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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 23 avril 2025, n° 21/03302

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidente :

Mme Toulouse

Conseillers :

Mme Ouvrel, Mme Allard

Avocats :

Me Daval-Guedj, Me Vincent, Me Patricot, SCP Cohen Guedj - Montero - Daval Guedj, SELARL Garry et Associés, Me Da Silva, SELARL Vincent-Hauret-Medina, Me Benisty, Me Khellaf, Me Bozec

TJ Nice, du 18 févr. 2021, n° 18/02647

18 février 2021

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte du 2 janvier 2012 reçu par M. [U] [T], notaire, un compromis de vente a été conclu entre Mme [R] [Y] épouse [W], Mme [J] [N] [O] et M. [S] [B], vendeurs, et M. [P] [D], Mme [G] [M] épouse [D] et M. [V] [D] (les consorts [D]), acquéreurs, portant sur un bien immobilier situé à [Localité 8], propriété indivise des vendeurs en leur qualité de légataires universels de [F] [H], décédée le 28 décembre 2010.

Parallèlement, une procédure a été engagée par Mme [L] [E] devant le tribunal de grande instance de Grasse par exploit du 13 mars 2012 aux fins de voir annuler les dispositions testamentaires prises par [F] [H].

Suite à cette procédure remettant en cause la qualité de légataires universels des vendeurs, la réitération de la vente par signature de l'acte authentique n'a pas pu intervenir.

Par actes des 9, 10 et 11 octobre 2012, les consorts [D] ont fait citer M. [X] [Z] et M. [T], notaires, Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B] devant le tribunal de grande instance de Nice en vue d'obtenir la réparation du préjudice subi suite à la non réalisation de la vente de ce bien.

Par ordonnance du 10 mars 2014, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de la solution définitive de l'affaire pendante devant le tribunal de grande instance de Grasse en annulation du testament.

Par ordonnance du 23 mars 2015, le juge de la mise en état a ordonné la radiation de l'affaire en raison de la décision de sursis à statuer.

Par arrêt du 28 juin 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grasse le 1er mars 2016 qui avait débouté Mme [E] de sa demande en nullité des testaments. Un pourvoi en cassation a été formé contre cet arrêt et a été rejeté le 5 décembre 2018.

Par conclusions du 4 juin 2018, les consorts [D] ont demandé la réinscription de l'affaire au rôle du tribunal.

Par jugement contradictoire rendu le 18 février 2021, le tribunal judiciaire de Nice a :

- dit que la demande de restitution du dépôt de garantie d'un montant de 31 500 euros formée à l'encontre de M. [Z], notaire, est devenue sans objet,

- condamné M. [T], notaire, à payer aux consorts [D] la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis,

- débouté les consorts [D] de leurs demandes formées à l'encontre de Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M.[B],

- débouté les consorts [D] de leur demande formée à l'encontre de M. [Z], notaire,

- condamné M. [T] notaire, à payer aux consorts [D] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance dont distraction,

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour débouter les consorts [D] de leurs demandes formées à l'encontre des vendeurs, le tribunal a considéré qu'il n'était pas établi qu'à la date de la signature du compromis, les vendeurs aient délibérément caché aux acheteurs qu'une procédure remettant en cause le legs à l'origine de la propriété du bien en vente serait engagée, dès lors que la lettre reçue par Mme [Y] épouse [W] et Mme [O] le 25 mai 2011 du conseil de Mme [E] ne précisait pas qu'il envisageait de solliciter la nullité de la libéralité et la remise en cause de la propriété du bien.

De plus, le tribunal a considéré que la clause pénale ne pouvait recevoir application, la force majeure ayant empêché les vendeurs d'exécuter leur obligation de réitérer l'acte de vente, dans la mesure où la procédure judiciaire engagée à leur encontre présentait les caractères d'extériorité, d'imprévisibilité et d'irrésistibilité.

Pour retenir la responsabilité de M. [T], notaire, le tribunal a considéré qu'il avait commis une faute en n'évoquant pas les contestations existantes sur la qualité d'héritiers de [F] [H] et en recevant la signature du compromis de vente sans attendre la position de Mme [E] sur le testament alors qu'il avait eu connaissance précédemment de l'existence de cette dernière et de sa volonté de se voir communiquer le testament, de sorte qu'elle était susceptible de revendiquer la succession de [F] [H].

