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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. B, 17 avril 2025, n° 22/04284

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 22/04284

17 avril 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 17 AVRIL 2025

PRUD'HOMMES

N° RG 22/04284 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M4MO

Monsieur [N] [S]

c/

S.A.S. H2MC

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Me Nicolas MAINGARD, avocat au barreau de PARIS

Me Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 septembre 2022 (R.G. n°F 19/01809) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section encadrement, suivant déclaration d'appel du 15 septembre 2022,

APPELANT :

[N] [S]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] / France

Représenté et assisté par Me Nicolas MAINGARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.S. H2MC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1] / France

Représentée et assisté par Me Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 24 février 2025 en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d'instruire l'affaire, et monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire,

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

FAITS ET PROCEDURE

1.La société H2MC est la holding d'un groupe composé de trois sociétés d'exploitation (Distriwatt-Negowatt et Prestawatt). M. [S] a intégré le 18 avril 2013 la société H2MC par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de directeur des opérations, statut cadre, régi par la convention collective nationale du commerce de gros, moyennant une rémunération fixe mensuelle brute de 5 071,23' sur 12 mois. Ayant fait l'objet de remontrances de la part de sa hiérarchie (M. [B], président de la société H2MC), il a accepté une modification de ses attributions professionnelles en prenant en charge les questions informatiques dans une période de migration des outils logiciels. Malgré le changement de ses attributions, la hiérarchie de M. [S] a considéré que le comportement relationnel du salarié posait difficulté, une rupture conventionnelle étant alors envisagée à l'initiative de l'employeur qui a été refusée par M. [S]. Le licenciement de M. [S] pour insuffisance professionnelle a été prononcé le 18 octobre 2019.

2.M. [S] a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger qu'il avait fait l'objet d'un licenciement verbal et subsidiairement, que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et obtenir la condamnation de la société H2MC à lui payer diverses sommes à titre salarial et indemnitaire. Par jugement du 2 septembre 2022, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a débouté M. [S] de ses demandes et l'a condamné aux dépens et à payer à la société H2MC la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PRETENTIONS

3.Par conclusions d'appelant du 7 décembre 2022, M. [S] demande :

- l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau :

-à titre principal, qu'il soit jugé qu'il a fait l'objet d'un licenciement verbal avant l'engagement de la procédure de licenciement privant la rupture du contrat de travail de cause réelle et sérieuse

-à titre subsidiaire, que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse

- la condamnation en conséquence de la société H2MC à lui payer les sommes suivantes :

.dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 58 387'

.rappel d'heures supplémentaires de janvier 2017 à septembre 2019 31 806,27'

.congés payés sur heures supplémentaires 3 180,63'

.article 700 du code de procédure civile 3 000'

- la condamnation de la société H2MC aux dépens d'appel.

4.Par conclusions du 1er mars 2023, la société H2MC demande :

- la confirmation du jugement

- qu'il soit jugé que le licenciement de M. [S] repose sur une insuffisance professionnelle

- en conséquence, le rejet des demandes de M. [S]

-à titre reconventionnel, la condamnation de M. [S] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement verbal

Exposé des moyens

5.M. [S] fait valoir :

- qu'il a contribué au redressement et à la croissance exponentielle de l'activité du groupe entre 2013 et 2019 (multiplication par quatre de son chiffre d'affaires) et a été félicité par sa hiérarchie pour la qualité de son travail et ses réalisations en bénéficiant de primes tout au long de l'exécution de son contrat de travail

- que lors d'un entretien informel du 3 septembre 2019, le président de la société employeur lui a brutalement fait part de sa décision de mettre un terme à leur collaboration, au motif de prétendus problèmes relationnels entre lui et une grande partie du personnel, ce que le président de la société H2MC a confirmé au père du salarié et actionnaire de la société, en faisant état de problèmes de comportement du salarié avec certains membres du CODIR dont il était membre et la plupart des collaborateurs de l'entreprise

- qu'une rupture conventionnelle lui a été proposée par courriel de convocation du 5 septembre 2019 dont il a refusé les conditions tandis qu'il a été mis en arrêt de travail à compter du 18 septembre jusqu'au 1er octobre 2019

- que dès son retour, il s'est vu remettre en main propre une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, assortie d'une dispense de présence dans l'entreprise jusqu'à l'issue de la procédure.

