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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 23 avril 2025, n° 21/07335

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Konex (SASU)

Défendeur :

Batilux Habitats (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Laurent, Mme Drahi

Avocats :

Me Villegas, Me Vara

T. com. Lyon, du 9 sept. 2021, n° 2019j1…

9 septembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

Suivant marché du 28 mai 2018, la société Konex a, en qualité de maître d'ouvrage délégué de la société ASL Duquesne, confié à la société Batilux Habitats, en qualité d'entreprise générale, la restauration d'un immeuble situé [Adresse 2], avec création de logements.

Le marché a été conclu pour un montant global et forfaitaire de 590.000,08 ' HT (649.000,08 ' TTC).

Dès le 1er août 2018, le maître d'oeuvre, [T] [U], a fait part de son inquiétude quant à la capacité de la société Batilux Habitats à réaliser les travaux dans les délais, la livraison devant intervenir au plus tard fin avril 2019.

Par la suite, la société Konex a reproché à la société Batilux Habitats son retard dans l'avancement des travaux ainsi que le non-respect des normes de sécurité, la seconde reprochant à la première des retards de paiement des situations de travaux.

Le 1er juillet 2019, la société Konex a fait réaliser un constat d'huissier afin de déterminer l'avancement des travaux, à la suite duquel elle a fait part à la société Batilux Habitats de son intention de rompre le contrat.

Des échanges sont ensuite intervenus par mails ayant pour objet les modalités permettant de mettre fin au marché.

Par courrier recommandé du 15 juillet 2019, la société Konex a fait état d'un accord verbal intervenu le 3 juillet 2019 à sa volonté de finir le chantier avec une autre entreprise suite aux retards cumulés de chantier.

Par courriel du 24 juillet 2019, la société Batilux Habitats a adressé à la société Konex un protocole d'accord faisant apparaître une somme de 75.096,72 ' pour solde de tout compte.

Par courriel du 6 août 2019, la société Konex a proposé de payer la somme de 53.333,45 ' pour solde de tout compte, sous réserve de la réalisation des travaux et prestations listés dans le-dit courriel.

Par courrier du 2 septembre 2019, le protocole d'accord ci-dessus a de nouveau été proposé par la société Batilux Habitats à la société Konex qui l'a refusé par courrier du 5 septembre 2019.

Par exploit du 1er octobre 2019, la société Batilux Habitats a fait assigner la société Konex devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'homologation d'un accord transactionnel du 16 juillet 2020 tranchant partiellement le litige, de paiement d'un solde de 105.873,50 ' HT et de prononcé de la réception judiciaire au 15 juillet 2019.

Le 16 juillet 2020, un protocole d'accord partiel sur l'avancement lot par lot a été signé.

Par jugement du 9 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

Dit que la société Konex a tacitement réceptionné les ouvrages de la société Batilux Habitats à la date du 15 juillet 2019 ;

Homologué le protocole transactionnel régularisé le 16 juillet 2020 entre les parties tranchant partiellement le présent litige, lequel demeurera ci-annexé ;

Condamné la société Konex à payer à la société Batilux Habitats la somme de 25.280 ' ;

Débouté la société Batilux Habitats du surplus de sa demande ;

Prononcé la réception tacite des ouvrages de la société Batilux Habitats par la société Konex ;

Rejeté l'ensemble des demandes de la société Konex ;

Condamné la société Konex à payer à la société Batilux Habitats la somme de 2.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Prononcé l'exécution provisoire ;

Condamné la société Konex aux entiers dépens ;

