CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 24 avril 2025, n° 24/07187
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (Sté), Palais Des Arts (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pacaud
Conseillers :
Mme Neto, Mme Mogilka
Avocats :
Me Lazard, Me Cousteix, Me Chalanset, Me Poniatowski, AARPI Delvolvé Poniatowski Suay Associés
EXPOSE DU LITIGE:
Par acte sous seing privé en date du 1er novembre 2020, la société civile immobilière ( SCI ) Palais des Arts a donné à bail commercial à la société par actions simplifiée ( SAS ) Marseille République Eye Invest un local dépendant d'un ensemble immobilier sis [Adresse 3] à Marseille, pour un loyer annuel de 68 000 euros hors taxes- hors charges pour la période du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021, de 76 500 euros hors taxes - hors charges pour la période du 1er novembre 2021 au 31 octobre 2022 puis un loyer annuel de 85 000 euros hors taxes - hors charges à compter du 1er novembre 2022.
Par avenant en date du 2 novembre 2020, les parties ont convenu d'une franchise totale de loyer jusqu'au 31 mars 2021, compte tenu de la période de crise sanitaire.
Par acte de commissaire de justice en date du 10 novembre 2023, la société Palais des Arts a fait délivrer à la société Marseille République Eye Invest un commandement de payer la somme principale de 35 934,78 euros, visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.
Par acte de commissaire de justice en date du 29 janvier 2024, la société bailleresse a fait assigner la société locataire, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de voir constater la résiliation du contrat de bail, ordonner 1'expulsion de la locataire et obtenir sa condamnation, à titre provisionnel, au paiement des arriérés locatifs, d'une indemnité d'occupation ainsi qu'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 22 mai 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a :
- constaté la résiliation du bail commercial relatif aux locaux commerciaux situés [Adresse 3] à [Localité 5] conclu par les parties ;
- ordonné l'expulsion de la société [Localité 5] République Eye Invest et celle de tous les occupants de son chef des locaux loués, et ce dès la signification de l'ordonnance avec le concours de la force publique si nécessaire;
- autorisé la société Palais des Arts, en cas d'expulsion de la société Marseille République Eye Invest, à procéder à l'enlèvement et à la disposition des meubles et objets se trouvant dans les lieux et à les séquestrer aux frais, risques et périls de commerce conformément à l'article R 433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Marseille République Eye Invest à payer, à titre provisionnel, à la société Palais des Arts :
- la somme de 57 320, 53 euros à valoir sur sa dette locative arrêtée au 27 mars 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2023 ;
- une indemnité trimestrielle d'occupation d`un montant de 23 546,79 euros hors taxes due jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- condamné la société Marseille République Eye Invest à payer à la société Palais des Arts la somme de l 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens comprenant le coût du commandement de payer du 10 novembre 2023 ;
- rejeté toute autre demande ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de droit.
Ce magistrat a, notamment, considéré que :
- la société [Localité 5] République Eye Invest était redevable d'une dette locative ;
- celle-ci n'ayant pas régularisé sa dette dans le mois de la délivrance du commandement de payer, le contrat de bail avait été résilié en application de la clause résolutoire figurant au contrat de bail.
Par déclaration en date du 6 juin 2024, la société [Localité 5] République Eye Invest a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par ordonnance en date du 7 novembre 2024, le premier président de la cour d'appel a refusé la suspension de l'exécution provisoire sollicitée par la société Marseille République Eye Invest.
Dans ses dernières conclusions transmises le 17 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société [Localité 5] République Eye Invest demande à la cour de :
- débouter la société Palais des Arts de son appel incident ;
- réformer l'ordonnance déférée ;
Statuant à nouveau,
- constater qu'elle s'est acquittée de l'intégralité de la dette locative selon paiement en date du 24 mai 2024 ;
- suspendre les effets de la clause résolutoire ;
- lui octroyer des délais de paiement rétroactifs ;
- condamner la société Palais des Arts au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens comprenant ceux de première instance.
