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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 14 avril 2025, n° 24/03415

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Myzee Technology (SAS)

Défendeur :

Keolis (SA), Keolis Mobilites (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

Me Fonrouge, Me Reynaud, Me Raffy, Me Colin

T. com. Bordeaux, du 11 juin 2024, n° 20…

11 juin 2024

EXPOSE DU LITIGE :

1. La société par actions simplifiée Myzee Technology est spécialisée dans la création de solutions et d'applications mobiles appliquées aux transports en commun. Elle a ainsi développé une solution comprenant un système informatique de gestion des clients usagers des transports en commun, ainsi que les contrats associés de gestion des interfaces avec les systèmes tiers tels que la plate-forme de paiement et le système billettique.

La société anonyme Keolis [Localité 5] Métropole, filiale du groupe Keolis, a pour activité le transport public de voyageurs à [Localité 5]. Elle bénéficie d'un contrat de délégation exclusive de service public conclu le 19 novembre 2014 avec [Localité 5] Métropole, établissement public de coopération intercommunale qui regroupe 28 communes de la communauté urbaine de [Localité 5] et qui a notamment pour compétence l'organisation de la mobilité, qu'il s'agisse des infrastructures ou du plan de transports en commun au sein des 28 communes.

Par contrat du 1er août 2022, à effet au 1er janvier 2023, la société anonyme Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités (ci-après KB2M) , également filiale du groupe Keolis, a reçu délégation exclusive du service public de transports en commun par l'EPCI [Localité 5] Métropole.

Un contrat de services SaaS (Software-as-a-Service) a été conclu le 7 février 2019 pour une durée de deux années entre Keolis [Localité 5] Métropole (KBM) et la société Myzee Technology (Myzee).

Trois avenants ont été successivement conclus afin de modifier la date d'échéance du contrat ; le dernier, en date du 27 octobre 2022, a prolongé le contrat de services SaaS jusqu'au 30 juin 2023 et a transféré à la société KB2M le contrat initialement conclu entre les sociétés Myzee et KBM.

En septembre 2022,la société KBM (pour le compte de KB2M, futur délégataire) a lancé un appel d'offres afin de sélectionner le prestataire de ce système pour le futur contrat de délégation de service public 2023-2030.

La société Myzee a répondu à l'appel d'offres. Toutefois, sa proposition n'a pas été retenue, ce dont elle a été informée le 23 novembre 2022, la société Keolis l'invitant alors à lui transférer les données clients en excipant de l'article 12.6 du contrat 'garantie de réversibilité'.

La société Myzee a déposé le 26 mai 2023 un brevet portant sur son procédé de validation à distance de titres de transports, notamment sur téléphones mobiles.

Elle en a informé les sociétés Keolis afin de prévenir l'usage contrefaisant de ce brevet. Une transaction est intervenue le 29 juin 2023, qui permettait notamment la prolongation du contrat jusqu'au 30 juin 2024, sous certaines conditions selon la société Keolis, ce qui est discuté par la société Myzee.

Un différend est apparu entre les parties sur la migration des données clients et le principe de la fin du contrat au 31 décembre 2023 ou de son maintien jusqu'au 30 juin 2024.

2. Une procédure en référé d'heure à heure a alors été engagée par les sociétés KBM et KB2M devant le tribunal de commerce de Bordeaux, autorisées à cet effet par ordonnance présidentielle du 17 janvier 2024.

Par ordonnance du 27 février 2024, rectifiée par une deuxième ordonnance du 19 mars suivant, le juge des référés a ordonné la restitution des données clients sous astreinte de 2.000 euros par jour, passé 8 jours après signification de l'ordonnance, pendant un délai d'un mois, et s'est réservé la liquidation de l'astreinte.

Par assignation délivrée le 16 avril 2024, les sociétés KBM et KB2M ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux en liquidation de cette astreinte.