M. [S] fait encore valoir que si, avant l'entretien préalable, l'employeur a manifesté la volonté irrévocable de rompre le contrat de travail d'un salarié, le licenciement de ce dernier est verbal et sans cause réelle et sérieuse ( Soc 12 décembre 2018 n°1627537 et 23 octobre 2019 n°1728800). Il explique que M. [B] lui a fait part, lors de l'entretien du 3 septembre 2019, de sa décision de mettre un terme à leur collaboration en raison de prétendues difficultés relationnelles rencontrées par le salarié avec la plupart des collaborateurs de l'entreprise et qu'à défaut d'une rupture conventionnelle, il serait licencié. Il ajoute que M. [B] a tenté de faire pression sur son père afin qu'il le convainque d'accepter un départ négocié (courriel du 4 septembre 2019) et que le courriel de M. [B] ne laisse aucun doute sur sa décision définitive de mettre un terme au contrat de travail, soit un mois avant l'engagement de la procédure de licenciement. Il ajoute que M. [B] a confirmé sa décision irrévocable par le courriel du 13 septembre 2019 pour des griefs énoncés dans la lettre de licenciement du 18 octobre 2019 identiques à ceux exprimés dans le courriel du 4 septembre 2019 à savoir notamment 'des problèmes récurrents de comportement, de communication, de perception des réalités et des priorités, de fiabilité et de rigueur..des grandes difficultés que [N] rencontre depuis le début de notre association avec l'ensemble des membres du CODIR, mais aussi avec de nombreux autres collaborateurs qui ne souhaitent plus travailler avec lui.'

6.La société H2MC rétorque que le salarié passe sous silence les nombreux échanges et tentatives de médiation entre M. [B], le salarié et le reste des salariés de l'entreprise et les écrits dans lesquels M. [S] est rappelé à l'ordre, notamment le 20 avril 2015 et en réponse au courriel du salarié de mai 2015 en raison des propos tenus à l'égard de son supérieur hiérarchique, le 6 juillet 2015 et le 31 janvier 2018 dans lequel sont pointées les complications salariales liées au comportement de M. [S] à l'égard de ses collaborateurs et de leurs conséquences. Elle précise qu'un recentrage des missions a été opéré en conséquence au cours du deuxième trimestre 2018, accepté par le salarié, limitant le management et le recentrant sur le suivi des systèmes d'informations afin d'accompagner le changement des logiciels et de fiabiliser au maximum les indicateurs de suivi.

La société H2MC souligne qu'une nouvelle chance était donnée au salarié, tandis que les collaborateurs de l'entreprise étaient protégés, mais que M. [S] n'a pas modifié son comportement relationnel tandis qu'il a montré une incapacité à occuper ses fonctions, nécessitant l'intervention des équipes encadrantes pour corriger au quotidien les erreurs du salarié. Elle précise que le salarié n'a pas été licencié oralement, une rupture conventionnelle étant proposée à M. [S] compte tenu du contexte familial, soumise à son accord, tandis que le père de M. [S] était avisé en sa qualité d'associé des raisons qui conduisaient M. [B] à souhaiter se séparer du salarié en lui permettant de sortir 'par le haut'.

Réponse de la cour

7. Dans son courriel du 5 septembre 2019, M. [B] a écrit à M. [N] [S] : 'Je reviens vers toi comme convenu à la suite de notre réunion du mardi 3 septembre dernier en présence de [R] et [G] (en leur qualité respective d'associé et de DRH). Je crois que nous sommes ensemble arrivés à la conclusion que nous devions mettre un terme à notre collaboration. Dans ces conditions, je me propose que nous te recevions mercredi 11 septembre prochain à 11 heures dans mon bureau avec [G] afin de nous entretenir ensemble des conditions permettant de mettre fin à notre relation au moyen d'une rupture conventionnelle du contrat de travail...Nous évoquerons ensemble lors de cet entretien les modalités pratiques et financières entourant cette rupture conventionnelle.'