Le tribunal retient en substance que :

la société Konex ne pouvait ignorer le risque qu'elle prenait en confiant un marché tout corps d'état à la société Batilux Habitats, venant d'être immatriculée, ayant en outre été avertie par le maître d'oeuvre, en sorte qu'elle aurait du réagir plus rapidement et ne pas laisser la situation s'envenimer,

en ne payant pas régulièrement les situations de travaux, la société Konex a fragilisé la société Batilux Habitats,

elle a décidé de rompre unilatéralement le contrat le 15 juillet 2019, en refusant l'accès au chantier à la société Batilux Habitats, en sorte que la réception tacite des ouvrage doit être "prononcée" à cette date,

un protocole d'accord a été signé le 16 juillet 2020 par les deux parties selon lequel les deux sociétés son d'accord sur l'avancement lot par lot hauteur de 179.032,59 ' sous réserve de la fourniture du justificatif de traitement de la charpente par pulvérisation, dont la preuve n'est pas rapportée,

la société Konex reconnaît en outre l'avancement suivant lot par lot pour les autres corps d'état, à hauteur de 164.540,72 ',

le décompte établi par la société Konex par LRAR du 15 juillet 2019 fait apparaître un avancement à hauteur de 331.850,20 ', accepté par la société Batilux Habitats, qui n'apporte aucun élément permettant de justifier d'un surplus de facturation au delà de 336.824,31 ',

la demande de la société Konex au titre des pénalités de retard n'est pas justifiée aucun planning signé par les deux parties n'étant versé aux débats,

elle ne justifie pas davantage de la réalisation de certains des travaux comptabilisés par une autre société, ni des reprises à effectuer.

Par déclaration enregistrée le 4 octobre 2021, la société Konex a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions enregistrées au RPVA le 11 mai 2023, la société Konex demande à la cour :

Déclarer recevables et bien fondées les prétentions de la société Konex ;

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2021 en ce qu'il a homologué le protocole transactionnel régularisé le 16 juillet 2020 entre les parties et tranchant partiellement le litige ;

Infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

Débouter la société Batilux Habitats de l'intégralité de ses prétentions ;

Condamner la société Batilux Habitats à verser à la société Konex une somme totale de 73.414, 59 ' au titre des sommes qui lui sont dues suite à la résiliation du marché et du compte entre les parties ;

Condamner la société Batilux Habitats à verser à la société Konex une somme de 5.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût du constat de Maître [H] [G], Huissier de Justice, en date du 1er juillet 2019 ;

Rejetter toute demande autre ou contraire ;

Par conclusions régularisées au RPVA le 5 janvier 2023, la société Batilux Habitats demande à la cour :

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

° homologué le protocole transactionnel régularisé le 16 juillet 2020 entre les parties

tranchant partiellement le présent litige,

° dit que la société Konex a unilatéralement résilié le marché et a tacitement réceptionné les ouvrages de la société Batilux Habitats en date du 15 juillet 2019,

° prononcé la réception tacite des ouvrages de la société Batilux Habitats par la société

Konex,

° condamné la société Konex à payer à la société Batilux Habitats la somme de 2.000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,

Condamner la société Konex à payer à la société Batilux Habitats la somme de 105.873,50 ' HT ;

Débouter la société Konex de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

En tout état de cause,

Condamner la société Konex à payer à la société Batilux Habitats la somme de 7.000 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance ;

MOTIFS DE LA DECISION

L'appel interjeté dans les formes et délais prévus par la loi, sera déclaré recevable.

Sur l'imputabilité de la résiliation du marché

Selon l'article 1217 du Code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment provoquer la résolution du contrat et demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Selon l'article 1226 du Code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.

La société Konex ne conteste pas la résiliation intervenue à la date du 15 juillet 2019 mais soutient que ce sont les manquements et inexécutions graves et répétés, dénoncés par l'architecte dès le mois d'août 2018 qui l'ont contrainte, après avoir fait preuve de beaucoup de patience, à envisager cette résiliation laquelle ne consiste pas en une résiliation unilatérale, dès lors que la société Batilux Habitats y a consenti et déserté le chantier dès le 3 juillet 2019 et fait valoir que cette rupture n'est pas intervenue soudainement, puisque dès novembre 2018, elle a alerté l'intimée sur la nécessité de respecter les plannings, les normes et stipulations contractuelles à défaut de quoi, elle serait contrainte de pourvoir à son remplacement, ce dont la société Batilux Habitats n'a pas tenu compte. Elle précise que ce n'est qu'en juillet 2019 après avoir constaté que malgré un retard de livraison de plus de 2 mois seuls deux ouvriers étaient présents sur le chantier qu'elle a proposé la rupture.

