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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 8 avril 2025, n° 22/00954

CHAMBÉRY

Autre

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SAI (SAS), SCCV Senevullaz (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hacquard

Conseiller :

Mme Reaidy

Avocats :

SELARL Levanti, SARL Christinaz Pessey-Magnifique

TJ Thonon-les-Bains, du 19 avr. 2022

19 avril 2022

Faits et procédure

Par acte authentique du 19 septembre 2006, M. [P] [S] a acquis des époux [F] un tènement immobilier constitué des parcelles cadastrées section AU n°[Cadastre 2] à [Cadastre 5], [Cadastre 6] à [Cadastre 10] et [Cadastre 12] à [Localité 21].

Par acte du même jour, M. [S] a usé de la faculté de command qui lui était réservée dans l'acte de vente pour déclarer que les biens immobiliers avaient été acquis pour le compte de la société SAI [N] (société [N]) laquelle a comparu en la personne de son dirigeant M. [U] [N] qui a déclaré accepter cette déclaration de command en sa faveur et a versé le prix de vente (125.000 euros) outre les frais d'acte (4.200 euros) étant précisé que l'acquisition a été financée partiellement par un prêt consenti à la société [N] par la Banque Laydernier d'un montant de 75.000 euros.

Par acte sous seing privé du 24 février 2007, M. [S] et la société [N], représentée par M. [U] [N], ont convenu que :

« Tout projet de développement commercial, architectural ou d'urbanisme [sur les parcelles acquises le 19 septembre 2006] entre M. [S] et la société [N] sera fait aux charges et aux bénéfices, en parts égales, des signataires de la présente.

Dans l'hypothèse où une structure devrait être élaborée pour la circonstance, la nature de celle-ci reste à convenir entre les parties. »

La SCCV Senevullaz (la SCCV) a été immatriculée au RCS de Thonon les bains le 19 novembre 2012 avec une date de commencement d'activité fixée au 11 octobre 2012. (pièce 5 SCCV)

Elle a pour objet :

- L'acquisition de tous terrains ou droits immobiliers comprenant le droit de construire,

- La construction, réhabilitation ou la transformation sur ces terrains ou droits immobiliers, de tous immeubles, de toutes destinations et usages,

- La vente, en totalité ou par fractions, des immeubles construits, réhabilités ou transformés avant ou après leur achèvement,

- Accessoirement, la location desdits immeubles.

Ses deux associés sont : la société [N] (149 parts) et la société Liberta (1 part), étant précisé que M. [U] [N] est le dirigeant des sociétés [N] et Liberta ainsi que le gérant de la SCCV.

Le 18 octobre 2012, la SCCV a fait l'acquisition pour un prix de 50.000 euros, auprès de la société [N], de la totalité des parcelles précédemment acquises en 2006, par cette dernière auprès des époux [H].

A compter de début 2014, M. [S] a vainement sollicité son intégration dans cette société en qualité d'associé.

Le 16 octobre 2015, la SCCV a revendu les parcelles AU n° [Cadastre 2] à [Cadastre 5], [Cadastre 6] à [Cadastre 9] et [Cadastre 12] à l'Office public de l'habitat de la Haute Savoie (l'OPH) moyennant la somme de 581.556,67 euros, ce prix incluant la TVA sur la marge laquelle a représenté une somme de 75.936,67 euros soit un prix HT de 505.620 euros.

Par acte du 13 août 2018, M. [S] a assigné la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains notamment aux fins, de les faire condamner in solidum à lui payer la somme de 300.000 euros en réparation de son préjudice.