Dans son courriel du 4 septembre 2019, M. [B] a écrit à M. [K] [S], père du salarié : 'Je t'écris ce message car j'ai reçu [N] en entretien hier en présence de [R] et [G] pour évoquer la fin de notre coopération...La situation n'est désormais plus tenable, puisque même les cadres nouvellement recrutés me font part de leur doute sur leur capacité à travailler avec [N]. Et je suis convaincu que cette situation ne pourra pas évoluer favorablement...J'ai échangé avec [N] sur ces sujets à de nombreuses reprises et je lui ai exprimé par écrit au début de l'année dernière l'analyse de la situation, ses conséquences et les axes d'amélioration qu'il devait impérativement mettre en oeuvre. J'ai tenté de l'aider mais malheureusement la situation n'a pas changé et [N] s'est encore plus enfoncé...aujourd'hui, malgré toutes les réjouissances de notre actualité professionnelle, [N] est totalement isolé, il semble perdu et je pense mal dans sa peau dans sa vie dans l'entreprise. J'ai donc proposé à [N] une 'sortie par le haut', dans le cadre de laquelle nous communiquerons sur le fait qu'après avoir récemment mené à bien deux projets majeurs pour le groupe ( WMS & outil immobilier) et qu'à défaut de nouveaux projets d'envergures à court terme, [N] a décidé de se destiner à de nouveaux challenges. Bien entendu, nous ferons en sorte que ses intérêts financiers soient préservés (rupture conventionnelle de son contrat de travail pour lui ouvrir ses droits et activation de la clause de valorisation de ses parts de notre pacte d'associés)... je souhaite de tout coeur que cette séparation n'affecte pas nos liens amicaux et familiaux...'

La proposition de la société employeur de recourir à une rupture conventionnelle faite à M. [N] [S] n'emporte pas la démonstration qu'elle avait décidé de recourir à la mesure de licenciement à son égard. Par sa nature, la rupture conventionnelle doit émaner d'une proposition du salarié ou de l'employeur, ce dernier conservant toute liberté de recourir ou non, en cas de refus du salarié à la rupture d'un commun accord, à la procédure du licenciement et d'en déterminer les motifs. Par ces termes, le courriel du 5 septembre 2019 est sans ambigüité en ce qu'il manifeste seulement la décision de la société employeur de recourir à une rupture conventionnelle avec l'accord du salarié, sans préjuger de son attitude en cas de refus de ce dernier d'y donner une suite favorable. Pour ces raisons, il y a lieu de juger n'y avoir licenciement verbal comme invoqué par M. [S], tel que jugé par le conseil de prud'hommes, la procédure pour insuffisance professionnelle engagée par la société employeur devant être dès lors jugée régulière.

Sur le mal-fondé des griefs invoqués et l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

Exposé des moyens

8.M. [S] fait valoir subsidiairement au visa de l'article L. 1235-1 du code du travail que l'insuffisance professionnelle, résultant notamment d'un manque de compétence ou de rigueur du salarié, n'est pas constitutive d'une faute et ne peut donc pas être invoquée à l'encontre d'un licenciement disciplinaire ( Soc 27 novembre 2013 n°1122449). Il souligne que la lettre de licenciement fait état de quatre types de griefs:

- son incapacité à manager normalement une équipe

- son manque de fiabilité dans la transmission des données en interne ou externe

- l'établissement de tableaux Excel erronés obligeant les collaborateurs de son équipe à vérifier systématiquement ses travaux

- son omission de mettre à jour les prix d'achats de 3 500 articles en stock depuis plus de deux ans.

M. [S] conteste chacun de ces types de griefs et explique :

sur le premier : qu'il s'est vu retirer toute fonction managériale à partir de mai 2018 comme le démontre sa nouvelle fiche de poste, qu'il n'a jamais été méprisant vis-à-vis d'un collaborateur et n'a jamais reçu de plainte sur son management, les témoignages des salariés produits par la société employeur étant inopérants compte tenu de leur manque d'objectivité, de leur caractère indirect ou mensonger et de leur imprécision

sur le deuxième : que les erreurs ou lacunes dans la gestion informatique qui lui sont reprochées ne sont pas fondées et/ou sont inopérantes à caractériser une insuffisance professionnelle pouvant justifier un licenciement

