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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 24 avril 2025, n° 24/11115

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Badie, Me Kerkerian, Me Simon-Thibaud, Me Pelegry

TJ Localité 6, du 17 juill. 2024, n° 23/…

17 juillet 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique en date du 13 janvier 2003, M. [F] [U] a acquis un bien immobilier à usage d'habitation, sis sur la commune de [Localité 8], pour un prix de 154 000 euros.

Le 23 février 2018, par acte authentique dressé par Me [R] [S], notaire, M. [F] [U] et Mme [W] [T] ont procédé à la constitution d'une société civile immobilière dénommée SCI [5]. Les associés ont effectué des apports en numéraire à hauteur de 2 500 euros chacun. En outre, M. [F] [U] a apporté en nature son bien immobilier, évalué à 495000 euros.

Le capital social de la SCI [5] a été fixé à 500 000 euros, divisé en 50 000 parts sociales d'une valeur nominale de 10 euros chacune. La répartition du capital s'établissait comme suit : 49 750 parts attribuées à M. [F] [U] et 250 parts à Mme [W] [T].

Concomitamment à la constitution de la société, par acte notarié en date du 23 février 2018, M. [F] [U] a cédé 24 750 parts sociales à Mme [W] [T], moyennant un prix de 247 500 euros. Il est précisé que les fonds utilisés pour cette acquisition provenaient de la cession d'un bien immobilier appartenant à Mme [T], situé en Bourgogne.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 17 octobre 2022, Mme [T] a notifié à M. [U] son intention de céder ses 25 000 parts sociales au prix de 35 000 euros.

En 2023, des échanges entre les parties et leur conseil ont eu lieu sur la valeur du bien immobilier.

Une assemblée générale s'est tenue le 5 décembre 2023, en présence de M. [U] et de Me Pellegry, conseil de Mme [T]. Un procès-verbal de constat a été dressé par Me [L] [N], commissaire de justice. Au cours de cette assemblée, le retrait de Mme [W] [T] a été refusé, et M. [U] a réitéré sa volonté de faire un compte entre les parties concernant les travaux de rénovation de la maison d'habitation avant de procéder à l'évaluation des parts sociales de la société.

En l'absence d'accord entre les parties quant à la désignation d'un expert-comptable chargé d'évaluer les parts sociales de la SCI, Mme [W] [T] a, par acte en date du 12 décembre 2023, assigné M. [F] [U] à comparaître devant le président du tribunal judiciaire de Draguignan, statuant selon la procédure accélérée au fond, aux fins d'obtenir la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil.

Par un jugement selon la procédure accélérée au fond du 17 juillet 2024, le tribunal judiciaire de Draguignan a:

- débouté Mme [W] [T] de sa demande,

- condamné Mme [W] [T] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré qu'en l'absence de retrait de Mme [T] de la SCI [5] les dispositions spécifiques de l'article 1843-4 du code civil sur la procédure et la mission de l'expert sont inapplicables.

Par déclaration du 10 septembre 2024, Mme [W] [T] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 janvier 2025, Mme [W] [T] demande à la cour, au visa des articles 1843-4 et 1869 du code civil, ainsi que de l'article 700 du code de procédure civile, de :

- recevoir Mme [T] en son appel du jugement rendu selon la procédure accélérée au fond par le tribunal judiciaire de Draguignan en date du 17 juillet 2024,

- infirmer le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond par le tribunal judiciaire de Draguignan en date du 17 juillet 2024 en ce qu'il a :

Débouté Mme [W] [T] de sa demande,

Condamné Mme [W] [T] aux dépens,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau :

- juger les demandes de Mme [T] recevables et bien fondées,

- ordonner une expertise aux fins d'évaluation des droits sociaux de la SCI [5],

- désigner tel expert-comptable, ou d'une autre spécialité qui paraîtrait plus appropriée à la juridiction, qu'il plaira à la juridiction avec pour mission de :

- faire les comptes entre les parties, notamment en examinant les écritures passées sur l'ensemble des comptes ouverts de l'existence de la SCI [5],

- se prononcer sur la répartition des parts sociales entre les associés de la SCI [5],

- donner un avis sur la valeur vénale des parts de la SCI [5] à la date de la demande de retrait formulée par Mme [T], soit au 17 octobre 2022,

- juger que les frais et honoraires de l'expert seront supportés par Mme [T] en sa qualité de retrayante,

- condamner M. [U] à payer à Mme [T] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, à l'exclusion des rais d'expertise.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 janvier 2025, M. [F] [U], demande à la cour, au visa des articles 1869 et 1843-4 du code civil, de :

- déclarer Mme [W] [T] mal fondée en son appel à l'encontre du jugement rendu par le 17 juillet 2024 par le tribunal judiciaire de Draguignan,

- confirmer le jugement rendu par le 17 juillet 2024 par le tribunal judiciaire de Draguignan,

- déclarer M. [F] [U] recevable et bien fondé en son appel incident,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M. [F] [U] de sa demande de condamnation de Mme [W] [T] à lui verser la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau de ces seuls chefs :

- condamner Mme [W] [T] à verser à M. [F] [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,

- confirmer pour le surplus la décision en ses dispositions non contraires aux présentes,

- condamner Mme [W] [T] à payer à M. [F] [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel distraits conformément à l'article 699 du même code au titre des frais d'appel.