Par ordonnance prononcée le 11 juin 2024, le juge des référés a statué ainsi qu'il suit :

- déboutons la société Myzee Technology de sa demande d'incompétence au profit du tribunal judiciaire de Paris ;

- déboutons la société Myzee Technology de sa demande d'incompétence et de litispendance au profit de la cour d'appel de Bordeaux ;

- déboutons la société Myzee Technology du surplus de ses demandes ;

- liquidons l'astreinte prononcée dans l'ordonnance du 27 février 2024 et condamnons la société Myzee Technology à régler à la société Keolis [Localité 5] Métropole et à la société Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités une somme provisionnelle de 62'000 euros ;

- prononçons une nouvelle astreinte de 2 000 euros par jour, passé 8 jours après signification de la présente ordonnance, pendant un délai d'un mois ;

- condamnons la société Myzee Technology à régler à la société Keolis [Localité 5] Métropole et à la société Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités une somme de 2 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamnons la société Myzee Technology aux dépens.

La société Myzee a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 juillet 2024.

Les sociétés KBM et KB2M ont formé un appel incident.

La société Myzee a bénéficié, par jugement du 19 juillet 2024 du tribunal de commerce de Brive-La-Gaillarde, de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ; la société BTSG2 a été nommée en qualité de mandataire judiciaire.

L'appelante a assigné la société BTSG2 en intervention forcée le 8 novembre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

3. Par dernières conclusions communiquées le 9 janvier 2025, la société Myzee Technology demande à la cour de :

Vu la déclaration d'appel déposée par Myzee Technology le 14 mars 2024 ;

Vu les différents avenants au contrat et la clause compromissoire y insérée ;

Vu l'article 1103 du code civil ;

Vu le jugement du tribunal de commerce de Brive en date du 19 juillet 2024, prononçant l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de la société Myzee Technology ;

Vu le jugement du tribunal de commerce de Brive en date du 04 octobre 2024, prononçant la poursuite de la procédure de sauvegarde de la société Myzee Technology ;

Vu les articles L. 622-21 et L. 622-22 du Code de commerce ;

Vu les articles 14, 15, 16, 46, 48, 100, 102, 455, 561, 564 à 567 et 873 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions d'intimées des sociétés Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités régularisées devant la cour d'appel de Bordeaux (R.G. n°24/01325) ;

Vu l'assignation en intervention forcée du mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Myzee Technology,

Vu la décision n°2024-073 de l'Autorité de Régulation des Transports du 15 octobre 2024, portant règlement du différend opposant Myzee Technology à [Localité 5] Métropole et À Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, concernant la délivrance des titres des services de transport en commun du réseau TBM,

Vu les articles L. 1110-1 et suivants du code des transports ;

Vu les articles L. 131-1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

Sur la procédure, est demandé à la Cour, statuant en référé, de bien vouloir :

- rendre commun et opposable l'arrêt à intervenir à la S.C.P. BTSG², prise en la personne de Maître [O] [M], ès qualité de mandataire judiciaire à la sauvegarde de la société Myzee Technology ;

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance prononcée le 11 juin 2024 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux, à raison de son incompétence pour statuer, et en conséquence renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Paris,

- dire n'y avoir lieu à référé sur toutes les prétentions financières des sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités ;

Subsidiairement, est demandé à la cour de bien vouloir infirmer l'ordonnance prononcée le 11 juin 2024 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'elle a :

- liquidé l'astreinte provisoire à la somme de 62'000 euros et condamné la société Myzee Technology à payer, à titre de provision, cette somme aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités ;

- prononcé une nouvelle astreinte de 2'000 euros par jour, passé un délai de huit jours après la signification de l'ordonnance du 11 juin 2024, pendant un délai d'un mois ;

- condamné la société Myzee Technology à payer, à chacune, une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités ;

- débouté la société Myzee Technology de toutes autres prétentions ;

- condamné la société Myzee Technology aux dépens de l'instance ;

Plus subsidiairement, est demandé à la Cour que l'astreinte provisoire ordonnée le 27 février 2024 soit liquidée à la somme d'un euro.

En toute hypothèse,

- débouter les sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités de toutes prétentions plus amples ou contraires.