sur le troisième : que Mme [F] a mis à jour les données comptables et corrigé les hypothèses de projection budgétaire pour réaliser la maintenance habituelle du plan de route, outil qu'il a créé et qui a donné satisfaction en optimisant la gestion financière du groupe, la société n'ayant jamais subi de préjudice consécutif aux quelques erreurs qu'il a pu commettre et qui n'ont jamais donné lieu à reproche ou avertissement de la part de la hiérarchie

sur le quatrième : que la critique est mal fondée, la maintenance étant assurée par le service des achats dirigé par M. [Y] depuis sa promotion au poste de directeur de achats, les prix étant vérifiés par le service comptable au moment du traitement administratif de chaque pièce comptable, ce qui garantit un contrôle rigoureux de l'ensemble du système, en sorte qu'aucune reproche ne peut lui être fait

- qu'il ne peut en outre lui être valablement reproché une communication incorrecte de données à un fabricant concernant un rappel de produit en l'absence de toute précision sur les faits, l'identité du fabricant ou le type de produit et qu'il ne peut non plus lui être reproché une gestion défaillante des droits d'accès aux informations confidentielles informatiques, faute de précision de ce chef, alors qu'il a contribué à l'amélioration des systèmes informatiques de la société en mettant en place des sécurités renforcées concernant les courriels et les antivirus ainsi qu'une hiérarchie des droits quant aux données internes du serveur de l'entreprise, en oeuvrant pour maintenir des restrictions d'accès vers des données sensibles, tout en assurant l'évolution des profils utilisateurs en fonctions des évolutions de postes et des pratiques sur les solutions, en intervenant sur les anomalies détectées et en assurant des formations internes auprès des utilisateurs afin qu'ils deviennent autonomes sur une partie du paramètrage utilisateur.

M. [S] ajoute :

- qu'il n'est pas responsable personnellement des problèmes et retards dans le déploiement du logiciel WMS de gestion entrepôt (projet Logistar), la solution logicielle qu'il avait choisie ayant finalement été approuvée lors d'une réunion de travail du 16 mai 2019 et ayant donné lieu après sa mise en oeuvre aux félicitations pour son travail lors du pot d'entreprise du 4 juin 2019

- qu'il n'est pas davantage responsable du pilotage défaillant du déménagement de l'entreprise en août 2019 concernant la migration des systèmes informatiques, alors qu'il a dûment informé sa hiéarchie et les équipes de l'avancée des opérations, le président de la société ayant finalement par courriel du 19 août 2019 reconnu le succès du déménagement malgré les retards minimes non préjudiciables à l'entreprise

- qu'il ne peut lui être reproché des erreurs de choix stratégique dans le pilotage du projet de changement de l'outil CRM de l'entreprise, la solution CRM et les évolutions de cet outil au cours des années suivantes, souhaitées par les utilisateurs et les responsables du service commercial, ayant été validées par le président de la société employeur, après consultation des responsables commerciaux du comité stratégique et du CODIR

- que le prestataire informatique SS2i pour le déploiement du logiciel WMS de gestion d'entrepôt et la migration des systèmes informatiques lors du déménagement de l'entreprise en août 2019 atteste de sa contribution, de sa disponibilité et de son investissement dans la mise en oeuvre des deux projets majeurs pour le développement de la société et il en est de même des représentants de la société DSIA, autre prestataire informatique ayant contribué au déploiement du logiciel WMS (attestations de M. [J] et de M. [AY])

- qu'il a suivi les missions prioritaires relevant de ses fonctions, obéissant au choix de son supérieur de procéder à une augmentation de 30% des seuils de certains articles (des classes de rotation A et B) et de réviser à nouveau les seuils du stock au cours du mois de juillet 2019, ce qu'il a fait en août suivant compte tenu de ses tâches prioritaires telles que la stabilisation de la solution logicielle WMS et le déménagement de l'entreprise.

