CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 23 avril 2025, n° 24/02428
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gérard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Bazin Clauzade, Me Sy, Me Brandeho, SELAS Skillegal, SELARL Adenium Avocats
EXPOSE DU LITIGE
M. [D] [E] et M. [C] [U] sont tous deux associés de la société Neolding, société par actions simplifiée créée en 2021, le premier à hauteur de 75% et le second à hauteur de 25%.
La société possède quatre filiales.
A l'issue d'un procès-verbal du 3 janvier 2022 M. [D] [E], président de la société, a révoqué M. [C] [U] de ses fonctions de directeur général, et un projet de cession de ses parts a été initié.
Le 6 décembre 2023, M. [C] [U] a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille, sur le fondement de l'article L.238-1 du code de commerce, afin d'avoir communication des fichiers des écritures comptables des années 2021 à 2023.
Par ordonnance en date du 8 février 2024 le juge des référés a débouté M. [C] [U] de toutes ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens. Il a également rejeté le surplus des demandes.
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Par acte du 25 février 2024 M. [C] [U] a interjeté appel de l'ordonnance.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 21 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [C] [U] demande à la cour de':
Vu l'article L. 238-1 du code de commerce,
Vu l'article R.153-6 du Code de commerce,
Vu les articles 10, 11 et 145 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces versées au débat,
- Déclarer Monsieur [C] [U] recevable et bien fondé en son appel ;
- Débouter Monsieur [D] [E] de toutes ses fins, demandes et conclusions ;
Y faisant droit,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :
- Débouté Monsieur [U] de toutes ses demandes fins et conclusions à savoir :
o en ce qu'elle a refusé d'ordonner la communication de l'intégralité des fichiers des écritures comptables pour les années 2021 et 2022 et du fichier des écritures comptables provisoire au titre de l'année 2023,
o en ce qu'elle a refusé de prononcer une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
- Condamné Monsieur [U] à payer la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles ;
- Condamné Monsieur [U] aux entiers dépens toutes taxes comprises de la présente ordonnance tels qu'énoncés par l'article 695 du CPC qui ont été liquidés par la juridiction à la somme de 40,66 euros ;
- Rejeté tout surplus des demandes comme non justifié.
Et statuant à nouveau :
- Ordonner la communication de l'intégralité des fichiers des écritures comptables pour les années 2021 à aujourd'hui ou de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication ;
- Prononcer une astreinte d'un montant de 500 ' par jour de retard à compter de la décision à intervenir
- Dire que l'ordonnance sera exécutée sans signification préalable mais sur simple présentation de la minute ;
- Condamner Monsieur [D] [E] au paiement de la somme de 7 800 ' au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner Monsieur [D] [E] aux entiers dépens.
M. [C] [U] fait valoir que M. [D] [E] s'oppose sans motif à sa demande de communication des écritures comptables, faisant obstacle à la juste évaluation des parts sociales en vue de leur cession. Il ajoute que la faute commise par M. [D] [E] en qualité de dirigeant de la société justifie que les demandes soient dirigées contre lui.
Il soutient que l'article L.238-1 du code de commerce autorise la saisine du juge des référés afin d'obtenir la communication de documents, en ce compris les fichiers d'écritures comptables, et qu'il justifie d'un motif légitime, notamment au visa de l'article 145 du code de procédure civile.
M. [C] [U] ajoute que ces pièces sont indispensables à l'estimation des parts sociales au regard du litige l'opposant à M. [D] [E], et il souligne que sa demande est urgente et ne s'oppose pas au secret des affaires.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 4 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [D] [E] demande à la cour de':
Vu les articles 238-1, 225-15, 227-1, 151-1 et 225-116 et suivants du Code de commerce ;
Vu les articles 872, 808 et 700 du Code de procédure civile ;
Vu la jurisprudence ;
Vu les pièces versées aux débats ;
- Dire et Juger les demandes de Monsieur [U] envers Monsieur [E] comme étant irrecevables ;
- Confirmer l'ordonnance rendue par le Tribunal de commerce de Marseille en date du 8 février 2024 en ce qu'elle a débouté Monsieur [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Réformer l'ordonnance en ce qu'elle a condamné Monsieur [U] au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau :
- Débouter Monsieur [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Constater en tout état de cause l'existence de contestations sérieuses ;
- Condamner Monsieur [U] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros à Monsieur [E] pour procédure abusive ;
- Condamner Monsieur [U] au paiement de la somme de 2 500 euros à Monsieur [E] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance ;
- Condamner Monsieur [U] au paiement de la somme de 2 500 euros à Monsieur [E] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
- Condamner Monsieur [U] aux entiers dépens.
