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Décisions

CA Metz, ch. soc.-sect. 1, 23 avril 2025, n° 22/02864

METZ

Arrêt

Autre

CA Metz n° 22/02864

23 avril 2025

Arrêt n° 25/00133

23 avril 2025

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N° RG 22/02864 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-F33I

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Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Metz

25 novembre 2022

F19/00566

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Vingt trois avril deux mille vingt cinq

APPELANTE :

Mme [U] [H]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Raphaël - Antony CHAYA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

SAS METRO FRANCE prise en la personne de son Président, représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Laure-Anne BAI-MATHIS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par le cabinet FARHO AVOCATS AARPI, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 février 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère et Mme Sandrine MARTIN, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Mme Sandrine MARTIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : M. Alexandre VAZZANA

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [H] a été embauchée par la SAS Metro France selon contrat de travail à durée déterminée et à temps complet le 1er mai 2011 en qualité d'employée commerciale.

Un contrat à durée indéterminée a été conclu le 18 juillet 2011 entre les parties, et Mme [H] a signé un avenant le 1er novembre 2014 prévoyant son évolution au poste d'agent secteur Encaissement, avec application de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Mme [H] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par courrier recommandé du 22 novembre 2018 suite à entretien préalable du 23 octobre 2018.

Suivant requête déposée le 9 juillet 2019, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Metz en indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 25 novembre 2022 rendu en formation de départage, le conseil de prud'hommes de Metz a rejeté les prétentions de de Mme [H].

Par déclaration électronique transmise le 20 décembre 2022, Mme [H] a formé appel à l'encontre du jugement rendu.

Dans ses écritures transmises par voie électronique le 17 mars 2023, Mme [H] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de statuer comme suit :

« Condamner la SAS Metro France, prise en son établissement Metro de [Localité 2], en la personne de son représentant légal à payer à Mme [H] :

- 13 669,12 ' net de CSG et de CRDS au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec inte'rêts au taux le'gal a' compter du jour du jour de l'arrêt a' intervenir;

- 3 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt a' intervenir

Condamner la SAS Metro France, prise en son établissement Metro de [Localité 2], en la personne de son représentant légal au frais d'exécution de l'arrêt a' intervenir

Condamner la SAS Metro France, prise en son établissement Metro de [Localité 2], en la personne de son représentant légal aux dépens ».

Mme [H] conteste la réalité et la preuve de chaque grief détaillé dans la lettre de licenciement.

Elle estime que le recours à la pratique du chariot testé est déloyal, rappelant la jurisprudence sur le contrôle du salarié. Elle considère que l'attestation dont se prévaut l'employeur révèle le piège organisé, et sollicite d'écarter cette preuve.

Elle conteste toute preuve de la connaissance de la pratique du chariot test antérieurement à l'incident, et relève que les documents produits par l'employeur ne comportent aucune date précise.

Elle ajoute qu'en application des articles L 2312-37 et L 2312-38 du code du travail l'information du CSE doit être antérieure à la mise en place des moyens de contrôle de l'activité des salariés, qu'en l'espèce elle n'a pas été réalisée et que la preuve obtenue par ce procédé ne peut être retenue.

Elle conteste tout incident postérieur à la mise à pied du 15 novembre 2017, les faits concernés par cette mesure disciplinaire ne pouvant être utilisés à l'appui du licenciement.

Elle dénie tout chantage auprès de la hiérarchie sur la répartition du temps de travail, et renvoie à la motivation du conseil de prud'hommes sur ce point et sur l'atteinte à l'obligation de discrétion.

Elle justifie la somme sollicitée par la période de chômage et d'intérim suivant le licenciement.

Dans ses dernières écritures du 16 juin 2024, la société Metro France sollicite de la cour de statuer comme suit :

« Confirmer le jugement déféré le 25 novembre 2022 en ce qu'il a débouté Mme [H] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné(e) aux dépens.

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il déboute la société Metro France de ses demandes.