9.La société H2MC rétorque :

- que l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de manière satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, se caractérisant par une mauvaise qualité du travail, due à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi

- que le comportement de M. [S] servait à masquer son insuffisance professionnelle (attitude agressive ou condescendante), les attestations versées aux débats démontrant la contestation dont il faisait l'objet de la part des collaborateurs et l'absence de propos élogieux à son égard, malgré les affirmations mensongères de M. [S] (M.[O]-M. [W]-M. [U]-M. [Y]-M. [X]-Mme [E]-Mme [F]-M. [A]-M.[H]-M. [T]-M. [M]-Mme [C]-Mme [L]-Mme [Z])

- que la lecture des attestations de l'ensemble des collaborateurs qui travaillaient avec M. [S] démontre l'impasse dans laquelle se trouvait l'entreprise (M. [O]-M. [U]-Mme [F]-M. [Y]), des départs ou souhaits de départ étant liés à l'incompétence du salarié (M. [W] et Mme [D])

- que l'insuffisance du salarié a été dénoncée par le prestataire informatique (M. [I])

- que l'incompétence du salarié n'a pas pu être masquée dans le cadre du projet d'envergure de changement du logiciel entrepôt, à l'occasion duquel le salarié a gardé l'information reçue du prestataire DSIA sur la nécessité d'un report du déploiement de la solution WMS de quelques semaines face aux réserves émises (courriel du 19 avril 2019 de M. [B]) en militant au contraire pour une mise en oeuvre sans attendre

- que l'échec du démarrage du nouveau logiciel (importation de données de dimensions produits et dimensions d'étagères erronées), emportant l'arrêt du déploiement a conforté le discrédit de M. [S] auprès de toute l'entreprise

- que l'incapacité du salarié à accompagner, superviser et contrôler les projets de sa responsabilité s'est révélée également lors du déménagement de la société en août 2019 (indisponibilité des serveurs pendant trois jours et communication par le salarié d'une indisponibilité d'une seule journée)

- qu'il en a été de même s'agissant du changement d'outil CRM, dont la lourdeur du déploiement a généré une perte de 40% de productivité.

Réponse de la cour

10. L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de manière satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, se caractérisant par une mauvaise qualité du travail, due à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi. Il ressort des pièces versées aux débats que M. [S] a fait l'objet de remontrances sur son comportement dès 2015 (courriel de M. [B] du 20 avril 2015) et d'un plan d'action d'améliorations portant encore sur son comportement générateur de difficultés graves surtout en interne (courriel de M. [B] du 31 janvier 2018), ayant donné lieu à un aménagement de ses missions de directeur des opérations et des systèmes d'information au cours du second semestre 2018. Les attestations versées aux débats démontrent les contestations dont M. [S] faisait l'objet de la part des collaborateurs, dans ses pratiques de management, ses lacunes et leurs incidences sur le fonctionnement des services de l'entreprise et la mise en oeuvre des projets :

- M.[O], soulignant l'incompréhension ressentie dans le discours du salarié, la remise à plat des missions des membres de l'équipe commerciale en son absence, son autoritarisme (expression crue de l'incompétence de collaborateurs sur des sujets ne relevant pas des missions de M. [S], collaborateurs congédiés alors qu'ils avaient été autorisés à échanger par leur responsable direct, utilisation du terme d' 'exécutant' à l'endroit du responsable technique sur la conduite d'un projet qu'il était seul à maîtriser), la perte de crédit du salarié envers ses équipes, le recul grave de la culture d'entreprise résultant de son comportement, le refus d'assumer les erreurs, le traitement tardif de requêtes informatiques urgentes et finalement la perte de confiance et l'impasse totale du fait du comportement de M. [S], même les nouveaux salariés refusant de travailler avec lui

- M. [W], soulignant l'absence de capacité de M. [S] à assumer ses fonctions de directeur des opérations (mauvaise gestion du stock negowatt-erreurs dans les patronymes-gestion aléatoire des accès informatiques) et son attitude autoritaire (non-respect des temps de pause-exigences en matière de délai sans tenir compte de la situation de santé de M. [Y]), précisant avoir été amené à éviter les conflits puis à prévenir M. [B] et M. [O] des problémes générés par le salarié et à quitter l'entreprise pour éviter le burn out

- M. [U], soulignant les difficultés dénoncées par deux de ses collaborateurs du fait du comportement de M. [S], le caractère incomplet ou erroné du travail fourni par ce dernier