Par jugement du 19 avril 2022, le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, devenu le tribunal judiciaire, a :

- Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action introduite par M. [S],

- Condamné in solidum la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais - et la SCCV Senevullaz à verser la somme de 225.000 euros à M. [S], avec intérêts au taux légal à compter du caractère définitif de la décision,

- Condamné in solidum la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz à verser la somme de 2.000 euros M. [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné in solidum la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz aux entiers dépens,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Au visa principalement des motifs suivants :

' En ne fournissant pas à M. [S], malgré ses demandes réitérées, d'éléments probatoires établissant les caractères réel et sincère de la majorité des frais dont elle entendait se voir rembourser la moitié lors de l'intégration de ce dernier dans la SCCV Senevullaz, la société [N] a mis le demandeur dans l'incapacité de s'associer à cette société d'exploitation sans risque pour lui de devoir assumer des charges indues ;

' Il résulte de ce manquement commis par la société [N] un préjudice financier pour M. [S] constitué par la perte d'une chance, estimée à 75%, d'avoir pu intégrer la SCCV Senevullaz et donc de pouvoir bénéficier de la moitié des profits diminué de la moitié des charges.

Par déclaration au greffe du 2 juin 2022, la société SAI [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 18 novembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz sollicitent l'infirmation de la décision et demandent à la cour de :

- Constater que M. [S] n'a jamais offert de participer, même partiellement, auxdites charges, même à celles qu'il ne contestait pas,

En conséquence,

- Dire que les sociétés concluantes n'ont commis aucune faute en ne donnant pas suite aux demandes d'association de M. [S],

- Débouter ce dernier de l'intégralité de ses demandes,

Sur l'appel incident et sur le quantum,

- A titre infiniment subsidiaire, si l'action n'était pas prescrite, était fondée et le préjudice retenu selon les propres comptes de l'expert-comptable du demandeur, ramener le préjudice à la somme de 103.000 euros.

Au soutien de leurs prétentions, la société SAI [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz font notamment valoir que :

' M. [S] réclame des indemnités en exécution d'une convention signée le 24 février 2007, son action engagée en août 2018 est donc, radicalement, prescrite ;

' Le fait que la société [N] n'ait pas donné suite en 2014 et 2015 aux demandes d'association de M. [S] ne peut être considérée comme fautif dès lors que M. [S] n'a jamais offert, comme la convention du 24 février 2007 l'impose, de contribuer concrètement aux charges.

Par dernières écritures du 7 novembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [S] demande à la cour de :

A titre principal,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnisation à revenir à M. [S] à la somme de 225.000 euros, et statuant à nouveau,

- Condamner in solidum la société [N], devenue société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz à lui verser la somme de 300.000 euros en réparation de son préjudice outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En tout état de cause,

- Débouter la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz de l'intégralité de leurs prétentions,

- Condamner in solidum la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de la procédure d'appel,

- Condamner in solidum la société [N], devenue la société Foncière Chablais et du Bas-Chablais, et la SCCV Senevullaz aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la société Christinaz & Pessey-Magnifique, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] fait notamment valoir que :

' Ce n'est pas en exécution de la convention signée le 24 février 2007 qu'il sollicite leur condamnation au paiement de dommages et intérêts mais justement à raison de l'inexécution de ladite convention ;

' Ce n'est qu'à l'issue des échanges qui sont intervenus avec M. [N] entre le printemps 2014 et l'été 2015 que ce dernier a été placé en situation de connaître le manquement contractuel auquel la société [N] et la SCCV Senevullaz ont fait choix de se livrer ;

' Il n'a jamais été contesté ou remis en cause que sa prise de participation ne s'effectuerait pas par le rachat de 75 parts de la SCCV Senevullaz représentant la moitié du capital social de ladite société et ce à leur valeur nominale de 10 euros soit un total de 750 euros.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 18 novembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 février 2025.

Motifs et décision

I - Sur la prescription

Selon l'article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Il est constant qu'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu connaissance.

En l'espèce, l'action engagée par M. [S] est fondée sur la non exécution par la société [N] et son dirigeant M. [N] de l'engagement contractuel souscrit entre les parties le 24 février 2007.

Ainsi que l'a retenu à bon droit le premier juge :

- Il résulte des conclusions concordantes des parties et des pièces produites que M. [S] et M. [N] ont échangé courant 2014-2015 sur la question de l'intégration du premier dans la SCCV Sennevullaz, société constituée en exécution de la convention du 24 février 2007 pour réaliser les opérations commerciales portant sur les parcelles acquises le 19 septembre 2006.

