CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 2 avril 2025, n° 23/01431
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Leger
Vice-président :
Mme Legrois
Conseiller :
Mme Beraud
Avocats :
Me Gorce, Me Antoine
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SASU [7] a été créée le 25 novembre 2020 pour exercer des activités de marchand de biens immobiliers, prestations de service, achat et vente terrains et lotisseurs. Mme [C] [P] épouse [O] en est la présidente et associée unique.
Son mari, M. [G] [O], est associé unique et président de la SASU [6] qui a pour activité la construction [5] et plus précisément la réalisation de travaux sur les terrains vendus par la société [7].
Accusant M. [O] d'avoir commis le 16 novembre 2021 un faux procès-verbal actant sa démission de la fonction de présidente pour se nommer à sa place à la direction de la société [7] pour ensuite ouvrir un compte bancaire au nom de cette société et en modifier la domiciliation afin qu'elle n'y ait plus accès, Mme [P] a déposé plainte contre ce dernier et l'a assigné ainsi que la société devant le tribunal mixte de commerce de Saint-[F] de la Réunion par actes signifiés les 3 et 4 novembre 2022.
Par jugement contradictoire du 23 août 2023, le tribunal mixte de commerce a :
- rejeté les demandes formées par Mme [P],
- rejeté la demande reconventionnelle formée par M. [O],
- rejeté les demandes formées par Mme [P], la société [7] et M. [O] au titre des frais irrépétibles,
- condamné Mme [P] au paiement des entiers dépens, lesdits dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 81,07 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s'il y a lieu,
- rappelé que le présent jugement est de droit exécutoire à titre de provisoire.
Le premier juge a retenu que Mme [P] ne rapportait pas la preuve de ce que sa signature avait été imitée dans le procès-verbal du 16 novembre 2021, que ce document ne faisant pas mention de la cession d'action ainsi que la perte de qualité d'associé unique de Mme [P], elle disposait donc toujours des pouvoirs de nommer et révoquer le président actuel.
Par déclaration du 10 octobre 2023, Mme [P] a interjeté appel de cette décision, le limitant à certains chefs du jugement critiqués.
L'affaire a été renvoyée à la mise en état par ordonnance du 12 octobre 2023.
L'appelante a notifié ses conclusions par voie électronique le 8 janvier 2024.
Les intimés ont constitué ensemble avocat par déclaration du 13 février 2014.
La procédure a fait l'objet d'une ordonnance clôture le 15 avril 2024, révoquée par décision du 10 mai 2024 afin de permettre de prendre en considération les conclusions des intimés notifiées le 18 avril 2024.
Par ordonnance du 18 novembre 2024, la procédure a été clôturée et l'affaire fixée à l'audience du 4 décembre 2024 et la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 26 février 2025, date qui a été prorogée au 26 mars 2025 puis au 02 avril 2025.
Par message transmis par le RPVA la cour d'appel a sollicité, en vain, auprès des parties la communication du procès-verbal litigieux et du procès-verbal de décision unique de la société [6] du 12 octobre 2021 en original.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions d'appelant n°2 notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, Mme [P] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté ses demandes, l'a condamnée au paiement des entiers dépens, lesdits dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 81,07 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s'il y a lieu, et, statuant à nouveau, de :
- juger qu'elle est recevable et bien fondée en son appel et ses demandes,
En conséquence :
- juger que le procès-verbal du 16 novembre 2021 a été voté en fraude de ses droits,
- juger nulle la décision de l'associé unique de la société [7] prise en date du 16 novembre 2021,
En conséquence :
- juger qu'elle est l'associée unique et la seule présidente de la société [7] selon les statuts constitutifs en date du 25 novembre 2020,
En conséquence :
- ordonner à M. [O], sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir de lui remettre :
Les clés permettant d'accéder au bureau de la société [7] sis [Adresse 3]
L'ensemble des documents administratifs et financiers de la société [7],
Les code permettant l'accès au compte ouvert au nom de la société [7] auprès de la banque [8],
- se réserver de liquider l'astreinte,
- condamner M. [O] à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- condamner M [O] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouter M. [O] et la société [7] de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.
Elle fait valoir qu'un faisceau d'indices démontre que M. [O] a imité sa signature dès lors que la décision de modifier la présidence de la société [7] n'ayant pas été prise par son associée unique, en application de l'article L.227-9 du code civil combiné avec l'article L.235-1 du même code, elle doit être annulée. Elle précise que la qualité de gérant de fait de ce dernier ne lui crée pas de droits. Elle soutient que les nouveaux statuts de la société indiquant qu'il est le seul propriétaire des actions de la société, elle ne peut le révoquer par la voie officielle, et, en étant évincée de sa propre société, elle subit un préjudice moral qui doit être réparé.