Y ajoutant, sur les demandes incidentes :

- rejeter toutes demandes des sociétés Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités en liquidation de la nouvelle astreinte prononcée en référé le 11 juin 2024 (R.G. n°2024/R 00478) par le président du tribunal de commerce de Bordeaux ;

- enjoindre aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, prises in solidum, de diffuser à chaque utilisateur de l'application numérique 'TBM' inscrit à sa newsletter un courriel similaire à celui du 23 juin 2023, exactement présenté comme suit :

[...]

- assortir cette injonction de faire aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, prises in solidum, d'une astreinte provisoire de 100 euros (cent euros) par jour de retard et par diffusion manquante ou incomplète, passé un délai de quinze jours, postérieurement à la signification de l'arrêt à intervenir, et ce pour une durée de six mois ;

- réserver à la Cour le pouvoir de liquider cette astreinte ;

- dire que la publicité donnée par les sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités à leur différend contractuel avec la société Myzee Technology caractérise un trouble manifestement illicite, notamment au regard des stipulations contractuelles toujours en vigueur entre les parties ;

- enjoindre aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, prises in solidum, de publier dans un organe de presse écrite d'informations générales d'envergure régionale (Nouvelle Aquitaine), et dans un organe de presse écrite d'informations générales d'envergure nationale, à leurs frais exclusifs, le dispositif de l'arrêt à intervenir ;

- assortir cette injonction de faire aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, prises in solidum, d'une astreinte provisoire de 2 000 euros (deux mille euros) par jour de retard par publication manquante ou incomplète, passé un délai de quinze jours, postérieurement à la signification de l'arrêt à intervenir, et ce pour une durée de six mois ;

- réserver à la Cour le pouvoir de liquider cette astreinte ;

- enjoindre aux sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités de cesser toute divulgation publique d'informations relatives à son ancienne relation contractuelle avec la société Myzee Technology, notamment par tous médias (presse écrite, presse Internet, radio, télévision, réseaux sociaux) ;

- assortir cette injonction de faire d'une astreinte provisoire de 15 000 euros (quinze mille euros) par infraction constatée postérieurement à la signification de l'arrêt à intervenir ;

- réserver à la Cour le pouvoir de liquider cette astreinte ;

- condamner les sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités à payer chacune à la société Myzee Technology une somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner les sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités, prises in solidum, à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de constats de remises des clefs cryptées et du mot de passe, et les frais de remises des documents afférents.

***

4. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 13 janvier 2025, et signifiées à la société BTSG² non constituée le 15 janvier 2025, les sociétés Keolis [Localité 5] Métropole et Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités demandent à la cour de :

Vu les articles L 131-3 et suivants du code des procédures civiles d'exécution

Vu les pièces visées

Vu la jurisprudence citée

Vu l'ordonnance du 11 juin 2024

- juger recevable l'instance pendante en dépit de la sauvegarde ouverte au bénéfice de la société Myzee

- confirmer la décision du président du tribunal de commerce de Bordeaux du 11 juin 2024 en ce qu'elle a :

- rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par Myzee,

- s'est déclarée compétente,

- rejeté la demande de litispendance soulevée par Myzee,

- liquidé l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 27 février 2024 à la somme de 62 000euros,

- condamné la société Myzee à payer à KBM et KB2M la somme de 62 000 euros,

- condamné la société Myzee à KBM et KB2M la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- infirmer en ce qu'elle a prononcé une nouvelle astreinte de 2 000 euros par jour, passé 8 jours après signification de la présente ordonnance, pendant un délai d'un mois.

statuant à nouveau

- fixer le montant de l'astreinte initial au passif de la société Myzee

- prononcer une nouvelle astreinte à compter du 14 avril 2024 d'un montant de 3 000 euros par jour de retard jusqu'au 10 juin 2024 et la liquider.

