CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 11 avril 2025, n° 22/12795
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Barriere, Me Rivalan, Me Rozes, AARPI Sherpa Avocats
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société à responsabilité limitée [6], dénommée [12] depuis le 15 juillet 2019, est immatriculée au RCS de Besançon depuis le 11 octobre 2005 et gérée par M. [D] [I]. Depuis sa création et jusqu'en 2019, elle a exploité un magasin de produits biologiques en qualité de membre du réseau [5], sous le nom de « [6] ».
La société [5] est une société coopérative à forme anonyme et à capital variable constituant un réseau de distribution de produits alimentaires biologiques en magasins spécialisés. Son réseau regroupait plus de 700 magasins indépendants au 1er janvier 2022.
À la suite de trois courriers de salariés, dont un anonyme, la commission régionale d'Évaluation des Engagements Sociétaires (EES) de la société [5] a décidé, par lettre du 11 juin 2018, d'effectuer un audit social ainsi qu'un audit hygiène au sein du magasin [6], puis, à la lumière des résultats des audits, de transmettre le dossier au conseil d'administration afin de mettre en 'uvre une procédure d'exclusion.
Par courrier du 29 janvier 2019, la société [5] a informé la société [6] de ce que son conseil d'administration engageait à son encontre la procédure d'exclusion prévue à l'article 12 des statuts, motifs pris de manquements aux règles d'hygiène et sécurité et en matière sociale.
Aux termes de sa réunion du 12 février 2019, le conseil d'administration a décidé d'exclure la société [6] du réseau [5] à compter du 19 mars 2019.
La société [6] en a été informée par courrier du président du conseil d'administration du 14 février 2019, a relevé appel de cette décision auprès du Comité et sollicité simultanément une médiation en application du règlement intérieur de la société [5]. Cette dernière a refusé la médiation et par procès-verbal du 21 mai 2019, le comité d'appel a confirmé la procédure d'exclusion à effet du 20 mai 2019, jugeant sérieux et légitime le motif d'exclusion.
Contestant la mesure d'exclusion prise à son encontre ainsi que sa régularité, la société [12] anciennement dénommée la société [6] a, par acte du 17 décembre 2020, assigné la société [5] devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir la nullité de la décision d'exclusion et l'indemnisation du préjudice subi.
Par jugement du 22 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la SARL [12] de sa demande de nullité de la décision d'exclusion,
- dit que la SA [5] a commis une faute en prononçant l'exclusion de la SARL [12] anciennement dénommée [6],
- condamné la SA [5] au paiement de 122.189 euros au titre du préjudice financier avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- condamné la SA [5] au paiement de 3.466 euros au titre du préjudice matériel avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- débouté la SARL [12] anciennement dénommée [6] de sa demande concernant l'indemnisation des frais engagés avec le cabinet [4],
- condamné la SA [5] au paiement de la somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- condamné la SA [5] au paiement de 30.000 euros au titre du préjudice de réputation avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- débouté la SARL [12] anciennement dénommée [6] de sa demande au titre de perte de valeur du fonds de commerce,
- condamné la SA [5] au paiement de la somme de 125.689,72 euros au titre de remboursement de la capitalisation,
- ordonné à la SA [5] de communiquer à la SARL [12] anciennement dénommée [6] un projet d'acte de cession portant sur la part sociale détenue par la SARL [12] anciennement dénommée [6] dans un délai de 30 jours après la signification du présent jugement, et astreinte de 100 euros, par jour de retard pendant au plus 60 jours,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraire,
- condamné la SA [5] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 11.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a débouté la société [12] de sa demande de nullité de la décision d'exclusion, faute de démonstration d'une violation d'une disposition impérative du droit des sociétés ou des lois qui régissent les contrats, mais il a estimé que cette décision d'exclusion était fautive en l'absence de motivation et alloué en réparation diverses indemnités mises à la charge de la société [5].
Par déclaration du 7 juillet 2022, la SA [5] a relevé appel du jugement.