Elle conteste les retards de paiement reprochés par l'intimée, alors qu'elle a toujours respecté les conditions du marché et s'est notamment acquittée le 20 mai 2019 de la facture du 30 avril 2019 correspondant à la situation n°5, dont la société Batilux lui a réclamé le paiement par LRAR du même jour, alors qu'elle était dans le délai de 45 jours à réception, ayant en revanche refusé le règlement de travaux supplémentaires qu'elle n'avait pas acceptés.

La société Batilux Habitats soutient que la résiliation du marché est intervenue unilatéralement, aux risques et péril de l'appelante, sans aucune mise en demeure mentionnant une quelconque inexécution, par un simple courrier du 15 juillet 2019 évoquant un accord verbal au cours d'une réunion de chantier pour prendre une autre entreprise, alors qu'en réalité la société Konex a continué les travaux avec les sous-traitants en l'évinçant. Elle estime que son courriel du 9 juillet 2019 est inopérant dès lors que la société Konex avait déjà pris seule la décision de rompre, ce qui résulte de son courriel du 5 juillet 2019 et du constat d'huissier non contradictoire du 1er juillet 2019. Elle prétend que les courriels des 26 novembre 2018 et 24 avril 2019 ne sont pas des mises en demeure et que ses difficultés sont dues au règlement tardif des factures par la société Konex, comme en témoigne notamment son courrier recommandé de mise en demeure du 20 mai 2019 et la relance par lettre recommandée du 1er juillet 2019, au titre de la facture du 30 avril 2019 de 93.474,65 '.

Sur ce,

Le marché du 28 mai 2018 stipule une livraison début avril 2019 et un calendrier général d'exécution selon documents contractuels visés mais non versés aux débats.

Il est acquis que la résiliation du marché est intervenue le 15 juillet 2019, plus de deux mois après la date contractuelle de livraison.

Il ne saurait être sérieusement soutenu que cette résiliation est intervenue brutalement, alors que depuis le 31 juillet 2018, la société Batilux Habitats a été maintes fois mise en demeure de respecter le planning initial puis de respecter le nouveau planning élaboré lors de réunions de chantier et mise en garde quant à la résiliation éventuelle en cas de non-respect des nouveaux délais et l'application de pénalités de retard. Ainsi, la réception a été retardée au 24 juin 2010 lors de la réunion de chantier n°10 du 13 février 2019. De même, lors de la réunion de chantier n°13 du 27 mars 2018, le fait que rien n'ait été fait depuis une semaine, qu'aucun ouvrier ne soit présent sur le chantier, que la façade n'ait toujours pas débuté et que le chantier soit sale a été mis en exergue. Par mail du 24 avril 2019, la société Konex a, suite à l'entrevue du même jour "concernant l'état d'avancement du chantier" rappelé les moyens à mettre en place "pour imaginer livrer ce chantier fin juin", ainsi que les nombreuses promesses faite par la société Batilux Habitats à cet effet lesquelles se sont soldées par des échecs, au point qu'il est fait état d'une perte de confiance par le maître d'ouvrage délégué qui précise en conséquence qu'il est important que la société Batilux apporte de vraies garanties lors de la réunion devant se tenir le mardi suivant pour regagner sa confiance. Or, les comptes-rendus des réunions de chantier n°14 et 15 des 7 et 15 mai 2019 font état de ce que le chantier est sale et de ce que personne n'est venu le lundi, ni le mardi de la semaine concernée, de l'échafaudage sur cour non déposé, du carrelage non commencé, des portes non posées et de ce qu'aucune des "promesses ne sont tenues". Enfin, dans le compte rendu de chantier n°16 du 26 juin 2019, il est indiqué "planning re-re-re-re calé par vos soins" d'où l'application de pénalités de retard. Il s'en suit le procès-verbal de constat dressé le 1er juillet 2019 sur l'état du chantier, certes non contradictoire mais ne faisant que corroborer les constats précédents.