- C'est ainsi que M. [N] adressait le 2 avril 2014 un courriel au cabinet d'expertise comptable Cofidest rédigé en ces termes :

« Dans le cadre de l'ouverture du capital de la SCCV Senevullaz avec M. [P] [S], je vous remercie de préparer un état des apports effectués par la société [N] dans ce dossier.

Me [X] se charge de la rédaction de l'acte d'acquisition des 50% par M. [P] [S]. »

- Ce n'est qu'à l'issue de ces échanges entre le printemps 2014 et l'été 2015, que M. [S] a constaté l'impossibilité d'intégrer la SCCV compte tenu des conditions qui lui étaient imposées.

- Il sera ajouté que sur la période entre l'acquisition des parcelles, par la société [N], en septembre 2006, et fin 2012, il n'est justifié d'aucune démarche de cette dernière société quant à la mise en 'uvre d'un programme commercial ou immobilier de sorte que cette dernière est malvenue de soutenir que M. [S] se serait désintéressé du projet durant cette période.

C'est, dès lors, à bon droit que le premier juge a retenu que le point de départ de la prescription de l'action de M. [S] devait être fixé à partir de l'été 2015, le dommage s'étant réalisé à compter de cette date, de sorte que l'introduction de l'instance étant intervenue le 13 août 2018, la fin de non recevoir tirée de l'existence d'une prescription ne pouvait qu'être rejetée.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

II - Sur la responsabilité de la société [N] et de la SCCV

A - Sur le déroulement des opérations

En octobre 2012 la société [N] a pris contact avec un architecte en vue du dépôt d'une demande permis de construire et en novembre 2012 la société Fonda conseil a effectué des sondages sur les terrains pour le compte de cette société.

A la suite de l'acquisition, le 18 octobre 2012, des parcelles propriétés de la société [N], la SCCV a déposé, le 18 décembre 2012 une demande de permis de construire, complétée le 5 mars 2013, laquelle a donné lieu à un arrêté accordant le permis en date du 16 avril 2013, en vue de la construction d'un bâtiment collectif d'une surface de plancher de 2055,47 m² comportant 41 logements.

Le 2 avril 2014, M. [N] adressait un courriel à son expert comptable Cofidest, avec copie à M. [S] et Me [X], lui demandant de préparer un état des apports effectués par la société [N] en vue de l'ouverture du capital de la SCCV à M. [S] précisant que son conseiller juridique se chargeait de la rédaction de l'acte d'acquisition des 50% de capital de la SCCV. (pièce 15 [S])

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 3 septembre 2014, le conseil de M. [S] écrivait à M. [N] faisant valoir que son client, s'étonnait que la cession de parts sociales ne soit toujours pas réalisée, ce sans motif valable, et mettait en demeure ce dernier de convenir sous dix jours maximum d'un rendez vous pour la signature de la cession des parts sociales suivant le dernier projet établi par le cabinet Epsilon dont il lui adressait une copie, précisant qu'à défaut son client ferait valoir ses droits.(pièce 1 [N]).

M. [N] répondait par courrier du 15 septembre 2014 en adressant un tableau avec le détail des frais qu'il avait engagés jusqu'à ce jour dont le montant s 'établissait à 399.054,90 euros sous réserve d'autres frais à venir avec une liste des factures à payer représentant un total de 43.807,72 euros.

Il indiquait que dans le cadre d'une prise de participation la quote-part des apports devait être remboursée et il demandait par quelle voie ce remboursement serait effectué et sur quelle base (pièce 10 [S])

En réponse, par courrier recommandé avec AR du 3 octobre 2014, le conseil de M. [S] indiquait :

« Sous réserves de vérifications de la liste des frais que vous m'avez envoyée (justificatifs à me transmettre) les sommes dues à la société [N] figureront à son compte courant d'associé. Le projet de cession de parts sociales l'a d'ailleurs prévu en son article 4. Le compte courant sera remboursé lorsque la trésorerie de la société le permettra, c'est à dire sans doute à la clôture de l'opération de construction sur le terrain acquis le 18 octobre 2012.

Ceci est conforme à la convention que vous avez signée le 24 février 2007.

