Livv
Décisions

CA Besançon, 1re ch., 17 avril 2025, n° 24/01288

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Amar Immo (EURL)

Défendeur :

Amar Immo (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Saunier, Mme Willm

Avocats :

Me Levy, Me Mordefroy

JEX Besançon, du 15 juill. 2024, n° 23/0…

15 juillet 2024

EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS

Par requête enregistrée le 25 mai 2023, l'EURL Amar Immo (la société Amar) a sollicité du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Besançon qu'il autorise une saisie conservatoire sur les biens et comptes bancaires de son débiteur, M. [F] [T] [E] pour garantir le paiement de la somme de 310 000 euros se décomposant ainsi : 280 000 euros au titre de l'enrichissement sans cause et 30 000 euros au titre de l'inexécution du paiement du prix du contrat de maîtrise d'oeuvre conclu entre les parties le 24 septembre 2021.

Par ordonnance du 9 juin 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Besançon faisait droit à la requête et autorisait une saisie conservatoire pour 310 000 euros.

La société Amar a fait pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la Banque postale qui a été fructueuse à hauteur de 15 456,44 euros. Le procès-verbal de signification a été dressé le 26 juin 2023.

Par acte en date du 25 août 2023, M. [E] a fait assigner la société Amar devant le juge de l'exécution du 'tribunal de proximité' de Besançon en demandant, aux termes de ses dernières écritures et après abandon de sa demande tendant à la caducité de la saisie, que soit prononcée sa mainlevée, outre la condamnation de la défenderesse à l'indemniser à hauteur de 3 000 euros ainsi que la condamnation de 'Mme [J] [U]' aux dépens.

M. [E] indiquait n'entretenir aucun lien avec la société Amar, tandis que cette dernière concluait au rejet de ses prétentions en rappelant leur contrat de maîtrise d'oeuvre pour la construction de deux maisons individuelles.

Par jugement rendu le 15 juillet 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Besançon :

- a 'validé' la saisie conservatoire du 26 juin 2023 ;

- a débouté M. [E] de toutes ses demandes ;

- l'a condamné à payer à la société Amar la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens ;

- a rappelé l'exécution provisoire de droit du jugement.

Dans cette perspective, le juge a considéré :

- au visa des articles 1134 et 1135 du code civil et L. 512-1 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, que la société Amar démontre l'existence d'une créance en justifiant d'un contrat de maîtrise d'oeuvre signé par M. [E], de l'achèvement des travaux, ainsi que de l'émission d'une facture de 30 000 euros TTC conformément aux dispositions contractuelles ;

- au visa de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, que la société Amar justifie par ailleurs de menaces pesant sur le recouvrement en ce qu'elle établit avoir réglé des factures pour le compte de M. [E] émanant des intervenants à l'opération immobilière à hauteur de 313 197,56 euros sans y être obligée tandis que M. [E] a perçu le fruit de la vente à hauteur de 280 000 euros sans avancer de fonds.

- oOo-

Par déclaration du 27 août 2024, M. [E] a relevé appel de l'entier jugement.

Aux termes de ses premières et ultimes conclusions transmises le 05 septembre 2024, il demande à la cour, au visa des articles L. 112-2,5° et suivants, L. 512-2 et R. 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, ainsi que des articles 112 et suivants du code de procédure civile, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, d'ordonner la mainlevée de la mesure conservatoire entreprise et de condamner en toute hypothèse la société Amar à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

- oOo-

Après des premières conclusions transmises le 03 octobre 2024, la société Amar, a été placée en liquidation judiciaire selon jugement rendu le 04 décembre 2024 par le tribunal de commerce de Besançon.

Par ultimes conclusions transmises pour le compte de la société Amar le 24 jancier 2025, la SELARL MJ Juralp, prise en la personne de Me [K] [Y], intervient volontairement à l'instance en qualité de liquidateur judiciaire et sollicite, au visa des articles L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, 462 du code de procédure civile et 1353 du code civil, la confirmation du jugement critiqué sauf à dire que la saisie conservatoire a été opérée entre les mains de la SCP Netillard Aldrin-Girardot Pottier, et non la société Acta Law.