A titre subsidiaire en cas d'infirmation du jugement déféré par la Cour d'appel

Fixer la rémunération mensuelle moyenne brute de Mme [H] à 1 708,64 '.

Sur la rupture des relations contractuelles

Le fait pour l'employeur de procéder à des « chariots test » est un dispositif licite de surveillance ;

Dire que constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement :

L'absence de vérification de la facturation à l'occasion d'un chariot test malgré une première sanction pour des faits similaires ; La violation par Mme [H] de son obligation de discrétion lors de sa visite au restaurant de l'un des clients de l'entrepôt ; Le chantage de la salariée fondé sur des menaces de se mettre en arrêt maladie pour obtenir de sa supérieure hiérarchique un jour de congé.

En conséquence,

À titre principal .

Juger que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme [H] est bien fondé ;

Débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire (requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse)

Limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 5 125,92 '.

Sur les autres demandes

Constater que Mme [H] ne justifie aucunement le bien-fondé de sa demande au titre de l'article 700 CPC ;

En conséquence :

Débouter Mme [H] de ses demandes à ces titres

En tout état de cause :

Débouter Mme [H] du surplus de ses demandes.

Allouer à la société Metro la somme de 2 000 ' au titre de l'article 700 du CPC ».

La société Metro France rappelle la relation de travail entre les parties, allègue des difficultés retracées dans les entretiens annuels d'évaluation de la salariée en 2015 et en 2016, invoque une mise à pied disciplinaire le 30 octobre 2017 ayant pour objet la marchandise non vérifiée.

Elle confirme l'utilisation de la procédure de chariot test dans le cadre de la politique de lutte contre la démarque, soutient que l'ensemble des salariés a été informé du recours possible à ce test, indique que celui-ci a permis d'objectiver la négligence de la salariée avec une sous facturation manifeste à hauteur de 326,93 euros non comptabilisés.

Elle soutient que l'absence de facturation par une caissière de certains produits ainsi que le chantage pour obtenir des congés relèvent d'une faute de nature disciplinaire.

Elle estime que la preuve obtenue par enquête interne, par surveillance d'un supérieur hiérarchique, avec l'aide de la clientèle, est licite.

Elle fait valoir que la jurisprudence sanctionne le procédé du chariot test uniquement à l'égard du salarié non préalablement informé, et renvoie à ses pièces établissant au contraire la pratique employée et sa connaissance par les salariés.

Elle fait état d'un courrier de la salariée du 7 janvier 2019 mentionnant le test, estimant qu'elle en connaissait donc l'existence.

Elle se rapporte au contenu de la fiche de poste, et aux notes internes alertant les salariés sur les dissimulations possibles.

Elle rappelle le caractère répété des négligences dans les encaissements réalisés par la salariée, renvoyant aux évaluations annuelles, aux attestations des collègues, à la mise à pied disciplinaire.

Elle soutient par ailleurs que la salariée a fait pression sur le client ayant réalisé l'opération de chariot test, et qu'elle a manqué à son obligation de discrétion en se rendant chez le client et en contrevenant au pouvoir disciplinaire de l'employeur.

Elle fait ainsi état de l'obligation de discrétion mentionnée dans le contrat de travail en son article 7 et dans les articles 11.2, 11.4, et 11.6 du règlement intérieur.

Elle relate une dégradation de la relation de travail avec comportement polémique et désinvolte de la salariée, des menaces faites à sa supérieure hiérarchique d'un arrêt en cas de refus d'un jour de congé, et renvoie à ses pièces sur ces points.

Elle estime les faits établis précis et concordants, caractérisant le chantage exercé à l'égard du supérieur, faisant état de jurisprudence sanctionnant des menaces d'arrêt maladie.

Subsidiairement elle conteste toute preuve du préjudice par Mme [H] qui a bénéficié d'un nouvel emploi intérimaire et qui ne produit pas de justificatifs de revenus ou de charges suite au licenciement.