Par dernières conclusions n°4 remises au greffe et notifiées le 20 octobre 2023, la société [5] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu le 22 juin 2022 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
dit que la SA [5] a commis une faute en prononçant l'exclusion de la SARL [12],
condamné la SA [5] au paiement de 122.189 euros au titre du préjudice financier avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
condamné la SA [5] au paiement de 3.466 euros au titre du préjudice matériel avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
condamné la SA [5] au paiement de la somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
condamné la SA [5] au paiement de 30.000 euros au titre du préjudice de réputation avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraire (mais uniquement en ce qu'il déboute la SA [5] de ses demandes),
condamné la SA [5] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 11.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- statuant à nouveau, à titre principal, de dire et juger que la décision d'exclusion prise par le conseil d'administration de la coopérative [5] et notifiée à la société [12] par lettre du 14 février 2019, ensuite confirmée par le comité d'appel interne le 21 mai 2019, ne souffre pas d'une « absence de motivation » et est fondée ;
- de débouter la société [12] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- à titre subsidiaire, de dire et juger que la société [12] ne rapporte pas la preuve des préjudices allégués, qui seraient en lien de causalité direct et certain avec la prétendue faute de la coopérative [5] ;
- de débouter la société [12] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, en ce compris sa demande subsidiaire d'expertise portant sur son prétendu préjudice financier ;
- en tout état de cause, de dire et juger irrecevable, à défaut mal fondée, la société [12] en son appel incident ;
- de l'en débouter et confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [12] de sa demande de nullité la décision d'exclusion prise par le conseil d'administration de la coopérative [5] et notifiée à la société [12] par lettre du 14 février 2019 ensuite confirmée par le comité d'appel interne le 21 mai 2019 comme en ce qu'il a débouté la société [12] au titre de ses prétentions relatives aux frais engagées à l'égard du cabinet [4] et au titre de la perte de valorisation de son fonds de commerce ;
- de débouter la société [12] de ses demandes au titre des frais irrépétibles et dépens ;
- de condamner la société [12] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées le 9 octobre 2023, la SARL [12] anciennement dénommée [6], demande à la cour :
- de dire et juger la société [5] mal fondée en son appel ;
- en conséquence, de débouter la société [5] de sa demande tendant à l'irrecevabilité de l'appel incident de la société [12] ;
- de débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes, comme mal fondées ;
- de confirmer le jugement en ce que le tribunal a dit que la société [5] a commis une faute en prononçant l'exclusion de la société [12], anciennement dénommée [6] ;
- de dire et juger la société [12] recevable et bien fondée en son appel incident ;
- en conséquence et infirmant le jugement, de prononcer la nullité de la décision d'exclusion adoptée le 14 février 2019 par le conseil d'administration de la Coopérative [5] et des actes subséquents, en ce compris notamment la décision de confirmation du comité d'appel ;
- de donner injonction à la société [5] de produire à la présente instance toutes les fiches d'auto-évaluation et tous les audits externes de la société [6] effectués tous les deux ans depuis l'intégration de cette dernière en novembre 2005 ;
- de ramener les condamnations de la société [5] au paiement de la société [12] aux sommes suivantes :
543.060 au lieu des 122.189 retenus par le tribunal à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier,
5.159,95 euros au lieu des 3.466 euros retenus par le tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi,
300.000 euros au lieu de 40.000 euros retenus par le tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
80.000 euros au lieu des 30.000 euros retenus par le tribunal à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de réputation subi ;
- de condamner La société [5] au paiement des sommes de :
10.000 euros au titre des frais engagés pour la participation au groupe de travail Bien-être et performance au travail encadrée par la société [4],
240.400 euros au titre de la perte de valorisation du fonds de commerce de la société [12] du fait de son exclusion abusive ;
- d'ordonner l'application de l'intérêt légal sur ces sommes à compter du 17 décembre 2020, date de délivrance de l'assignation et la capitalisation des intérêts ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner la nomination de tel expert qu'il plaira à la cour, aux frais de la société [5], avec pour mission d'évaluer les préjudices subis par la société [12] du fait de son exclusion abusive du réseau [5] ;
- de condamner la société [5] au paiement de 250.000 euros à valoir sur son préjudice ;
