CA Colmar, 4e ch. A, 4 avril 2025, n° 22/02191
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Moncdi (SAS)
Défendeur :
Moncdi (SAS), France Travail Bourgogne France Comte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dorsch
Conseillers :
M. Pallieres, M. Le Quinquis
Avocats :
Me Hohmatter, Me Haennig, Me Wetzel
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [T] [Y], née le 24 juillet 1976 a été engagée par la Société Pro services Consulting (PCS) le 29 juin 2018 en qualité d'opérateur polyvalent en industrie, statut ouvrier. La société PSC est une entreprise de travail à temps partagé mettant à disposition ses salariés auprès de sociétés clientes pour l'exécution de missions. Madame [Y] percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de 1.511 '.
La dernière mission confiée à la salariée a pris fin le 12 décembre 2019. Elle se trouvait par conséquent en période dite d'intermission, rémunérée par l'employeur.
Elle a, le 03 août 2020 été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 17 août 2020.
Par lettre du 20 août 2020, elle a été licenciée pour faute grave pour ne pas avoir donné suite à trois convocations à des entretiens pour faire le point sur sa situation, et lui proposer une nouvelle mission les 24, 28, et 31 juillet 2020.
Contestant avoir reçu les mails de convocation et par là même le licenciement prononcé, la salariée a, le 13 janvier 2021, saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 6] afin de faire juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir des indemnités de rupture.
Par jugement du 03 mai 2022, le conseil de prud'hommes a écarté le constat d'huissier de justice du 09 décembre 2020, dit et jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et condamné la société Pro services consulting à payer à Madame [Y] les sommes de :
* 3.118,42 ' brut au titre de l'indemnité de préavis,
* 311,84 ' brut au titre des congés payés afférents,
* 779,60 ' nets au titre de l'indemnité de licenciement,
* 3.118,42 ' net à titre de dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 900 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil des prud'hommes a en outre condamné la société sous astreinte de 50 ' par jour de retard à remettre à la salariée dans les 15 jours de la signification du jugement, une fiche de paye reprenant les sommes allouées, l'attestation destinée à pôle emploi et un certificat de travail. Il s'est réservé le droit de liquider l'astreinte et a en outre condamné l'employeur à rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage dans la limite de six mois, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
La SAS Pro services consulting a, le 02 juin 2022, interjeté appel de la décision.
L'établissement public Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté partie à la procédure a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à voir prononcer la nullité de la déclaration d'appel, la SAS Pro services consulting sise à Paris ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés avant la déclaration d'appel.
Par ordonnance du 24 mars 2023, le conseiller de la mise en état, relevant une fusion absorption de la SAS Pro services consulting avec la société MonCDI, qui a régularisé la procédure dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, a rejeté l'exception de nullité, et condamné l'établissement public aux dépens de l'incident.
Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 avril 2023, la société MonCDI venant aux droits de la SAS Pro services consulting demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté des débats le constat d'huissier. Elle demande par ailleurs à la cour d'infirmer le jugement, et statuant à nouveau de :
- juger que le licenciement repose sur une faute grave,
- débouter Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté de l'intégralité de ses demandes,
- débouter Madame [Y] de toutes ses demandes,
- condamner Madame [Y] à lui payer 3.500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté de toutes ses demandes, ainsi que de son appel incident,
- condamner Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté et Madame [Y] aux entiers dépens.
Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 novembre 2022, Madame [T] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
À titre subsidiaire "dire n'y avoir lieu à retenir une faute grave" et lui allouer l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, ainsi que l'indemnité de licenciement.
Et y ajoutant, elle demande en outre à la cour de condamner la société Pro services consulting à lui payer :
- les intérêts au taux légal courant à compter de l'introduction de l'instance,
- 3.500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'intégralité des dépens de la présente instance.
L'établissement Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté devenu France travail Bourgogne Franche-Comté par dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 novembre 2022 demande à la cour de :
- prononcer la nullité de la déclaration d'appel,
- débouter l'appelante de ses fins et conclusions,
- en tout état de cause, confirmer le jugement en ce qu'il condamne la société à rembourser les indemnités chômage dans la limite de six mois,
- condamner la société Pro services consulting à payer à Pôle emploi la somme de 6.368,40 ' avec les intérêts légaux à compter du prononcé du jugement,
- condamner la société au paiement de 600 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 octobre 2023.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la nullité de la déclaration d'appel
Par ordonnance du 24 mars 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté l'exception de nullité soulevée par Pôle emploi Bourgogne Franche-Comté. Cette décision qui n'a fait l'objet d'aucun déféré est définitive.
Par conséquent la demande de nullité (formée le même jour que devant le conseil de la mise en état, devant la cour statuant au fond) est irrecevable.
II. Sur l'irrecevabilité du constat d'huissier
Le constat d'huissier du 09 décembre 2020 est la retranscription de deux conversations téléphoniques entre Madame [Y] et Madame [B] gestionnaire RH de la société PSC, conversations téléphoniques enregistrées à l'insu de cette gestionnaire.