Pour sa part, M. [D] [E] soutient que les demandes de M. [C] [U] sont irrecevables dès lors qu'elles sont dirigées à son encontre alors que sur le fondement des articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile, elles nécessitent que la société contre laquelle elles sont engagées soit partie à l'instance.
Sur le fond, il expose que les conditions de l'article L.238-1 du code de commerce ne sont pas réunies, cet article ne prévoyant pas la communication des fichiers des écritures comptables d'une société mère et de ses filiales dans le cadre d'un rachat de titres, et il fait valoir que les conditions de mise en 'uvre des articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile et R.153-6 du code de commerce ne sont pas davantage justifiées.
M. [D] [E] ajoute que ces documents ne sont pas nécessaires à l'évaluation des titres et rappelle qu'il a communiqué les comptes annuels des sociétés et a lui-même transmis une évaluation faite par expert-comptable, sans contre-proposition de la part de M. [C] [U].
Enfin, l'intimé fait valoir qu'il n'existe aucune urgence et que la demande de communication se heurte au secret des affaires, et à l'existence d'une contestation sérieuse.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes de M. [C] [U]':
En application des articles 31 et 122 du code de procédure civile l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, et constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, le moyen de l'intimé tendant à faire valoir que l'action à son encontre est mal dirigée, en ce que, au visa des articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile, elle aurait dû être engagée à l'encontre de la société Neolding, doit être considéré, non comme une fin de non-recevoir, mais comme un moyen tendant à contester le bien-fondé de la demande de M. [C] [U], et non son intérêt à agir dès lors que ce moyen suppose que soit examiné le fondement des demandes.
En outre, dans le cadre de ses dernières conclusions M. [C] [U] maintient ses demandes d'instruction à l'égard de M. [D] [E] et les justifie par la faute commise par celui-ci dans l'obstruction à communiquer les pièces sollicitées.
Il y a donc lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par M. [D] [E], ce moyen relevant de l'examen du bien-fondé des prétentions de M. [C] [U].
Sur la communication des fichiers des écritures comptables':
M. [C] [U] fait grief aux premiers juges d'avoir refusé sa demande de communication des fichiers des écritures comptables au visa de l'article L.238-1 du code de commerce. En cause d'appel, il se fonde également sur les articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile.
Sur ce, et par motifs qu'il convient d'adopter, les premiers juges, après avoir listé précisément les documents pouvant faire l'objet d'une transmission à l'associé, soit à titre préalable avant une assemblée générale, soit de façon permanente, ont relevé que les pièces sollicitées par M. [C] [U] n'entraient pas dans les dispositions de l'article L.238-1 du code de commerce.
M. [C] [U] n'établit pas davantage en cause d'appel que les pièces sollicitées sont de celles qu'il est en droit de réclamer au dirigeant au titre des injonctions de faire des articles L.238-1 et suivants du code de commerce.
Par ailleurs, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, des mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.
Pour que le motif de l'action soit légitime, encore est-il nécessaire que la mesure soit également pertinente et qu'elle ait pour but d'établir une preuve dont la production est susceptible d'influer sur la solution d'un litige futur, ce dont le magistrat des référés doit s'assurer. En revanche, aucune condition d'urgence n'est nécessaire, et l'existence d'une contestation, au moins à venir, est inhérente aux mesures d'instruction in futurum.
Au cas particulier, M. [C] [U] fonde sa demande sur l'existence d'un conflit quant à l'évaluation des parts sociales dans le cadre de leur cession à M. [D] [E] à la suite de sa révocation en qualité de directeur général de la société Neolding.
