Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 17 avril 2025, n° 24/03103

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Groupe Invest-Immo France (SARL)

Défendeur :

Energies Economies Systemes (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseiller :

M. Bruno

Conseiller :

Mme Faivre

Avocats :

Me Hattab, Me de Gaudemaris, Me Cadeau-Belliard

TJ Grenoble, du 11 juill. 2024

11 juillet 2024

Faits et procédure :

1. Par acte du 7 juillet 2017, la société Groupe Invest-Immo France a donné à bail commercial à la société AMV des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 6].

2. Par courrier du 15 mai 2023, la société AMV a résilié le contrat de bail avec effet au 31 mai 2023. Par courrier du 20 juin 2023, la société Groupe Invest-Immo France a invité la société Energies Economies Systèmes à quitter les locaux. Par acte de commissaire de justice du 4 décembre 2023, la société Groupe Invest Immo France a fait assigner la société Energies Economies Systèmes en référé devant le tribunal judiciaire de Grenoble aux fins d'expulsion et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.

3. Par ordonnance du 11 juillet 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grenoble a':

- dit n'y avoir lieu à statuer en référé ;

- rejeté la demande d'expulsion formée par la société Groupe Invest Immo France';

- rejeté la demande de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation formée par la société Groupe Invest Immo France à l'encontre de la société Energies Economies Systèmes ;

- condamné la société Groupe Invest Immo France aux dépens ;

- rejeté la demande formée par la société Groupe Invest Immo France au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande formée par la société Energies Economies Systèmes au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté pour le surplus les demandes des parties.

4. La société Groupe Invest-Immo France a interjeté appel de cette décision le 20 août 2024, en toutes ses dispositions reprises dans son acte d'appel.

L'instruction de cette procédure a été clôturée le 6 février 2025.

Prétentions et moyens de la société Groupe Invest-Immo France ':

5. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 29 janvier 2025, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déféré en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à statuer en référé';

- rejeté la demande d'expulsion formée par la concluante;

- rejeté la demande de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation formée par la concluante à l'encontre de la société Energies Economies Systèmes;

- condamné la concluante aux dépens ;

- rejeté la demande formée par la concluante au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile;

- rejeté pour le surplus les demandes des parties.

6. Elle demande à la cour, statuant à nouveau':

- d'ordonner l'expulsion de la société Energies Economies Systèmes ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 1], sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

- de condamner la société Energies Economies Systèmes à payer à la concluante une indemnité mensuelle d'occupation d'un montant de 2.779,45 euros à compter du 1er juin 2023 ;

- de condamner la société Energies Economies Systèmes à payer à la concluante de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société Energies Economies Systèmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle expose':

7. - que par acte notarié du 7 juillet 2017, la concluante a donné à bail commercial à la société AMV les locaux en litige, dans le cadre d'un bail dérogatoire conclu en application de l'article L.145-5 du code de commerce, pour une durée de deux années qui a commencé à courir le 1er juillet 2017 pour se terminer le 30 juin 2019'; que passé ce terme, la société AMV est restée dans les lieux, de sorte qu'il s'est opéré un nouveau bail soumis aux statuts des baux commerciaux'; que par courrier du 15 mai 2023, la société AMV a résilié son bail commercial et a quitté les lieux';

8. - que cependant, il est apparu qu'à une date inconnue, la société AMV a sous-loué les locaux à l'intimée ayant pour sigle 2ES; que la concluante lui a proposé de conclure un bail commercial devant courir à partir du 1er juin 2023, proposition réitérée le 20 juin 2023; qu'en l'absence de réponse de l'intimée, la concluante a conclu une promesse de bail commercial avec un tiers et a mis en demeure l'intimée de quitter les lieux; que celle-ci continue néanmoins à se maintenir dans les locaux';

9. - que selon l'article L. 145-31, alinéas 1 et 2, du code de commerce, sauf stipulation contraire au bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite, alors qu'en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte'; qu'en l'espèce, la concluante n'a jamais été appelée à concourir à un acte de sous-location';