Elle sollicite par ailleurs la condamnation de M. [E] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction.

- oOo-

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 20 février 2025. Elle a été mise en délibéré au 17 avril 2025.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

SUR CE, LA COUR

I. Sur la demande tendant à la mainlevée de la mesure conservatoire

Au soutien de ses prétentions, M. [E] fait valoir que la signature figurant sur le contrat de maîtrise d'oeuvre n'est pas la sienne et fournit aux fins de comparaison son titre de séjour et la demande de permis de construire. Il conteste également avoir signé la déclaration de fin de travaux.

Il souligne par ailleurs que la rémunération du maître d'oeuvre fixée au contrat s'élève à la somme de 25 000 euros HT, alors que la société Amar réclame un montant de près de 330 000 euros.

S'agissant de la reconnaissance de dette à hauteur de 77 400 euros qui lui est opposée, il affirme qu'il ne l'a pas signée et qu'elle concerne sa soeur.

Il conteste la facture établie par l'EURL EAGB à hauteur de 173 527,44 euros au motif que cette société et la société Amar ne sont pas liées par un contrat et que cette dernière ne justifie donc pas ses demandes.

Il conteste le paiement par la société Amar des factures litigieuses pour son compte, souligne que les relevés bancaires ne prouvent rien et relève que la facture établie par l'entité TP Roland ne concerne pas la société Amar.

Il soutient que M. Amar est l'époux de sa soeur qui souhaite profiter de son argent et rappelle avoir déposé plainte du chef de détournement de fonds contre M. Amar s'agissant du fruit de la vente de la seconde maison alors que celui-ci a été versé sur le compte de sa soeur grâce un procédé frauduleux.

La société Amar demande le maintien de la saisie conservatoire en expliquant démontrer une créance fondée en son principe et une menace pesant sur son recouvrement.

S'agissant de l'existence de la créance, elle précise qu'elle se compose d'une fraction contractuelle basée sur le contrat de maîtrise d'oeuvre et d'une fraction quasi-délictuelle basée sur l'enrichissement sans cause. Elle allègue que le contrat de maîtrise d'oeuvre prévoit une rémunération de 30 000 euros TTC, que les ouvrages ont été réceptionnés, que la déclaration d'achèvement des travaux a été déposée et la somme de 30 000 euros facturée. Elle ajoute que ce contrat comporte la signature de M. [E] alors que toutes les signatures fournies sont semblables. Au surplus, elle relève que M. [E] a procédé à la cession des immeubles litigieux. Elle souligne, s'agissant du contrat de prêt entre M. [E] et sa soeur, qu'il ne fait pas l'objet d'une demande de paiement mais a été produit pour expliquer à la cour que la soeur de M. [E], dans un soucis de célérité, a prêté à son frère les fonds nécessaires à l'acquisition des terrains. Elle souligne également qu'aucune demande en paiement n'est formée au titre de la facture établie par la société EGBAB.

Concernant la fraction quasi-délictuelle de la dette, la société Amar indique avoir réglé en lieu et place de M. [E] une somme totale de 313 197,56 euros, précisant que si les factures sont libellées au nom de M. [E], elle démontre les avoir réglées sans aucune obligation ni intention libérale, sans avoir escompté de profit et sans être fautive. Elle constate ainsi s'être appauvrie de plus de 310 000 euros alors que M. [E] s'est enrichi de 280 000 euros en cédant les maisons ainsi édifiées et réclame par conséquent une indemnité sur le fondement de l'article 1303 du code civil, précisant que le jugement rendu le 03 septembre 2024 par le tribunal judiciaire de Besançon a validé l'existence d'un enrichissement sans cause.

La société Amar indique aussi que la menace planant sur le recouvrement de sa créance est liée à l'attitude procédurale de M. [E] et à ses arguments fallacieux, contradictoires et injustifiés concernant, notamment, le détournement de fonds.

Réponse de la cour :

L'article 9 du code de procédure civile impose à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. En vertu de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. Dans cette perspective, toute personne justifiant d'une apparence de créance et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire.