Au soutien de ses prétentions, la société expose, notamment, que :
- n'étant pas informée de la procédure engagée, elle n'a pu comparaître devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille ;
- faisant preuve de bonne foi, elle s'est acquittée de sa dette locative deux jours après l'ordonnance déférée ;
- elle est de bonne foi ;
- elle a toujours réglé une grande majorité du montant de ses loyers malgré les règlements tardifs de son sous-locataire ;
- elle a pour seul revenu ceux provenant de la sous-location ;
- elle a utilisé des avances en comptes courants d'associés pour effectuer des paiements ;
- des discussions avaient débuté au sujet d'une éventuelle réduction de loyer suite à une diminution de la surface louée ;
- la résiliation du contrat de bail et l'expulsion auraient des conséquences manifestement excessives pour l'exploitation du centre ophtalmologique, sous-locataire, qui ne pourrait retrouver un local commercial équivalent, offrant une localisation centrale, qui devrait solliciter de nouvelles autorisations de l'agence régionale de la santé et qui emploie huit salariés en contrat à durée indéterminée ;
- l'appel incident interjeté par la société Palais des Arts tendant à voir modifier le montant de l'indemnité d'occupation relève d'une erreur matérielle qui pouvait faire l'objet d'une rectification.
Dans ses dernières conclusions transmises le 14 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Palais des Arts sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a condamné la société Marseille République Eye Invest au paiement à titre provisionnel d'une indemnité trimestrielle d'occupation d'un montant de 23 546,79 euros hors taxe due jusqu'à libération des lieux et statuant à nouveau :
- la fixation de l'indemnité trimestrielle d'occupation due par la société [Localité 5] République Eye Invest à la somme de 23 654,79 euros hors taxes, charges et taxes en sus ;
- la condamnation de la société [Localité 5] République Eye Invest au paiement de cette indemnité trimestrielle d'occupation, outre les charges et taxes, jusqu'à la libération des lieux et la restitution des clés ;
En tout état de cause,
- le débouté de la société [Localité 5] République Eye Invest de ses demandes ;
- la condamnation de la société [Localité 5] République Eye Invest au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre des entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses demandes, la société Palais des Arts fait valoir, notamment, que :
- la société locataire n'a pas réglé sa dette locative dans le délai d'un mois suivant la délivrance du commandement de payer de telle sorte que le contrat de bail est résilié ;
- au 14 février 2025, la société [Localité 5] République Eye Invest est redevable de la somme de 19 497,35 euros au titre des arriérés de loyers et charges ;
- l'indemnité d'occupation ne saurait être inférieure au montant du loyer courant ;
- l'ordonnance déférée n'est pas affectée d'une erreur matérielle s'agissant du montant de l'indemnité d'occupation ;
- le paiement de la dette locative postérieurement à l'ordonnance déférée ne saurait démontrer la bonne foi de la société [Localité 5] République Eye Invest et justifier l'octroi de délais de paiement rétroactifs ;
- elle a été contrainte de faire délivrer quatre commandements de payer, outre des mises en demeure, pour obtenir le paiement du loyer ;
- la société locataire a déjà bénéficié de délais pour apurer son passif et s'est décidée à régler l'intégralité des loyers qu'en raison de la perspective des conséquences de l'exécution de l'ordonnance de référé ;
- aucune réduction de loyer n'était envisagée, la surface louée n'étant pas réduite ;
- elle n'a aucun lien avec le sous-locataire de telle sorte qu'il ne peut lui être opposé les conséquences indirectes de l'expulsion à l'égard de celui-ci ;
- aucun délai de paiement ne peut donc être accordé à la société [Localité 5] République Eye Invest.
La Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, régulièrement intimée à personne morale, n'a pas constitué avocat.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 18 février 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
- Sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire et la demande de délais de paiement rétroactifs :
En vertu des dispositions de l'article L 145-5 du code du commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans ; à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux ; si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
L'article L. 145-41 alinéa 1 du code de commerce prévoit que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
L'alinéa 2 de cet article dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Il en résulte qu'en matière de baux commerciaux, tant qu'aucune décision constatant la résolution du bail n'est passée en force de chose jugée, le juge saisi d'une demande de suspension des effets de la clause résolutoire peut accorder au locataire, à jour du paiement de ses loyers, des délais de façon rétroactive.
En l'espèce, le bail liant la société Palais des Arts à la société Marseille République Eye Invest comporte une clause résolutoire aux termes de laquelle 'à défaut de paiement à son échéance exacte d'une somme quelconque due en vertu du présent ou d'exécution de l'une ou l'autres des clauses et conditions du présent bail, et un mois après un commandement de payer ou d'exécuter resté sans effet, et contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent contrat sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur'.