- fixer le montant de cette nouvelle astreinte au passif de la société Myzee

En tout état de cause,

- juger irrecevables les demandes incidentes de Myzee tendant à :

o enjoindre sous astreinte les concluantes à diffuser à chaque utilisateur un message

o enjoindre sous astreinte les concluantes à publier le dispositif de l'arrêt au visa d'un prétendu trouble manifestement illicite

o enjoindre sous astreinte les concluantes les prétendues divulgations publiques invoquées

- débouter en tout état de cause Myzee de ses demandes incidentes

- condamner la société Myzee à verser à KBM et KB2M la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et fixer au passif de la société Myzee,

- condamner la société Myzee aux dépens.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 janvier 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

In limine litis, sur la compétence de la juridiction saisie

5. La société Myzee soutient que le tribunal de commerce était incompétent en application de la clause attributive de juridiction prévue au contrat, de l'effet dévolutif de l'appel, et d'une exception de litispendance.

Elle précise que le litige initial étant indivisible avec la présente instance, il doit être fait application des stipulations des avenants au contrat prévoyant la compétence du tribunal judiciaire de Paris ; que l'exécution du contrat litigieux entre dans l'objet de la transaction ; que l'objet du litige est la restitution des données.

L'appelante affirme que les sociétés Keolis ne pouvaient pas solliciter en référé devant le premier juge la liquidation d'astreinte dont la cour d'appel de Bordeaux était déjà saisie par l'effet dévolutif de l'appel et par voie de leurs conclusions ; que les intimées ayant déjà sollicité, dans le cadre d'une instance d'appel, la liquidation de l'astreinte par la cour, le tribunal de commerce aurait dû se dessaisir en application des articles 100 et 102 du code de procédure civile ; que la litispendance entre deux juridictions de degré différent doit nécessairement conduire le juge de degré inférieur à se dessaisir au profit de la juridiction de degré supérieur.

6. Les sociétés Keolis répliquent que le tribunal de commerce était compétent territorialement conformément aux articles 42 à 46 du code de procédure civile ; que dès lors que le tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour prononcer une astreinte et s'est réservé la faculté de la liquider, il est donc nécessairement compétent pour le faire ; que le contrat du 7 février 2019 donne compétence aux juridictions de [Localité 5] ; que la présente instance est sans lien avec le brevet déposé par l'appelante, de sorte que la clause attributive de compétence prévue dans la transaction du 29 juin 2023 est inapplicable ; que, au surplus, le Président du tribunal judiciaire de Paris s'est déclaré incompétent territorialement dans son ordonnance du 1er juillet 2024.

Les intimées affirment que les demandes dont est saisie la cour sur appel de l'ordonnance du 27 février 2024 ne concernent pas la liquidation de l'astreinte, mais son prononcé ; qu'elles n'ont pas formulé de demande additionnelle et spécifique de liquidation d'astreinte lui donnant compétence.

Les sociétés Keolis soutiennent qu'il n'y a pas litispendance faisant valoir que les parties et les demandes ne sont pas les mêmes, et que les juridictions saisies ne sont pas de même degré.

Sur ce,

7. Le premier alinéa de l'article 42 du code de procédure civile indique :

« La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.»

En vertu du premier alinéa de l'article 46 du même code, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.

L'article L.131-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose :

« L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.»

Selon l'article 100 du code de procédure civile, si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office.

8. L'article 27 du contrat de service SaaS conclu le 7 février 2019 stipule :

« Le présent Contrat est régi par le droit français. (...)

En cas de différend relatif à la validité, l'interprétation, l'exécution ou l'inexécution, l'interruption ou la résiliation du Contrat, les Parties conviennent de se rapprocher et de tenter de trouver une solution amiable à leur litige dans un délai de trente (30) jours calendaires à compter d'une notification adressée par une Partie à l'autre Partie.

En cas d'échec dans la recherche d'une solution amiable à l'issue de cette période, tout différend relatif à l'interprétation, la validité, et ou l'exécution du Contrat sera soumis aux tribunaux compétents de [Localité 5], y compris en cas de pluralité de défendeurs ou appel en garantie, pour les procédures tendant obtenir des mesures d'urgence ou conservatoires, en référé ou sur requête.»

Les avenants n°1, 2 et 3 précisent, in fine et dans les mêmes termes :

« Toutes les autres clauses du Contrat demeurent applicables tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions contenues dans le présent Avenant, lesquelles prévalent en cas de conflit de dispositions.

Le présent Avenant est régi par le droit français.

