CA Rennes, 3e ch. com., 22 avril 2025, n° 19/04980
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Infra Services (SAS)
Défendeur :
O Ingenierie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Vice-président :
M. Roussel
Conseiller :
Mme Ramin
Avoués :
Me Lhermitte, Me Bihan
Avocats :
Me Lhermitte, Me Merabet, Me Bihan, Me Nivard
La société Infra services, créée en septembre 2001, a pour activité les travaux de bureaux d'études, de maîtrise d'oeuvre et de prestations de services liées à l'aménagement urbain, de terrains, espaces verts et construction.
Elle se dit spécialisée dans la gestion intégrée des eaux pluviales et indique avoir élaboré un processus projet pour généraliser sa technique alternative de gestion des eaux pluviales. Elle dispose de plusieurs agences sur le territoire national.
La société [C], anciennement dénommée [Z] finances et participations, créée en février 2005, est sa holding et a pour activité outre l'appui administratif et technique de ses filiales, les conseils en matière d'ingénierie liés à l'aménagement urbain et à la gestion des eaux pluviales.
Ces deux sociétés sont dirigées par M. [Z].
Une autre société dénommée Infra services associés a été créée entre la société [Z] finances et participations, elle-même associée de la société Infra services, et les responsables d'agence de la société Infra services permettant notamment, par son objet, une prise de participation dans le capital de la société Infra services et la gestion de cette participation.
La société O Ingénierie, immatriculée le 4 janvier 2018, a pour activité la maîtrise d'oeuvre, voirie et réseaux, assistance à la maîtrise d'ouvrage. Son gérant est M. [P].
M. [P] a été salarié de la société Infra services en qualité de responsable de l'agence Infra services de [Localité 7] du 24 août 2009 au 3 juillet 2017 et associé minoritaire de la société Infra services associés.
Il a démissionné le 3 avril 2017 avec un préavis de trois mois et a revendu ses titres de la société Infra services associés.
Selon une mise en demeure du 2 mars 2018, la société Infra services et sa holding ont reproché à M. [P] et à sa société O Ingénierie une présentation mensongère de leurs compétences sur Internet en s'appuyant sur l'activité passée de M. [P] dans la société Infra services. Elles demandaient l'arrêt de comportements qu'elles estimaient constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, et la modification des informations portées sur internet.
Par la suite, la société Infra services et sa holding ont suspecté M. [P] d'avoir transmis des renseignements à une société Quarante-deux, dirigée par M. [W], proche de M. [P] et ancien salarié de la société Infra services, pour l'obtention d'un marché « [R] » auprès de la ville du Mans, alors que la société Infra services avait participé, en vain, antérieurement à un concours pour ce projet « [R] » au Mans avec la société P2i, promoteur, sur lequel M. [P] était intervenu en qualité de chef d'agence Infra services.
Le 23 août 2018, la société Infra services a assigné en référé-expertise devant le tribunal de commerce de Caen cette société Quarante-deux afin de démontrer des faits de concurrence déloyale.
Entre-temps, par acte du 27 juin 2018, les sociétés Infra services et [C] ont assigné devant le tribunal de commerce de Rennes la société O Ingénierie en concurrence déloyale et parasitaire, aux fins d'obtenir sa condamnation à modifier différentes mentions de ses sites internet, à la cessation de ses comportements déloyaux et parasitaires et au paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 7 mai 2019, le tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté les sociétés Infra services et [C] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamné les sociétés Infra services et [C] à payer la somme de 7000 ' chacune à la société O Ingénierie au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné les sociétés Infra services et [C] à payer solidairement la somme de 2500 ' à la société O Ingénierie par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté O Ingénierie du surplus de sa demande,
- condamné les sociétés Infra services et [C] aux entiers dépens,
- liquidé les frais de greffe a la somme de 94,34 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Par déclaration du 24 juillet 2019, les sociétés Infra services et [C] ont formé appel de ce jugement.