En l'espèce, la société Amar produit un contrat de maîtrise d'oeuvre daté du 24 septembre 2021 conclu avec M. [E], moyennant une rémunération de 25 000 euros HT. La cour relève que la signature apposée sous le nom de M. [E] est similaire à celle figurant sur la demande de permis de construire établie à son nom, ainsi qu'à celle présente sur la reconnaissance de dette établie entre M. [E] et Mme [C] [E] épouse [N]. Ces signatures, similaires entre elles, ne sont pas identiques à celle apposée sur la déclaration attestant de l'achèvement des travaux.

Selon jugement rendu le 03 septembre 2024 par le tribunal judiciaire de Besançon entre la société Amar et M. [E], ce dernier a été condamné à verser à la première les sommes de 156 598,78 euros au titre de l'enrichissement sans cause et de 30 000 euros au titre de l'exécution du contrat de maîtrise d'oeuvre.

Nonobstant le fait que le liquidateur judiciaire de la société Amar indique avoir interjeté appel de cette décision, le créance invoquée est donc fondée en son principe.

Concernant les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance dont le créancier supporte la charge de la preuve, le liquidateur judiciaire de la société Amar invoque l'attitude procédurale de M. [E] qui soutient des moyens fallacieux, contradictoires et infondés.

Si l'on ne peut que constater la résistance de M. [E] à la mesure de saisie conservatoire et le fait qu'il invoque dans ses conclusions, parfois en des termes peu policés, des éléments dont la véracité n'est pas établie, ces seuls éléments sont insuffisants, en soit, à établir une menace pesant sur le recouvrement de la créance.

La cour relève qu'il n'est allégué ou justifié d'aucun autre élément de nature à établir ladite menace, dont le juge de première instance s'est au demeurant limité à affirmer l'existence sans la caractériser.

Par conséquent, après infirmation du jugement déféré, la mainlevée de la mesure de saisie conservatoire sera ordonnée.

Etant observé qu'il résulte effectivement du procès-verbal de saisie conservatoire que celle-ci a été effectuée par la SCP Netillard Aldrin-Girardot Pottier, la demande de rectification d'erreur matérielle formée par l'intimée est dépourvue d'objet.

II. Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [E]

Au soutien de sa demande d'indemnisation à hauteur de la somme de 3 000 euros dont il a été débouté en première instance, M. [E] fait valoir que la saisie conservatoire était injustifiée et lui a porté préjudice, dans la mesure où il se retrouve' acculé victime d'une tentative d'extorsion de fonds'.

La SELARL Juralp souligne l'absence de preuve du préjudice invoqué et conteste au demeurant l'existence de toute gêne financière alors que la saisie conservatoire est fondée en son principe.

Réponse de la cour :

En application des articles 1240 et 1353 du code civil, il appartient à celui qui s'estime victime d'un dommage de démontrer une faute, un préjudice et le lien de causalité entre les deux.

En l'espèce, la nature exacte du préjudice qui aurait été subi n'est pas précisée et son existence n'est corroborée par aucune pièce.

La cour précise que, si M. [E] allègue avoir été victime d'une extorsion sans autre précision, cette affirmation est incompatible avec le fait que la société Amar détenait une créance fondée en son principe à son encontre.

Par conséquent, la cour confirme le rejet de la demande d'indemnisation de M. [E].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

PREND ACTE de l'intervention volontaire de la SELARL MJ Juralp, prise en la personne de Me [K] [Y], en qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL Amar Immo ;

INFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 15 juillet 2024 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire, sauf en ce qu'il a débouté M. [F] [T] [E] de sa demande de dommages et intérêts ;

STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT

ORDONNE la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par la SCP Netillard Aldrin-Girardot Pottier à l'encontre de M. [F] [T] [E] à la demande de l'EURL Amar Immo, désormais représentée par la SELARL MJ Juralp, prise en la personne de Me [K] [Y], en qualité de liquidateur judiciaire ;

FIXE au passif de la procédure de liquidation judiciaire de l'EURL Amar Immo, représentée par la SELARL MJ Juralp, prise en la personne de Me [K] [Y], en qualité de liquidateur judiciaire, les dépens de première instance et d'appel ;

ACCORDE aux avocats de la cause qui l'ont sollicité, le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site