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Décisions

CA Limoges, ch. civ., 17 avril 2025, n° 24/00603

LIMOGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Saretec France (SASU)

Défendeur :

Adner Sedgwick (SAS), Axa France IARD (SA), Eiffage Construction Limousin (SAS), Mutuelle des Architectes Français, Neoxa (SCP), Société d'Expertises et de Conseils en Couverture 'SECC' (SAS), Smac (SAS), Stelliant (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Balian

Conseiller :

M. Soury

Conseiller :

Mme Gasnier

Avocats :

Me Dauriac, Me Treins, Me Chabaud, Me Apetoh, Me Durand-Marquet, Me Riviere, Me Preguimbeau, Me Dasse, Me Debernard-Dauriac, Me Cheung, Me Wild-Pastaud, Me Esteve

TJ Limoges, du 31 juill. 2024

31 juillet 2024

FAITS et PROCÉDURE

En 2007, le syndicat des copropriétaires du Centre [Localité 18], assuré dommage ouvrage auprès de la société AXA, a confié à la société SMAC la réfection de l'étanchéité du parking en toiture du centre commercial [Localité 18], la société Eiffage étant chargée de la réalisation de la chape.

Les travaux ont été réceptionnés le 29 septembre 2008.

Des désordres sont apparus en 2009 qui ont nécessité des travaux de reprise confiés à la SMAC et à Eiffage, lesquels ont été réceptionnés avec réserves le 20 novembre 2012, ces réserves étant levées le 25 juin 2013, et dont le coût a été pris en charge par la société AXA au vu du rapport de son expert, la société Saretec.

Le 27 mars 2023, le syndicat des copropriétaires a déclaré un nouveau sinistre que la société AXA a refusé de garantir en opposant la prescription décennale.

Contestant ce refus de garantie et remettant en cause l'efficacité des travaux de reprise réalisés en 2012, le syndicat des copropriétaires a, par actes des 14 et 18 septembre 2023, saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Limoges qui le 20 décembre 2023 a ordonné une expertise confiée à M. [V] [C] et mis hors de cause la mutuelle des architectes français (la MAF), la SMAC, la société Eiffage et la SMABTP, l'expertise ordonnée ne concernant plus que les sociétés Saretec et AXA.

Par actes des 23 et 25 avril, 6 et 14 mai 2024, la société Saretec a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Limoges, sur le fondement des articles 145 du code de procédure civile et 1240 du code civil, pour que les opérations d'expertise soient déclarées opposables à la MAF, la SMAC, la société Eiffage, la société Stellitant expertise construction (Eurisk), la société Adner Sedgwick, la SCP Neoxa (cabinet Cottet et associés) et la société d'expertises et de conseils en couverture SECC.

La société AXA est intervenue volontairement pour s'associer à cette demande et solliciter la communication de certaines pièces.

Par ordonnance du 31 juillet 2024, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance du 20 décembre 2023, et rejeté les demandes de la société Saretec et de la compagnie d'assurance AXA.

La société Saretec a relevé appel de cette ordonnance.

MOYENS et PRÉTENTIONS

Par conclusions séparées, les sociétés Saretec et AXA demandent que les opérations d'expertise de M. [C] soient étendues aux sociétés intimées et elles réclament la communication de certaines pièces. Ces sociétés soutiennent que l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 ne fait pas obstacle à leur demande, fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, qui s'inscrit dans le cadre des actions récursoires qu'elles sont susceptibles d'engager à l'encontre des entreprises qui sont intervenues sur le chantier des reprises effectuées en 2012, sans que puisse leur être opposées une prescription.

La société SMAC conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en se prévalant de l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 qui l'a mise hors de cause. Elle ajoute que les sociétés Saretec et AXA ne justifient pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à sa mise en cause dans les opérations d'expertise de M. [C].

Elle soutient l'irrecevabilité de la demande de communication de pièces de la société AXA formée pour la première fois en cause d'appel et qui est sans lien avec la demande originelle.

La MAF conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en se prévalant de l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 qui l'a mise hors de cause. Elle ajoute que les sociétés Saretec et AXA ne justifient pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à sa mise en cause dans les opérations d'expertise de M. [C].

La société Neoxa conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en soutenant que la société Saretec ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à sa mise en cause dans les opérations d'expertise de M. [C] en l'absence de démonstration d'un manquement de sa part à l'origine d'un préjudice, et en l'état de l'acquisition de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil qui voue son action récursoire à l'échec.

La société Adner Sedgwick conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en soutenant que la société Saretec ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à sa mise en cause dans les opérations d'expertise de M. [C], en l'absence de démonstration d'un manquement de sa part à l'origine d'un préjudice.