Dans ces conditions M. [S] estime avoir répondu à votre interrogation et réitère la demande d'avoir à signer la cession des parts sociales au cabinet Epsilon sous huit jours maximum.

Je vous remercie de votre réponse directement ou par l'intermédiaire de votre avocat. »(pièce 6 [S])

Le 20 octobre 2014, le conseil de M. [S] relançait M. [N] (pièce 5 [N]).

Par courriel du 24 octobre 2014, M. [N] lui répondait en ces termes :

« Je reste à votre disposition pour signer les statuts avec M. [S].

Il faudra intégrer dans ces statuts que les apports effectués devront être rémunérés au taux de 5% / an . En effet, je me suis fait reprendre sur ce point au cours de mes contrôles fiscaux, j'ai l'obligation de rémunérer les apports.

Nous signerons en même temps, mais pas dans les statuts, le mandat de vente du terrain, et la convention de gestion.

Pouvez-vous me remettre plusieurs dates, car je suis très rarement à [Localité 21]. Merci de me confirmer que le rendez-vous peut se tenir à [Localité 21], dans mes bureaux, car [Localité 16] est un peu loin de [Localité 17]. »

En réponse, par courriel du 29 octobre 2014, Me Pascale Escoubès, conseil de M. [S], indiquait qu'elle allait se renseigner auprès du cabinet [X] pour obtenir des dates de rendez-vous. Elle interrogeait M. [N] sur ses intentions quant à la convention de gestion et au mandat de vente du terrain et rappelait qu'elle était toujours dans l'attente des factures relatives aux apports.(pièce 16 [S])

Le 30 juillet 2015, Me Escoubès indiquait avoir reçu un tableau excel avec des pièces pour justificatifs des apports effectués. Elle précisait que ce tableau n'avait aucune valeur et qu'il était nécessaire pour travailler sur le montant des apports que la comptabilité de la SCCV lui soit transmise ainsi que les procès-verbaux de reprise des apports et demandait la communication de ces éléments.(pièce 17 [S])

En réponse, M. [S] indiquait être à l'étranger, ne pas connaître la date de son retour, qui ne serait sans doute pas avant mi-septembre.

Le 27 octobre 2015, Me Escoubès relançait une nouvelle fois M. [N] demandant la comptabilité certifiée par l'expert comptable ainsi que les procès-verbaux de reprise des apports qui semblaient avoir été établis par le cabinet Epsilon.

M. [N] ne donnait aucune suite à ces demandes, et après une ultime mise en demeure du 5 mai 2017 adressée par le nouveau conseil de M. [S], ce dernier a saisi le tribunal par assignation du 13 août 2018.

B - Sur le tableau des frais avancés par la société [N] pour le compte de la SCCV et les justificatifs

La SCCV a débuté son activité le 11 octobre 2012 et a fait l'acquisition auprès de la société [N] des parcelles précédemment acquises par cette dernière le 18 octobre 2012.

Par ailleurs, et ainsi qu'il résulte de la proposition de rectification de l'administration fiscale en date du 10 avril 2018, concernant la SCCV pour la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, cette dernière société n'avait pas de compte bancaire. de sorte que les paiements étaient effectués à partir d'un compte ouvert au nom de la société [N] auprès de la Banque Laydernier auprès de laquelle cette société avait souscrit un prêt d'un montant de 75 000 euros pour l'acquisition des parcelles appartenant aux époux [H]. (pièce 6 [N]).

Les paiements suivants listés dans son tableau par la société [N] ne sont étayées par aucune pièce comptable :

SAI [N] (transfert compte à compte) 25 000 payé le 21/05/2008

Liberta solde compte n° 08600 et 08601 222,24 11/08/2009

Transformation OC en C 60 000,00 15/10/2008

Solde compte 7,28 06/04/2009

Rbt prêt équipement 10 680,87 22/10/2009

[N] virement de compte à compte 10 000,00 12/11/2009

[N] transfert compte à compte 900,00 28/07/2010

Rbt prêt équipement 10 690,00 10/10/2010

Rbt prêt équipement 10 700,00 21/10/2011

Rbt prêt équipement 10 690,96 29/10/2012

Frais financiers Bque Laydernier 14 926,24

Rbt anticipé prêt 28 698,21 22/10/2012

Notamment s'agissant des remboursements de prêts, il n'est produit ni le contrat de prêt, ni le tableau des échéances, ni les relevés bancaires correspondant aux débits.