Elle se prévaut du paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement de 3 442,86 euros, rappelant que le juge peut tenir compte des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture pour fixer l'indemnité du barème Macron, sollicitant sa limitation au seuil de trois mois.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 13 mars 2024.

MOTIFS

Sur le caractère réel et sérieux du licenciement

Il résulte de l'article L. 1235-1 du code du travail que le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur au vu des éléments fournis par les parties, le doute subsistant devant profiter au salarié.

En l'espèce la lettre de licenciement du 22 novembre 2018 est rédigée comme suit :

« Madame,

Suite à vos agissements fautifs, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à sanction en date du 23 octobre 2018 pour lequel vous avez choisi d'être assistée par Monsieur [N], délégué syndical central.

C'est dans ces conditions que nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés et vous avons donné l'occasion de vous expliquer à l'égard de ceux-ci.

Le 12 septembre 2018, nous avons procédé à un « chariot test » à votre caisse. Vous avez «flashé » 13 articles pour une valeur de 154,14 '.

Lorsque vous avez procédé au flashage des produits, vous n'avez pas pris la peine de soulever les colis afin de vérifier qu'aucune marchandise n'était insérée entre les produits,

Or, dans le cadre du « chariot test » nous avions placé volontairement des produits entre les colis (bouteilles de whisky entre deux caisses de bouteilles d'eau en verre consigné, saumon entre les colis de salade') que vous n'avez même pas remarqué.

Nous constatons que vous n'avez absolument pas été vigilante sur votre facturation entrainant un préjudice de 326,93 ' pour l'entreprise (valeur des produits non flashés).

Or, de part votre fonction de « Agent de Secteur Encaissement vous ne pouvez pas vous permettre d'être approximative sur le flashage des chariots.

Vous êtes garante de la facturation de toute la marchandise des clients et ce, avec fiabilité. En effet, l'un de vos rôle premier est de percevoir les sommes correspondantes aux achats du client.

De plus, vous devez lutter contre la démarque inconnue, qui est une des priorités absolue de METRO France. D'ailleurs, le Règlement intérieur à son article 11.2 est très clair « La lutte contre la démarque inconnue constitue un impératif pour toutes les sociétés commerciales dont chaque salarié se doit de contribuer. »

Force est de constater que vous n'avez respecté le Règlement intérieur et n'avait pas vérifié la totalité de votre chariot, lequel a eu pour préjudice un montant de 326,93'.

Nous constatons que vous n'avez absolument pas pris en compte votre mise à pied d'une journée en date du 15 novembre 2017. Pire encore, vous avez réitéré de nouveau les faits. Vous aviez, à l'époque, laissé partir un client avec un chariot essentiellement d'alcool d'une valeur totale de 4 068,57 euros.

Enfin, nous avons été particulièrement surpris d'apprendre que vous aviez rendu visite à notre client « Le derrière » Ce client est la personne qui nous a aidé à procéder au « chariot test ». Nous avions au préalable demandé l'autorisation de ce client, au travers du Responsable de secteur et de la Responsable Caisse.

Ce client nous a appelé et nous a menacé de ne plus travailler avec nous si des sanctions étaient prises à votre encontre.

Par votre attitude, vous avez, d'une part mis en porte à faux nos équipes, mais d'autre part, vous avez sciemment mis en péril une relation commerciale entre votre employeur et son client

Par la même, vous avez entaché notre image et notre réputation, ce qui est tout à fait inacceptable. Lors de l'entretien, vous nous avez expliqué, vous être promener dans [Localité 2] et être passée par hasard devant le restaurant. Vous auriez vu le client, qui vous a invité à entrer pour discuter.

Les coïncidences sont parfois heureuses.