L'instruction du dossier a été clôturée par une ordonnance du 4 février 2025.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

MOTIFS

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée par l'intimé.

Sur la demande de désignation d'un expert-comptable

L'article 1843-4 du code civil dispose que :

I. Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

Au soutien de sa demande d'infirmation de la décision déférée, Mme [T] expose qu'aucun accord n'a été conclu entre les parties quant à la valorisation des parts sociales et sollicite, en conséquence, la désignation d'un expert conformément aux dispositions statutaires de la SCI [5].

Elle rappelle que les statuts prévoient explicitement que, sauf demande de reprise en nature du bien apporté, l'associé retrayant a droit au remboursement de la valeur de ses parts, fixée, à défaut d'accord amiable, par un expert désigné selon les modalités de l'article 1843-4 du code civil.

En outre, Mme [T] fait valoir que les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil sont réunies, dans la mesure où l'article 1869 du code civil y fait expressément renvoi et que son retrait ainsi que la cession des parts sont acquis, sa demande ayant été formalisée. Elle précise également qu'une résolution adoptée lors de l'assemblée générale du 5 décembre 2023 a explicitement traité de ce retrait.

Enfin, elle invoque une jurisprudence constante selon laquelle un associé autorisé à se retirer d'une société civile pour justes motifs, par décision de justice, ne perd sa qualité d'associé qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux, et qu'en l'absence de dispositions statutaires contraires, cette valeur doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement.

En réponse, M. [F] [U] rappelle que, conformément aux articles 1869 et 1843-4 du code civil, le retrait d'un associé doit respecter les conditions statutaires ou, à défaut, être autorisé par l'unanimité des associés. Il précise que le retrait peut également être autorisé judiciairement pour justes motifs en cas de désaccord.

Également, il prétend que le retrait de Mme [T] entraînerait l'annulation de ses parts sociales ainsi qu'une réduction corrélative du capital social, et indique par ailleurs que le retrait est subordonné au versement de sa quote-part des travaux, soit 100 000 euros, et à une autorisation unanime des associés telle que prévue par les statuts de la SCI.

Il ressort des pièces produites au débat que, par deux courriers recommandés datés du 17 octobre 2022, adressés respectivement à la SCI [5] et à M. [U], Mme [T] a manifesté son intention de se retirer de ladite SCI et de procéder à la cession de ses parts sociales. Par ailleurs, par un courrier officiel en date du 22 novembre 2022, le conseil de Mme [T] a sollicité auprès du conseil de M. [U] la désignation d'un expert-comptable.

Les statuts de la SCI [5] stipulent expressément que le retrait d'un associé est subordonné à une autorisation unanime des associés. En outre, une convocation à l'assemblée générale extraordinaire (ci-après AGE) prévue pour le 5 décembre 2023 a été notifiée à Mme [T] par lettre datée du 3 novembre 2023. Cette AGE avait notamment pour objet d'« acter par huissier de justice présent à l'assemblée le retrait de Mme [T] conformément à sa demande formulée par lettre recommandée en date du 17 octobre 2022 ».

Cependant, selon le constat établi par Me [N] au terme de l'AGE tenue le 5 décembre 2023, la demande de retrait formulée par Mme [T] a été refusée.

Ainsi, en l'absence d'accord unanime des associés sur le retrait, les dispositions de l'article 1843-4 du code civil ne s'appliquent pas directement.

Toutefois, Mme [T] conserve la possibilité de demander judiciairement son retrait pour justes motifs, conformément à l'article 1869 du code civil.

En conséquence, la cour confirme le jugement du 17 juillet 2024 du tribunal judiciaire de Draguignan.

Sur les demandes accessoires

En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [W] [T] sera condamnée à verser à M. [F] [U] la somme de 1 500 euros.

Les dépens d'appel seront à sa charge.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du 17 juillet 2024 du tribunal judiciaire de Draguignan en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [W] [T] à verser à M. [F] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Met les dépens d'appel à la charge de Mme [W] [T] et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

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