- M. [Y], soulignant les erreurs commises par M. [S] l'obligeant à contrôler toutes les données qu'il lui communiquait, son absence de maîtrise de certains process

- M. [X], soulignant les délais nécessaires pour obtenir une réponse (configuration d'un logiciel de numérotation), l'attitude du salarié lui imposant une réorganisation des cursus de formation générant des retards à la prise de fonction de nouveaux arrivants, les coquilles dans les patronymes et la réputation de tête en l'air et d'incompétent du salarié auprès des commerciaux

- Mme [E], soulignant le manque de rigueur et de contrôle du salarié, son manque de communication, son attitude condescendante et désagréable consistant à vouloir avoir raison, même sur des sujets ne relevant pas de ses compétences, son absence de remise en question et le fait qu'il était dépassé par ses missions

- Mme [F], soulignant le caractère erroné des informations données par M. [S] sur l'outil de gestion financière et les erreurs multiples sur les formules de calcul, les montants enregistrés et les budgets prévisionnels retenus

- M. [D], soulignant les carences de M. [S] dans le domaine comptable et nécessitant la visite de l'expert comptable et ses carences dans la gestion informatique (maîtrise de l'ERP de gestion) ayant immobilisé la production sans que M. [S] ne se remette en cause

- M. [IX], fournisseur informatique de la société employeur, soulignant que les connaissances de M. [S] ne lui permettaient pas de diriger les projets en totale autonomie, en sorte qu'il devait solliciter de manière parfois intensive les équipes intervenantes

- M. [I] soulignant l'inefficacité et l'incompétence de M. [S], les travaux qu'il lui avait demandés en sa qualité de responsable commercial n'ayant pas été réalisés ou s'étant révélés non satisfaisants au point qu'il évitait de le solliciter

- M. [A], soulignant la mauvaise qualité de ses relations avec M. [S], les demandes de dépannage informatiques pouvant prendre plusieurs semaines

- M. [T], soulignant les défaillances du salarié lors du lancement de Logistar

- M. [M], soulignant les ingérences de M. [S] dans son travail qui ne relevait pas de ses compétences

- Mme [C], soulignant le caractère tendu des rapports avec M. [S] du fait de son arrogance et le manque d'intérêt manifesté par lui à l'égard des personnels de la plate forme logistique, la faiblesse de ses connaissances sur son service, les process et outils mis en place, l'identité des opérateurs, le manque de compétence de M. [S] sur le projet WMS et l'organisation du déménagement, les conséquences encore subies à ce jour des erreurs commises par le salarié (classe de rotation des produits, renseignés sur des bases incomplètes) qui manquait d'écoute et de méthode

- Mme [L], soulignant la difficulté de la chef comptable de travailler avec M. [S] sur la revue des tableaux prévisionnels et les autres tableaux excel.

Comme le souligne la société employeur, la lecture des attestations de l'ensemble des collaborateurs qui travaillaient avec M. [S] démontre l'impasse dans laquelle se trouvait l'entreprise face à l'incompétence du salarié, laquelle s'est manifestée avec acuité lors du changement du logiciel entrepôt (échec du démarrage du nouveau logiciel et accroissement du discrédit du salarié auprès des personnels de l'entreprise). Il en résulte la démonstration de l'insuffisance professionnelle de M. [S], dans les termes de la lettre de licenciement, s'agissant de son incapacité à manager une équipe, à être fiable dans les données qu'il transmettait et à mener à bien un projet seul ou en collaboration.

Il y a lieu en conséquence de confirmer la décision du premier juge, lequel a considéré à juste titre que les éléments apportés par la société H2MC démontraient suffisamment l'insuffisance professionnelle de M. [S], du fait de ses difficultés relationnelles à l'origine de dysfonctionnements au sein de l'entreprise et de ses carences techniques dans la gestion financière de son service et dans la réalisation des projets relevant de sa compétence.