Par conclusions d'intimés notifiées par voie électronique le 18 avril 2024, M. [O] et la SASU [7] demandent à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris d'appel en ce qu'il a :
rejeté les demandes formées par Mme [P], rejeté les demandes formées par Mme [P], la société [7] et M. [O] au titre des frais irrépétibles et condamné Mme [P] au paiement des entiers dépens, lesdits dépens afférents aux frais de jugement liquidés à la somme de 81,07 euros TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s'il y a lieu,
Et en conséquence,
- débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [P] à leur régler la somme de 3 500 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ils font valoir que la plainte déposée par l'appelante a été classée sans suite le 30 mars2024 et elle ne démontre pas plus qu'en première instance que le procès-verbal litigieux est un faux, qu'en réalité c'est M. [O] qui gérait les deux sociétés, Mme [P] n'ayant aucune compétence dans le domaine. Lorsqu'elle a découvert l'adultère de son mari, elle a souhaité ne plus rien à voir avec la société et lui a ainsi cédé l'intégralité de ses parts et l'a nommé président pour qu'il la remplace officiellement.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la décision prise lors de l'assemblée générale du 16 novembre 2021
L'article L.227-1 du code de commerce prévoit que l'associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent chapitre prévoit une prise de décision collective.
L'article L.227-9 du même code dispose que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé.
Enfin, aux termes de l'article L.235-1, la nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre, à l'exception de la première phrase du premier alinéa de l'article L.225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l'article l.225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833 du code civil.
L'appelante soutient qu'elle n'a pas signé le procès-verbal du 16 novembre 2021et n'a jamais entendu démissionner de son poste de directrice de la SASU. Si sa plainte pénale n'a pas eu de suite, sur la copie de ce procès-verbal telle que versée à la procédure, la signature de Mme [P] parait floue par rapport à celle de M. [O], comme collée sur le document. Il est indiqué sur le document qu'il a été émis en double original. Afin de clarifier cette analyse, la communication de l'original du document a été sollicitée, demande à laquelle ni l'appelante, ni l'intimée n'a donné suite. Le silence des intimés sur ce point permet de considérer qu'ils n'ont pas souhaité que la cour puisse être en possession d'une pièce permettant de déterminer si la copie de la signature numérisée de Mme [P] y a été apposée ou non.
En outre, comme celle-ci le relève, le procès-verbal dressé le 12 octobre 2021 modifiant la présidence de la société [6] comporte exactement la même erreur en ce que l'associé originaire et actuel de chaque société désignée est en réalité le nouvel associé. La reproduction de cette erreur dans chaque procès-verbal alors qu'ils ont été dressés par des personnes différentes, à des dates différentes et dans des contextes différents, corrélée à la différence de signature ainsi qu'au fait que l'intimé ne produise aucune pièce telles que la convocation à cette assemblée générale ou tout du moins des échanges y afférents.
Ainsi l'appelante démontre qu'il existe des éléments objectifs ou objectivables permettant de douter de l'authenticité de ce procès-verbal alors que les intimés ne produisent aucune pièce de nature à démontrer qu'il ne résulte pas d'une man'uvre frauduleuse de M. [O].
Au regard de cette analyse il n'est pas démontré que l'appelante a signé le procès-verbal litigieux, il sera fait droit à sa demande d'annulation.
Sur les demandes d'injonction de faire
Nonobstant l'annulation du procès-verbal du 16 novembre 2021, la modification qui y figure est irrégulière, l'article 18 des statuts déposés lors de la création de la société prévoyant que l'associé unique est seul compétent pour les modifier.
Il n'est contesté par aucune des parties qu'en tant qu'associée unique pour avoir apporté à la société 200 euros en numéraire lors de sa création, elle n'a, à aucun moment, transmis ses actions comme le lui permet l'article 12. Par conséquent, elle seule détient le pouvoir de modifier les dits statuts et, comme l'a relevé le premier juge, de nommer et révoquer le président actuel.
Demeurant donc l'associée unique de la société et du fait de l'annulation du procès-verbal de modification du 16 novembre 2021, elle dispose des prérogatives lui permettant de reprendre la direction de la société et retrouver la maîtrise de sa gestion sans qu'il ne soit justifié d'enjoindre à l'intimé sous astreinte de lui remettre les clefs d'un local, les documents administratifs ou financiers de la société ou les codes permettant l'accès au compte ouvert au nom de la société auprès de la banque.
Par conséquent, sa demande en injonction de faire sera également rejetée car non fondée.
Sur la demande de dommages et intérêts
L'appelante reste l'associée unique de la société [7] et ne justifie pas de la réalité du préjudice moral allégué pour avoir été évincée de sa propre société. Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes
Partie perdante, M. [O] sera condamnée à régler les entiers dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, la décision déférée étant infirmée sur ce dernier point.
L'équité commande également de le condamner à payer à Mme [P] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [O] sera débouté de sa prétention du même chef en ce qu'il succombe.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [C] [P] au titre de l'injonction de faire et au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Annule la décision de l'associé unique de la SASU [7] prise en date du 16 novembre 2021 et constate en conséquence que Mme [C] [P] est associée unique et présidente de cette société ;
Y ajoutant,
Condamne M. [G] [O] à régler les entiers dépens de premières instance et d'appel ;
Condamne M. [G] [O] à verser à Mme [C] [P] à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
Le présent arrêt a été signé par Madame Claire BERAUD, Conseillère en remplacement de Madame Séverine LEGER, Conseillère faisant fonction de Présidente de chambre empêchée, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.