Entre-temps, par arrêt du 13 juin 2019, la société Infra services a obtenu de la cour d'appel de Caen l'organisation d'une expertise qui lui avait été refusée par le juge des référés, ayant pour objet de déterminer dans quelles conditions la société Quarante-deux avait obtenu le marché de « [R] » au Mans en partenariat avec le promoteur P2i et notamment, de déterminer si la société Quarante-deux avait travaillé de manière directe ou indirecte avec la société O Ingénierie dans le cadre des relations contractuelles entretenues avec le promoteur P2i dans le dossier « [R] ».
Le juge des référés du tribunal de commerce de Caen, le 29 juillet 2021, saisi par la société Infra services a ordonné la même expertise au contradictoire de la société O Ingénierie.
Dans la présente affaire, par ordonnance du 14 octobre 2021, le conseiller de la mise en état, saisi par les sociétés Infra services et [C] a dit qu'il sera sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport d'expertise de Mme [U] [L] dans le cadre de la mission lui ayant été confiée par arrêt du 13 juin 2019 de la cour d'appel de Caen.
Le 9 juin 2024, le rapport d'expertise a été déposé et l'instance reprise à la demande de la société O Ingénierie.
L'expert judiciaire a conclu que la société Quarante-deux n'avait pas elle-même répondu au projet « [R] » et qu'aucune comparaison avec le dossier initial de candidature de la société Infra services n'était, en conséquence, possible. « Sur la base de l'analyse des documents communiqués par les parties, le sapiteur n'a pas identifié de références ou mentions communes ni d'utilisation de références Infra services par Quarante-deux. Le savoir faire de la société Infra services n'apparaît pas comme spécifique à cette entreprise. Il apparaît normal que M. [W] ait utilisé ses compétences acquises au sein d'Infra services pour son activité dans Quarante-deux. » L'expertise a révélé que la société Quarante-deux avait signé un contrat de sous-traitance avec la société O ingénierie pour le dossier « [R] ».
Les dernières conclusions des sociétés Infra services et [C] sont du 18 novembre 2024.
Les dernières conclusions de la société O Ingénierie sont du 16 décembre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Les sociétés Infra services et [C] demandent à la cour de :
- dire et juger l'appel recevable,
- réformer le jugement dont appel de l'ensemble de ses dispositions,
- réformer la condamnation au paiement d'une somme de 7 000 ' de dommages et intérêts à la charge de la société Infra services et de la société [C] au titre de l'introduction d'une procédure abusive ;
et statuant de nouveau :
- dire et juger que la société O Ingénierie s'est rendue comparable [sic] de faits constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire,
- dire et juger que la société O Ingénierie s'est rendue coupable de faits de désorganisation par un détournement, et des tentatives de détournement illicite des partenaires commerciaux des sociétés Infra services et [C] par l'usage de procédés déloyaux,
- condamner la société O Ingénierie au retrait des mentions présentes sur son site internet, et plus généralement sur l'ensemble de ses documents de communication, selon lesquelles son dirigeant serait un ancien associé de la société Infra services, cela dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, et sous astreinte de 500 ' par jour de retard,
- condamner la société O Ingénierie au retrait des mentions présentes sur son site internet, et plus généralement sur l'ensemble de ses documents de communication, selon lesquelles son dirigeant aurait quitté son poste de responsable d'agence Grand Ouest Infra services et créé la société O Ingénierie pour mettre en 'uvre ses idées au service des maîtres d'ouvrage voulant réaliser des économies, cela dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, et sous astreinte de 500 ' par jour de retard,
- condamner la société O Ingénierie au retrait des mentions présentes sur son site internet, et plus généralement sur l'ensemble de ses documents de communication, concernant le dossier [D] [sic], cela dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, cela sous astreinte de 500 ' par jour de retard,
- interdire à la société O Ingénierie de faire mention son site internet, et plus généralement sur l'ensemble de ses documents de communication, des chantiers, clients, ou de toute information de quelque nature qu'elle soit concernant la clientèle et les travaux de la société Infra services et de la société [C], cela sous astreinte de 1 000 ' par infraction constatée,