- de condamner la coopérative [5] au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 mars 2024.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'appel incident
La société [5] soutient que la société [12] est irrecevable en son appel incident faute par elle d'énoncer les chefs du jugement critiqués dans le dispositif de ses conclusions et demande à la cour de confirmer le chef du jugement la déboutant de sa demande de nullité de la décision d'exclusion. La société [5] explique que [12] limite son appel à sa demande de « prononcer la nullité de la décision d'exclusion adoptée le 14 février 2019 par le conseil d'administration de la Coopérative [5] et des actes subséquents, en ce compris notamment la décision de confirmation du comité d'appel », qu'elle forme par ailleurs une demande incompatible de « confirmer le jugement en ce que le tribunal a dit que la société [5] a commis une faute en prononçant (son) exclusion » et ne critique pas le chef du jugement la condamnant à rembourser une somme de 125 689,72 euros au titre de la capitalisation, et que par ailleurs, sa sortie définitive du capital social de la coopérative [5] a été définitivement entérinée par la signature d'un acte entre les parties le 14 septembre 2023.
La société [12] indique qu'elle avait déjà formulé une demande en nullité de la décision d'exclusion en première instance bien que les parties se soient accordées sur le remboursement de la capitalisation, que sa demande de nullité ne tend pas à sa réintégration dans le réseau [5], que l'accord des parties sur la capitalisation, leurs différends et sa sortie définitive du capital y font obstacle et qu'elle est bien fondée à se prévaloir à la fois des fautes commises par la coopérative [5] au cours de la procédure d'exclusion et à solliciter la nullité de cette dernière.
Sur ce,
L'article 909 du code de procédure civile prévoit que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
L'article 542 du code de procédure civile dispose que l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable au jour de la déclaration d'appel, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent et la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Il en découle qu'à défaut de mention expresse des chefs de jugement qui sont critiqués, l'appel est dépourvu d'effet dévolutif.
En vertu de l'article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. (') La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable au jour de la déclaration d'appel, que la partie qui entend voir infirmer un chef de jugement qu'elle critique doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel.
L'appel incident n'étant pas différent de l'appel principal par sa nature ou son objet, le respect de la diligence impartie par l'article 909 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération des prescriptions des articles 562 et 954, si bien que les conclusions de l'appelant incident doivent déterminer, outre l'objet du litige porté devant la cour, l'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel dans les conditions fixées par l'article 954 du code de procédure civile, notamment l'énoncé des chefs de jugement critiqués.
En l'espèce, les conclusions notifiées le 22 décembre 2022 par lesquelles la société [12] a entendu former appel incident sont libellées en ces termes :
« - DIRE ET JUGER la Société [5] mal fondée en son appel,
En conséquence,
- DEBOUTER la Société [5] de l'ensemble de ses demandes, comme mal fondées,
- CONFIRMER le Jugement en ce que le Tribunal a dit que la Société [5] a commis une faute en prononçant l'exclusion de la Société [12], anciennement dénommée [6],
- DIRE ET JUGER la Société [12] recevable et bien fondée en son appel incident,
En conséquence,
infirmant le Jugement,
- PRONONCER la nullité de la décision d'exclusion adoptée le 14 février 2019 par le Conseil d'administration de la Coopérative [5] et des actes subséquents, en ce compris notamment la décision de confirmation du Comité d'appel,
- DONNER INJONCTION à la Société [5] de produire à la présente instance tous les résultats des auto-évaluations puis par la suite des audits externes de la Société [6] effectués depuis l'intégration de cette dernière au réseau [5] en novembre 2005,
- RAMENER les condamnations de la Société [5] au paiement de la Société [12] aux sommes suivantes :
' 543.060,00 ' au lieu des 122.189,00 ' retenus par le Tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier,
' 5.159,95 ' au lieu des 3.466,00 ' retenus par le Tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation préjudice matériel subi,
' 300.000,00 ' au lieu des 40.000,00 ' retenus par le Tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
' 80.000,00 ' au lieu des 30.000,00 ' retenus par, le Tribunal, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de réputation subi,
- CONDAMNER la Société [5] à payer à la Société [12] les sommes de:
' 10.000,00 ' au titre des frais engagés pour la participation au groupe de travail Bien-être et performance au travail encadrée par la Société [4],
' 240.400,00 ' au titre de la perte de valorisation du fonds de commerce de la Société [12] du fait de son exclusion abusive.