Par ailleurs, Me [Z] a établi un reçu au nom de M. [S] pour une provision sur frais de dépôt de promesse de vente pour un montant de 2.000 euros. Il est affirmé mais non justifié par la société [N] du remboursement effectué au profit de ce dernier.

Il est produit une facture n° sai-05 du 30 juin 2013 ayant pour objet : « Issue procédure [Y] », à l'attention de la SCCV qui est ainsi rédigée :

« Monsieur,

A la suite de la négociation de l'ouverture du droit au bail du magasin de Mme [Y] situé [Adresse 19] ' [Localité 21], nous vous remettons le montant de notre facture correspondant à l'accord de mettre fin à la procédure d'annulation de l'acte d'acquisition du terrain situé [Adresse 15] contre l'ouverture du droit au bail du magasin de Mme [Y] pour la vente de son commerce.

Cette indemnité a été payée à la société Espace Immobilier Transactions, propriétaire des murs par la société SAI [N] en date du 08/07/2011.

Montant ' 25 000 (vingt cinq mille euros)

Valeur en votre aimable règlement.

Règlement à l'ordre de la S.A.I. [N] »

Il est par ailleurs produit la copie d'un chèque émis par la société [N] le 8 juillet 2011 d'un montant de 25.000 euros à l'ordre de « Espace Immobilier Transactions » mais il n'est pas justifié du débit de ce chèque et du paiement effectif.

Sont produites deux factures d'un cabinet d'avocat d'Annemasse des 27 avril 2007 et 11 juin 2007 d'un montant respectif de 1.459,12 euros et 1.196 euros qui font référence à une assignation délivrée par un certain Monsieur [M] et d'une procédure devant le tribunal de grande instance de Thonon les bains. Elles ne permettent pas de faire un lien avec les parcelles acquises en 2006.

Il est produit une facture de la société Canel, géomètre expert, du 29 septembre 2006 d'un montant de 3.305,21 euros TTC à l'intention de la société [N] ayant pour objet, « sur commune de [Localité 21] ' [Adresse 18] ' plan topographique 1/100ème », facture dont rien n'établit qu'elle concerne les parcelles achetées aux époux [H].

Il est fait état de quatre règlements effectués le 3 juillet 2014 d'un montant chacun de 14.148,68 euros TTC au profit de l'architecte [C] en règlement de quatre factures du 22 décembre 2012 et produit à titre de justificatifs une proposition d'honoraires architecte en date du 22 octobre 2012, concernant les missions suivantes :

Permis de construire 47 320 euros HT

Plans d'exécution Architecte 43 940 euros HT

Assistance architecturale pendant les travaux 10 140 euros HT

Or d'une part seule la demande de permis de construire a été déposée, les missions suivantes n'ayant pas été effectuées puisqu'il résulte des pièces produites que la SCCV a abandonné son projet de construction pour vendre les parcelles à l'OPH avec transfert du permis de construire au profit de ce dernier.

D'autre part, ainsi qu'il résulte des termes de l'acte de vente par la SCCV au profit de l'OPH, ce dernier s'est engagé irrévocablement à rembourser au vendeur, dans les meilleurs délais, sur présentation d'une facture et par la comptabilité du notaire, les frais engagés pour le dépôt du permis de construire.

A cet égard il convient de se référer à la proposition de rectification du 10 avril 2018 aux termes de laquelle l'inspectrice des finances publiques a constaté que le relevé de compte adressé à la SCCV par le notaire, concernant la vente à l'OPH, mentionne le 16 octobre 2015 au crédit du compte la somme de 79.833,18 euros au titre du remboursement des frais liés au permis de construire.