- interdire à la société O Ingénierie de faire mention d'une ancienne appartenance de son dirigeant au groupe Infra services / [C],
- interdire à la société O Ingénierie de diffuser tous documents publicitaires ou commerciaux contraires aux modifications ordonnées et ce, sous astreinte de 1 000 ' par infraction constatée,
- condamner la société O Ingénierie au paiement d'une somme de 20 000 ' de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi par la société Infra services,
- condamner la société O Ingénierie au paiement d'une somme de 20 000 ' de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi par la société [C],
- condamner la société O Inégnierie au paiement d'une somme de 20 000 ' de dommages-intérêts au titre du préjudice financier de la société Infra services,
- ordonner de l'arrêt [sic] de condamnation à intervenir sur le site internet de la société O Ingénierie pendant une durée d'un mois à compter de la notification du jugement et dans le journal d'annonces légales Ouest-France version numérique et papier sous astreinte de 500 ' par jour de retard,
- condamner la société O Ingénierie au paiement d'une somme de 14 788,50 ' au titre des frais d'expertise judiciaire,
- condamner la société O Ingénierie au paiement d'une somme de 5 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société O Ingénierie demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 7 mai 2019 en toutes ces dispositions,
- statuer sur la demande d'irrecevabilité des demandes des sociétés Infra Services et [C] à l'égard de M. [F] [P] et la société Infra Services associés,
et en conséquence,
- concernant les demandes formées par les sociétés Infra Services et [C] à l'égard de M. [F] [P] et la société Infra Services associés,
à titre principal,
- dire et juger que les demandes en concurrence déloyale et parasitaire basées sur une attribution du savoir-faire des sociétés Infra Services et [C] ainsi que sur un prétendu détournement de clientèle sont irrecevables car dirigées à l'encontre de M. [F] [P] et la société Infra Services associés,
à titre subsidiaire,
- confirmer que ces demandes sont infondées,
- concernant les demandes formées par les sociétés Infra Services et [C] à l'égard de la société O Ingénierie :
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] n'apportent pas la preuve que la société O Ingénierie a imité leurs sites internet,
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] n'apportent pas la preuve que la société O Ingénierie les a imitées par la communication des informations mensongères,
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] n'apportent pas la preuve que la société O Ingénierie a détourné leur clientèle,
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] n'apportent pas la preuve que la société O Ingénierie s'est attribuée leurs idées et leur savoir-faire,
en conséquence,
- dire et juger que toutes les demandes en ce sens sont infondées,
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] ne démontrent pas de faute constitutive d'une action en concurrence déloyale et parasitaire,
- dire et juger qu'en l'absence d'une faute constitutive d'une action en concurrence déloyale et parasitaire, les sociétés Infra Services et [C] n'ont subi aucun préjudice de ce chef,
- débouter les sociétés Infra Services et [C] de l'ensemble de leurs demandes.
en tout état de cause,
- dire et juger que les sociétés Infra Services et [C] ont engagé une procédure abusive,
- condamner les sociétés Infra Services et [C] au paiement d'une somme de 7 000 euros chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouter les sociétés Infra Services et [C] de l'ensemble de leurs demandes plus amples,
- condamner les sociétés Infra Services et [C] au paiement de la somme de 5 000 euros chacune à la société O Ingénierie sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les sociétés Infra Services et [C] aux entiers dépens de l'instance.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties.
DISCUSSION
Recevabilité des demandes des sociétés Infra services et [C]
La société O Ingénierie fait valoir, au visa de l'article 32 du code de procédure civile, que les demandes en concurrence déloyale sont irrecevables en ce que les sociétés Infra services et [C] n'ont pas le droit d'agir à l'encontre de M. [P] et de la société Infra services associés, non parties à l'instance.