- ORDONNER l'application de l'intérêt légal sur ces sommes à compter du 17 décembre 2020, date de délivrance de l'assignation et la capitalisation des intérêts,
A titre subsidiaire sur le préjudice financier,
- ORDONNER la nomination de tel expert qu'il plaira à la Cour, aux frais de la Société [5], avec pour mission d'évaluer les préjudices subis par la Société [12] du fait de son exclusion abusive du réseau [5],
- CONDAMNER la Société [5] à payer à la Société [12] la somme de 122.189,00 ' à valoir sur le préjudice financier subi,
- CONDAMNER la Coopérative [5] à payer à la Société [12] la somme de 15.000,00 ' au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens. dont distraction au profit de Maître Jean-Baptiste ROZES, avocat au Barreau de Paris, en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile. ».
Le dispositif des dernières conclusions de la société [12] est formulé de la même manière, à ceci près qu'elle demande en outre à la cour de « débouter la société [5] de sa demande tendant à l'irrecevabilité de (son) appel incident ».
Il en résulte qu'à défaut d'indiquer expressément les chefs de jugement qu'elle critique et partant d'en demander l'infirmation, la société [12] n'a pas valablement formulé son appel incident et, en dépit de la recevabilité formelle des conclusions du 22 décembre 2022 notifiées dans le délai imparti par l'article 909 précité, a privé d'effet dévolutif ses prétentions dont la cour n'est pas saisie.
L'appel incident n'est donc pas recevable.
Sur le caractère fautif de la décision d'exclusion
La société [5] reproche au tribunal d'avoir retenu l'existence d'un principe général d'obligation de motivation, comme en matière judiciaire, applicable au conseil d'administration et au comité d'appel interne à la coopérative [5] alors que les griefs retenus à l'encontre de la société [12] étaient précisément listés à la convocation, aux deux rapports d'audit et dans la lettre de notification de son exclusion et devant le comité d'appel, d'avoir considéré la motivation de l'exclusion insuffisante et d'en avoir déduit que cette absence de motivation rendait fautive la décision d'exclusion. Elle ajoute que la décision d'exclusion était bien fondée, que plusieurs manquements ont été retenus en matière sociale (manquements aux règles relatives à la durée légale de travail, défaut d'organisation des congés payés, défaut de mise à jour annuelle du document unique d'évaluation des risques professionnels, règlement intérieur non conforme, utilisation de la vidéo-surveillance à des fins de sanctions et de réprobation, stress intense des salariés principalement dû aux méthodes de management) et en matière d'hygiène (non-respect de l'obligation réglementaire d'estampille sanitaire, surcharge des vitrines réfrigérées entrainant rupture de la chaine du froid, stockage de denrées alimentaires dans les allées du magasin à même le sol, mise à disposition des clients d''ufs en vrac de boites à 'ufs présentant une marque de producteur, une indication protégée ou un label et une date de péremption) constatés par les audits des sociétés [9] et [8] réalisés en septembre 2018, que ces manquements constituent des motifs graves propres à justifier l'exclusion au sens de l'article 12 des statuts.
