hors taxe hors charges) depuis le 1er janvier 2020 avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2020 et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir,

A défaut de remboursement dans ce délai, autoriser la SA La Poste à déduire du montant des loyers à payer le montant payé en trop (qui excède la somme de la valeur locative susvisée, à savoir 444 000 ' annuel hors taxe hors charges) depuis le 1er janvier 2020 en y ajoutant les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2020,

Condamner la SCI Le Yorktown à payer à la SA La Poste les intérêts au taux légal sur le trop-perçu des loyers,

Ordonner la capitalisation des intérêts,

Juger que le dépôt de garantie devra être réajusté en considération du montant du loyer de renouvellement et que la SCI Le Yorktown devra restituer le trop-perçu à la SA La Poste dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir,

A défaut de remboursement dans ce délai, autoriser la SA La Poste à déduire du montant des loyers à payer le montant payé en trop au titre du dépôt de garantie,

Condamner la SCI Le Yorktown à payer à la SA La Poste la somme de 5 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la SCI Le Yorktown aux entiers frais et dépens d'appel,

Débouter la SCI Le Yorktown de l'ensemble de ses prétentions, fins, moyens et appel incident.'

Dans ses dernières conclusions datées du 7 mai 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SCI Le Yorktown demande à la cour de':

'Rejeter l'appel de la société La poste comme non fondé,

Confirmer le jugement du 13.12.2023 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamner la SCI La poste à payer à la SCI Yorktown la somme de 5 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux entiers frais et dépens.'

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 5 juillet 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 19 février 2025.

MOTIFS :

Sur le loyer du bail renouvelé :

L'article L145-33 du code de commerce dispose que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1° Les caractéristiques du local considéré ;

2° La destination des lieux ;

3° Les obligations respectives des parties ;

4° Les facteurs locaux de commercialité ;

5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments.

L'article R145-7 du code de commerce énonce que les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6. A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Aux termes de l'article R 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le preneur sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative.

Dès lors que le paiement de la taxe foncière est à la charge du bailleur, toute disposition contractuelle expresse contraire caractérise l'existence d'une obligation incombant normalement au bailleur dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire et constitue en conséquence un facteur de diminution de la valeur locative (Cass. 3ème civ. 8 févr. 2024, n° 22-24.268).

En l'espèce, le rapport d'expertise judiciaire, sur lequel se fondent les parties, conclut à une valeur locative au 1er janvier 2020 de 483'370 ' HC par an, ramenée à 444'000 ' HC et HT par an, après déduction de la taxe foncière d'un montant de 39'175 ' HT que les baux avaient mis à la charge du locataire.

Si la SA La Poste considère que le loyer doit être fixé à 444'000 ' HT et HC, comme l'a indiqué l'expert judiciaire, la SCI Yorktown estime, au contraire, que les clauses du bail sont particulièrement favorables au locataire et constituent une contrepartie au transfert du paiement de la taxe foncière au preneur.'

A ce titre, le bailleur entend se prévaloir des clauses aux termes desquelles':

- Il s'engage à ne pas louer d'autres locaux dans l'immeuble pour des activités concurrentes de celles de toute société appartenant au groupe de La Poste, pendant la durée du bail et ses 5 premiers renouvellements,

- Il s'engage à une obligation de confidentialité sur les modalités d'utilisation des locaux loués par le preneur,

- Il autorise, par dérogation à l'article L145-31 du code de commerce, la sous-location des locaux à toute filiale ou société du groupe La Poste et à toute entité légale dont La Poste serait membre, associée ou actionnaire,

- Il autorise librement le locataire à céder son bail à une société du groupe La Poste,

- Il autorise le preneur à réaliser ou faire réaliser tous travaux à l'intérieur des locaux loués et en particulier tous travaux nécessaires à son activité et/ou celle de son sous-locataire, à condition de se conformer pour la réalisation des travaux aux dispositions règlementaires et légales en vigueur,

- Il prend à sa charge les travaux de grosses réparations, de gros entretiens et de mise aux normes rendus obligatoires,

- Le preneur n'assumera pas les travaux de sécurité, d'hygiène et de mise en conformité avec toute règlementation et/ou législation actuelle et future de quelque nature que ce soit, notamment ceux prescrits et/ou imposés par les administrations compétentes.

A l'exception de la clause de non-concurrence, la cour ne relève aucune clause dérogatoire au droit commun stipulée au profit du locataire.