Pour retenir la somme de 50 000 euros au titre du préjudice résultant de l'absence de réitération de la vente, le tribunal a retenu les frais de constitution du dossier de prêt et les démarches afférentes, les frais d'analyse du risque médical et ceux de l'avocat engagé avant l'instance ainsi que les désagréments engendrés par la non réitération de la vente.

Par déclaration dirigée exclusivement à l'encontre des consorts [D] et de Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et de M. [B] transmise au greffe le 4 mars 2021, M. [T], notaire, a relevé appel de cette décision en ce qu'elle l'a condamné à payer aux consorts [D] la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis et la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens dont distraction.

Par conclusions notifiées le 11 mars 2021, M. [T], notaire, a demandé à la cour de lui donner acte de son désistement à l'égard de Mme [Y] épouse [W], de Mme [N] [O] et de M. [B], d'ordonner ainsi le dessaisissement partiel de la cour et de dire que l'instance se poursuivra entre lui et les consorts [D], en statuant ce que de droit sur les dépens.

Par ordonnance rendue le 24 mars 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le dessaisissement partiel de la cour concernant Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B] et dit que l'instance se poursuivra entre les autres parties.

Par actes respectivement délivrés le 19 août, le 23 août et le 25 août 2021, les consorts [D] ont notifié leurs conclusions d'intimés et d'appel incident par la voie électronique le 6 juillet 2021, à M. [B], Mme [Y] épouse [W] et Mme [N] [O].

Par ordonnance d'incident rendue le 8 juin 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par des conclusions sur incident transmises le 18 novembre 2021 par M. [B], a dit n'y avoir lieu de prononcer la caducité de l'appel de M. [T], notaire, à l'égard de M. [B] et a déclaré recevable l'appel provoqué formé par les consorts [D] à l'encontre de M. [B], de Mme [Y] épouse [W] et de Mme [N] [O].

La clôture de l'instruction est en date du 31 décembre 2024.

EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 28 mai 2021, au visa de l'ancien article 1382 du Code civil, M. [T], notaire, demande à la cour de :

A titre principal,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu sa responsabilité et l'a condamné à payer aux consorts [D] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause,

- dire et juger mal fondées l'action et les demandes des consorts [D] en tant que dirigées à son encontre en l'absence de toute faute, lien de causalité et de préjudice,

En conséquence,

- débouter les consorts [D] de toutes leurs demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à son encontre,

- prononcer sa mise hors de cause pure et simple.

A titre subsidiaire,

- débouter les consorts [D] de leurs demandes de condamnation à son égard,

- condamner les consorts [D] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 6 juillet 2021, M. [P] [D], Mme [M] épouse [D] et M. [V] [D], intimés et appelants sur appel provoqué, demandent à la cour de :

- les recevoir en leur appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes à l'encontre de

Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B],

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [T], notaire, à leur payer une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis et une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

Y ajoutant,

- condamner M. [T], notaire, à leur payer une somme complémentaire de 10 000 euros,

- condamner solidairement Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B] et M. [T], notaire, à leur payer une somme de 60 000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait des man'uvres dolosives,

- condamner solidairement Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B] au paiement de la somme de 63 000 euros titre (clause pénale) de réparation du préjudice subi par eux du fait de la non régularisation de la promesse de vente des 11 et 17 janvier 2012,

- condamner solidairement Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O] et M. [B], M. [T] et M. [Z], notaires, au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens dont distraction.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 18 novembre 2021, sur appel provoqué, M. [B], demande à la cour de :

- débouter les consorts [D] de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- rejeter leur appel incident,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions le concernant,

- condamner in solidum les consorts [D] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens tant de première instance que d'appel, dont distraction.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Liminairement il sera indiqué que si M. [T] est appelant principal, par appel provoqué dont la recevabilité a été retenue par le conseiller de la mise en état, les consorts [D] ont appelé en la cause les consorts [B], [O] et [W] de sorte que pour une meilleure compréhension de la décision la cour examinera en premier lieu les demandes des consorts [D] contre leurs cocontractants, et en second lieu, la responsabilité du notaire [T].

