CA Montpellier, 3e ch. civ., 10 avril 2025, n° 19/07647
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Mutuelle des Architectes Français Assurances (Sté)
Défendeur :
Daly (SCI), Generali IARD (SA), SMABTP (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sainati
Conseillers :
M. Carlier, Mme Wattraint
Avocats :
Me Balzarini, SCP Adonne Avocats, Me Laurent, SCP SVA, Me Vernhet, Me Salvignol, SARL Salvignol et Associés, Me Auché Hédou, SCP Auché Hédou, Auché - Avocats Associés
EXPOSE DU LITIGE
La SCI Daly a confié à Monsieur [N] [M], architecte assuré auprès de la Mutuelle des Architectes Français, la maîtrise d''uvre de la rénovation d'un bâtiment sis à Calvisson.
Sont notamment intervenus lors des travaux de rénovation :
La société Mas d'Antan, assurée auprès de la SMABTP pour les travaux de gros 'uvre charpente et couverture ;
La société Construction Calvisson Rénovation, assurée auprès de la SA Generali IARD pour certains travaux de sous-'uvre.
La réception des travaux est intervenue le 13 septembre 2002 avec réserves.
Des premiers désordres ont donné lieu à une condamnation de Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français et la SMABTP au profit de la SCI Daly par jugement du 2 juillet 2009.
Suite à l'apparition de nouveaux désordres notamment des fissures de façade [Adresse 12] et des infiltrations affectant le garage et un local commercial, sur assignation de la SCI Daly par actes des 27 et 30 août 2010, le juge des référés par ordonnance du 16 septembre 2010, a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à Monsieur [H].
Un premier rapport d'expertise a été déposé le 18 janvier 2013, puis un second le 8 août 2016.
Par actes d'huissier de justice des 7 décembre 2018, la SCI Daly a fait assigner la SARL société Construction Calvisson Rénovation, la SA Generali, la SMABTP, Monsieur [N] [M] et laMutuelle des Architectes Français en réparation des désordres affectant son immeuble sur le fondement de la garantie décennale.
Par jugement réputé contradictoire du 25 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier a notamment :
condamné Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français et la SMABTP à payer in solidum à la SCI Daly les sommes de :
22 550 euros pour les réparations des infiltrations et remontées d'humidité ;
32 700 euros pour les pertes locatives du garage ;
dit que dans les rapports entre codébiteurs in solidum la Mutuelle des Architectes Français et la SMABTP se devront réciproquement garantie pour moitié ;
condamné Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français, la SARL Construction Calvisson Rénovation et la SA Generali IARD à payer in solidum à la SCI Daly la somme de 8 250 euros pour les fissurations en façade ;
dit que dans les rapports entre codébiteurs in solidum la Mutuelle des Architectes Français et la SA Generali IARD se devront réciproquement garantie pour moitié ;
condamné Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français, la SMABTP, la SARL société Construction Calvisson Rénovation et la SA Generali IARD in solidum aux entiers dépens comprenant les deux rapports d'expertise et à payer à la SCI Daly une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit que dans les rapports entre codébiteurs in solidum les sommes dues au titre des frais irrépétibles et dépens seront réparties par tiers entre la MAF, la SMABTP et la SA Generali IARD qui se devront respectivement garantie dans ces proportions.
Par déclaration enregistrée par le greffe le 26 novembre 2019, Monsieur [N] [M] et la Mutuelle des Architectes Français ont régulièrement interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la SCI Daly, la SA Generali IARD et la SMABTP.
Par leurs conclusions enregistrées par le greffe le 9 novembre 2023, Monsieur [N] [M] et la Mutuelle des Architectes Français demandent à la cour d'appel de réformer le jugement dont appel en ce qu'il les a condamnés à réparer les causes des infiltrations affectant le local commercial et en ce qu'il les a condamnés à indemniser le préjudice immatériel de la SCI Daly. Ils demandent à la cour de :
juger l'action de la SCI Daly 'irrecevable' s'agissant des infiltrations affectant le local commercial ;
débouter la SCI Daly de l'intégralité de ses demandes formulées au titre des infiltrations affectant le local commercial et du préjudice immatériel ;
condamner les parties intimées aux dépens d'appel et à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions enregistrées par le greffe le 27 avril 2020, la SCI Daly demande à la cour d'appel de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne les pertes de loyers de l'appartement et de condamner in solidum les intimés et l'appelant à lui payer au titre des pertes de loyer la somme de 730 euros par mois pendant 7 mois, soit 5 110 euros.