Par ailleurs, il est précisé par les services fiscaux que la société [N] a facturé à la SCCV le 31 décembre 2015, la somme de 79.833,18 euros TTC concernant le « remboursement des honoraires pour le permis de construire obtenu sur la commune de [Localité 21] pour les parcelles cadastrées section AU n° [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 12]. Ces honoraires comprennent l'étude de sol, les honoraires d'architecte pour l'obtention du permis de construire, constats d'affichage, ainsi que les autres études qui ont été nécessaires pour l'obtention de ce permis de construire. »

Il est indiqué par les services fiscaux que cette somme a été réglée directement par le notaire à la société Partimo, société suisse, domiciliée à Genève ayant pour objet la création de sociétés et prise de participations et dont le dirigeant est M. [N].

Ainsi, doivent être déduites du décompte établi par la société [N] :

- La facture de l'huissier Me [E] du 23 juillet 2013 d'un montant de 569 euros TTC, afférente au constat d'affichage du PC sur la période du 17 mai 2013 au 19 juillet 2013,

- La facture de la société Fondaconseil, en date du 9 novembre 2012 d'un montant de 9.448,40 euros TTC, ce géotechnicien ayant réalisé une mission G12 à la demande de la société [N],

- La facture figurant sur le tableau dans l'encadré des factures à payer émise par la société Canel géomètre expert, le 22 avril 2014 pour un montant TTC de 10.045,20 euros, relative à à la recherche de bornage existant et à l'établissement de plans topographiques réguliers.

Enfin, la société [N] a imputé à la SCCV une part des charges qu'elle a réglées entre 2006 à 2013 au titre des assurances, de la comptabilité, du secrétariat, des honoraires du commissaire aux comptes, de la manière suivante :

- Part comptabilité : de 2006 à 2014 : sur la base de 2 000 euros HT par an soit un total de 21 536 euros TTC,

- Part assurances de 2006 à 2014 sur la base de 500 euros HT par an soit un total de 5 384 euros TTC

- Frais secrétariat de 2006 à 2014 sur la base de 2 500 euros HT par an soit un total de 26 920 euros TTC

- Part commissaire aux comptes de 2006 à 2014 sur la base de 500 euros HT par an soit un total de 5 384 euros TTC

S'agissant de ce dernier poste, dans la mesure où la SCVV n'est pas dotée d'un commissaire aux comptes, ces frais ne peuvent être partagés et doivent rester à la charge exclusive de la société [N].

S'agissant de la comptabilité il résulte des pièces produites que la SCCV depuis sa création s'est adjoint les services de la société Cofidest, expert comptable qui a facturé la société pour les exercices clos le 31 décembre 2012, 2013 et 2014.

Il en est de même du secrétariat juridique assuré par la société Epsilon.

Plus généralement faute par la société [N] de justifier du coût global assumée par elle pour ces différents services, il est impossible d'apprécier le montant de la quote part retenue.

En outre, ainsi que l'a retenu la société Eurex, expert comptable, à qui M. [S] a soumis, pour avis, le tableau de la société [N] avec les pièces jointes, M. [N] étant à la fois associé de la SCCV et de la société [N], l'ensemble de ces prestations de services effectuées entre ces deux sociétés est régi par les dispositions visées à l'article R 225-31 du code de commerce, concernant les conventions dites réglementées, impliquant que des conventions de prestations de services aient été établies entre les deux sociétés, qu'elles aient été autorisées par les organes habilités, que le commissaire aux comptes de la société [N] ait été informé de ces conventions et en ait fait mention dans ses rapports.

Enfin, il apparaît que des prestations sont facturées sur la période 2006-2011, alors que la SCCV Senevullaz n'a été constituée qu'en date du 11 octobre 2012.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'en ne fournissant pas à M. [S], malgré ses demandes réitérées d'éléments probatoires établissant le caractère réel et sincère de la majorité des frais dont elle entendait se voir rembourser la moitié lors de l'intégration de ce dernier dans la SCCV , la société [N] avait mis ce dernier dans l'incapacité de s'associer à cette société d'exploitation sans risque pour lui de devoir assumer des charges indues.

Il sera ajouté que M. [S] était parfaitement légitime à pouvoir, avant d'être associé, consulter la comptabilité de la société dans laquelle son entrée au capital était prévue et que l'obstruction manifeste de M. [N] à lui donner accès à cette dernière, est manifestement fautive.