1- Sur les demandes formées à l'encontre des consorts [B], [O] et [W] par les consorts [D]

- sur la réparation du préjudice subi résultant du dol des vendeurs

Moyen des parties

Les consorts [D] soutiennent que les vendeurs ont commis un dol en leur faisant signer un compromis de vente alors qu'ils savaient que leur qualité d'héritiers et donc de propriétaires était contestée au regard du courrier de l'avocat de Mme [E] du 25 mai 2011, caractérisant une intention malhonnête leur dissimulant une information essentielle dans le but d'obtenir leur consentement qu'ils n'auraient pas donné s'ils avaient connu la difficulté.

Ils soutiennent ainsi que s'ils n'avaient pas signé, ils n'auraient pas subi de préjudices correspondant aux frais engagés dans la perspective de l'acquisition du bien pour un total de 9 259, 95 euros, outre les désagréments liés à l'incertitude dans laquelle ils se sont trouvés pendant 3 mois et les frais engagés pour la procédure, soit au total un préjudice qu'ils évaluent à 60 000 euros.

M. [B] s'oppose à ces demandes et conteste toute réticence dolosive et toute responsabilité, soutenant d'une part que le courrier du conseil de Mme [E] du 25 mai 2011 ne mettait pas en cause sa qualité de légataire ni celle de Mme [Y] épouse [W] et de Mme [N] [O] et d'autre part, que ce courrier ne lui a pas été adressé, de sorte qu'il ne peut être considéré qu'il avait connaissance de cette difficulté lors de la signature du compromis de vente.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont-elles qu'il est évident que, sans ses man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas, il doit être prouvé.

Le dol peut donc être constitué par le simple silence d'une partie qui dissimule sciemment à son cocontractant un fait ou une information qui, s'ils avaient été connus de lui, l'auraient dissuadé de contracter ou l'auraient conduit à contracter dans des conditions différentes.

Il incombe à celui qui invoque l'existence d'une réticence dolosive de rapporter la preuve de la réunion de trois conditions, à savoir que la dissimulation a provoqué une erreur ayant déterminé la victime à donner son consentement, qu'elle était intentionnelle de la part de son auteur, et que ce dernier avait conscience du caractère déterminant de l'information dissimulée.

Enfin, indépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

En l'espèce, les consorts [D] produisent aux débats deux lettres datées du 25 mai 2011 adressées par Me [C] conseil de Mme [E], nièce de Mme [H] et ayant vocation à être son héritière, à Mme [R] [W] et à Mme [J] [O] par lesquelles il les informe que Mme [E] souhaite qu'elles produisent le testament qui les instituent légataires et leur fassent savoir si elles entendent se prévaloir de ce testament au préjudice des héritiers. Ces courriers précisent qu'à défaut de réponse dans le délai de 10 jours, Mme [E] reprendra toute liberté d'action tant sur le plan pénal que sur le plan civil.

Ils produisent également la requête au président du tribunal de grande instance de Grasse par laquelle Mme [E] a demandé et obtenu le 28 juillet 2011que Me [A], Me [T] notaires ou tout autre notaire chargé de la succession de Mme [H] soient autorisés à lui remettre copie du testament que cette dernière a rédigé.

Ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal dès mai 2011 et au plus tard juillet 2011, Mme [O] et Mme [R] «'[W]'» dont il n'est pas contesté qu'il s'agisse de Mme [W], avaient été informées que Mme [E] héritière s'estimant lésée et employant à ce titre les termes «'au préjudice subi des héritiers'», contestait leur qualité de légataires et les informait de son intention à défaut de réponse d'user des voies de droits.

Si elles ne savaient pas expressément quelle action engagerait Mme [E], à savoir une action en nullité du testament introduite en mars 2012, la contestation par Mme [E] qui s'était adjoint les conseils d'un avocat, de leur qualité d'héritière faisait naître un risque sur leur qualité de propriétaire du bien objet du compromis avant sa signature le 2 janvier 2012.

Il en résulte qu'alors qu'elles étaient informées de cette contestation et du projet de Mme [E] de remettre en cause leur qualité d'héritier, elles ont tout de même décidé de mettre en vente la propriété en signant un compromis le 2 janvier 2012.

Ainsi, au lieu d'en informer loyalement les acquéreurs en leur signalant l'existence de cette contestation et des risques potentiels d'une remise en cause de leur qualité de venderesses par une procédure judiciaire, elles ont fait le choix de se taire.