Par acte de commissaire de justice en date du 10 novembre 2023, la société Palais des Arts a fait déliver à la société Marseille République Eye Invest un commandement d'avoir à payer une somme de 35 934,78 euros au titre de la dette locative, commandement visant la clause résolutoire contenue au contrat de bail.
Or, à l'issue du délai d'un mois à compter de la signification du commandement, la société [Localité 5] République Eye Invest n'a pas réglé les causes du commandement. Elle ne conteste pas cette absence de régularisation de la dette locative dans le délai.
Les conditions d'application de la clause résolutoire sont donc réunies au 10 décembre 2023.
Toutefois, le décompte de créance produit par la société Palais des Arts permet de constater que la société Marseille République Eye Invest a réglé l'intégralité de sa dette locative le 27 mai 2024 soit quelques jours après l'ordonnance du juge des référés de Marseille rendue alors que la société locataire n'était pas présente à l'audience.
Si cette dernière a pu avoir de nouveaux impayés au cours du second trimestre 2024 malgré plusieurs paiements, elle a régularisé sa situation vis-à-vis de la société bailleresse par un dernier virement effectué le 14 février 2025. Ainsi, au jour de l'audience, la société appelante n'est plus débitrice de la société Palais des Arts.
Par ailleurs, elle verse aux débats une attestation relative à son chiffre d'affaires permettant de constater qu'elle dispose de revenus issus de la sous-location des locaux permettant de régler les loyers, charges et taxes.
Eu égard de tels éléments, il convient de constater l'acquisition de la clause résolutoire au 10 décembre 2023 et d'accorder à la société [Localité 5] République Eye Invest des délais de paiement rétroactifs à compter du 10 décembre 2023, d'une durée de sept mois et de constater que, dans ce délai, les causes du commandement de payer, délivré le 10 novembre 2023 ainsi que les loyers courants ont été intégralement acquittés en sorte que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail commercial et infirmée en ce qu'elle a :
- ordonné l'expulsion de la société [Localité 5] République Eye Invest et celle de tous les occupants de son chef des locaux loués, et ce, dès la signification de l'ordonnance avec le concours de la force publique si nécessaire ;
- autorisé la société Palais des Arts, en cas d'expulsion de la société Marseille République Eye Invest, à procéder à l'enlèvement et à la disposition des meubles et objets se trouvant dans les lieux et à les séquestrer aux frais, risques et périls de commerce conformément à l'article R 433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Marseille République Eye Invest, à payer, à titre provisionnel, à la société Palais des Arts :
- la somme de 57 320,53 euros à valoir sur sa dette locative arrêtée au 27 mars 2024, avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2023 ;
- une indemnité trimestrielle d'occupation d`un montant de 23 546,79 euros hors taxes due jusqu'à parfaite libération des lieux.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné la société Marseille République Eye Invest aux dépens et à payer à la société Palais des Arts la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Chacune des parties succombant partiellement au litige, il n'y a lieu de faire application des dispositions de ce texte en cause d'appel.
La société [Localité 5] République Eye Invest supportera, en outre, les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
- constaté la résiliation du bail commercial relatif aux locaux commerciaux situés [Adresse 3] à [Localité 5] conclu par les parties ;
- condamné la société Marseille République Eye Invest à payer à la société Palais des Arts la somme de l 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens comprenant le coût du commandement de payer du 10 novembre 2023 ;
Infirme l'ordonnance déférée pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Accorde à la société [Localité 5] République Eye Invest un délai de paiement rétroactif de 7 mois suivant le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 10 novembre 2023 ;
Constate que la société [Localité 5] République Eye Invest s'est intégralement acquittée de la quote part des sommes visées dans le commandement de payer dont elle était redevable ;
Ordonne la suspension des effets de la clause résolutoire présente dans le contrat de bail commercial du 1er novembre 2020, laquelle est réputée n'avoir pas joué ;
Constate que les causes du commandement sont réglées ;
Dit que les effets de la clause résolutoire sont rétroactivement suspendus ;
Déboute en conséquence la société Palais des Arts de sa demande de résiliation du bail ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la société [Localité 5] République Eye Invest aux dépens d'appel.