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Décisions

CA Orléans, ch. des retentions, 16 avril 2025, n° 25/01186

ORLÉANS

Ordonnance

Autre

CA Orléans n° 25/01186

16 avril 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers

ORDONNANCE du 16 AVRIL 2025

Minute N°351/2025

N° RG 25/01186 - N° Portalis DBVN-V-B7J-HGLH

(1 pages)

Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans en date du 14 avril 2025 à 12h58

Nous, Sébastien EVESQUE, conseiller à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation de lap remière présidente de cette cour, assisté de Sophie LUCIEN, greffier placé, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANT :

M. le préfet d'Ille-et-Vilaine

non comparant, non représenté ;

INTIMÉ :

M. [Y] [I] [X]

né le 11 janvier 2007 à [Localité 2] (Tunisie), de nationalité tunisienne

libre, sans adresse connue

convoqué à personne au centre de rétention d'[Localité 1],

non comparant représenté par Me Laure MASSIERA, avocat au barreau d'Orléans ;

MINISTÈRE PUBLIC : avisé de la date et de l'heure de l'audience ;

À notre audience publique tenue au Palais de Justice d'Orléans, le 16 avril 2025 à 14h00 ;

Statuant en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code ;

Vu l'ordonnance rendue le 14 avril 2025 à 12h58 par le tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l'irrégularité de la procédure, constatant que la requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative est devenue sans objet et disant n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [Y] [I] [X] ;

Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 14 avril 2025 à 17h24 et complété le 15 avril 2025 à 08h39 par M. le préfet d'Ille-et-Vilaine ;

Après avoir entendu Me Laure MASSIERA, en sa plaidoirie ;

AVONS RENDU ce jour l'ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :

Par une ordonnance du 14 avril 2025, rendue en audience publique à 12h58, le magistrat du siège du tribunal judiciaire d'Orléans a constaté l'irrégularité de la procédure diligentée à l'égard de M. X se disant [X] [Y] [I], et dit n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de ce dernier.

Par courriels transmis au greffe de la chambre des rétentions administratives de la cour le 14 avril 2025 à 17h24 et le 15 avril 2025 à 8h39, le préfet d'Ille-et-Vilaine a interjeté appel de cette décision.

Il conteste le moyen de nullité accueilli par le premier juge, concernant l'habilitation de l'agent ayant consulté le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (FAED).

En premier lieu, il n'existerait aucun doute sérieux sur la réalité de cette habilitation puisque la consultation a en l'espèce été réalisée par Mme [T] [K], qui disposait d'un numéro d'identification système, et était agent de la sous-direction des systèmes d'informations et de la biométrie, service spécialement habilité pour ce type d'opération.

En second lieu, il est rappelé que ce n'est pas l'agent ayant rédigé les procès-verbaux de garde à vue qui a procédé lui-même à la consultation des fichiers FAED puisqu'il n'a été que destinataire du rapport consulté par une personne habilitée.

En troisième lieu, l'article 15-5 du code de procédure pénale, dans sa nouvelle rédaction, prévoirait que l'absence de mention de l'habilitation à consulter un fichier ne peut entraîner la nullité de la procédure dès lors que le magistrat en charge de l'examen de cette dernière est en mesure de vérifier l'existence de l'habilitation et que ce contrôle, prévu par la loi, n'est pour le juge qu'une simple faculté et non une obligation.

Enfin, les termes de l'article L. 743-12 du CESEDA impliquent qu'une irrégularité ne peut entraîner de mainlevée qu'en cas d'atteinte substantielle aux droits de l'étranger, dont l'effectivité n'a pu être rétablie par une régularisation survenue avant la clôture des débats. Dans la situation de M. X se disant [X] [Y] [I], le grief ne serait pas démontré en l'espèce, dans la mesure où les identités et mentions du fichier n'ont pas été reprises, que ce soit pour caractériser un risque de fuite ou une menace à l'ordre public.

Motifs :

En premier lieu, l'article R. 40-38-1 du code de procédure pénale dispose que le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui a notamment pour finalité de faciliter l'identification d'un étranger dans les conditions prévues à l'article L. 142-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Selon les dispositions de l'article R. 40-38-7 du même code, peuvent avoir accès à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, à tout ou partie des données et informations mentionnées aux articles R. 40-38-2 et R. 40-38-3 les personnels de la police nationale et ceux de la gendarmerie nationale individuellement désignés et dûment habilités, affectés dans les services chargés d'une mission de police judiciaire et spécialement chargés de la mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.

Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutient la préfecture dans son mémoire, la seule qualité de policier ou de gendarme, même pour un agent affecté à la sous-direction des systèmes d'informations et de la biométrie, ne permet pas d'accéder aux données du FAED, dès lors qu'il est exigé que l'agent soit pourvu d'une habilitation individuelle et spéciale aux fins de consultation et d'alimentation pour les agents cités au point n° 2 de l'article R. 40-38-7, ainsi que d'identification des personnes pour les agents cités au point n° 1 du même article.

En l'espèce, il est joint à la pièce n°8, intitulée « procédure partie 1 » de la requête en prolongation (p. 10 et suivantes), le rapport d'identification dactyloscopique du FAED en date du 9 avril 2025, démontrant que ce fichier a été consulté ce même jour par Mme [T] [K].