Il est relevé que les sociétés Infra services et [C] ne formulent aucune prétention à l'encontre de M. [P] ou de la société Infra services associés, non intimés, de sorte que le moyen manque en fait.
La responsabilité délictuelle de la société O Ingénierie peut être engagée pour des actes commis par son représentant légal dans le cadre de ses fonctions ou pour des actes commis par M. [P] en sa qualité d'ancien salarié ou d'associé des demanderesses à l'action dont la société O Ingénierie aurait sciemment bénéficié.
Il convient de rejeter la fin de non recevoir.
Au fond,
Les actes de concurrence déloyale ou parasitaires
Les sociétés Infra services et [C] reprochent à la société O Ingénierie divers actes au titre de la concurrence déloyale et/ou du parasitisme.
Il est rappelé le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté d'entreprendre.
Sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires.
Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du Code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque.
- le détournement du dossier P2i/[R]
Les sociétés Infra services et [C] reprochent à la société O Ingénierie d'avoir détourné de la société Infra services un client, le promoteur immobilier P2i, en utilisant des renseignements dont M. [P] était dépositaire en tant que responsable de l'agence Infra services de [Localité 7].
Il ressort du rappel chronologique des faits par l'expert judiciaire que, fin octobre 2016, le cabinet [E] architectures a transmis à M. [P] des éléments du projet P2i/[R] et que la société Infra services a, début décembre 2016, communiqué à la société P2i, promoteur, des dossiers qu'elle avait déjà eu à réaliser pour justifier de son expérience auprès d'elle.
Il n'est pas contesté qu'en mars 2017, M. [P] a présenté la candidature de la société Infra services/P2i à la mairie du [Localité 5]. Toutefois, la mairie a annulé le premier concours pour en ouvrir un second, obtenu en juin 2017 par la société P2i seule.
En septembre 2017, celle-ci s'est rapprochée de la société Quarante-deux, susévoquée, immatriculée en octobre 2016 ; la collaboration au projet n'a toutefois été confiée à la société Quarante-deux qu'en décembre 2017.
La société O Ingénierie a été créée le 4 janvier 2018. Le 19 janvier 2018, la société Quarante-deux a conclu un contrat de sous-traitance avec la société O Ingénierie sur ce même projet [R].
Il est rappelé que M. [P] a quitté la société Infra services en juillet 2017, à une date où il n'est pas établi que la société Quarante-deux ait été en lien avec la société P2i.
Or, cette société P2i a rappelé, dans un courrier du 9 janvier 2019 adressé à la société Infra services sur sa demande d'explications, qu'elle n'avait aucun lien contractuel avec elle et qu'elle était libre de choisir ses collaborateurs. La société P2i lui faisait, en outre, remarquer qu'elle avait eu un comportement déloyal en présentant sa candidature avec un autre promoteur, en parallèle de celle portée avec elle.
La société Infra services a admis qu'un autre responsable d'agence a présenté, concomitamment, une candidature sur le même projet [R] avec un autre promoteur que la société P2i.
Ce comportement de la société Infra services suffit à lui-seul à expliquer le choix de la société P2i, qui n'était pas un client, pour un autre partenaire sur le lot initialement envisagé pour la société Infra services.
Si la société Quarante-deux puis la société O Ingénierie avaient connaissance du projet [R] de par leurs responsables légaux, il n'est pas établi qu'elles aient manoeuvré pour capter le potentiel partenaire de la société Infra services. Le fait que le contrat de sous-traitance n'ait été révélé que pendant les opérations d'expertise judiciaire n'établit pas l'existence d'un comportement déloyal antérieur.
