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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 15 avril 2025, n° 24/00473

LYON

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Hygiene Eco Services (SARL)

Défendeur :

CDC Habitat Social (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Seitz

Avocats :

Me Albisson, SELAS Lega-Cité

TGI Lyon, du 20 déc. 2023, n° 19/10693

20 décembre 2023

* * * * *

La société HES Hygiène Eco Services (la société HES) est spécialisée dans le nettoyage des bâtiments et le nettoyage industriel.

Elle a été attributaire à ce titre de marchés publics conclus avec la société Caisse des dépôts et consignation - habitat social (la société Habitat social), le dernier ayant porté sur les lots 1 et 2 du marché de nettoyage des immeubles relevant de ses immeubles de [Localité 5] et [Localité 6].

L'exécution de ce marché a débuté le 1er janvier 2015 pour s'achever le 31 décembre 2018.

La société HES s'est plainte d'impayés en fin de marché.

Selon appel public à la concurrence publié le 31 octobre 2018, la société Habitat social a ouvert une nouvelle procédure d'appel d'offres pour ses marchés de nettoyage des immeubles du Rhône, répartis en 5 lots.

La société HES a soumissionné aux lots 1, 3 et 5. Cette soumission n'a pas été retenue.

Les échanges amiables entre les parties n'ont pas conduit au règlement amiable de leur différend et la société HES a fait assigner la société Habitat social devant le tribunal de grande instance de Lyon, pour entendre prononcer l'annulation du rejet de sa soumission pour les lots 1 et 5 et obtenir la condamnation de la défenderesse à lui régler les sommes de 140.018 et 260.822 euros en principal.

Par jugement du 20 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Lyon a débouté la société HES de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me [H], ainsi qu'à payer à la société Habitat social la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société HES a relevé appel de cette décision suivant déclaration enregistrée le 18 janvier 2024.

Par conclusions d'incident déposées le 17 décembre 2024, la société HES demande au conseiller de la mise en état de prononcer le sursis à statuer dans l'attente de la clôture de l'instruction pénale n°23/56 et d'un éventuel renvoi devant le tribunal correctionnel de Lyon.

Elle fait valoir qu'elle a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction pour favoritisme s'agissant de l'attribution du marché litigieux. Elle estime y avoir lieu d'attendre l'issue de cette plainte avant de statuer sur le fond de l'affaire civile.

Par conclusions sur incident déposées le 14 février 2025, la société Habitat social demande au conseiller de la mise en état de déclarer la demande de sursis à statuer irrecevable et d'en débouter la société HES.

L'intimée fait valoir que la demande de sursis à statuer doit être déposée in limine litis avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Elle observe que tel n'a pas été le cas en l'espèce, la plainte avec constitution de partie civile étant intervenue dès la première instance sans que la demande de sursis à statuer ne soit soumise au premier juge, ni au conseiller de la mise en état en amont du dépôt des conclusions par lesquelles l'appelante a conclu sur le fond.

L'incident a été appelé à l'audience du 18 mars 2025, à laquelle le conseiller de la mise en état a invité les parties à faire valoir, en tant que de besoin, leurs observations quant à la possibilité lui étant offerte de surseoir à statuer d'office.

La société HES a été autorisée à transmettre en délibéré les justificatifs de la plainte avec constitution de partie civile déposée entre les mains du doyen des juges d'instruction.

Elle a communiqué les 03 et 07 avril 2025 la copie de la plainte avec constitution de partie civile puis le justificatif de la consignation fixée par le doyen des juges d'instruction.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de sursis à statuer :

Vu l'article 74 du code de procédure civile ;

En application de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

La demande de sursis à statuer, constitutive d'une exception dilatoire, obéit au régime des exceptions de procédure. Il en résulte qu'elle doit être élevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, quand même serait-elle fondée sur les dispositions d'ordre public de l'article 4 du code de procédure pénale.