La société [12] réplique que la société [5] ne démontre aucun manquement de sa part à la charte [5], aux cahiers des charges [5] ou à ses obligations légales, que son exclusion n'a été décidée que pour des raisons personnelles liées à la personne de son gérant M. [I] qui s'était opposé à la suppression du comité d'éthique [5] et au fait qu'elle pratiquait des tarifs moins chers que les autres membres du réseau, qu'elle a été victime d'une procédure d'exclusion rénovée et accélérée par la suppression de la possibilité pour un sociétaire sous le coup d'une procédure d'exclusion de s'expliquer devant le « Congré » (assemblée des coopérateurs), que la société [5] ne l'a jamais mise en mesure de comprendre les motifs de son exclusion, ni en quoi les manquements reprochés seraient des fautes, de surcroît graves, qu'aucune solution alternative à l'exclusion ne lui a été proposée, que l'inspection du travail n'a relevé aucune infraction à son encontre, qu'elle n'a jamais porté atteinte à l'image du réseau, qu'un tel grief n'est pas de nature à donner lieu à une procédure d'exclusion, que les faits dénoncés par ses salariés Mme [R] et M. [P] sont mensongers et relèvent de leur intention de lui nuire, que la société [7] n'a pas constaté de non-conformité dans sa fiche de résumé de mission du 2 août 2018, que les auto-évaluations et audits externes n'ont pas davantage constaté de non-conformité et qu'elle conteste l'ensemble des manquements relevés par la société [5].
Sur la régularité formelle de la procédure d'exclusion
Selon l'article 12 des statuts de la société [5] dans leur version applicable au 12 février 2019, jour de la décision d'exclusion, un sociétaire peut être exclu dans des cas énumérés dans une liste non limitative qui sont considérés par les associés comme graves et présentant les caractères de motifs sérieux et légitimes :
En cas de violation des Statuts,
De violation du Règlement intérieur,
De non-respect de la Charte [5], des Cahiers des charges [5],
En cas de non-respect par un sociétaire de ses obligations légales,
De non règlement des sommes dues à la société et à ses filiales et sociétés contrôlées,
De préjudice matériel ou moral causé à la société (').
Il y est précisé que l'exclusion d'un sociétaire peut être prononcée par le Conseil d'administration et que la délibération excluant un sociétaire sera nulle s'il n'a pas été invité, au moins huit jours à l'avance par lettre recommandée avec accusé de réception, à venir présenter ses explications devant le conseil d'administration.
Il est en outre prévu la possibilité de faire appel devant un comité d'appel composé des membres des commissions évaluation des engagements des sociétaires (EES) à l'exception des membres de la commission de la région à laquelle est rattaché le sociétaire menacé d'exclusion.
En l'occurrence, par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 29 janvier 2019, la société [6] devenue la société [12] qui ne conteste pas l'avoir reçue, a été informée de ce que le conseil d'administration avait décidé d'engager à son encontre une procédure d'exclusion et invitée à fournir ses explications lors d'une audition prévue le 12 février 2019. Faisant suite à une demande de la commission Evaluation des Engagements Sociétaires (EES) de la coopérative, la société [5] a rappelé que l'article 12 de ses statuts lui permettait d'exclure un sociétaire « en cas de non-respect (') de ses obligations légales » et en ces termes :
« Il vous est fait grief des écarts à la réglementation notamment :
En matière d'hygiène/sécurité (estampilles sanitaire manquantes, non-respect de la chaine du froid, mélange de denrées alimentaires et de produits chimiques dans des cartons présentés à la vente, contenants à 'ufs non conformes)
En matière sociale (infraction aux règles sur la durée légale du travail et aux congés payés, document d'évaluation des risques et règlement intérieur non conformes, prise abusive de photographies).