Le délai d'un mois entre la signature du contrat de sous-traitance par la société O Ingéniérie et l'établissement de sa première facture pour l'élaboration de l'avant-projet en date du 22 février 2018 n'est pas, en soi, anormal dès lors que M. [P] avait acquis une expérience en plusieurs années d'exercice professionnel au sein de la société Infra services lui permettant de réaliser un tel avant-projet dans un court délai d'exécution et qu'il n'est pas démontré qu'il ait été tenu, sur la même période, à d'autres engagements professionnels. Il est d'ailleurs allégué par la société Infra services que M. [P], avant même la création de sa société, a commencé à travailler sur le projet, ce qui conforte sa capacité de réaction postérieure en un court délai.
Surtout, il n'a pas été retrouvé traces, par l'expertise judiciaire, d'un emprunt d'informations confidentielles à la société Infra services, notamment dans la conception des ouvrages, par les sociétés Quarante-deux ou O Ingénierie, ni mis en évidence que la société Infra services disposerait d'un savoir-faire susceptible de constituer une valeur économique individualisée. Le fait que M. [P] ait travaillé antérieurement sur le premier projet de concours ne peut à lui seul démontrer qu'il se soit servi, au-delà de son expérience accumulée, d'informations et de données confidentielles lui ayant permis d'obtenir par la suite le contrat de sous-traitance auprès de la société Quarante-deux dont il est rappelé qu'elle a été créée dès octobre 2016.
Les sociétés Infra services et [C] évoquent la violation d'une obligation de confidentialité qui contraignait M. [P] à ne pas se servir de ses fonctions pour détourner ou tenter de détourner la clientèle de son ancien employeur au bénéfice de sa nouvelle structure.
Le contrat de travail de M. [P] l'obligeait à un devoir de discrétion sur les informations dont il aurait eu connaissance, ce même après la rupture du contrat de travail. Il n'est toutefois pas démontré qu'il n'ait pas respecté ce devoir, étant précisé que la société Quarante-deux a pu avoir connaissance du projet de la mairie du [Localité 5] par d'autres biais que M. [P] et qu'aucune pièce du dossier n'établit d'échanges directs entre M. [P] et la société Quarante-deux à ce sujet.
Par ailleurs, si le pacte d'associés entre la société [C] et la société Infra services associés dont M. [P] détenait des parts, prévoyait une obligation de confidentialité, celle-ci n'avait pas vocation à durer au-delà du retrait de M. [P] de la société Infra services associés. Or, comme il a déjà été dit, il n'est pas démontré que M. [P], du temps de cette participation au pacte d'associés, ait révélé des informations confidentielles à des tiers de nature à avoir bénéficié, postérieurement, à sa société O Ingénierie.
L'opportunité dont s'est saisie la société O Ingénierie ne caractérise pas un comportement déloyal ou parasitaire.
Aucun acte de concurrence déloyale ou de parasitisme n'est établi.
- la prise de fausse qualité d'ancien associé de la société Infra services, l'attribution mensongère du mérite du succès commercial de l'agence de [Localité 7] et des idées et du savoir-faire des concluantes
Les sociétés Infra services et [C] reprochent à la société O Ingénierie de se présenter sur internet de manière trompeuse et mensongère pour se placer dans leur sillage et bénéficier de sa notoriété pour capter leur clientèle, ainsi que de reprendre à son compte leurs concepts dans ses documents de présentation.
Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.
La société O Ingénierie utilise pour sa promotion sur Internet des termes et concepts similaires ou identiques à ceux que promeut la société Infra services de longue date. Toutefois, ces termes et concepts mis en exergue antérieurement par la société Infra services ne sont pas ou plus l'apanage de celle-ci. Comme l'a relevé le sapiteur de l'expert judiciaire : « si les compétences d'Infra services ne sont nullement contestées, elles n'apparaissent pas d'une manière générale comme spécifique à cette entreprise ». Aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire n'est établi de ce seul fait.