La SECC conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en soutenant n'être intervenue que pour un simple diagnostic sur le parking aérien afin de décrire les zones dégradées, sans participation à la définition des travaux de reprise, en sorte que sa responsabilité ne peut être engagée au titre des désordres, privant de tout motif légitime la demande d'extension des opérations d'expertise à son égard.

La société Eiffage conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée en se prévalant de l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 qui l'a mise hors de cause. Elle ajoute que les sociétés Saretec et AXA ne justifient pas d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile à sa mise en cause dans les opérations d'expertise de M. [C]. Elle s'oppose aux demandes de communication de pièces de ces sociétés.

La société Stelliant n'a pas constitué avocat.

MOTIFS

Sur la demande d'extension des opérations d'expertise.

La présente instance s'inscrit dans le cadre plus général du litige consécutif à l'apparition des nouveaux désordres que le syndicat des copropriétaires du centre [Localité 18] a déclaré à son assureur dommage-ouvrage, la société AXA, le 27 mars 2023 et qui remettent en cause l'efficacité de la solution de reprise retenue en 2012 pour remédier aux désordres initiaux survenus en 2009.

Consécutivement au refus de garantie opposé par la société AXA, ces nouveaux désordres ont suscité deux instances en référé successives qu'il convient de bien distinguer.

Tout d'abord, le syndicat des copropriétaires du centre [Localité 18] a saisi le juge des référés en septembre 2023 aux fins d'expertise. Cette première instance était exclusivement dirigée à l'encontre des parties suivantes:

- la compagnie d'assurance AXA,

- la MAF, assureur du GIE Atelier 4, maître d'oeuvre,

- la société Saretec,

- la SMAC,

- la société Eiffage,

- la SMABTP (assureur des sociétés SMAC et Eiffage).

Cette instance a donné lieu à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 qui:

- met hors de cause la MAF, la SMAC, la société Eiffage et la SMABTP après avoir retenu que l'action au fond susceptible d'être engagée par le syndicat des copropriétaires, fondée sur la garantie décennale des constructeurs, était manifestement vouée à l'échec à leur encontre, compte tenu de l'expiration du délai de dix ans de l'article 1792-4-3 du code civil,

- ordonne une expertise confiée à M. [C] au contradictoire de la société Saretec et de la société AXA.

En considération du risque de condamnation encouru et afin de préserver ses intérêts, la société Saretec a, en avril et mai 2024, saisi à son tour le juge des référés pour que les opérations d'expertise de M. [C] soient déclarées opposables à l'ensemble des entreprises qui sont intervenues sur le chantier des reprises au cours de l'année 2012, à savoir:

- la MAF,

- la SMAC,

- la société Eiffage,

- la société Stelliant,

- la société Adner,

- la société Neoxa,

- la société SECC.

La société AXA s'est associée à cette demande de la société Saretec.

Ces deux instances en référé apparaissent clairement distinctes.

En effet, la première instance en référé a été engagée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble, maître de l'ouvrage, aux fins d'obtenir une expertise au contradictoire d'entreprises susceptibles de voir leur garantie décennale être engagée à son égard au titre des nouveaux désordres.

La seconde instance en référé a été engagée à l'initiative des sociétés Saretec et AXA en considération du risque de condamnation encouru au profit du syndicat de copropriétaires. C'est pour se préserver de ce risque et sauvegarder leurs intérêts en cas de condamnation que ces deux sociétés ont entendu faire étendre les opérations d'expertise de M. [C] à l'ensemble des entreprises intervenues sur le chantier des reprises en 2012, ceci afin de se ménager une possibilité d'action récursoire en recherchant la responsabilité de ces entreprises sur le fondement délictuel.

Il s'ensuit que ces deux instances ne concernent pas les mêmes parties, qu'elles n'ont pas la même finalité (expertise et extension de cette expertise à d'autre parties) et que le motif légitime de l'article 145 du code de procédure civile doit être apprécié à la lumière de fondements juridiques différents (garantie décennale des constructeurs pour le premier référé et action en responsabilité délictuelle pour ce qui concerne la présente instance).

La mise hors de cause des sociétés Eiffage, SMAC et de la MAF, prononcée par la première ordonnance de référé du 20 décembre 2023 au motif pris de l'acquisition de la prescription décennale de l'article 1792-4-3 du code civil à l'égard du syndicat des copropriétaires, ne saurait faire obstacle à la possibilité d'une action récursoire des sociétés Saretec et AXA, si elles étaient condamnées, dirigée à l'encontre des intervenants concernés par les reprises de 2012, quel que soit le fondement de cette action.