Leur silence est constitutif d'une réticence dolosive car elles savaient, quand elles ont mis en vente le bien et signé le compromis, qu'il était possible que la vente soit remise en cause par les revendications de Mme [E] nièce de Mme [H] qui avait en l'absence d'enfant de cette dernière vocation héréditaire. Elles ont donc intentionnellement passé sous silence une information qu'elle détenait et elles ne pouvaient ignorer que cette information serait déterminante pour les acquéreurs qui n'auraient pas pris le risque de voir remis en cause une vente pour lesquels ils avaient dû emprunter une somme d'argent importante et qui venait concrétiser un projet d'installation à [Localité 8].

Ainsi, la réticence dolosive des deux venderesses a vicié le consentement des consorts [D] qui ont signé une promesse de vente avec le projet de pouvoir emménager rapidement.

En revanche, le même raisonnement ne peut être tenue à l'encontre de M.[B] auquel aucune lettre n'a été adressée et dont la cour ne dispose d'aucun élément lui permettant de penser que ce dernier était en lien avec les deux autres personnes objets des volontés de Mme [H] exprimés dans le testament litigieux.

Les consorts [D] ne recherchent pas la nullité du compromis mais la réparation de leur préjudice et il se déduit de l'ensemble de ces développements que Mmes [W] et [O] ont commis une faute intentionnelle par leur réticence dolosive, faute qui est en lien direct avec les préjudices subis par les consorts [D].

En effet, ces derniers pensant pouvoir dans les 3 mois s'installer dans la maison objet du compromis, ont engagés des frais de géomètre, constitué un dossier bancaire et payé les frais médicaux pour l'obtention du prêt par [P] [D]. Ils ont également fait l'achat d'une cuisine à aménager dans la villa dès la réitération de l'acte authentique prévue au 31 mars 2012; enfin, face à l'impossibilité de réitérer, ils ont pris les conseils d'un avocat qui leur a facturé des honoraires.

Ils ont également subi les désagréments d'un préavis donné dans la perspective de son déménagement, obligeant ainsi M. [P] [D] a retrouvé en urgence un logement mais aussi les désagréments de la procédure engagée par Mme [E] qui les a plongés dans une forte incertitude.

Les justificatifs versés aux débats permettent d'évaluer au titre des frais engagés en pure perte rappelés ci-dessus la somme de 9 259, 95 euros. Leur préjudice moral et matériel lié au déménagement réalisé et à l'incertitude dans laquelle ils se sont retrouvés sera évalué à la somme de 36 000 euros soit un total de préjudices subis de 45 259,95 euros.

Le jugement de première instance sera par voie de conséquence infirmé en ce qu'il a débouté les consorts [D] de leur demande indemnitaire à l'encontre de Mme [W] et de Mme [O] et ces dernières seront condamnées in solidum à leur payer 9 259,59 euros au titre des frais engagés en pure perte et 36 000 euros au titre du préjudice matériel et moral liés aux désagréments subis soit la somme totale de 45 259,95 euros.

- sur le paiement de la clause pénale

Moyens des parties

Les consorts [D] considèrent que la procédure judiciaire engagée par Mme [E] n'est pas un événement résultant de la force majeure dans la mesure où Mme [Y] épouse [W] et Mme [N] [O] avaient connaissance de la contestation qui fonde la procédure dès le 25 mai 2011 et que les vendeurs ne peuvent s'exonérer du paiement de la clause pénale d'un montant de 63 000 euros.

M.[B] s'oppose à cette demande en soutenant qu'il ignorait la procédure et la remise en cause de la qualité de légataire.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1231-5 du Code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite. Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.

La clause pénale prévoit le versement d'une somme d'argent en cas d'inexécution ou de mauvaise exécution des obligations contractuelles. Elle évalue forfaitairement le préjudice résultant de l'inexécution du contrat et fixe une indemnité due par le débiteur en cas de manquement à ses obligations. Elle a une fonction à la fois indemnitaire, en réparant le préjudice subi, et comminatoire, en incitant le débiteur à exécuter ses obligations.

Par ailleurs, la force majeure est un événement imprévisible, insurmontable et extérieur aux parties, qui empêche l'exécution d'une obligation contractuelle.

En application de l'article 1218 du Code civil, il y a force majeure lorsqu'un événement échappe au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées.