10. - que selon l'article L. 145-32, alinéa 2, du code de commerce, à l'expiration du bail principal, le propriétaire n'est tenu au renouvellement que s'il a, expressément ou tacitement, autorisé ou agréé la sous-location et si, en cas de sous-location partielle, les lieux faisant l'objet du bail principal ne forment pas un tout indivisible matériellement ou dans la commune intention des parties';

11. - que selon la Cour de cassation (Com. 5 mai 1970, n°69-10.121), une sous-location, même autorisée par le bail principal, n'est opposable au propriétaire que si celui-ci a été appelé à concourir à l'acte'; que le sous-locataire ne peut obtenir le renouvellement de la sous-location qu'à la condition que le propriétaire ayant concouru à celle-ci soit encore appelé à concourir à ce renouvellement'; que d'une tolérance même prolongée de la sous-location ne peut être déduite la renonciation du bailleur à se prévaloir de la méconnaissance de son droit d'être appelé à concourir à l'acte de sous-location ou de renouvellement'; que selon un autre arrêt (Civ. 3° 11 juin 1987 n°86-12.005), la sous-location prend fin en même temps que le bail principal';

12. - ainsi, qu'une sous-location irrégulière est inopposable au propriétaire, de sorte que le sous-locataire est occupant sans droit ni titre, et ne peut se prévaloir du statut des baux commerciaux, et notamment du droit au renouvellement';

13. - qu'en l'espèce, la concluante n'a jamais été appelée à concourir à la sous-location, de sorte que celle-ci est irrégulière'; que la société AMV a en outre résilié le bail'; qu'il en résulte que l'intimée est occupante sans droit ni titre, ce qui justifie son expulsion au visa de l'article 835 du code de procédure civile et la fixation d'une indemnité d'occupation';

14. - que si l'intimée invoque l'existence d'un bail verbal, résultant de son occupation des lieux et du paiement d'un loyer, elle occulte le fait qu'elle est entrée dans les lieux en vertu d'une sous-location consentie par la société AMV, alors que la concluante produit le bail de la société AMV'; que les extraits de la comptabilité de l'intimée indiquent qu'elle a payé des loyers depuis le

20 août 2018, de sorte qu'elle est entrée dans les lieux à cette date, lors de laquelle la société AMV était locataire'; qu'il s'agit ainsi bien d'une sous-location'; que si l'intimée a payé des sommes à la concluante après la résiliation du bail par la société AMV, il ne s'agit pas de loyers, mais de sommes à valoir sur l'indemnité d'occupation'; qu'il n'existe ainsi aucun bail verbal';

15. - que l'existence d'un bail verbal est contredite par le fait que la concluante était en négociation avec l'intimée dès le mois de mars 2023 pour la conclusion d'un bail dans la perspective du départ de la société AMV'; que le fait que l'intimée ait signé le 30 mai 2023 la convention d'honoraires du notaire n'est pas un accord sur le projet de bail';

16. - que le montant de l'indemnité d'occupation sollicitée correspond au montant du loyer payé par la société AMV, de sorte que ce montant n'est pas sérieusement contestable.

Prétentions et moyens de la société Energies Economies Systèmes':

17. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 7 novembre 2024, elle demande à la cour, au visa des article L 145 - 1 et suivants du code de commerce et de l'article 835 du code de procédure civile':

- de dire et juger que la société Groupe Invest Immo France et la concluante sont liées par un bail commercial';

- de dire et juger que la concluante n'est pas occupante sans droit ni titre';

- de dire et juger qu'il n'y a pas de troubles manifestement illicites';

- de con'rmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire Grenoble en date du 11 juillet 2024';

- de condamner la société Groupe Invest Immo France à verser à la concluante une somme de 3.500 euros pour les frais irrépétibles exposés';

- de condamner la société Groupe Invest Immo France aux entiers dépens.