Si le différend opposant deux associés quant à l'évaluation des actions est susceptible de constituer un litige plausible, il apparaît néanmoins que d'une part, M. [C] [U] n'établit pas l'existence d'un désaccord sur ce point dès lors qu'il n'apporte aucun élément permettant d'attester que l'évaluation proposée par M. [D] [E] (pièce 5, rapport de synthèse Ellien) serait contredite par d'autres éléments probants ou serait manifestement sous-évaluée.
M. [C] [U] qui se contente de faire référence à un «'évaluateur'» ne communique ainsi aucun élément ou commencement de preuve corroborant l'existence d'un litige sur ce point, en s'abstenant notamment de fournir des éléments chiffrés sur une évaluation qu'il pourrait lui-même revendiquer et permettant d'acter l'existence d'un différend.
D'autre part, M. [C] [U] ne justifie pas davantage de l'utilité d'obtenir les fichiers des écritures comptables dans le cadre d'une procédure d'évaluation des actions alors même que M. [D] [E] produit un mail de M. [L] [T], directeur associé de Fiduciaire Métropole, société d'expertise comptable, aux termes duquel il indique que «'pour calculer la valeur comptable d'une société, les comptes annuels avec détails, établis par l'expert-comptable, peuvent suffire et la fourniture de fichiers FEC [fichiers d'écritures comptables] n'est pas indispensable'» (pièce 12). En outre, il ne conteste pas la communication qui lui a été faite des comptes annuels de la société Neolding et de ses filiales pour les années 2021 et 2022.
A titre surabondant, M. [C] [U] ne fait pas la preuve d'un fait personnel de M. [D] [E] qui justifierait que ses demandes soient dirigées à l'encontre du seul président de la société Neolding et non de la société elle-même, s'agissant de pièces comptables relatives aux comptes sociaux, et ce, alors qu'au-delà du dispositif de ses écritures, il précise qu'est en litige la communication intégrale des fichiers des écritures comptables du «'groupe'» Neolding pour les années 2021 à 2023, mais n'a attrait à l'instance que M. [D] [E], président de la société Neolding, à l'exclusion des personnes morales.
Il en résulte qu'au visa de l'article 145 du code de procédure civile M. [C] [U] n'établit pas à ce stade la pertinence et l'utilité de la communication sollicitée en vue du projet de cession en cours.
Enfin, il ne peut davantage se prévaloir des dispositions des articles 10 et 11 du code de procédure civile relatives aux pouvoirs d'instruction et de communication conférés au juge dans le cadre d'un litige en cours dès lors qu'en l'espèce, le litige porte exclusivement sur la communication de ces pièces. L'article R.153-6 du code de commerce applicable aux mesures de séquestre et de secret des affaires n'est pas davantage applicable.
En conséquence, l'ordonnance doit être confirmée en ce qu'elle a débouté M. [C] [U] de sa demande de communication des fichiers des écritures comptables des années 2021 à 2023 sous astreinte, et en ce compris l'indemnité qui a été allouée à M. [D] [E] à hauteur de 1 000 euros en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive':
M. [D] [E] sollicite en cause d'appel la condamnation de M. [C] [U] au paiement de la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur ce, au visa de l'article 1241 du code civil l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne peut constituer un abus de droit susceptible de donner lieu à dommages-intérêts que dans des circonstances particulières le rendant fautif, et notamment lorsqu'est caractérisée une intention malveillante ou une volonté de nuire de la part de celui qui l'exerce.
M. [D] [E] sera débouté de sa demande à ce titre, faute pour lui de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de l'appelant, qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits, et faute d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés.
Sur les frais et dépens':
M. [C] [U], partie succombante, conservera la charge des dépens de l'instance d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et sera tenu de payer à M. [D] [E] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par M. [D] [E],
Confirme l'ordonnance rendue le 8 février 2024 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille,
Y ajoutant,
Déboute M. [D] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne M. [C] [U] aux dépens de l'instance d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [C] [U] à payer à M. [D] [E] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.