Le conseil des prud'hommes a, dans les motifs de sa décision jugé que cet enregistrement est irrecevable car réalisé à l'insu de la personne enregistrée, et l'a dans le dispositif de la décision, écarté.
Le jugement attaqué a été rendu le 03 mai 2022.
La Cour de cassation en assemblée plénière a, le 12 décembre 2023 (N° 20-2.648), admis que des moyens de preuve déloyaux (l'enregistrement d'une conversation à l'insu de l'interlocuteur), peuvent être présentés au juge dès lors qu'ils sont indispensables à l'exercice des droits du justiciable, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse. Il est par conséquent demandé au juge de faire un contrôle de proportionnalité.
Madame [Y] produit les comptes-rendus d'enregistrement afin d'établir que lors de la conversation du 20 août 2020, la gestionnaire des ressources humaines reconnaissait que c'est l'entreprise qui lui demandait de ne pas venir aux entretiens, et qu'aucune faute ne serait retenue contre elle, ou encore lors de la conversation du 31 juillet 2020 qu'il ne s'agit pas d'un licenciement pour abandon de poste mais d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, puisque cela fait trois mois que la salariée se trouve sans mission.
Ces conversations téléphoniques enregistrées à l'insu de la gestionnaire des ressources humaines, retranscrites par huissier de justice constituent un moyen de preuve déloyale.
Pour autant cet élément de preuve demeure recevable s'il est indispensable à l'exercice des droits de Madame [Y], et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de la partie adverse.
Or en l'espèce, ces comptes-rendus n'apportent aucun élément sur la réception par la salariée des trois courriels de convocation. En effet dans la conversation du 31 juillet 2020, la salariée maintenait n'avoir pas reçu lesdites convocations, alors que la gestionnaire RH maintenait les avoir envoyés.
La charge de la preuve de la faute grave reposant entièrement sur l'employeur, il lui appartient d'établir que la salariée quoiqu'ayant connaissance des convocations ne s'est pas présentée aux trois entretiens. Or, il échoue à rapporter cette preuve, tel que jugé ci-après.
Ce seul élément suffit à disqualifier le licenciement, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la retranscription d'entretiens téléphoniques. Cet élément de preuve n'est par conséquent pas indispensable à l'exercice des droits de la salariée.
De ce seul fait, la preuve est irrecevable. C'est donc à juste titre, mais par des motifs substitués, que le conseil des prud'hommes a écarté cet élément de preuve.
III. Sur le licenciement pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail, ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.
Madame [T] [Y] a été licenciée par lettre du 20 août 2020 pour avoir été absente sans raison à trois entretiens à l'agence de [Localité 6], ayant pour objet son reclassement sur une nouvelle mission soit les 24 juillet 2020 à 10 h, le 28 juillet 2020 à 9 h, et le 31 juillet 2020 à 14 h.
L'employeur en déduit : "Vos absences répétées et non justifiées à nos multiples convocations traduisent une violation manifeste de vos obligations contractuelles, et démontrent votre désintérêt total pour la société Pro services consulting, et pour toute nouvelle mission de travail à temps partagé. Elles sont d'autant plus inexplicables que PSC vous rémunère pendant toute cette période d'intermission, et qu'il est normal en contrepartie de ce salaire que vous vous teniez à la disposition de votre employeur aux heures de bureau. Dans le cadre de votre activité partielle les heures passées en entretien avec votre employeur sont des heures rémunérées à taux plein ' ".
Dans la lettre de licenciement l'employeur évoque des convocations sans préciser leur forme, si ce n'est un courrier pour la seconde convocation. Or il résulte de la procédure, et ce point n'est absolument pas contesté par l'employeur, que les convocations étaient effectuées par mail.
La salariée soutient fermement n'avoir jamais réceptionné ces courriels, et s'étonne qu'en son absence l'employeur ne lui ait pas téléphoné, ou adressé un message sur les numéros dont il disposait.
Il est constant que la charge de la preuve pèse sur l'employeur, et qu'il lui appartient par conséquent de prouver qu'il a effectivement adressé des convocations à la salariée.
Or, force est de constater que si l'appelante produit en pièce 6, 7, et 8 les mails de convocation, elle ne justifie pas de la réception par Madame [Y] desdits messages puisque aucun accusé de réception n'est versé aux débats. L'envoi même de ces messages à la salariée n'est pas certain, alors qu'une copie d'écran de la boîte des messages envoyés aurait pu en justifier.
Enfin, c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes relève que malgré une première convocation sans succès par mail, l'employeur continue à utiliser le même moyen pour les deux convocations suivantes, sans utiliser les numéros de téléphone indiqués sur la fiche de renseignements administratifs.
Il résulte de ce qui précède, que dès lors que l'employeur n'établit pas que la salariée avait eu connaissance de trois convocations à des entretiens, il ne saurait lui reprocher son absence, et se prévaloir d'une quelconque faute à cet égard. Le licenciement est par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce qui entraîne la confirmation du jugement.