Si cette dernière est effectivement un agent de la sous-direction des systèmes d'information et de la biométrie, elle-même rattachée au SNPS, cela ne la dispense pas de justifier d'une habilitation individuelle et spéciale aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification du fichier.

Déduire l'existence de cette habilitation en tenant compte du grade et du service d'affectation de l'agent reviendrait, pour la cour, à se fonder sur des motifs hypothétiques, d'autant que la charge de la preuve a été aménagée en jurisprudence grâce aux mentions faisant foi des procès-verbaux (Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.513).

Ainsi, la cour rejette le moyen soulevé par la préfecture, en son premier volet. Elle devra donc rechercher, par un autre moyen, l'habilitation de Mme [T] [K].

En second lieu, s'agissant de Mme [F] [N], qui n'a fait qu'annexer le rapport du FAED à la procédure après en avoir été destinataire en application de l'article R. 40-38-7, II, la cour souscrit à l'analyse du préfet et considère qu'elle n'est pas tenue de rechercher si cette personne est pourvue d'une habilitation.

En troisième lieu, l'article 15-5 du code de procédure pénale dispose :

« Seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction.

La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée. L'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ».

Le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale a donné lieu à un recours devant le Conseil constitutionnel qui a reconnu sa conformité à la Constitution pour les motifs suivants (décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023) :

« 100. Selon les députés requérants, ces dispositions instaureraient une présomption d'habilitation permettant à tout agent, sans encadrement suffisant, de consulter des traitements automatisés de données dans l'exercice de leurs fonctions. Elles seraient ainsi entachées d'incompétence négative et méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée.

101. Les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les agents de l'obligation de disposer d'une habilitation pour consulter des traitements de données, ou de faire obstacle à l'annulation d'un acte de procédure résultant d'une telle consultation par un agent dépourvu d'habilitation.

102. Par conséquent, la seconde phrase du second alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale et la seconde phrase du second alinéa de l'article 55 ter du code des douanes, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution ».

Ainsi, le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale n'est conforme à la Constitution qu'en ce qu'il préserve l'exigence d'une habilitation pour consulter les traitements de données, et qu'à défaut d'habilitation, la procédure menée suite à la consultation illicite encourt la nullité.

Il convient de rappeler qu'au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (1ère Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).

Il s'ensuit que la preuve de l'habilitation à consulter le FAED est une garantie du respect des libertés individuelles et que tout intéressé ayant fait l'objet d'une consultation de ses données, est à même d'exiger qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ces données.

Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu'il appartient à la juridiction saisie d'un moyen en ce sens de vérifier la réalité de cette habilitation pour s'assurer de la capacité de l'agent concerné à accéder audit traitement en ordonnant, le cas échéant, un supplément d'information (Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.813, déjà citée).

En l'espèce, M. [X] [Y] [I] a, par la voix de son conseil lors de l'audience du 14 avril 2025, demandé qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ses données personnelles enregistrées au FAED.

Ainsi, le contrôle du magistrat du siège du tribunal judiciaire, effectué sur demande de l'intéressé, était non pas une faculté mais une obligation.

De plus, la cour constate que l'habilitation de Mme [T] [K] n'est pas justifiée en procédure, et qu'aucun élément nouveau n'est produit, que ce soit devant le magistrat du siège du tribunal judiciaire ou devant la cour.

Il s'ensuit que le moyen soulevé par la préfecture, en son troisième volet, est inopérant et doit également être écarté.

Enfin, s'agissant de l'existence d'un grief, la cour rappelle que s'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits (1ère Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).

Par conséquent, la référence à l'article L. 743-12 du CESEDA et à l'inexistence d'un grief par la préfecture d'Ille-et-Vilaine est erronée. Son moyen est donc également rejeté en son quatrième volet.

Ainsi, au regard de tout ce qui précède, et sans qu'il soit nécessaire de rechercher l'existence d'un grief, et de se prononcer sur les autres moyens soulevés en cause d'appel, la cour constate que la procédure est entachée d'une nullité d'ordre public justifiant de procéder à une mainlevée, ce que le premier juge a retenu à juste titre.

PAR CES MOTIFS,

DÉCLARONS recevable l'appel de la préfecture d'Ille-et-Vilaine ;

CONFIRMONS l'ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans du 14 avril 2025 ayant constaté l'irrégularité de la procédure et dit n'y avoir lieu à la prolongation de la rétention administrative de M. X se disant [X] [Y] [I];

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;

ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à M. le préfet d'Ille-et-Vilaine, à M. [Y] [I] [X] et son conseil, et à M. le procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;

Et la présente ordonnance a été signée par Sébastien EVESQUE, conseiller, et Sophie LUCIEN, greffier placé présent lors du prononcé.

Fait à Orléans le SEIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ, à 15 heures 19

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Sophie LUCIEN Sébastien EVESQUE

Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

NOTIFICATIONS, le 16 avril 2025 :

M. le préfet d'Ille-et-Vilaine, par courriel

M. [Y] [I] [X] , par transmission au greffe du CRA d'[Localité 1], dernière adresse connue

Me Laure MASSIERA, avocat au barreau d'Orléans, par PLEX

M. le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel

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