Par ailleurs, le rapport d'audit social fait également état d'une charge de travail trop importante, d'une planification insuffisante génératrice de mal-être, ceci en manquement à la convention sociale du Cahier des charges [5] (valeurs fondamentales) et particulier à la règle du préambule selon laquelle « le bien-être au travail est une préoccupation majeure des sociétaires ('). »
La société [12] en la personne de son gérant M. [I], a pu s'expliquer oralement sur ces griefs le 12 février 2019 puis, par courrier du 14 février, le président du conseil d'administration de la société [5] lui a adressé la décision d'exclusion rappelant les griefs et indiquant qu'il s'agissait de manquements graves et présentant les caractères de motifs sérieux et légitimes justifiant une exclusion compte tenu des objectifs de la coopérative et de la nécessaire cohésion devant exister entre les sociétaires.
Elle a relevé appel le 11 mars suivant, été convoquée le 2 avril 2019 par LRAR en vue d'une audition le lundi 20 mai par le comité d'appel au siège social à [Localité 10].
La réunion du comité d'appel du 20 mai 2019 a donné lieu à la rédaction d'un procès-verbal dont il ressort que le gérant de la société [6] devenue [12] était assisté de son avocat, qu'il a exposé ses explications après rappel des griefs par la présidente du comité et qu'il a répondu, pas toujours de manière explicite, aux questions posées, sans pour autant présenter de plan d'actions pour remédier aux difficultés rencontrées.
A l'issue de la réunion les membres du comité ont voté à bulletin secret et confirmé à l'unanimité la décision d'exclusion prise par le conseil d'administration.
Au vu de ces éléments, le caractère contradictoire de la procédure d'exclusion a été respecté et la décision d'exclusion a été justifiée par les éléments de fait objectifs qualifiés de violation des obligations légales et réglementaires qui est un cas d'ouverture de la procédure d'exclusion et il convient, dans ces conditions, de constater que la procédure d'exclusion est conforme à l'article 12 des statuts.
Sur les motifs de l'exclusion et leur caractère sérieux
Il va de soi qu'un sociétaire doit respecter les obligations légales et réglementaires du secteur. Cette obligation est rappelée à l'article 12 des statuts précité.
Elle est renforcée en matière sociale aux termes du cahier des charges général qui insiste entre autres sur le bien-être au travail et prévoit des contrôles tous les deux ans et la faculté de réaliser un audit social par une personne indépendante.
A cet égard, un premier audit a été réalisé au magasin de [Localité 11] les 24 et 27 janvier 2017 par M. [M], prestataire choisi par le gérant de la société [12]. Il en ressort une situation sociale décrite comme « limite » avec une forte exigence psychologique liée au travail et une liberté d'action faible et la description d'un sentiment de « peur » de la part des salariés (peur de mal faire, de perdre son emploi et de parler pendant le travail).
En mars 2018, trois salariés (Mme [R], M. [P] et un anonyme) ont dénoncé le non-respect de la durée quotidienne de travail (journées de 10H sans pause), une planification insuffisante des horaires, une charge de travail excessive, le « lynchage » psychologique et d'importants problèmes d'hygiène dans le magasin.
Dans ce contexte, la commission évaluation des engagements des sociétaires (EES), commission chargée selon le règlement intérieur de la société [5] de l'évaluation du respect des obligations des Statuts, du Règlement intérieur et des cahiers des charges par les sociétaires et de transmettre au conseil d'administration les manquements justifiant la mise en 'uvre de procédure d'exclusion, a décidé de la réalisation d'un audit social et d'un audit en matière d'hygiène, conformément au cahier des charges général.