Elle indique':

18. - qu'un bail commercial est un contrat consensuel et qu'il n'est pas nécessaire qu'il soit écrit'; que l'occupation des lieux accompagnée du paiement du loyer suffit à caractériser l'existence du bail commercial, car il y a accord sur la chose et le prix (Civ. 3°, 12 février 1985 Bull III n°29 et 4 mars 2008);

19. - qu'en l'espèce, un accord est intervenu entre les parties puisque la concluante occupe les locaux et règle le loyer à l'appelante, ce qui a toujours été accepté; que les parties, liées par un bail verbal, avaient convenu d'établir un bail écrit correspondant, de sorte que le notaire de l'appelante a sollicité de la concluante le paiement de 1.950 euros correspondant aux honoraires de rédaction du contrat, ce que la concluante a accepté';

20. - que ce projet a été adressé par le notaire à la concluante par mail du 13 juin 2023, avec la précision que le notaire serait absent les 14 et 15 juin'; que sept jours après l'envoi de ce bail, l'appelante a annulé sa proposition de régulariser un bail écrit, au motif que la concluante n'avait pas donné suite au projet, car elle a reçu une promesse de location avec un tiers pour un prix plus intéressant;

21. - qu'il y a eu ainsi un accord des parties sur la chose et le prix, suivi d'une exécution puisque la concluante occupe les lieux et règle les loyers, et a accepté de régler les frais de rédaction du bail écrit venant confirmer la relation existante.

*****

22. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

23. Selon le juge des référés, s'il n'est pas contesté que la société Energies Economies Systèmes occupe les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 6], il appartient à cette dernière d'établir qu'elle dispose d'un titre en la forme d'un bail commercial verbal. Il est établi que la société Energies Economies Systèmes était en négociation avec la société Groupe Invest Immo France pour la conclusion d'un bail commercial ainsi que cela ressort en particulier du projet de contrat de bail établi par le cabinet notarial Lexgroup et transmis à la société Energies Economies Systèmes par courriel du 13 juin 2023. Contrairement à ce que soutient la société Groupe Invest Immo France, l'existence de pourparlers en vue de la conclusion d'un bail commercial ne permet pas de conclure à l'absence d'un bail verbal dès lors que les pourparlers avaient pour objet de faire établir l'instrumentum du contrat.

24. Pour le premier juge, il ressort en outre des pièces produites que la société Energies Economies Systèmes a effectué des versements mensuels à la société Groupe Invest Immo France depuis la date du 20 août 2018, ce qui n'est pas contesté. Si la demanderesse fait valoir que ces versements ont été facturés au nom de la société AMV, elle n'en justi'e pas autrement que par la production de factures datées du mois de mai 2023, impropres à établir une telle allégation. L'ensemble de ces éléments ne permet pas d'établir que la société Energies Economies Systèmes occupe les locaux sans droit ni titre.

25. Le juge des référés a ainsi dit qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions de statuer en référé sur la demande d'expulsion formée par la société Groupe-Invest Immo France en ce qu'elle se heurte à une contestation sérieuse. Il a ajouté que la condition d'urgence n'est pas davantage remplie en ce qu'il n'est pas contesté que la société Groupe Invest Immo France a toujours perçu les loyers, contrepartie de l'occupation, y compris après l'expiration du bail de la société AMV au 31 mai 2023, et qu'il y a lieu, dans les mêmes conditions, de rejeter la demande formée au titre de l'indemnité d'occupation.

26. La cour relève qu'il n'est pas contesté qu'aucun bail écrit ne lie les parties à la présente instance. Il appartient ainsi à l'intimée, se prévalant d'un bail verbal, de rapporter la preuve de ce contrat. A défaut, elle ne peut qu'être considérée comme occupante sans droit ni titre.

27. En l'espèce, il est constant que le seul bail écrit a lié l'appelante à la société AMV. Ce bail ne contient aucune stipulation concernant une sous-location. Ainsi que soutenu par l'appelante, il résulte de l'article L145-31 du code de commerce que sauf stipulation contraire au bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite. En cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte. Le locataire doit faire connaître au propriétaire son intention de sous-louer par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Dans les quinze jours de la réception de cet avis, le propriétaire doit faire connaître s'il entend concourir à l'acte. Si, malgré l'autorisation prévue au premier alinéa, le bailleur refuse ou s'il omet de répondre, il est passé outre.