En effet, le preneur ne dispose pas de la faculté de céder le droit au bail librement, dans la mesure où cette cession est limitée au sein du groupe La Poste. Il en est de même de la faculté de sous-louer les locaux, puisqu'elle est également limitée au groupe La Poste.

Les clauses relatives à la répartition des travaux entre le bailleur et le preneur ne sont pas dérogatoires, puisqu'il résulte des articles 1719 et 1720 du code civil, d'une part, que le bailleur est tenu d'une obligation de délivrer, tout au long du contrat de bail, un local conforme à la destination stipulée par ledit contrat et, d'autre part, que les gros travaux sont à la charge du bailleur, la loi Pinel ayant seulement proscrit le transfert de cette charge au locataire aux termes de l'article R145-35 du code de commerce. En outre, la clause qui autorise le preneur à réaliser des travaux d'aménagement à l'intérieur des locaux est usuelle, étant relevé que le contrat stipule une clause d'accession sans indemnité en fin de jouissance au profit du bailleur.

La clause de confidentialité n'est pas non plus dérogatoire.

Au contraire, le statut des baux commerciaux n'impose aucune abstention de concurrence à la charge des parties, de sorte que la clause de non-concurrence sera valorisée à hauteur de 2 % de la valeur locative.

Par ailleurs, concernant les valeurs de référence, il sera relevé, d'une part, que l'expert judiciaire, dans une réponse à un dire, a indiqué que les montants recensés dans son tableau portent uniquement sur les loyers, hors application des charges et, d'autre part, que l'article R145-7 du code de commerce ne fait pas référence à l'article R145-8 du même code, relatif aux obligations respectives des parties, de sorte que le défaut d'équivalence s'apprécie uniquement au regard des caractéristiques des locaux, de la destination des lieux et des facteurs locaux de commercialité.

Enfin, la méthode de calcul consistant à déduire le montant de la taxe foncière de la valeur locative apparaît être, en l'espèce, la plus appropriée.

En conséquence, le loyer de renouvellement sera fixé à la somme de 452'880 ' (444'000 + (444'000 x 2 %)) annuel HT HC à compter du 1er janvier 2020 et la SCI Le Yorktown sera condamnée à rembourser à la SA La Poste, le montant qui excède la valeur locative susvisée, à savoir 452 880 ' annuel HT HC, depuis le 1er janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2020 et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.

Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, c'est à juste titre que le premier juge a prononcé la capitalisation des intérêts.

La demande présentée par la SA La Poste, tendant à faire juger qu'à défaut de remboursement dans le délai d'un mois, elle sera autorisée à déduire du montant des loyers à payer le montant payé en trop, s'analyse en une demande de compensation.

Or, la compensation entre deux dettes suppose leur exigibilité, de sorte que la décision déférée rejetant cette demande sera confirmée.

Sur le dépôt de garantie :

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En l'espèce, le contrat de bail stipule que 'En considération de la personne du preneur, aucun dépôt de garantie ne sera versé, ni aucune caution, garantie à première demande ou autre garantie de paiement des loyers exigée pour l'exécution des obligations du preneur aux termes du bail'.

Ainsi, la SA La Poste ne justifie pas du versement d'un dépôt de garantie, de sorte que la décision déférée rejetant sa demande de réajustement sera confirmée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant pour l'essentiel, la SCI Yorktown sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande, en outre, de mettre à la charge de la SCI Yorktown une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 1 500 euros au profit de la SA La Poste, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 13 décembre 2023 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg, en ce qu'il a':

- Fixé le loyer de renouvellement à la somme de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges à compter du 1er janvier 2020, toutes autres clauses, charges et conditions du bail demeurant inchangées ;

- Condamné la SCI Le Yorktown à rembourser à la SA La Poste le montant payé en trop par cette dernière (qui excède la somme de la valeur locative de 483 370 ' annuel hors taxe et hors charges) depuis le 1er janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe le loyer de renouvellement à la somme de 452 880 ' annuel hors taxe et hors charges à compter du 1er janvier 2020, toutes autres clauses, charges et conditions du bail demeurant inchangées,

Condamne la SCI Le Yorktown à rembourser à la SA La Poste le montant payé en trop par cette dernière (qui excède la somme de la valeur locative de 452'880 ' annuel hors taxe et hors charges) depuis le 1er janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2020 et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,

Condamne la SCI Yorktown aux dépens de l'appel,

Condamne la SCI Yorktown à payer à la SA LA Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SCI Yorktown de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière : le Président :

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site