La société [N] et la SCCV font valoir que lors du contrôle fiscal dont la SCCV a fait l'objet en 2018 pour la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, les charges figurant au tableau examinés ci-avant, ont été admises par les services fiscaux.

Les services fiscaux ont relevé qu'il ressortait du relevé de compte de la SCCV chez le notaire concernant la vente à l'OPH les opérations suivantes

Sommes encaissées par la SCCV :

- 16/10/2015 de OPH versement du prix du prix de vente : 581 556,67

- 16/10/2015 de OPH remboursement frais permis de construire : 79 833,18

- 16/10/2015 de OPH remboursement prorata taxes foncière : 234,25

Sommes décaissées par la SCCV :

- 16/10/2015 Honoraires gestion Partimo SA : 34 893,40

- 16/10/2015 Honoraires commercialisation Partimo SA : 69 786,80

- 16/10/2015 Honoraires [N] montage : 42 000,00

- 27/10/2015 Virement SEPA émis au profit de SCI Artimmo solde : 435 110,72 prix de vente

- 04/12/2015 Remboursement frais et honoraires Partim SA [N] : 79 833,18 [U]

Il est précisé par l'inspectrice des finances :

« Lors du contrôle, le 28 février 2018, interrogé sur les virements effectués par l'office notarial, notamment à la SCI Artimmo, il a été indiqué au service que la SCCV Senevullaz n'ayant pas de compte bancaire, le solde du prix de vente avait été encaissé par une société qui avait besoin de trésorerie.

Actuellement la SCI Artimmo rembourse progressivement à la SCCV Senevullaz la somme de 435 110,72 ' : 1 448 ' sur l'exercice clos le 31/12/2015, 125 622 euros sur l'exercice clos le 31/12/2016.

Le mode de remboursement de la SCI Artimmo consiste à payer des factures dues par la SCCV Senevullaz, notamment la facture du 1er juillet 2016 d'un montant TTC de 300 000 euros émise par la SAI [N] libellée comme suit : « montant de la prime de résultat sur la vente du projet de la SCCV Senevullaz conformément à nos accords »

Les services fiscaux précisent que pour justifier cette prime de résultat, la société [N] a fourni un relevé de factures ou de frais pris en charge qu'elle a pris en charge, s'élevant à 409.465,15 euros TTC, dont ils précisent qu'il figure en annexe de la proposition de rectification.

Force est de constater que cette annexe n'est pas jointe au document produit par la société [N] et la SCCV.

En tout état de cause, le contrôle portait sur la comptabilité de la SCCV et non pas sur celle de la société [N], de sorte que les services fiscaux se sont contentés de ce document.

Ils ont récapitulé les sommes facturées par la société [N] à la SCCV comme suit :

- 15/10/2015 Honoraires de montage pour permis de construire : 42000,00 '

- 31/12/2015 Remboursement pour permis de construire : 79 833,18 '

- 01/07/2016 Prime de résultat sur la vente du projet SCCV selon accords : 300.000,00 '

A cette somme de 421.833,18 euros, il y a lieu de rajouter le montant de la vente du terrain par la société [N] à la SCCV le 16 octobre 2012 d'un montant de 50.000 euros.

En revanche les services fiscaux ont redressé la SCCV sur les montants versées par cette dernière à la société Partimo en relevant que :

Lors de la vente du 16 octobre 2015, entre la SCCV et l'OPH, il n'est fait aucune mention dans l'acte de vente de frais de commercialisation en faveur de la société suisse Partimo ni de l'intervention d'un quelconque intermédiaire.

Lors du contrôle fiscal la SCCV n'a produit aucun élément matériel permettant de justifier de la réalité des prestations prétendument rendues par la société suisse Patrimo, au profit de la SCCV.

M [N], président de Patrimo et également gérant de la SCCV a facturé à la SCCV des frais non justifiés qui n'ont donc pas été admis en déduction des résultats de cette dernière société.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, de ces flux financiers entre sociétés ayant le même dirigeant, on comprend mieux les réticences et l'obstruction opposées par la société [N] et la SCCV à communiquer des éléments de comptabilité à M. [S].