IV. Sur les conséquences financières
- Sur l'indemnité de préavis, les congés payés afférents, et l'indemnité de licenciement
Le montant de ces indemnités n'est pas contesté par le salarié. L'employeur les conteste dans leur principe, mais non dans leur montant. S'agissant d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse elles sont dues, et le jugement déféré est par conséquent confirmé.
- Sur les dommages et intérêts
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération perçue, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et son expérience professionnelle, c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes a, en application de l'article L 1235-3 du code du travail condamné l'employeur à payer à Madame [Y] une somme de 3.118,42 ' à titre de dommages et intérêts.
Le jugement est confirmé s'agissant du montant, mais infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation en net, alors que les dommages et i ntérêts sont prononcés en brut. (Soc. 3 juill. 2019, FS-P+B, n° 18-12.149).
- Sur le remboursement des indemnités chômage
Aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L 1132-4, L 1134-4, L 1144-3, L 1152-3, L 1152-4 L. 1235-3, et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est même ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
France travail Bourgogne Franche-Comté justifie que le montant des allocations perçues par la salariée entre le licenciement du 20 août 2020 et le jugement s'élève à 6368,40 '. La société compte par ailleurs plus de 11 salariés, et Madame [Y] plus de deux ans d'ancienneté.
Aucun motif ne justifie en l'espèce que la cour réduise le montant. Le jugement sera confirmé, et complété par la précision du montant définitivement arrêté.
- Sur les intérêts moratoires
Les intérêts moratoires courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation pour les créances salariales soit, à compter du 18 janvier 2021.
Les créances indemnitaires, y compris le remboursement des indemnités chômage, portent intérêts à compter de la date du jugement, soit le 03 mai 2022.
- Sur la remise des documents de fin de contrat sous astreinte
La remise des documents de fin de contrat découle de la solution même du litige, et cette condamnation est par conséquent confirmée.
Compte tenu du rapport entre les parties, l'astreinte prononcée apparaît justifiée et proportionnée dans son montant.
En revanche afin d'éviter toute difficulté d'exécution, le point de départ de ladite astreinte sera modifié, et elle commencera à courir le 21e jour suivant la signification du présent arrêt.
L'éventuelle liquidation de l'astreinte relèvera de la compétence du juge de l'exécution. Le jugement est par conséquent infirmé sur le point de départ et en ce que le conseil de prud'hommes se réserve cette liquidation.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré est confirmé s'agissant des frais irrépétibles, et des dépens.
La société MonCDI venant aux droits de la SAS Pro services consulting, qui succombe, est condamnée aux dépens de la procédure d'appel, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles est rejetée.
Enfin l'équité commande de condamner l'appelante à payer à Madame [T] [Y] la somme de 2.400 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile et à France travail Bourgogne Franche-Comté la somme de 600 ' sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
DECLARE irrecevable la demande de nullité de la déclaration d'appel ;
CONFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de [Localité 6] le 03 mai 2022 en toutes ses dispositions, SAUF en ce qu'il :
- prononce une astreinte journalière de 50 ' à compter du 15e jour suivant la notification du jugement,
- se réserve le droit de liquider l'astreinte,
- condamne la société Pro services consulting à payer à Madame [T] [Y] la somme de 3.118,42 ' net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant
CONDAMNE la société MonCDI venant aux droits de la société Pro services consulting à payer à Madame [T] [Y] la somme de 3.118,42 ' brut (trois mille cent dix huit euros et quarante deux centimes) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DIT que les intérêts légaux moratoires courent à compter du 18 janvier 2021 pour les créances salariales, et à compter du 03 mai 2022 pour les créances indemnitaires, y compris le remboursement des indemnités chômage ;
PRONONCE une astreinte journalière de 50 ' par document dont la remise a été ordonnée par le jugement du 03 mai 2022, et ce à compter du 21e jour suivant la signification du présent arrêt ;
CONDAMNE la société MonCDI venant aux droits de la société Pro services consulting à payer à France travail Bourgogne Franche-Comté la somme de 6.368,40 ' (six mille trois cent soixante huit euros et quarante centimes) avec les intérêts légaux à compter du 03 mai 2022 au titre du remboursement des indemnités chômage versées à Madame [T] [Y] ;
CONDAMNE la société MonCDI venant aux droits de la société Pro services consulting à payer à Madame [T] [Y] la somme de 2.400 ' (deux mille quatre cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société MonCDI venant aux droits de la société Pro services consulting à payer à France travail Bourgogne Franche-Comté la somme de 600 ' (six cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la société MonCDI venant aux droits de la société Pro services consulting de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Mon CDI venant aux droits de la société Pro services consulting aux entiers dépens de la procédure d'appel ;
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 04 avril 2025 signé par Madame Christine DORSCH, Président de Chambre et Madame Claire BESSEY, Greffier.