La société Batilux Habitats ne justifie quant à elle d'aucune demande faite à la société Konex si ce n'est le courrier recommandé du 20 mai 2019 la mettant en demeure de payer la facture F 00041 pour un montant total de 93.474,65 ' laquelle a été reçue le 30 avril 2019 et payée le 20 mai 2019, comme cela résulte du bon de paiement versé aux débats, c'est à dire conformément aux conditions du marché, étant rappelé qu'à cette date, son cocontractant avait perdu toute confiance en sa capacité à mener à bien le chantier et le lui avait fait savoir après de nombreuses et cordiales mises en garde. La société Batilux verse également aux débats une mise en demeure datée du 1er juillet 2019 de payer la facture F00045 dont elle ne précise pas le montant et qu'elle ne verse pas aux débats, pas plus qu'elle ne justifie de l'envoi de ce courrier dans lequel elle déclare qu'à défaut de règlement, elle ne pourra pas respecter le planning prévu, alors que son retard est acquis depuis de nombreux mois et devenu rédhibitoire.

La cour retient ainsi que les retards dont la société Batilux Habitats a fait preuve ne sont nullement la résultante du non-paiement réguliers des situations.

En outre, la rupture de relation contractuelle a été proposée par la société Konex et acceptée par la société Batilux dans son principe et oralement le 3 juillet 2019, comme elle le rappelle par mail du 5 juillet 2019 dans lequel elle évoque la réunion à venir du 9 juillet "afin de négocier notre rupture de contrat" et par mail du 9 juillet dans lequel elle explique qu'un protocole d'accord est nécessaire afin d'entériner sa sortie "comme convenu ce jour". S'il est également question du fait que la société Konex a pris contact avec les sous-traitants des lots techniques de la société Batilux, ce que cette dernière lui reproche le 5 juillet, il s'agit là, comme précisé par l'appelante, d'une simple prise de contact dont M. [E], représentant la société Batilux avait été informé et devant également être abordée le 9 juillet. Il s'en est suivi une période de négociation quant à l'état d'avancement des travaux et au compte entre les parties qui a dans un premier temps donné lieu à une proposition de protocole d'accord par la société Batilux à la société Konex du 2 septembre 2019 puis à la présente procédure puis enfin au protocole d'accord partiel du 16 juillet 2020.

La cour retient en conséquence que la résiliation du contrat d'entreprise est imputable à la société Batilux Habitats qui l'a acceptée dans son principe et qu'il n'y a pas lieu comme le fait le juge de première instance de reprocher à la société Konex d'avoir contracté avec une société venant d'être immatriculée, la signature d'un marché impliquant nécessairement une prise de risque.

Sur la réception

Selon l'article 1792-6 du Code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

La cour rappelle que la réception tacite suppose la volonté non équivoque du maître d'ouvrage de l'accepter, volonté qui n'est présumée qu'en cas de prise de possession de l'ouvrage et de paiement en principe intégral du prix.

La réception judiciaire est une réception forcée qui intervient à la requête de la partie la plus diligente lorsque l'autre partie est récalcitrante. Elle est prononcée par le juge en considération de l'état d'achèvement relatif et implique que l'ouvrage soit en état d'être reçu, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération la volonté du maître d'ouvrage.