La mention du site internet décrite comme trompeuse et mensongère est la suivante :
« En 2010, il devient responsable de la région Grand Ouest pour Infra services, bureau de maîtrise d'oeuvre VRD spécialisé en gestion intégrée des eaux pluviales. Les canalisations d'eaux pluviales disparaissent. L'agence se développe rapidement et [F] passe associé ».
Cette mention est de nature à faire croire que M. [P] est l'artisan du développement de l'agence région Grand Ouest. La société Infra services soutient que le chiffre d'affaires de l'agence dont était responsable M. [P] était en constante baisse par rapport aux autres agences, toutefois elle ne produit aucun document comptable certifié ou attestation de son expert comptable pour en justifier mais un simple tableau comparatif établi par elle-même qui ne saurait valoir preuve de ses assertions.
Cette mention est, en revanche, de nature à faire croire que M. [P] est devenu, du fait de ses compétences et de sa productivité, associé de la société Infra services alors qu'il n'a été qu'associé de la société Infra services associés.
La société Infra services produit une copie d'écran d'un message téléphonique sans que la cour ne puisse savoir s'il s'agit d'un message directement adressé par M. [P] à M. [S], lequel serait salarié chez Bouygues, ou s'il s'agit d'une copie d'écran de message public Linkedin retransmis par celui-ci à un tiers. Le message Linkedin renvoie au site internet controversé.
Cette pièce met au mieux en évidence la publicité faite par M. [P] sur son profit Linkedin de la création de sa société pour en informer les tiers, dont ces éventuels anciens contacts connus lors de son exercice professionnel au sein de la société Infra services. Cette démarche n'est pas déloyale.
Mais le fait que ce message renvoie au site portant une mention de nature à conduire à une mauvaise appréciation du rôle tenu par M. [P] dans la société Infra services constitue un acte de concurrence déloyale.
De la même manière, le fait que la société O Ingénierie mette en avant sur son site internet le projet [D] réalisé par la société Infra services, faisant valoir que M. [P] en était le responsable d'agence, lui permet de tirer, à des fins publicitaires, indûment profit des investissements réalisés par la société Infra services et de sa notoriété. Ainsi, même si cette revendication n'est pas mensongère et ne correspond qu'à l'insertion d'une photographie et d'une légende pour illustrer un texte général sur la gestion intégrée des eaux pluviales, elle est déloyale comme parasitaire.
- sur les tentatives de détournement de la clientèle
La société Infra services reproche par ailleurs à M. [P] d'avoir rencontré d'anciens partenaires à [Localité 8] lors d'un déplacement pour présenter son activité ainsi que lors d'un salon.
La prospection est libre et l'utilisation de l'expérience et des relations nouées par des salariés au sein d'une société pour le compte d'une autre société ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale.
Ainsi, quelle que soit la réalité des assertions de la société Infra services, elles ne sont pas de nature à constituer un comportement déloyal, sans autre manoeuvre établie.
Sur la réparation du préjudice
Seules l'invocation mensongère de ce que M. [P] était associé de la société Infra services et la mise en avant du projet [D] réalisé par la société Infra services sont considérées par la cour comme de nature à constituer un comportement déloyal.
- le préjudice financier
Pour évaluer leur préjudice financier, les sociétés Infra services et [C] invoquent essentiellement le gain perçu par la société O Ingénierie pour le traitement du dossier [R]. Toutefois, aucun acte de concurrence déloyale n'a été retenu à ce titre.
Leur demande indemnitaire pour le préjudice financier est rejetée.
- le préjudice moral
Dans un second temps, les sociétés Infra services et [C] font valoir un préjudice moral.
Il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyal ou parasitaire.
Toutefois, l'évaluation qui en est demandé, à savoir 20 000 ' par société, est manifestement excessive compte tenu des deux seuls actes fautifs retenus à l'encontre de la société O Ingénierie qui ont tous deux traits à sa seule présentation par internet, laquelle n'a pu avoir qu'un effet minime sur leur notoriété.