28. Or, il n'est pas contesté que l'intimée est entrée dans les lieux du chef de la société AMV au moins au courant de l'année 2018, mais sans que cette dernière n'en informe la société Groupe Invest Immo France conformément à ces dispositions, alors que le bail ne lui permettait pas de sous-louer les lieux, et qu'elle ne disposait d'aucune autorisation du bailleur à ce titre.

29. L'absence d'un contrat de sous-location accepté par le bailleur est confirmée par le fait que la société Groupe Invest Immo France et la société Energies Economies Systèmes sont entrées en pourparlers afin de régulariser un bail, suite à la résiliation du contrat par la société AMV pour le 31 mai 2023. Le fait que l'intimée ait réglé la somme mensuelle de 2.779,45 euros à l'appelante entre septembre et décembre 2023, dont le montant correspond au moment d'un loyer, ne permet pas de constater l'existence d'un bail verbal, faute d'autres éléments permettant de constater que la société Groupe Invest Immo France a accepté un tel contrat, alors que le bail la liant à la société AMV avait été résilié. Ainsi qu'elle le soutient, le paiement de ces mensualités ne peut que correspondre à une indemnité d'occupation, d'autant que la société Groupe Invest Immo France a annulé sa proposition de régulariser un bail écrit courant juin 2023. A ce sujet, la cour relève qu'il n'est invoqué aucune promesse unilatérale de l'appelante de conclure un bail, le fait qu'un notaire soit intervenu pour rédiger un projet de contrat ne s'inscrivant que dans le cadre d'un acte préparatoire.

30. Il en résulte que contrairement à l'appréciation du juge des référés, l'absence de la preuve de l'existence d'un bail verbal ne peut conduire qu'à considérer que la société Energies Economies Systèmes est occupante sans droit ni titre, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. Il en résulte que l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ayant rejeté la demande formée par la société Energies Economies Systèmes au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La cour précise que les demandes de la société Groupe Invest Immo France ne sont pas sérieusement contestables, puisque c'est au contraire l'argumentation de l'intimée sur l'existence d'un bail qui est atteinte par ce grief.

31. Statuant à nouveau, la cour fera ainsi droit à l'ensemble des demandes de l'appelante, selon les modalités détaillées ci-après. L'indemnité d'occupation sollicitée correspondant au montant du loyer anciennement payé par la société AMV, il en résulte que cette obligation n'est pas sérieusement contestable.

32. Succombant devant cet appel, la société Energies Economies Systèmes sera condamnée à payer à la société Groupe Invest Immo France la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'article L145-31 du code de commerce'et l'article 835 du code de procédure civile ;

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a':

- dit n'y avoir lieu à statuer en référé;

- rejeté la demande d'expulsion formée par la société Groupe Invest Immo France';

- rejeté la demande de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation formée par la société Groupe Invest Immo France à l'encontre de la société Energies Economies Systèmes ;

- condamné la société Groupe Invest Immo France aux dépens ;

- rejeté la demande formée par la société Groupe Invest Immo France au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté pour le surplus les demandes des parties';

Confirme l'ordonnance déférée en ses autres dispositions soumises à la cour;

statuant à nouveau';

Déboute la société Energies Economies Systèmes de l'intégralité de ses prétentions';

Constate que la société Energies Economies Systèmes est occupante sans droit ni titre des locaux sis [Adresse 1]';

Ordonne l'expulsion de la société Energies Economies Systèmes ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 1], sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt ;

Condamne la société Energies Economies Systèmes à payer à la société Groupe Invest Immo France une indemnité mensuelle d'occupation provisionnelle d'un montant de 2.779,45 euros à compter du 1er juin 2023, jusqu'à la parfaite libération des lieux ;

Condamne la société Energies Economies Systèmes à payer à la société Groupe Invest Immo France la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Energies Economies Systèmes aux entiers dépens de première instance et d'appel';

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site