La société Konex soutient qu'en sa qualité de maître d'ouvrage délégué, elle n'avait ni qualité, ni pouvoir pour réceptionner les travaux et que la réception judiciaire (qui ne pourrait au demeurant intervenir qu'avec réserves s'agissant d'un chantier inachevé) n'a pas lieu d'être, à défaut de travaux en état d'être reçus.

La société Batilux Habitats soutient que la société Konex a unilatéralement pris possession de l'ouvrage le 15 juillet 2019, date à laquelle elle a notifié son refus de revoir la société Batilux Habitats sur le chantier, pris attache directement avec les sous-traitants pour continuer le chantier et refusé de payer le solde dû. Elle estime que le société Batilux ne peut se retrancher derrière sa qualité de maître d'ouvrage délégué alors qu'elle était le seul interlocuteur de l'entrepreneur et disposait ainsi d'un mandat apparent pour réceptionner. Elle ajoute que la faute de la société Konex consistant à ne pas avoir fait réceptionner les travaux sera constitutive d'un préjudice direct pour la société Batilux Habitats si sa responsabilité venait à être recherchée, la privant ainsi de sa couverture assurantielle.

Sur ce,

La cour observe que la société Batilux Habitats sollicite que soit constatée la réception tacite du chantier et non pas prononcée sa réception judiciaire.

La réception des ouvrages consistant en un acte juridique, le maître d'ouvrage délégué, mandataire du maître d'ouvrage peut donc représenter ce dernier au moment de la signature du procès-verbal de réception en sorte que les conditions d'une réception tacite et notamment la volonté non équivoque de prendre possession de l'ouvrage peuvent également être caractérisées à son endroit.

La réception amiable ou tacite est compatible avec l'inachèvement des travaux par suite d'une résiliation du contrat d'entreprise comme en l'espèce, étant précisé que la succession d'entreprises, qui suppose la résiliation du premier marché, ne suffit pas à caractériser la réception tacite et que l'accord de résiliation peut toutefois valoir réception amiable si un relevé des travaux exécutés est alors dressé.

En l'espèce, l'accord sur le principe de la résiliation et la prise de possession des travaux inachevés sont intervenus le 15 juillet 2019, date à laquelle la société Batilux indique elle-même que le maître d'ouvrage délégué a refusé de payer le solde alors dû selon elle, en sorte que sa volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage n'est nullement rapportée.

La cour infirme le jugement attaqué en ce qu'il a retenu une réception tacite à la date du 15 juillet 2019 et déboute la société Batilux Habitats de ce chef.

Sur les conséquences financières de la résiliation

Sur l'état d'avancement du chantier

Il résulte du protocole du 16 juillet 2020 que les deux parties sont d'accord sur l'avancement des lots 1 (démolition), 2 (gros oeuvre), 3 (charpente), 5 (serrurerie), 7 (menuiseries extérieures), 9 (menuiseries intérieures), 11 (ascenseurs) et 14 (cuisines) à hauteur de 179.032,59 ' au total, sous réserve de la fourniture du justificatif du traitement de la charpente par pulvérisation pour un montant de 6.749 ' que la société Konex estime ne pas être rapportée, l'attestation de M. [F] versée aux débats étant sujette à caution (en l'absence d'entête, de pièce d'identité, de précision sur la date d'intervention et de justificatif d'achat de produit).

La cour retient que la réalisation de cette prestation n'est pas justifiée par la société Batilux Habitats qui verse aux débats une attestation dont le caractère probant est contestable, à défaut notamment de copie de la pièce d'identité de l'attestant et de date de son intervention.

L'accord est ainsi entériné pour la somme de 172.283,59 ' (179.032,59 - 6.749).

Par ailleurs, la société Konex reconnaît l'avancement des lots suivants, pour un montant total de 164.540,72 ' :

Lot 4 : façades à hauteur de 32.661,91 ',

Lot 8 : plâtrerie à hauteur de 75.865,23 ',

Lot 10 : carrelage à hauteur de 19.113,58 ',

Lot 12 : électricité à hauteur de 16.400 ',

Lot 13 : plomberie à hauteur de 20.500 '.