Du rapport d'audit en matière sociale dressé par le cabinet d'expertise-comptable [9] après une intervention dans les locaux les 10 et 18 septembre 2018, il ressort que les temps de travail sont très importants, excédant parfois la durée légale de 10 heures quotidienne de travail effectif, que le délai de communication aux salariés des plannings horaires prévu au cahier des charges général [5] n'est pas respecté, que le contingent annuel conventionnel d'heures supplémentaires de 150 heures est dépassé sans que soit mis en place de contrepartie obligatoire de repos en méconnaissance des dispositions du code du travail, que les salariés à temps partiel ne bénéficient pas d'une fixité dans la répartition des jours de travail dans la semaine, doivent demeurer à la disposition permanente de leur employeur et se voient régulièrement imposer des durées de travail hebdomadaires comprises entre 36 et 40 heures, que l'organisation des congés payés n'est pas conforme à la législation du travail en ce que la période de congés n'est pas définie, qu'il n'est procédé à aucun affichage des critères d'ordre de départ en congés payés, que le document unique d'évaluation des risques professionnels n'est que très sommairement mis en place faute d'évaluation exhaustive des risques notamment psychosociaux et de détermination d'un plan d'action, que les règles règlementaires relatives à l'usage de la vidéo-surveillance au sein du magasin n'ont pas été portées à la connaissance des employés et que l'ensemble des salariés ont dénoncé le fait que le gérant de la société [12] les prend fréquemment en photo sur le lieu de travail aux fins de réprobation voire de sanction.
Du rapport d'audit en matière d'hygiène réalisé le 21 septembre 2018 par la société [8] au sein du magasin de [Localité 11] et en présence du gérant, il ressort une liste de points qualifiés de négatifs, à savoir : « vente de denrées animales ou d'origine animale sans estampille sanitaire et/ou sans autorisation de déroger à l'agrément ' écarts à la réglementation, vitrine des produits congelés ayant visiblement subi une remontée en température avec une rupture probable de la chaîne du froid, sans moyen de vérification adapté des températures, mis en vente de produits non alimentaires (type solvants et peintures) à proximité de denrées alimentaires, utilisation de contenants non autorisés pour la vente des 'ufs, information des consommateurs non conforme aux dispositions réglementaires pour les 'ufs », un étiquetage insuffisant des denrées périssables, des saletés en différents endroits du magasin, un défaut de propreté du matériel, le stockage anarchique des produits en violation des règles d'hygiène de base et un défaut de respect des préconisations de la société [5] dans son « Classeur des Incontournables ».
Ces deux rapports ont été portés à la connaissance de M. [I] le 27 novembre 2018 à l'occasion d'un entretien avec la commission EES de la société [5]. A cette occasion, M. [I] est demeuré dans la justification de ses difficultés sans entrer dans une démarche de remise en cause et de propositions susceptibles de remédier aux manquements, pourtant objectifs, constatés.
Le gérant de la société [12] a pu se prévaloir de témoignages favorables rédigés par ses salariés et du rapport de diagnostic des conditions de travail réalisé par M. [M] fin octobre 2018 qui conclut que les résultats globaux sont positifs et les conditions de travail et les relations au travail sur le plan physique et moral ne sont pas mises en cause. Si ces constatations peuvent permettre d'écarter le grief de mal-être au travail évoqué par les parties, elles ne remettent pas en cause les manquements aux obligations légales et réglementaires de l'employeur recensés dans le rapport d'audit social.
Si le contrôle réalisé le 2 août 2018 par le[7]n, matérialisé par la « fiche de résumé de mission », n'a pas relevé de non-conformité au « cahier des charges engagements magasins [5] », il n'est pas corroboré par la production aux débats du dit cahier des charges ni du rapport auquel la fiche de résumé fait expressément référence. Cette seule fiche de résumé de mission n'est donc pas probante à elle seule.
Un constat d'huissier de justice réalisé le 27 février 2019 à la demande de l'intéressée ne saurait prévaloir sur un audit spécialisé réalisé à l'improviste, d'autant moins que les photographies réalisées par l'huissier de justice ne portent pas sur les mêmes éléments photographiés lors de l'audit en matière d'hygiène et de sécurité dont les constatations ne sont pas remises en cause.