Toute difficulté liée à son interprétation ou à son exécution sera soumise aux Tribunaux de Paris, auquel les Parties accordent compétence exclusive, nonobstant la pluralité de défendeurs ou appel en garantie.»

9. Il doit être relevé que la stipulation finale des avenants, formulée au singulier, n'envisage donc la compétence des tribunaux de Paris que pour un litige relatif à l'interprétation ou l'exécution du seul avenant au pied duquel a été portée cette clause d'attribution.

10. Le tribunal de commerce de Bordeaux était donc territorialement compétent.

11. Il est par ailleurs constant en droit que le juge des référés a seul le pouvoir de liquider l'astreinte qu'il prononce, dès lors qu'il se l'est expressément réservé et que l'instance en liquidation de l'astreinte n'est que la suite de celle ayant conduit à son prononcé.

En l'espèce, le juge des référés, dans son ordonnance du 27 février 2024, s'est expressément réservé la liquidation de l'astreinte qu'il avait prononcée.

Saisie sur appel de cette ordonnance, la cour pouvait certes liquider cette astreinte en raison des pouvoirs qu'elle détient de l'effet dévolutif de l'appel tel que défini à l'art. 561 du code de procédure civile.

Toutefois, il apparaît que la cour, qui n'est par ailleurs pas une juridiction de même degré que le tribunal de commerce, n'était pas saisie de la liquidation de l'astreinte prononcée le 27 février 2024, aucune demande additionnelle en ce sens ne lui ayant été présentée.

12. Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté les exceptions d'incompétence et de litispendance opposées par la société Myzee.

Sur la demande de liquidation de l'astreinte

13. La société Myzee fait valoir que le tribunal de commerce de Brive a ouvert une procédure de sauvegarde à son bénéfice le 19 juillet 2021, que la période d'observation a été maintenue par jugement du 4 octobre 2024 ; que le mandataire judiciaire a été attrait à la procédure le 8 novembre 2024 ; que les intimées ont déclaré leurs créances.

L'appelante soutient que toute demande en paiement est devenue irrecevable depuis l'ouverture de la procédure de sauvegarde à son bénéfice, en application de l'article L. 622-22 alinéa 1er du code de commerce, et qu'il en est de même des demandes des intimées tendant à fixer une nouvelle astreinte, à la faire liquider et à la faire fixer au passif de la procédure collective.

14. Les sociétés Keolis répondent que l'ordonnance dont appel ne tend pas au paiement d'une somme d'argent mais à une obligation de faire assortie d'une astreinte ; que la procédure de sauvegarde n'empêche par la fixation d'une nouvelle astreinte ; que les demandes tendant à la condamnation de la société Myzee à une obligation de faire, y compris celle prononçant une astreinte pour en assurer l'exécution, sont parfaitement recevables et que ces actions ne sont pas concernées par la règle de l'interruption des instances.

Les intimées affirment que la liquidation d'astreinte emporte pour son bénéficiaire, quel que soit le juge qui la liquide, un droit de créance certain, liquide et exigible, que la portée des décisions rendues en matière d'astreinte transcende la qualité du juge qui la rend.

Sur ce,

15. L'article L.622-21 du code de commerce dispose :

« I.-Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

II.-Sans préjudice des droits des créanciers dont la créance est mentionnée au I de l'article L. 622-17, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.

III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus (...)»

L'article L.622-22 du même code précise que, sous réserve des dispositions de l'article L.625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

16. Il est constant en droit que l'action tendant à la liquidation d'une astreinte prononcée par une décision antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective et l'action en condamnation au paiement de l'astreinte liquidée tendent à obtenir de la juridiction saisie une décision définitive sur l'existence et le montant de la créance ; qu'elles sont donc soumises au principe de l'arrêt des poursuites imposé à l'article L.622-21 du code de commerce puisqu'il s'agit de demandes en condamnation à paiement de sommes d'argent.

Néanmoins, la cour statue en l'espèce en qualité de juge des référés.

Or il est également constant en droit que l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, au sens du second de ces textes, de sorte qu'une cour d'appel, statuant sur l'appel formé par ce dernier contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le premier texte susvisé.