La société Batilux Habitats soutient que pour les-dits lots, l'avancement des travaux se chiffre de la manière suivante :

Lot n°4 : façades à hauteur de 35.857,05 ',

Lot n°8 : plâtrerie à hauteur de 82.331,35 ',

Lot n°10 : carrelage/faïence/parquet à hauteur de 20.256,82 ',

Lot n°12 : électricité à hauteur de 51.154,90 ',

Lot n°13 : plomberie à hauteur de 28.684,50 '.

L'appelante conteste le montant total de 218.284,62 ' ainsi avancé par l'intimée comme n'étant pas justifié, sauf par une pièce établie par ses soins.

S'agissant du lot 4, la société Konex soutient que la condamnation en référé de la société Batilux Habitats à payer la somme de 22.979,29 ' à la société Jacquet, son sous-traitant du lot façade, pour l'intégralité des travaux y afférents, ne peut être prise en compte, étant étrangère à ces relations et ayant été obligée de faire intervenir la société Couleur Avenir pour terminer les travaux. Elle rappelle que le non achèvement est constaté par Maître [G] par procès-verbal du 1er juillet 2019 et qu'il appartient à l'intimée de prouver qu'elle a terminé les travaux, cette dernière soutenant que le constat d'huissier n'étant pas contradictoire, ni assez précis à défaut de reprendre l'avancement pour chaque poste de chaque lot, ne peut être pris en compte.

La cour considère que la condamnation par le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon de la société Batilux Habitats du 6 novembre 2020 à payer à son sous-traitant, la société Jacquet une provision de 22.979,29 ' au titre de deux factures de travaux de façade sur le chantier litigieux témoigne de l'état d'avancement de ce lot au moment de la résiliation, étant précisé que si le juge des référés n'a pas condamné la société Konex également assignée, alors qu'elle avait accepté cette sous-traitance, c'est parce qu'il n'était pas établi qu'elle avait agréé les conditions de paiement. La somme de 35.857,05 ' invoquée par la société Batilux Habitats pour l'intégralité des-dits travaux sera en conséquence retenue, étant précisé que le constat dressé le 1er juillet 2019 ne permet pas de retenir les non finitions que la société Konex invoque étant précisé qu'elle sollicite ci-après le paiement des travaux qui auraient été réalisés par la société Couleur Avenir à ce titre.

S'agissant en revanche des autres lots, l'intimée ne justifie pas d'un avancement des travaux à hauteur de ce qu'elle demande et partant au-delà de ce qui résulte du constat du 1er juillet 2019, fut-il non contradictoire.

La cour retient qu'au moment de la résiliation, le chantier était avancé à hauteur de 340.019,45 ' (172.283,59 + 167.735,86).

Sur les travaux supplémentaires

La cour rappelle que dans un marché à forfait, les travaux supplémentaires doivent donner lieu à autorisation expresse et non équivoque du maître de l'ouvrage, en application de l'article 1793 du Code civil.

La société Batilux Habitats soutient avoir effectué un certain nombre de travaux hors marché en partie reconnus par la société Konex laquelle ne conteste pas devoir les sommes de 3.969 ' au titre de la chape supplémentaire et 1.100 ', au titre de la souche de cheminée qu'elle a elle-même fournie, son accord pour un montant de 2.200 ' n'étant pas établi, ce que la cour retient, l'envoi par la société Konex d'une facture de ce montant par mail du 19 juin 2019, n'établissant pas l'accord de l'appelante.