Par ses conclusions enregistrées par le greffe le 5 janvier 2024, la SMABTP demande à la cour d'appel de réformer le jugement dont appel en ce qu'il l'a condamnée à réparer les causes des infiltrations affectant le garage et le local commercial et à indemniser le préjudice immatériel de la SCI Daly. Elle demande à voir juger l'action de la SCI Daly prescrite et donc irrecevable s'agissant des infiltrations affectant le garage et le local commercial et à débouter la SCI Daly s'agissant du préjudice immatériel. A titre subsidiaire, elle demande à la cour de juger qu'elle est légitime à opposer la franchise contractuelle évaluée à la somme de 348 euros dans l'hypothèse d'une condamnation au titre des préjudices immatériels. Elle demande en outre à voir condamner la partie succombante aux dépens et à lui payer à la concluante la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions enregistrées au greffe le 14 août 2020, la SA Generali IARD demande à la cour d'appel de confirmer le jugement entrepris. Subsidiairement elle demande à la cour de :
dire que sa garantie n'est pas mobilisable en raison de la résiliation de la police de à la date du 1er août 2009 ;
en cas de condamnation au titre des dommages immatériels, dire que la franchise contractuelle est opposable aux tiers.
Elle demande en outre à voir condamner Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français et la SCI Daly en tous les dépens dont distraction au profit de maître Salvignol et au paiement d'une somme de 2 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 22 janvier 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et à la décision déférée.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler » ou « dire et juger » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.
Sur les fissurations en façade
Aucune partie ne sollicitant l'infirmation du jugement sur ce point, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [N] [M], la MAF, la SARL Construction Calvisson Rénovation et la SA Generali à payer in solidum à la SCI Daly la somme de 8 250 euros pour les fissurations en façade.
Sur les infiltrations affectant le local commercial
Le tribunal a estimé que les remontées d'humidité dans le local commercial étaient la conséquence certaine des fissures en partie basse portant, d'après l'expert, atteinte à la destination des locaux et présentes lors du constat d'huissier du 26 mai 2010, soit avant l'expiration du délai d'épreuve, ce que soutient également la SCI Daly qui affirme que le désordre affectant le local commercial était mentionné dans son assignation en référé des 27 et 30 août 2010.
Pourtant, et ainsi que le soutiennent la Mutuelle des Architectes Français, Monsieur [N] [M] (par un moyen qui relève néanmoins du débouté et non de l'irrecevabilité) et la SMABTP, aucun élément du dossier, et notamment le rapport d'expertise judiciaire (pièce 1 de la SCI Daly), ne permet d'affirmer que les remontées d'humidité affectant le local commercial seraient la conséquence de fissures en partie basse visées dans l'assignation délivrée à la demande de la SCI Daly (pièce 1 de la MAF) et décrites dans les procès-verbaux de constat du 26 mai 2010 (pièces 3 et 4 de la MAF), lesquels constats ne mentionnent d'infiltrations qu'au niveau des places de parking.
Dans ces conditions, l'assignation délivrée les 27 et 30 août 2010 n'a pu valablement interrompre le délai de prescription s'agissant des infiltrations affectant le local commercial.
La réception des travaux étant intervenue le 13 septembre 2002, la responsabilité décennale des intervenants à l'acte de construire de l'article 1792 du code civil s'est trouvée prescrite le 13 septembre 2012 et le désordre affectant le local commercial, apparu postérieurement au 13 septembre 2012, ne peut dans ces conditions engager la responsabilité décennale des intervenants à l'acte de construire.
Le jugement sera dans ces conditions infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [N] [M], la MAF et la SMABTP à payer à la SCI Daly la somme de 6 600 euros (selon le chiffrage de l'expert relatif aux remontées d'humidité).
Sur les infiltrations affectant le garage
Le tribunal a également retenu la responsabilité décennale de Monsieur [N] [C], de la MAF et de la SMABTP, assureur de l'entreprise Mas d'Antan.
La SMABTP souligne que l'expert n'indique pas la date d'apparition du désordre, et souligne qu'aucune infiltration n'avait été constatée en 2008. Elle en déduit qu'il n'est pas démontré que le désordre soit apparu avant l'expiration de la garantie décennale. Elle ajoute que son assurée n'a pas eu la charge de l'étanchéité de la terrasse intérieure du premier étage et que c'est le défaut d'étanchéité de cette terrasse qui est à l'origine des infiltrations dans le garage.
Les infiltrations dans le garage ont été constatées par huissier de justice le 26 mai 2010 et l'assignation en référé en date des 27 et 30 août 2010 vise expressément ces désordres, de sorte qu'il apparaît clairement que ce désordre est apparu avant l'expiration du délai décennal le 13 septembre 2012.
S'agissant de l'intervention de l'entreprise Mas d'Antan, cette dernière est intervenue en qualité d'entreprise générale et aurait dû alerter le maître de l'ouvrage et le maître d''uvre du défaut d'étanchéité de la terrasse et de ses conséquences, ainsi que le relève l'expert judiciaire sur un plan technique (page 38 du rapport d'expertise judiciaire).