Vous n'avez donc pas respecté votre obligation de discrétion inhérente à votre contrat de travail, obligation qui est rappelée dans je Règlement intérieur à son article 11.7 « Tout salarié de l'entreprise est tenu de garder une discrétion absolue sur toutes les informations et opérations de l'entreprise et notamment celles ayant trait à sa politique commerciale dont il aura eu connaissance à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, et ce tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise, Tout détournement, toute communication des tiers de pièces, documents, fichiers informatiques, propriété de t'entreprise, ou d'informations quelconques relatives à celle-ci sont formellement interdites. »

Egalement, il nous a été remonté par des collaborateurs de l'encadrement du Secteur Encaissement, que vous exerciez à leur encontre un chantage hargneux et régulier, sur la planification de vos jours de travail. En effet, si vous n'obteniez pas les jours de travail qui vous arrangez, vous laissiez penser à vos interlocuteurs que vous vous mettriez en arrêt de travail.

En effet, à plusieurs reprises, lorsque le planning ne vous a pas convenu, vous avez mis vos menaces à exécution.

Votre comportement désinvolte, laxiste et irrespectueux ne peut plus être toléré et n'est pas propice à travailler dans de bonnes conditions de travail.

Par ailleurs cette attitude a eu pour conséquence de créer des troubles entre vos collègues. En effet, de part votre comportement, vous avez créé de l'inéquité avec vos collègues, inéquité qui a eu pour conséquence de créer des irritants et donc de la gestion managériale supplémentaire,

Vous n'avez donc pas respecté les dispositions du Règlement intérieur, lequel dispose à son article 11.4 que « chaque salarié doit s'abstenir de tout acte de nature à troubler le bon ordre et la discipline dans l'entreprise », et à son article 11.6 que [chaque salarié] « est en outre tenu de faire preuve du plus grand respect vis-à-vis d'autrui et doit donc s'abstenir de toute attitude ou acte insultant ou injurieux à l'égard des autres salariés, de l'encadrement, ainsi que de toute personne en contact avec l'entreprise ».

L'ensemble des faits ci-dessus sont constitutifs d'une faute incompatible avec toute poursuite de nos relations contractuelles et nuisent au bon fonctionnement de l'entreprise et à son image.

Au regard de ce qui précède et dans la mesure où vous ne semblez à aucun moment avoir pris conscience des erreurs et manquements qui vous étaient reprochés et que les explications que vous avez fourni n'ont pas été de nature à modifier notre appréciation de la situation, nous amène à vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. »

Il résulte de cette lettre que l'employeur fait état de trois griefs justifiant le licenciement.

Sur le premier grief :

Concernant le grief portant sur le chariot test, Mme [H] demande d'écarter les faits établis par le recours à ce procédé, car celui-ci a été pratiqué à son insu et constitue un dispositif de contrôle clandestin et déloyal.

Il n'est ni allégué ni prouvé que l'utilisation du chariot-test en l'espèce a eu pour effet de porter atteinte à la vie privée de la salariée.

Relativement aux conditions de licéité du recours à ce procédé d'évaluation professionnelle, l'article L. 1222-3 du code du travail prévoit que le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en 'uvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en 'uvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.

Il résulte en outre des articles L 2312- 37 et L 2312-38 du code du travail dans leur version en vigueur depuis le 1e janvier 2018, - le chariot test ayant été réalisé le 12 septembre 2018 - que le comité social et économique est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en 'uvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

La jurisprudence admet largement l'application de ces principes aux divers procédés mis en place par l'employeur.

Il en résulte que la mise en place d'un stratagème, en l'espèce par appel à un client volontaire pour organiser le passage de marchandises partiellement masquées en vue de contrôler l'activité de la salariée sur la détection desdites marchandises dans le cadre de la lutte contre la démarque relève de l'article L. 1222-3 du code du travail et impose l'information préalable de la salariée.

En effet, la simple surveillance par l'employeur, l'encadrement, ou même un service interne mis en place à cette fin, n'impose pas l'information préalable du salarié. A l'inverse, les salariés doivent être informés dès lors que l'employeur met en place un dispositif spécifique dédié à leur surveillance ou lorsque le contrôle n'est plus opéré par un service interne à l'entreprise mais par un prestataire extérieur (Cass. soc., 6 septembre 2023, pourvoi n° 22-13.783).