L'intimée sollicite également au titre des travaux supplémentaires :

pour le déplombage et l'évacuation des déchets : 16.500 '

pour la balustre longueur supplémentaire : 2.400 '

S'agissant du premier poste, la cour retient que la société Batilux Habitats, qui invoque des mails des 14 et 17 septembre 2018 par lequel la société Konex a sollicité ces travaux suite à l'intervention de l'inspection du travail et adressé les repérages des matériaux contenant du plomb et soutient qu'il s'agit de travaux certes non prévus au marché initial mais dont la nécessité n'est apparue qu'en cours de chantier et qui ont nécessairement été validés sans quoi le chantier aurait été stoppé, ne justifie pas de l'accord de la société Konex à ce titre, quand bien-même cette dernière lui a reproché par mail du 14 septembre 2018 la présence de matériaux contenant du plomb dans la benne de chantier et l'absence de mesure prise pour ces matériaux et notamment pour leur traitement en décharge et lui a demandé de vérifier qu'ils étaient bien traités comme ils devaient l'être. Elle ne ne justifie pas avoir soumis le sous-traitant à l'approbation du maître d'ouvrage pour ce déplombage malgré la demande à ce titre de la société Konex, ni du montant sollicité, produisant au demeurant une facture du 30 août 2020, postérieure de plus d'un an à la saisine du tribunal.

Concernant les travaux de balustres, la société Batilux Habitats qui soutient que la longueur prévue au devis est insuffisante ne produit aucune pièce justificative de l'existence même de ces travaux supplémentaires.

Le montant des travaux supplémentaires acceptés par le maître d'ouvrage délégué s'élève ainsi à 5.069 ', en sorte que les travaux réalisés au moment de la résiliation s'élèvent à 345.088,45 ' (340.019,45 + 5069).

Sur le compte entre les parties

Les deux parties s'accordent à dire que la société Konex a payé à la société Batilux Habitats la somme de 242.237,72 '.

Il est en outre acquis qu'elle a effectué des règlements en délégation aux sous-traitants ou fournisseurs à hauteur de 35.000 ' à la société Crisnet, 16.400 ' à la société Smee et 27.452,99 ' à la société Big Mat, le montant total s'élevant ainsi à 78.852,99 ' et non pas 74.274,99 ' comme retenu par erreur, par le tribunal de commerce et l'intimée.

La somme payée par la société Konex s'élève ainsi à 321.090,71 ' en sorte qu'elle est redevable de la somme de 23.997,74 '.

Sur les demandes au titre des pénalités contractuelles de retard et indemnisations des préjudices

S'agissant des pénalités de retard, le marché prévoit qu'elles sanctionnent notamment tout retard dans la réalisation d'une tâche fixée au planning détaillé et s'élèvent à 200 ' HT par jour calendaire et par tâche, étant précisé qu'elles peuvent être retenues chaque mois sur les situations ou appliquées lors de l'établissement du DGD.

La société Konex retient 76 jours de retard du 1er mai au 15 juillet 2019, le marché prévoyant une livraison en avril 2019 et le retard n'ayant jamais été contesté par l'intimée pas plus qu'il n'a été fait état d'un retard lié au déplombage ou au désamiantage dans les comptes rendus de chantier, comme l'invoque la société Batilux Habitats qui fait en outre valoir qu'aucun planning détaillé n'est versé aux débats et qu'aucun DGD n'a été établi.

La cour rappelle que la résiliation du marché est imputable au retard pris par la société Batilux Habitats dans la réalisation globale du chantier, tel qu'il ressort notamment des comptes rendus de chantier et des courriers de mise en garde, sans aucune contestation de l'intimée à ce sujet laquelle ne justifie pas de ce que le déplombage et le désamiantage aient été invoqués comme cause de retard, notamment dans les comptes rendus de chantier. Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats qu'en prenant acte des prorogations de délai au fil de l'eau, la société Konex n'a pas renoncé aux pénalités de retard comme indiqué dans le compte rendu de chantier n°16 ci-dessus évoqué. Ces pénalités figurent du reste dans le protocole d'accord proposé par la société Batilux Habitats les 28 août et 2 septembre 2019 à hauteur de 18.000 ', étant précisé que la présente procédure tient lieu de compte entre les parties et que l'absence de planning détaillé ne fait pas obstacle à la prise en compte globale du retard. La somme de 15.200 ' HT (16.720 ' TTC) sera en conséquence déduite de la somme due par l'appelante.