Il est constant en l'espèce que la plainte avec constitution de partie civile du chef du délit de favoritisme, motivant la demande de sursis à statuer formée sur le fondement des articles 378 à 380-1 du code de procédure civile, a été déposée par le gérant de la société HES le 31 mai 2023.

Elle était en conséquence connue de la société HES en amont du dépôt de ses conclusions d'appelante, intervenu le 19 avril 2024.

Il s'ensuit que la demande de sursis à statuer formée le 17 décembre 2024 est irrecevable, comme formée après que l'appelante ait formulé une défense au fond.

Sur la nécessité de surseoir à statuer d'office, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice :

Vu l'article 378 du code de procédure civile ;

Vu l'article 4 du code de procédure pénale ;

Conformément à l'article 4 du code de procédure pénale, ' l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 du même code peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil '.

L'irrecevabilité d'une demande de sursis à statuer formée par une partie en méconnaissance des dispositions de l'article 74 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce que le juge ordonne le sursis de sa propre initiative, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Il est constant en l'espèce que l'action exercée devant la cour a pour objet la réparation du préjudice de la société HES, né de l'attribution prétendument irrégulière du lot n°1 du marché de nettoyage des locaux de la société Habitat social. La société HES se prévaut notamment du caractère irrégulier, voire faux du certificat de visite délivré à la société concurrente Victoria par la société Habitat social.

Or, la société HES justifie de ce que son gérant a déposé plainte avec constitution de partie civile le 31 mai 2023 contre la société Habitat social, pour octroi d'avantage injustifié au sens de l'article 432-14 du code pénal. Au titre des éléments constitutifs du délit objet de la plainte, la société HES reproche à la société Habitat social l'irrégularité précédemment évoquée dans la délivrance du certificat de visite.

Elle justife également, par la production d'un certificat de versement émis le 24 novembre 2023, avoir acquitté dans le délai imparti la consignation de 1.500 euros fixée par le doyen des juges d'instruction.

Elle démontre ce faisant la mise en mouvement de l'action publique relativement à l'infraction dont elle recherche la réparation dans le cadre de la présente instance.

La chose susceptible d'être jugée au pénal pouvant avoir une incidence majeure sur l'issue du procès civil, il participe d'une bonne administration de la justice de surseoir à statuer dans l'attente des suites données à la plainte, jusqu'à :

- l'ordonnance du magistrat instructeur saisi de la procédure 23/56, statuant sur les mérites de la plainte et ordonnant le non-lieu ou le renvoi devant la juridiction de jugement s'agissant du délit de favoritisme reproché à la société Habitat social dans l'attribution du lot n°1 du marché de nettoyage de ses locaux rhodaniens,

- l'issue du procès pénal en cas de renvoi de la société Habitat social devant le tribunal correctionnel du chef de favoritisme.

PAR CES MOTIFS

Le conseiller de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance susceptible d'être déférée à la cour,

- Déclare la demande de sursis à statuer formée par la société HES Hygiène eco services irrecevable ;

- Mais statuant d'office, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ordonne néanmoins qu'il soit sursis à statuer sur les mérites de l'appel et les demandes de la société HES Hygiène eco services dans l'attente des suites données à la plainte avec constitution de partie civile déposée le 31 mai 2023 par cette société entre les mains du doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Lyon, jusqu'à :

l'ordonnance du magistrat instructeur saisi de la procédure 23/56, statuant sur les mérites de la plainte et ordonnant le non-lieu ou le renvoi devant la juridiction de jugement s'agissant du délit de favoritisme reproché à la société Habitat social dans l'attribution du lot n°1 du marché de nettoyage de ses locaux rhodaniens,

ou l'issue du procès pénal en cas de renvoi de la société Habitat social devant le tribunal correctionnel du chef de favoritisme ;

- Dit que les dépens générés par l'incident suivront le sort de ce qui sera statué en la matière par arrêt sur le fond ou décision de désaisissement ;

- Dit que l'audience de mise en état du 6 mai 2025 n'a plus d'objet.

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