Il incombe en l'espèce à l'employeur d'établir le caractère non clandestin du recours au chariot-test, ou l'information préalable de la salariée.

La société Metro France produit à cette fin une attestation de M [V] [D], agent secteur encaissement (sa pièce 19), rédigée en juillet 2021 et qui indique :

« je suis employé au secteur caisse depuis maintenant cinq ans. Durant ces années j'ai fait l'objet de différents contrôles tels que les contrôles chariots ainsi que les chariots tests. Ces derniers sont mis en place et suivis par les adjointes ou le chef du secteur caisse ».

Cette attestation ne comporte pas de précision suffisante sur l'information donnée aux salariés ni sur la date de cette information pour établir la non clandestinité ou l'absence de stratagème.

Les éléments d'information sur la pratique de tests qui sont postérieurs à la date des faits du 27 septembre 2018 ne peuvent pas être considérés comme prouvant la connaissance par la salariée de cette pratique en septembre 2018.

Ainsi ne peuvent être retenus, en ce qu'ils sont postérieurs aux faits, les éléments suivants dont l'employeur se prévaut, soit :

- du procès-verbal de la réunion du CSE de Métro [Localité 2] du 27 septembre 2019 (sa pèce 18) qui mentionne au point 11 de l'ordre du jour intitulé questions diverses « poursuite des chariots test et contrôle de chariots qui ont pour but de sensibiliser le personnel des caisses afin de lutter contre la démarque inconnue qui impacte directement CA de l'entrepôt et d'éviter les vols. Ces tests sont réalisés de manière aléatoire c'est-à-dire à n'importe quel moment de la journée et sur n'importe quelle ligne de caisse. Deux types de chariots test peuvent être réalisés de deux façons. En collaboration avec un client afin de faire un test réel ou construction d'un chariot mystère par l'équipe caisse »

- de plusieurs factures de chariots test, rassemblées sous le libellé pièce 13, du 10 janvier 2019, 23 février 2019, 17 mai 2019, 25 juillet 2019, 1er août 2019, 23 septembre 2019, 31 octobre 2019, qui mentionnent l'agent qui réalise le contrôle et la vérification. Ces factures sont toutes postérieures aux faits.

De même, ne peuvent être retenues comme suffisamment probantes sur cette information préalable les pièces qui ne font qu'établir la matérialité de l'incident, par ailleurs non contestée, telles que :

- l'attestation de M [I], responsable de secteur, qui précise :

« le client M [L] a accepté de faire le chariot test auprès de l'agent de secteur d'encaissement Mme [H]. Il était parfaitement au courant de la procédure sur le chariot test lors de mon échange avec lui avant le passage en caisse et n'a opposé aucun refus à le faire. » ;

- l'attestation de Mme [T], responsable caisse, qui indique :

« le 14 août 2018 un chariot test a été effectué sur Mme [H] il s'avère que ce test n'a pas été concluant. Un contrôle chariot ou un chariot test peut être fait à tout moment afin de vérifier la fiabilité de nos agents encaissement. Ce jour du 14 août 2018, Mme [H] facture un chariot sans dépoter, ni ouvrir la marchandise. La facture faite par Mme [H] était de 154,14 ' après contrôle en arrière caisse avec l'encadrement et en sa présence, le montant après rebouchage était de 368,92 ' soit une différence et une perte de 214,68 '. » ;

- un courrier de Mme [H] du 7 janvier 2019 produit (sa pièce 12) qui mentionne :

« effectivement je conteste la faute que vous me reprochez concernant le chariot test car cela ne s'est pas déroulé de manière honnête et objective. ['] généralement ce genre de test est pratiqué avec un client dit mystère inconnu dans l'entrepôt »

La connaissance générale par la salariée, en janvier 2019, de l'existence de ce type de test ne permet pas d'en déduire qu'elle avait été informée de la possibilité d'être soumise à ce type de pratique avant l'incident de septembre 2018.