Au titre des autres imputations sollicitées par la société Konex et contestées par la société Batiliux Habitats, la cour retient que le coût des travaux de réparation suite aux désordres causés par la société Batilux Habitats sur la copropriété voisine, à hauteur de 2.957,10 ', au total, dont 1.020 ' au titre de la reprise du toit, 513,70 ', au titre de la mise en sécurité du balcon cassé et 1.423,40 ' au titre de la reprise du balcon est justifié par la société Konex qui verse les factures d'avril et juillet 2019 et mars 2020 dont elle s'est acquittées et doit être mis à la charge de la société Batilux qui l'avait du reste accepté dans sa proposition de protocole d'accord, s'agissant à tout le moins de la somme de 1.020 '.

En revanche, la cour estime qu'il n'y a pas lieu d'imputer :

les loyers de la société Inovativ, acquéreur de locaux commerciaux inachevés dans le délai impartis à hauteur de 10.600 ' HT et ses frais bancaires à hauteur de 4.599,21 ', dont il n'est pas établi que la société Konex se soit acquittés, quand bien-même elle justifie avoir reçu une demande de l'intéressée à ce titre le 25 juillet 2019,

les travaux réalisés "en lieu et place de la société Batilux Habitats" et comptabilisés dans l'avancement établi, à hauteur de 50.931,12 ' (finition des façades pour 15.992 ', pose des parquets pour 29.179,12 ', menuiseries intérieures pour 5.760 '), dont la société Konex ne justifie pas ne produisant qu'un devis de la société Couleur Avenir non signé s'agissant des façades et une facture à hauteur de 29.179,12 ' incluant d'ailleurs la somme de 5.750 ', dont elle n'établit nullement qu'ils ont déjà été retenus dans l'avancement, étant rappelé qu'elle a contesté pour partie l'avancement invoqué au titre des façades, signé le protocole d'accord s'agissant des menuiseries intérieures et accepté un état d'avancement s'agissant des revêtements de sol,

le coût des reprises des travaux de plâtrerie, à hauteur de 9.929,76 ', dont la mauvaise exécution par la société Batilux Habitats ne saurait résulter de la seule facture de reprise versée aux débats alors que le procès-verbal de constat du 3 juillet 2019 ne mentionne pas de tels défauts.

En conséquence, la société Batilux Habitats reste devoir la somme de 4.320,64 ' à la société Batilux Habitats (23.997,74 - 16.720 - 2.957,10).

Le jugement attaqué est confirmé sauf à ramener le montant de la condamnation de la société Konex à cette somme.

Sur les mesures accessoires

La décision déférée est confirmée en ce qu'elle a mis les dépens de première instance à la charge de la société Konex, qui, succombant principalement supportera également les dépens d'appel.

L'équité commande en revanche de l'infirmer en ce qu'elle a condamné la société Konex à payer la somme de 2.000 ' à la société Batilux Habitats, en application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance et de dire qu'il n'y a pas lieu à application de ce texte au profit de l'une ou l'autre des parties, en première instance et à hauteur d'appel, en sorte qu'elles seront déboutées de leurs demandes respectives de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour d'appel,

Déclare la société Konex recevable en son appel ;

Statuant dans les limites de l'appel,

Infirme la décision attaquée en ses dispositions relatives à la réception tacite, à la condamnation au paiement de la somme de 25 280 ' et à l'article 700 du Code de procédure civile ;

Confirme la décision attaquée en ses autres dispositions ;

Déboute la société Batilux Habitats de sa demande au titre de la réception tacite ;

Y ajoutant,

Condamne la société Konex aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives, en application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance et à hauteur d'appel.

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