Sur les demandes du salarié

Exposé des moyens

11.M. [S] demande :

-à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au regard de son comportement loyal et dévoué, de son investissement dans ses fonctions et de son professionalisme, la somme de 58 387' correspondant à sept mois de salaire brut moyen

-à titre de rappel d'heures supplémentaires, au visa de l'article L. 3171-4 du code du travail, la somme de 31 806,27' bruts, outre celle de 3 180,63' bruts au titre des congés payés afférents. Il explique que la durée de travail convenue était de 35 heures par semaine aux termes de l'article 5 de son contrat de travail, qu'il travaillait du lundi au vendredi de 9H à 12h et de 14h à 19h soit 40 heures par semaine au minimum, soit 5 heures supplémentaires par semaine, qu'il démontre avoir envoyé des courriels après 19 heures à ses collègues, sa hiéarchie ou à des clients et qu'il n'a pas été rémunéré de ces heures supplémentaires soit un manque à gagner de 31 806,27' bruts au minimum, que face aux éléments suffisamment précis et objectifs qu'il fournit, la société employeur ne verse aux débats aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, se contentant de contester les éléments qu'il fournit tandis que Mme [V] n'était pas en mesure de connaître ses heures d'arrivée et de départ de l'entreprise et que les deux notes de frais et les extractions de ses boîtes mails professionnels de 2017 à 2019 sont inopérantes à justifier des horaires effectivement réalisés.

12.La société H2MC rétorque, s'agissant de la demande sur les heures supplémentaires, qu'elle est dépourvue de tout élément probant, M. [S] ne versant aux débats aucun tableau récapitulant les horaires qu'il aurait accomplis et aucune attestation le corroborant, qu'en réalité, le salarié n'effectuait pas les 40 heures hebdomadaires de travail qu'il allègue (attestation de Mme [V]-[P]), que le salarié partait en week end le vendredi vers 12h30 et qu'il est démontré par les extractions des boîtes professionnelles de ce dernier réalisées en 2017, 2018 et 2019 qu'il n'a jamais réalisé les 40 heures par semaine qu'il revendique.

Réponse de la cour

13. Le licenciement se trouvant fondé sur l'insuffisance professionnelle de M. [S], il y a lieu de débouter celui-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail et L. 3171-4, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

M. [S] était tenu à une présence hebdomadaire de 35 heures équivalent à un temps de travail mensuel de 151,67 heures (contrat de travail article 5). Il verse aux débats un décompte des heures supplémentaires qu'il déclare avoir effectuées sur les années 2017, 2018 et 2019, faisant mention sur chaque semaine travaillée du nombre d'heures supplémentaires effectuées (entre 5 et 7 heures hebdomadaires, exceptionnellement 7, 10 ou 11 heures par semaine). Ce faisant, le salarié apporte des éléments suffisants propres à fonder sa demande, expliquant avoir travaillé chaque semaine au moins 40 heures. Cependant, la société employeur verse aux débats une extraction des courriels envoyés par M. [S] sur les années 2017, 2018 et 2019, mettant en évidence la réalité du temps de travail de M. [S] et démontrant qu'il n'effectuait pas un temps de travail supérieur à celui contractuellement convenu, précision donnée que Mme [V] [P] atteste par ailleurs qu'elle était amenée à ouvrir les locaux de la société à huit heures et qu'elle voyait M. [S] arriver vers 9h ou 9h30, prendre sa pause déjeuner de 12h-12h30 jusqu'à 15h-15h30, 'rarement avant', précisant avoir vu M. [S] partir en week end souvent vers 12 heures le vendredi sans prévenir ses collègues, circonstances vérifiées par les extractions des courriels envoyés sur les trois années en cause. Il en résulte que la société employeur démontre la réalité des heures de travail effectuées par le salarié, exclusive du paiement des heures supplémentaires revendiquées. Il y a lieu en conséquence de confirmer la décision du premier juge et de rejeter la demande présentée par M. [S].

Sur les demandes accessoires

M. [S] demande la condamnation de la société H2MC aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société H2MC demande la condamnation de M. [S] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Réponse de la cour

M. [S] doit être condamné aux dépens et à payer à la société H2MC la somme de de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en son entier

Dit que le licenciement de M. [S] est régulier et qu'il repose sur son insuffisance professionnelle

Rejette les demandes de M. [S]

Condamne M. [S] aux dépens et à payer à la société H2MC la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu

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