Il en résulte deux conséquences juridiques:

- d'abord, le premier juge des référés n'avait pas à s'interroger sur la rétractation de la première ordonnance de référé du 20 décembre 2023, d'autant qu'il n'était saisi d'aucune demande en ce sens

- ensuite, que l'autorité de chose jugée attachée à l'ordonnance de référé du 20 décembre 2023 ne fait aucunement obstacle à la recevabilité de la demande d'extension de l'expertise présentée par les sociétés Saretec et AXA.

Cette demande d'extension est fondée sur l'article 145 du code de procédure civile.

S'agissant de l'extension de l'expertise à d'autres parties -et non de l'extension de la mission confiée à M. [C]-, les dispositions de l'article 245, alinéa 3, du code de procédure civile, qui imposent de recueillir les observations du technicien commis, ne sont pas applicables, contrairement à ce qui est soutenu par la MAF. En tout état de cause, il sera observé que, dans sa note aux parties n° 14, M. [C] estime opportun que toutes les entreprises concernées par les reprises de 2012 soient appelées aux opérations d'expertise.

En l'état de la possibilité d'un recours en garantie formé par les sociétés Saretec et AXA à l'encontre des entreprises intervenues sur le chantier des reprises en 2012, ces sociétés justifient d'un motif légitime à leur demande d'extension des opérations d'expertise de M. [C] pour rendre opposables à ces entreprises les éléments techniques dont pourrait dépendre la solution de leur recours.

Pour s'opposer à cette demande, ces entreprises font valoir que les actions récursoires des sociétés Saretec et AXA, fondées sur l'engagement de leur responsabilité délictuelle, seraient manifestement vouées à l'échec car prescrites par application de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, et, subsidiairement, non fondées en l'absence de manquement de leur part.

Cependant, tant la société Saretec que la compagnie d'assurance AXA ne pouvant se retourner contre les entreprises concernées par les reprises de 2012 avant d'avoir été elles-mêmes assignées par le syndicat des copropriétaires maître de l'ouvrage, le point de départ du délai de la prescription quinquennale est constitué par la date de leur propre assignation en référé expertise, en l'occurrence le 18 septembre 2023. Il s'ensuit que la prescription quinquennale n'était pas acquise à ce jour.

Ensuite, l'article 145 du code de procédure civile, qui fonde la demande d'extension des opérations d'expertise, n'exige pas que les sociétés Saretec et AXA établissent le bien- fondé de l'action récursoire en vue de laquelle l'extension est sollicitée. Dès lors, le débat initié par les entreprises intimées, qui ne contestent pas être intervenues sur le chantier mais discutent leur degré d'implication dans le choix des solutions de reprise mises en oeuvre, relève de la juridiction du fond qui sera le cas échéant saisie des actions récursoires.

Il convient donc d'ordonner l'extension des opérations d'expertise de M. [C] aux entreprises intimées.

Sur les demandes en injonction de communication de pièces.

Ces demandes sont formées par les sociétés Saretec et AXA qui réclament qu'il soit fait injonction aux sociétés Eiffage et SMAC de produire les marchés de travaux, devis, factures, dossiers des ouvrages exécutés (DOE) de leurs travaux respectifs réalisés en 2012.

La société AXA réclame en sus la communication par la société Eiffage de ses attestations d'assurance de responsabilité aux dates du 18 septembre 2023 et 25 avril 2024.

Outre le fait que l'expert judiciaire, M. [C], a déjà sollicité la communication des marchés de travaux et DOE des lots confiés aux sociétés SMAC et Eiffage (rapport préparatoire du 4 mars 2024 p. 65) et que Eiffage soutient y avoir déféré, il apparaît que ces demandes, qui entrent dans le cadre du débat sur la responsabilité dont le juge du fond sera le cas échéant saisi, présentent en l'état un caractère prématuré et doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour d' appel statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

ORDONNE la jonction des dossiers n ° 24/00603 et 24/00613 ;

INFIRME l'ordonnance rendue le 31 juillet 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Limoges, sauf en sa disposition disant n'y avoir lieu à injonction de communication de pièces ;

Statuant à nouveau,

ORDONNE l'extension des opérations d'expertise judiciaire confiées à M. [V] [C] aux parties suivantes :

- la mutuelle des architectes français MAF,

- la SMAC,

- la société Eiffage,

- la société Stelliant,

- la société Adner Sedgwick,

- la société Neoxa,

- la société d'expertises et de conseils en couverture SECC;

Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la mutuelle des architectes français MAF, la société SMAC, La société Eiffage, la société Stellitant, la société Adner Sedgwick, la société Neoxa et la société d'expertises et de conseils en couverture SECC aux dépens de première instance et d'appel.

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