Ainsi, pour qu'un événement soit considéré comme un cas de force majeure, il doit être imprévisible. Or, en l'espèce, il a été retenu supra que s'il n'était pas démontré que M.[B] avait commis une réticence dolosive ; Mme [W] et [O] venderesses connaissaient quant à elles les risques de voir leur qualité de propriétaire remise en question. Il n'y avait donc pas d'imprévisibilité de l'événement pour elles deux.

La clause pénale peut être donc être mise en 'uvre à leur encontre par les consorts [D], ces deux parties n'ayant pas respecté leurs obligations contractuelles par la non-réitération de la vente en la forme authentique.

Toutefois, en applications des dispositions rappelées ci-dessus, le juge peut, même d'office, modérer la pénalité convenue si elle est manifestement excessive par rapport au préjudice réellement subi. Notamment la valeur du bien, les circonstances de la défaillance et la difficulté pour des non juristes d'apprécier les chances de succès d'une contestation des dispositions testamentaires dont elles bénéficiaient, justifient que la clause pénale manifestement excessive soit ramenée à la somme de 30 000 euros que Mmes [W] et [O] seront condamnées à payer aux consorts [D].

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté les consorts [D] de leur demande au titre de la clause pénale à l'encontre de Mmes [W] et [O] et ses dernières seront condamnées solidairement à payer aux consorts [D] la somme de 30 000 euros de ce chef.

2- Sur la responsabilité du notaire

Moyens des parties

M. [T] notaire soutient n'avoir commis aucune faute dès lors qu'il ne pouvait être déduit l'existence d'un litige à naître d'une simple correspondance au terme de laquelle il informait le conseil de Mme [E] qu'il ne détenait pas le testament, ni de l'ordonnance sur requête autorisant cette dernière à se voir transmettre le testament qui ne lui a pas été signifiée.

Il a procédé à toutes les diligences nécessaires en informant le notaire des acquéreurs de la situation, qui a d'ailleurs entériné son retrait du dossier en l'absence de possibilité de réitérer la vente au regard du risque de son annulation.

Il soutient également qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le préjudice des intimés et son prétendu manquement dans la mesure où il est totalement étranger à l'action en nullité initiée par Mme [E] à l'encontre du testament.

A titre subsidiaire, il conteste la demande indemnitaire formée au titre de prétendues manoeuvres dolosives et fait valoir que la non réitération de la vente résulte uniquement de l'action en nullité de Mme [E] et non de sa décision de se décharger du dossier alors que cette décision était nécessaire, la vente ne pouvant se poursuivre.

En outre, il fait valoir que la somme réclamée est disproportionnée dès lors que le total des frais allégués est d'un montant de 3 797, 90 euros.

Sur l'application de la clause pénale, il soutient qu'il ne saurait être tenu à son paiement, s'agissant d'une somme prévue en cas d'inexécution contractuelle alors qu'il n'était pas partie au compromis de vente et qu'en tout état de cause, la force majeure a empêché les vendeurs de réitérer l'acte de vente, de sorte que cette clause n'est pas applicable.

Les consorts [D] considèrent pour leur part, que la responsabilité de Me [T] est engagée au titre d'un manquement à son devoir de conseil, dès lors qu'il n'a pas vérifié les droits de propriété des vendeurs et ne les a pas informés du risque inhérent à la contestation d'héritiers et donc de propriétaires des vendeurs dont il avait nécessairement connaissance à partir de sa correspondance avec le conseil de Mme [E] du 20 avril 2011 ainsi que par la requête de cette dernière en date du 28 juillet 2011, ayant pour but de se voir délivrer une copie du testament.

Ainsi, ils font valoir qu'en connaissance de cette difficulté, M. [T] a pris un risque en leur faisant signer un compromis de vente, ce qui les a empêchés de concrétiser leur projet par la réitération de la vente.

Ils soutiennent que les vendeurs et M. [T] doivent être condamnés in solidum, dans la mesure où ils sont coauteurs du seul et même dommage subi par eux, quelle que soit la part de chacun et la gravité de cette faute.

Réponse de la cour

En application de l'article 1382, devenu 1240 du Code civil, il incombe au notaire, tenu d'assurer la validité et l'efficacité de l'acte qu'il reçoit, de procéder aux vérifications préalables lui permettant, lorsqu'il authentifie une vente, de s'assurer que le vendeur est titulaire du droit de propriété sur les biens à vendre.