Au contraire, le courrier du contrôleur du travail rédigé le 11 juillet 2018 confirme que l'obligation de fixer une référence horaire, par écrit, pour tout contrat à temps partiel, n'était pas respectée ni susceptible de dérogation y compris sur demande du salarié concerné, le contrôleur du travail n'ayant pas relevé l'infraction dans la mesure où la première salariée concernée avait démissionné entre temps et la seconde avait vu sa situation évoluer dans le sens d'une régularisation de la durée de son temps de travail. Des régularisations des salaires et des indemnités dues pendant un arrêt maladie étaient toutefois réclamées par l'administration.
Il sera observé par ailleurs que des formations mises en place par la société [12] se sont déroulées avant la réalisation des audits [9] et [8] et n'ont pas permis de remédier immédiatement aux manquements relevés.
La société [12] produit de nombreuses attestations émanant de fournisseurs, de clients et de quelques salariés attestant du comportement cordial de son gérant et de la propreté du magasin mais ne permettent pas non plus de remettre en cause les constatations précises et circonstanciées réalisées par les auditeurs désignés par la commission EES de la société [5] et les courriers concordants des trois salariés à l'origine de l'alerte de la société [5].
La [12] justifie avoir pris diverses mesures qui sont toutefois intervenues postérieurement à son exclusion.
Il en résulte que la société [5] rapporte la preuve de manquements aux obligations légales et réglementaires, qui sont expressément visés dans les statuts de la société [5] comme étant des causes d'exclusion d'un sociétaire. Ces manquements, de par leur nombre, leur répétition, les dénégations de leur auteur qui a tardé à mettre en 'uvre les mesures pour y remédier et la gravité de leurs potentielles conséquences sur la sécurité alimentaire et la santé humaine des consommateurs ou des salariés revêtent le caractère de gravité nécessaire pour prononcer l'exclusion de la société [12] et de par leur gravité et leur inadéquation avec les valeurs promues par le cahier des charges général constituent des motifs sérieux et légitimes d'exclusion.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, les conditions statutaires prévues pour exclure un salarié ont été respectées.
La société [12] ne justifie pas de ses allégations relatives à une prétendue violation d'une obligation de fournir une solution alternative et à l'intention de lui nuire de la part de la société [5] ou de ses instances dirigeantes.
Elle manque donc à établir que son exclusion de la coopérative [5] était constitutive d'une faute à l'origine des conséquences dommageables de son exclusion et donc être déboutée de ses demandes indemnitaires et subséquentes.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a :
- dit que la SA [5] a commis une faute en prononçant l'exclusion de la SARL [12] anciennement dénommée [6],
- condamné la SA [5] au paiement de 122.189 euros au titre du préjudice financier avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- condamné la SA [5] au paiement de 3.466 euros au titre du préjudice matériel avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- condamné la SA [5] au paiement de la somme de 40.000 euros au titre du préjudice moral avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts,
- condamné la SA [5] au paiement de 30.000 euros au titre du préjudice de réputation avec intérêt légal à compter du 17 décembre 2020 et capitalisation des intérêts.
Statuant à nouveau, la cour déboutera la société [12] de ses demandes principale et subsidiaire au titre du préjudice financier, de sa demande au titre du préjudice matériel, de sa demande au titre du préjudice moral, de sa demande au titre du préjudice de réputation et de sa demande au titre de la capitalisation des intérêts.
- Sur les demandes accessoires
La société [12], partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et ne peut prétendre à l'indemnisation de ses frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, étant précisé que le jugement sera infirmé à ces deux titres.
En outre, elle sera condamnée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser à la société [5] la somme globale que l'équité commande de fixer à 5.000 euros au titre de la première instance et de l'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de sa saisine,
Déclare l'appel incident irrecevable ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société [12] de ses demandes au titre du préjudice financier ;
Déboute la société [12] de sa demande au titre du préjudice matériel ;
Déboute la société [12] au titre du préjudice moral ;
Déboute la société [12] de sa demande au titre du préjudice de réputation ;
Déboute la société [12] de sa demande de capitalisation des intérêts ;
Condamne la société [12] aux dépens de première instance et d'appel ;
Déboute la société [12] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [12] à verser à la société [5] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700.