Le moyen tiré de l'absence de remise en question par l'administration fiscale des frais exposés par la société [N] qui n'était pas visée par le contrôle fiscal, est inopérant.

III - Sur le préjudice de M. [S]

En l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément, que le premier juge a retenu l'existence d'une perte de chance de 75% pour M. [S] d'entrer au capital de la SCCV et de bénéficier de la moitié des profits diminués de la moitié des charges.

C'est également par une exacte motivation que, prenant en compte le montant des dépenses réellement justifiées, des bénéfices réalisés par la SCVV mais également le fait que la SCCV reste propriétaire d'une parcelle qui représente plus de la moitié du terrain initialement acquis, le premier juge a retenu que la perte subie par M. [S] s'élevait à 75% de 300.000 euros soit 225.000 euros.

Pour contester ce calcul, la société [N] et la SCCV font valoir que cette parcelle, restée propriété de la SCCV, est en zone agricole donc en zone inconstructible de sorte que sa valeur ne peut être comparée à celles vendues.

Or les parcelles n° [Cadastre 2],[Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 12] vendues à l'OPH font toutes parties de la même zone AU qui est une zone urbaine.

A telle enseigne que :

- La demande de permis de construire déposée le 18 décembre 2012, complétée le 5 mars 2013, par la SCCV portait sur l'ensemble des parcelles acquises auprès des époux [H] dont la parcelle n°[Cadastre 10], et a donné lieu à un arrêté accordant le permis de construire en date du 18 décembre 2012, en vue de la construction d'un bâtiment collectif d'une surface de plancher de 2055,47 m2 comportant 41 logements (cf acte de vente SCCV/ OPH pièce [S] n°13).

- Il résulte l'acte de vente du 16 octobre 2015 que l'OPH a déclaré avoir obtenu le transfert de ce permis à son profit suivant arrêté délivré par la mairie de [Localité 21] le 16 février 2015, et que l'acquéreur a déclaré avoir obtenu un permis de construire modificatif en date du 30 avril 2015 avec notamment une modification de la surface de plancher ramenée à 1908,32 m² pour un bâtiment (30 logements) sur les parcelles AU n°[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 12].

- Figure dans cet acte de vente la mention suivante :

« Autorisation de la société Senevullaz

Il est demeuré annexé aux présentes après mention, une attestation en date du 5 mars 2015 émise par la SCCV Senevullaz vendeur aux présentes, autorisant l'ACQUEREUR d'inclure la parcelle cadastrée section AU n° [Cadastre 10] (non vendue aux présentes) dans l'assiette du permis de construire modificatif concernant la construction d'un collectif sur les parcelles cadastrées AU n° [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 12]. »

- En outre, toujours aux termes de cet acte de vente la SCCV Senevullaz a consenti à l'OPH un droit de préférence en cas d'aliénation à titre onéreux du surplus du bien immobilier, surplus actuellement cadastré AU n°[Cadastre 10] d'une contenance de 52 ares 49 ca sur la commune de [Localité 21].

- Enfin, il résulte d'un courrier du maire de [Localité 21] du 27 octobre 2022 , produit par la SCCV, que la commune s'est déclarée intéressée par cette parcelle qui constitue selon ses dires un emplacement stratégique pour elle et a proposé d'en faire l'acquisition. La SCCV soutient qu'elle envisagerait d'en faire un jardin public mais n'apporte aucun élément à l'appui de ses affirmations.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société [N] et la SCCV à payer à M. [S] la somme de 225.000 euros outre intérêts au taux légal.

IV - Sur les mesures accessoires

La société [N] et la SCCV qui échouent en leur appel sont tenues aux dépens exposés devant la cour.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [S] en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum la société [N] devenue SAS Foncière Chablais et du Bas-Chablais et la SCCV Senevullaz aux dépens exposés devant la cour, avec distraction de ces derniers au profit de la selarl Christinaz & Pessey-Magnifique, avocats,

Condamne in solidum la société [N] devenue SAS Foncière Chablais et du Bas-Chablais et la SCCV Senevullaz à payer à M. [P] [S] la somme de 4.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

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