En conséquence, le jugement sera infirmé et la société O Ingénierie sera condamnée à payer à chacune une somme de 500 ' à ce titre.
- les demandes de retrait et de publication
Les sociétés Infra services et [C] demandent des retraits des mentions litigieuses sur le site Internet de la société O Ingénierie. Il convient d'y faire droit partiellement, pour faire supprimer la mention de l'association de M. [P] à la société Infra services et le renvoi au projet [D] (photographie et légende) sans assortir la condamnation d'une astreinte. Le jugement sera infirmé.
En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit au surplus des demandes d'interdiction indéterminées et/ou excessives par rapport au préjudice subi.
Ainsi, il ne peut être fait interdiction à la société O Ingénierie de mentionner le parcours professionnel de son dirigeant, et notamment, de son salariat dans la société Infra services sous peine d'entrave à la liberté du commerce et d'entreprendre.
Les préjudices des sociétés Infra services et [C] sont suffisamment réparés par les sommes allouées sans qu'il y ait lieu d'y ajouter une publication de la présente décision.
Leur demande de publication est rejetée.
La demande reconventionnelle pour procédure abusive
Selon l'article 32-1 du code de procédure civile : « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ».
En outre, le droit d'agir en justice trouve une limite dans l'abus d'exercice de cette liberté fondamentale, ce qui autorise la partie adverse à solliciter le paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Il appartient aux juges du fond saisis d'une demande de dommages et intérêts sur ce fondement de caractériser la faute à l'origine de l'exercice du droit ayant fait dégénérer l'exercice du droit en abus.
La société O Ingénierie fait valoir que les sociétés Infra services et [C] n'ont agi que pour freiner et perturber son développement et que leur représentant, M. [Z], procède ainsi de manière habituelle avec les anciens salariés.
Toutefois, il n'appartient pas à la cour de vérifier le bien fondé des actions menées par la société Infra services à l'encontre de tiers à l'instance.
En outre, les préjudices subis par la société O Ingénierie du fait de la procédure engagée ne peuvent faire présupposer l'existence d'une faute des sociétés Infra services et [C].
Celles-ci avaient un intérêt à agir. Il n'est pas établi de témérité de leur action ou d'inanité des arguments portés devant le tribunal de commerce ou la cour. Il a, d'ailleurs, été fait droit à la demande de reconnaissance de certains actes déloyaux.
Il convient d'infirmer le jugement de première instance de ce chef et de rejeter les demandes d'indemnisation de la société O Ingénierie au titre de la procédure abusive.
Frais et dépens
Succombant chacune pour partie à l'instance, les sociétés Infra services et [C] in solidum, d'une part, et la société O Ingénierie, d'autre part, seront condamnées au paiement par moitié des dépens de première instance et d'appel, à l'exception des honoraires de l'expert judiciaire qui resteront à charge des sociétés Infra services et [C].
L'équité commande que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Rennes en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la fin de non recevoir de la société O Ingénierie,
Condamne la société O Ingénierie à payer à la société [C] et à la société Infra services, la somme de 500 ' chacune au titre de leur préjudice moral,
Condamne la société O Ingénierie à faire disparaître de son site Internet :
- la mention de l'association de M. [P] à la société Infra services,
- la mention du projet de [Localité 6] : photographie et légende,
Rejette toute autre demande indemnitaire, de retrait ou de publication de la société [C] et de la société Infra services,
Rejette la demande indemnitaire de la société O Ingénierie au titre de la procédure abusive,
Condamne d'une part, la société [C] et la société Infra services, in solidum, et d'autre part, la société O Ingénierie à payer la moitié des dépens de première instance et d'appel à l'exception des honoraires de l'expert judiciaire et de son sapiteur auxquels sont condamnées la société [C] et la société Infra services, in solidum,
Rejette toute demande au titre des frais irrépétibles,