Il en résulte que seul le juge-commissaire a désormais le pouvoir de statuer sur la déclaration de créance.

17. En conséquence, ainsi que le fait valoir à juste titre la société Myzee, la demande des sociétés Keolis en paiement d'une provision est irrecevable, ce par application des dispositions de l'article L.622-21 du code de commerce, et la cour infirmera l'ordonnance entreprise et dira n'y avoir lieu à référé.

Sur la demande incidente de la société Myzee

18. La société Myzee affirme qu'en présence d'un trouble manifestement illicite au regard du contrat et de la décision récemment rendue par l'Autorité de Régulation des Transports, elle est fondée à solliciter des mesures contraignantes envers les intimées pour prévenir le péril imminent menaçant son existence et demande en conséquence à la cour de faire injonction aux sociétés Keolis de publier dans la presse et à leurs frais le dispositif de l'arrêt à intervenir et de diffuser par courriels aux utilisateurs de l'application TBM un message similaire à ceux de juin 2023 ou mars 2024, sous astreinte.

L'appelante affirme que la décision de l'Autorité de Régulation des Transports du 15 octobre 2024 est un élément nouveau car postérieur à l'ordonnance dont appel, que ses demandes présentent un lien suffisant avec l'instance étant accessoire à la défense de ses intérêts légitimes et qu'elle n'a jamais formée cette demande devant une autre juridiction.

19. Les sociétés Keolis soutiennent que les demandes de la société Myzee sont irrecevables comme nouvelles et ayant un objet différent de celui des prétentions antérieures, conformément aux articles 564 à 566 du code de procédure civile, qu'elle n'a pas de liens suffisants avec la présente instance, et qu'en outre, la décision de l'Autorité de Régulation des Transports ne caractérise ni un trouble manifestement illicite, ni un péril imminent et, partant, ne constitue pas un fait nouveau en lien avec la présente instance.

Les intimées ajoutent que l'appelante est également irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, ayant déjà porté ces demandes devant une autre juridiction, et pour défaut de liens suffisants, conformément aux articles 70 et 122 du code de procédure civile.

Elles concluent que ces demandes de la société Myzee se heurtent à des contestations sérieuses puisque les décisions de l'Autorité de Régulation des Transports sont publiées, qu'il y a un risque de double condamnation ou de contradiction dans les décisions, les demandes ayant été formulées sous différentes variations et devant différentes juridictions, et que la décision de l'Autorité de Régulation des Transports ne caractérise aucune faute ou manoeuvre des sociétés Keolis.

Sur ce,

20. Selon l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En vertu des articles 63 et 70 du même code, les demandes incidentes ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

21. En l'espèce, le juge des référé a été saisi par une assignation des sociétés Keolis et des demandes présentées oralement tendant à la liquidation de l'astreinte prononcée le 27 février 2024 et, en conséquence à la condamnation de la société Myzee -alors in bonis- au paiement de la somme provisionnelle de 62.000 euros, enfin au prononcé d'une nouvelle astreinte afin de contraindre l'assignée à leur transférer les données clients litigieuses.

Ici, la société Myzee réclame qu'il soit enjoint, sous astreinte, aux sociétés Keolis de procéder à diverses publications par voie dématérialisée et par presse écrite et de cesser toute divulgation publique d'informations relatives à leurs anciennes relations contractuelles avec la société Myzee.

22. Ces demandes portent sur des obligations de faire qui sont sans lien avec l'éventuelle liquidation d'une astreinte pour manquement à l'injonction de restitution des données clients appartenant aux sociétés Keolis.

23. Elles sont donc irrecevables.

24. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de l'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt rendu par défaut en dernier ressort,

Rejette les exceptions d'incompétence et de litispendance présentées par la société Myzee Technology.

Déclare irrecevable la demande de la société Myzee Technology en injonctions de faire sous astreinte,

Infirme l'ordonnance prononcée le 11 juin 2024 par le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux.

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande principale de la société Keolis [Localité 5] Métropole et de la société Keolis [Localité 5] Métropole Mobilités.

Déboute les parties de leur demandes respectives formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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