De même ne peuvent prouver l'information préalable à l'incident, les témoignages qui ne datent pas la connaissance par les salariés de cette pratique, tels que celui de Mme [K], (sa pièce 10) assistante manager caisse, qui indique faire régulièrement des contrôles chariots pour vérifier l'absence d'erreurs sur les factures et la pratique éventuelle du chariot test

Enfin les écrits ou documents ne comportant aucune référence au recours à ce procédé, ne peuvent être utilement invoqués par l'employeur, à l'instar :

- de la fiche de poste produite en pièce 2, qui énonce, sans mentionner la pratique du chariot test, que le salarié « contribue par ses actions quotidiennes à garantir la fiabilité des opérations de son secteur » ; « peut assurer les différentes opérations du secteur encaissement : facturation des marchandises (contrôle de la conformité des conditionnements, du contenu des colis) ; « contribue par ses actions quotidiennes à la lutte contre la démarque et signale tout élément anormal à sa hiérarchie » « perçoit les sommes correspondant aux achats du client »

- du « manuel pratique de la facturation » (sa pièce 14) qui détaille les points de contrôle, insiste sur la facturation article par article pour les produits d'aspect similaire mais de prix différents, une feuille précisant pour les gros volumes de ventes que « vous devez manipuler les produits en insistant sur des différences possibles de calibre », et une fiche intitulée « dissimulation de produits » indiquant que « les gros conditionnements sont idéals pour cacher des articles dans ou sous les produits ; produits les plus souvent trouvés : alcool, couverts, viande, saumon ; produits cachés = démarque ».

La cour retient au vu de ces éléments que la preuve tirée du chariot test, obtenue sans information préalable de la salariée sur le recours possible à ce procédé, doit être écartée comme irrecevable.

Au surplus et à titre superfétatoire, il est mentionné que le client qui a été retenu pour réaliser le test a rédigé une attestation produite par la salariée (sa pièce 8) qui indique :

« En arrivant en caisse avec mon chariot et le chariot test, je choisis une caissière au hasard, mais cela ne devait pas leur convenir car [J] m'appelle sur mon téléphone portable pour m'indiquer de me diriger ailleurs. C'est alors que je me retrouve à la caisse de [U], une caissière qui a l'habitude de me servir et avec qui je m'entends plutôt bien et qui me fait confiance.

(')

Au moment du paiement, le directeur s'est empressé de venir constater que des bouteilles d'alcool avaient été dissimulés dans des colis de salade.

Me sentant très gêné vis à vis du personnel, je décide de quitter le magasin, c'est alors que [J] est venu à ma rencontre pour s'excuser et admettre qu'ils n'auraient pas du prendre à partie un client.

Cette employée me faisait confiance, elle n'aurait jamais douté de moi et effectué une vérification des articles.

C'était un piège, elle était ciblée personnellement. »

En l'absence d'autre élément de preuve, et sans qu'il y ait lieu à examen la sanction précédente et son rapport avec cet incident, il en résulte que le grief n'est pas établi.

Sur le second grief :

Concernant le second grief tiré du manquement à l'obligation de discrétion, l'employeur renvoie à l'attestation de M. [I] responsable de secteur produite en pièce 17, qui rapporte l'acceptation par le client de la pratique du chariot test, indique qu'« il était parfaitement au courant de la procédure sur le chariot avant le passage en caisse et n'a opposé aucun refus à le faire ».

Toutefois ce seul élément ne prouve pas l'irrespect par la salariée des obligations résultant du contrat de travail, de la fiche de poste ou du règlement intérieur alléguées par l'employeur et interdisant de communiquer des éléments relatifs à la société à l'extérieur de celle-ci.

Aucune autre pièce n'établit la démarche qu'aurait réalisée la salariée en faisant pression sur le client.

Il en résulte que le caractère fautif du comportement de la salarié n'est pas démontré.