Le manquement du notaire à ces obligations est de nature à engager sa responsabilité.

Il en résulte qu'eu égard aux éléments de preuve produits par les parties, si le notaire avait été informé ou disposait d'éléments révélateurs de la situation lui imposant une certaine prudence ou des diligences supplémentaires et qu'il n'en a pas informé les parties ou n'a pas effectué les recherches qui s'imposaient et a ainsi, passé un acte dont il ne pouvait garantir l'efficacité et fiabilité juridique, il a commis une faute engageant sa responsabilité.

En l'espèce, Me [T] s'est abstenu d'informer les acquéreurs et s'est contenté des éléments fournis par les'vendeurs alors même qu'il avait été informé du risque inhérent à la contestation d'héritiers et donc de propriétaires des vendeurs dont il avait nécessairement eu connaissance à partir de sa correspondance avec le conseil de Mme [E] le 20 avril 2011 mais également à partir de la requête de cette dernière du 28 juillet 2011et de l'ordonnance rendue l'autorisant ainsi que d'autres notaires, à délivrer une copie du testament litigieux à cette dernière. Il a ainsi commis une faute et a fait prendre aux acquéreurs un risque en leur faisant signer un compromis de vente en sachant que la qualité de propriétaire du bien pouvait être remise en cause et empêcher la réitération de la vente.

Le jugement de première instance mérite ainsi confirmation en ce qu'il a jugé que ce professionnel avait'manqué à ses obligations dans le cadre de la vente de ce bien immobilier.

Il est donc tenu d'indemniser les consorts [D] du préjudice qu'ils ont subi en lien de causalité directe avec sa faute.

Ce préjudice ne peut comprendre le paiement de la clause pénale qui n'est due que par les cocontractants.

Le préjudice indemnisable résulte de l'absence de réitération de la vente et de l'impossibilité pour les acquéreurs évincés de concrétiser leur projet. Le tribunal a retenu avec raison que les frais de constitution du dossier de prêt et les démarches afférentes, les frais d'analyse du risque médical et les frais d'avocat engagés pour comprendre les raisons de la non réitération de l'acte avant la présente instance à hauteur de 9 259, 95 euros ainsi que l'indemnisation des désagréments engendrés constituant un préjudice matériel et moral, sauf pour la cour à l' évaluer à la somme de 36 000 euros.

Leur préjudice sera fixé au total à la somme de 45 259,95 euros que Me [T] sera condamné à leur verser in solidum avec Mmes [W] et [O].

Le jugement de première instance sera ainsi confirmé sur le principe de la responsabilité du notaire mais infirmé sur le quantum des sommes dues.

3- Sur les demandes accessoires

Parties perdantes, M. [T] notaire, Mmes [W] et [O] supporteront in solidum la charge des dépens de première instance et d'appel. Le jugement de première instance sera ainsi infirmé en ce qu'il a condamné uniquement Me [T] aux dépens de première instance.

L'équité commande d'allouer aux consorts [D] la somme de 5 000 euros que M. [T] notaire, Mmes [W] et [O] seront condamnés in solidum à verser aux consorts [D] au titre de leurs frais irrépétibles.

Enfin les autres demandes de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a condamné M. [T], notaire, à payer aux consorts [D] la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis, débouté les consorts [D] de leurs demandes formées à l'encontre de Mme [Y] épouse [W], Mme [N] [O], condamné M. [T] notaire, à payer aux consorts [D] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance';

Le confirme pour le reste';

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne Mme [Y] épouse [W] et Mme [N] [O] à payer in solidum à M. [P] [D], Mme [G] [M] épouse [D] et M. [V] [D] à la somme de 9 259,59 euros au titre des frais engagés en pure perte et celle de 36 000 euros au titres du préjudice matériel et moral liés aux désagrément subis soit la somme totale de 45 259,95 euros';

Les condamne solidairement à payer aux mêmes la somme de 30 000 euros au titre de la clause pénale';

Condamne M. [T] notaire à leur payer, in solidum avec Mmes [W] et [O], la somme de 45 259,95 euros en réparation du préjudice subi';

Condamne M. [T] notaire, Mmes [W] et [O] à supporter in solidum la charge des dépens de première instance et d 'appel';

Les condamne in solidum à verser aux consorts [D] la somme de 5 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles';

Déboute les autres parties des demandes de ce chef.

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