Dès lors, l'entreprise Mas d'Antan revêt la qualité de constructeur au sens de l'article 1792 du code civil.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les pertes locatives
Concernant le garage
Le tribunal a retenu que le garage était inlouable du fait des infiltrations engendrant notamment le pourrissement des meubles et, relevant que ledit garage avait été loué en 2003 sur une base mensuelle de 300 euros, a évalué le préjudice subi à 300 euros x 109 mois (de juin 2010 à juillet 2019 ) = 32 700 euros.
Monsieur [N] [M] et son assureur la MAF estiment pour leur part que la preuve de l'exploitation du garage n'est pas rapportée et qu'en tout état de cause, le bail limite son utilisation au stationnement de véhicule et stockage de matériaux, de sorte que l'humidité n'est pas un obstacle à cet usage.
La SMABTP conclut dans le même sens de l'absence de préjudice. Elle soutient également que le lien de causalité entre les désordres et l'absence de location n'est pas rapportée. Pour elle, au surplus, l'indemnisation du montant brut du loyer retenue par le tribunal est supérieure au préjudice économique réel.
La SCI Daly soutient pour sa part que le garage est devenu impropre à la location du fait des infiltrations, sauf l'utilisation de fortune à titre gratuit pour stocker des denrées non périssables et du petit matériel (pièce 12 de la SCI Daly).
Si la SCI Daly a loué le garage litigieux de septembre 2002 à septembre 2003 (pièce 8 de la SCI Daly), elle ne justifie par la suite d'aucun contrat de location relatif à ce garage alors que ce dernier était utilisable à minima de septembre 2003 à 2010, moment de l'apparition des infiltrations, étant observé que la lettre de préavis versée aux débats et dont il n'est pas possible d'identifier le signataire (pièce 5 de la SCI Daly) fait curieusement état d'infiltrations en 2003 alors que ce désordre n'a été constaté qu'en 2010 et qu'il est qualifié par la SCI Daly, aux terme de son assignation en référé des 27 et 30 août 2010, de désordre récemment apparu.
Dès lors, il n'est pas démontré que ce garage était destiné à la location et la preuve de l'existence d'un préjudice n'est pas rapportée.
Le jugement sera par conséquent infirmé et la SCI Daly sera déboutée de sa demande.
Concernant l'appartement
Le tribunal a débouté la SCI Daly de sa demande d'indemnisation d'un préjudice de jouissance eu égard à l'absence d'infiltration dans ledit appartement pendant le délai de la garantie décennale.
La SCI Daly conteste cette analyse. Elle fait valoir que le locataire de l'appartement a donné congé en décembre 2018 du fait des difficultés d'occupation liées aux infiltrations (pièce 7 de la SCI Daly).
Toutefois, la lecture du rapport d'expertise judiciaire laisse apparaître que si l'expert a relevé l'existence de fissures à l'extérieur du logement, il n'a noté aucun dommage à l'intérieur de l'appartement (page 19 du rapport d'expertise judiciaire), de sorte qu'il ne peut être valablement soutenu que des infiltrations à l'intérieur de l'appartement auraient rendu ce dernier insalubre, et donc inhabitable.
Le jugement sera par conséquent confirmé sur ce point.
Sur les franchises
La SMABTP formule une demande au titre de la franchise pour le cas de condamnation au titre des préjudices immatériels.
Or, aucune condamnation n'étant prononcée aux termes du présent arrêt à ce titre, cette demande devient sans objet.
Sur les rapports entre codébiteurs
Le tribunal a dit que dans les rapports entre codébiteurs in solidum les assureurs se devront réciproquement garantie pour moitié et cette disposition du jugement, en ce qu'elle n'est pas critiquée en cause d'appel, sera confirmée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Eu égard à l'issue du litige, le jugement sera confirmé.
En cause d'appel, Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français, la SMABTP ayant été partiellement accueillies en leurs demandes et le jugement étant confirmé à l'égard de la SA Generali, les parties seront déboutées de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et il sera dit que chaque partie conservera la charge des dépens exposées par elle en cause d'appel, avec distraction au profit de Maître Salvignol.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Montpellier sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français et la SMABTP en qualité d'assureur de l'entreprise Mas d'Antan à payer in solidum à la SCI Daly la somme de 6 600 euros au titre des remontées d'humidité et la somme de 32 700 euros pour les pertes locatives du garage ;
Statuant des chefs infirmés,
Déboute la SCI Daly de sa demande au titre des remontées d'humidité et des pertes locatives du garage, de sorte que la condamnation prononcée à l'encontre de Monsieur [N] [M], la Mutuelle des Architectes Français et la SMABTP en qualité d'assureur de l'entreprise Mas d'Antan s'élève au total à la somme de 15 950 euros (infiltrations) ;
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens exposées par elle en cause d'appel, avec distraction au profit de Maître Salvignol.