Sur le troisième grief :

L'employeur allègue un comportement dégradé et du chantage pour l'obtention de congés.

Le refus du salarié, sans motif valable, d'effectuer un travail dans l'intérêt de l'entreprise et s'inscrivant dans le cadre habituel de son activité manque à ses obligations contractuelles. De même l'agressivité sur le lieu de travail à l'égard de supérieurs ou collaborateurs constitue une violation des obligations découlant des relations de travail.

A l'appui de ce grief la société Metro France produit ses pièces 10, 15 et 16, plus précisément les attestations de :

- Mme [K] qui indique que Mme [H] « m'a menacée de se mettre en arrêt pour le vendredi 25 mai si je ne lui donnais pas son jour de repos ce jour là. Les plannings étaient faits à l'avance, [U] ne m'a nullement fait part de son besoin et donc avait été planifiée comme toute l'équipe travaillant ce jour là. N'étant pas contente et avant toute explication celle-ci m'a répondu d'un ton ferme et agressif qu'elle ne se présenterait pas à son poste le jour dit et qu'elle se mettrait en arrêt maladie.

Je précise que Mme [H] est coutumière d'employer un ton agressif et impératif à l'encontre de l'équipe d'encadrants caisse pour obtenir sous menace d'absence maladie, les jours de travail qu'elle souhaite au détriment de ses collègues et du bon déroulement du service » ;

- Mme [T] qui indique «le comportement de Mme [H] [U] s'est constamment dégradé depuis quelques années en n'hésitant pas à nous imposer ses jours de travail, ainsi que son attitude désinvolte choque mes clients et nos équipes. » ;

- M [F], assistant manager de caisse, qui écrit que Mme [H] « menaçait régulièrement l'encadrement caisse au sujet de ses horaires dans le but de choisir ses jours de travail.(') si nous ne lui accordions pas les jours choisis, Mme [H] nous informait qu'elle se mettrait en arrêt maladie ».

Ces éléments concordants, émanant de plusieurs personnes gérant les horaires et plannings, rapportant chacun le principe d'un même type de comportement, suffisent à en établir la matérialité.

Toutefois ils ne décrivent ni la durée, ni la récurrence, ni l'impact de la pression exercée par Mme [H] en termes de réorganisation.

Ainsi ces seuls faits concernant une relation de travail ancienne de plus de 7 ans, en l'absence de sanction antérieure se rapportant à ce grief et alors que l'employeur a précédemment exercé son pouvoir disciplinaire pour des manquements autres, ne sont pas suffisamment sérieux pour justifier le licenciement de la salariée.

En conséquence la cour retient que le licenciement prononcé est sans cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré est infirmé en ce sens.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail Mme [H] peut prétendre à l'octroi d'une indemnité à la charge de l'employeur comprise entre un montant minimal de trois mois et un montant maximal de 8 mois de salaire, compte tenu de son ancienneté (7 ans).

Au regard du montant de son salaire mensuel brut, de sa situation postérieurement à la rupture justifiée seulement par la production d'un contrat d'intérim du 10 juin 2019 au 26 juin 2019, la société est condamnée à lui payer la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce montant de nature indemnitaire sera assorti des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur le remboursement des indemnités France Travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à France Travail des indemnités de chômage versées du jour du licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement déféré relatives à l'application de l'article 700 et aux dépens sont infirmées.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, l'employeur qui succombe est condamné aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de condamner l'employeur à payer à Mme [H] un montant de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés pendant la procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement rendu le 25 novembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Metz ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant :

Déclare le licenciement de Mme [U] [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Metro France à payer à Mme [U] [H] la somme de

8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne d'office le remboursement par la SAS Metro France des prestations de chômage versées à Mme [U] [H] du jour du licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

Déboute la SAS Metro France de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Metro France à verser à Mme [U] [H] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en première instance et en cause d'appel ;

Condamne la SAS Metro France aux dépens de première instance et d'appel.

La Greffière, La Présidente,

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