CA Douai, 2e ch. sect. 2, 24 avril 2025, n° 24/03056
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Exxor (SARL)
Défendeur :
Alpha MJ (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbot
Conseillers :
Mme Cordier, Mme Soreau
Avocats :
Me Laforce, Me Bessonnet, Me Camus-Demailly
FAITS ET PROCEDURE
La société Exxor exerce au [Adresse 2] une activité de conseil, de marketing et de formation à destination des entreprises.
Elle est l'associée unique de la SNC Unimmo.
Par jugement du 4 novembre 2014, la société Unimmo a bénéficié d'une procédure de redressement judiciaire, la SELARL Perin [S] ayant été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Les opérations de redressement judiciaire ont été converties en liquidation judiciaire par jugement du 17 juin 2015 et la SELARL Perin [S] est devenue liquidateur.
L'état du passif déposé au greffe du tribunal de commerce de Lille Métropole fait apparaître un passif de 524'385,33 euros.
Le 11 janvier 2017, la SELARL Perin [S], en qualité de liquidateur de la société Unimmo, a assigné la société Exxor aux fins de la condamner à lui payer la somme de 517'352 euros au titre de sa contribution aux pertes, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, outre une somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par jugement du 21 mai 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit l'action de la SELARL Perin [S], ès qualités, recevable et bien fondée ; - actualisé, à titre provisoire, le passif de la société Unimmo à la somme de 542 165,63 euros ;
- débouté la SELARL Perin [S], ès qualités, de sa demande de prise en compte des frais de justice liés à la procédure collective ;
- condamné la société Exxor à payer à la SELARL Perin [S], ès qualités, en tant que de besoin à titre de provision, la somme de 542 165,63 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 décembre 2016 ;
- acté l'abandon de la créance de la société Exxor sur la société Unimmo pour un montant de 279 125,87 euros ;
- condamné la société Exxor à payer à la SELARL Perin [S], ès qualités, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Exxor aux entiers dépens ;
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.
La SELARL Perin [S], ès qualités, a poursuivi l'exécution forcée de cette décision, puis a saisi le tribunal de commerce de Lille Métropole d'une demande d'ouverture de redressement judiciaire à l'encontre de la société Exxor.
Par jugement du 6 février 2023, un redressement judiciaire a été prononcé à l'encontre de la société Exxor, la société Alpha MJ ayant été nommée en qualité de mandataire judiciaire, et la période d'observation a été renouvelée à trois reprises.
Le pôle de recouvrement spécialisé de l'Aisne (le PRS de l'Aisne), après relevé de forclusion, a déclaré une créance, qui a fait l'objet de contestation, un appel étant formé à l'encontre de la décision du juge-commissaire statuant sur l'admission de cette créance.
Le 12 juin 2024, le tribunal de commerce de Lille Métropole a prononcé la liquidation judiciaire de la société Exxor et la société Alpha MJ a été nommée liquidateur
Par déclaration du 20 juin 2024, la société Exxor a formé appel contre ce jugement.
Par ordonnance du 5 août 2024, elle a obtenu l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement prononçant cette liquidation judiciaire.
PRETENTIONS ET MOYENS
Par conclusions signifiées par voie électronique le 4 octobre 2024, la société Exxor demande à la cour de':
- dire l'appel interjeté par la S.A.R.L. Exxor recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement rendu [..]
Statuant de nouveau :
- juger qu'elle dispose des fonds pour solder son passif ;
- Vu l'absence de caractère définitif du jugement ayant relevé de la forclusion le PRS de l'Aisne ;
En conséquence,
- dire qu'il n'y a pas lieu à liquidation judiciaire';
- dire n'y avoir lieu à mettre fin à la période d'observation';
- le cas échéant renvoyer devant le tribunal de commerce de Lille Métropole pour la poursuite des opérations de redressement judiciaire.
- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
Elle expose que':
- elle a opéré paiement de la somme de 256 751,05 euros, en ce compris les honoraires du mandataire judiciaire et les frais de greffe';
- elle a démontré de grands efforts financiers';
- aux termes du relevé de reddition des comptes de la société Unimmo par la SELARL Perin [S], la société Unimmo est créditrice de 34 657,59 euros qu'elle va incontestablement lui reverser, en sa qualité de seule associée';
- il ne reste dû sur la créance déclarée après relevé de forclusion du compte tenu de la PRS de l'Aisne qu'une somme de 21 982,60 euros, étant précisée que la créance déclarée à hauteur de 56 640,19 euros n'a pas été vérifiée et est pour partie prescrite ;
- le gérant de la société Exxor, pour garantir le paiement de cette éventuelle créance, a mis fin à un contrat personnel de retraite par capitalisation de 48 624,29 euros, ces fonds permettant de couvrir la créance du PRS de l'Aisne si celle-ci était confirmée en appel';
- elle possède un immeuble à [Localité 6], évalué 400 000 euros, objet d'un compromis de vente qui n'a pu aboutir et sur lequel le PRS de l'Aisne a inscrit une hypothèque ;
- elle dispose des moyens pour apurer l'ensemble de son passif de sorte que la réformation de la décision s'impose.
Par conclusions du 30 octobre 2024, la société Alpha MJ, en qualité de liquidateur de la société Exxor, s'en rapporte à justice, soulignant que la somme correspondant à la déclaration de créance du PRS de l'Aisne a été réglée, comme en atteste la fiche de compte arrêtée au 8 octobre 2024.
Elle demande que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal de commerce pour poursuite des opérations de redressement judiciaire.
Par avis du 21 novembre 2024, communiqué par les soins du greffe le 22 novembre 2024, le ministère public est d'avis que la cour infirme le jugement et renvoie la procédure devant le tribunal de commerce de Lille Métropole.
Il souligne que l'appel est recevable et que l'appelante justifie avoir réglé le passif.
MOTIVATION
Aux termes des dispositions de l'article L. 631-15, II du code de commerce, à tout moment de la période d'observations, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut ordonner la cessation partielle de l'activité ou prononce la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible.
Il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administrateur, le mandataire judiciaire, les contrôleurs et les représentants du comité d'entreprise, ou à défaut, des délégués du personnel, et avoir recueilli l'avis du ministère public.
Lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L 641-10, à la mission de l'administrateur.
L'article L. 631-16 du même code prévoit que s'il apparaît, au cours de la période d'observation, que le débiteur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférentes à la procédure, le tribunal peut mettre fin à celle-ci.
Il statue, à la demande du débiteur dans les conditions prévues au deuxième alinéa du II de l'article L 631-15.
Selon l'article L 621-3 du même code, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L 631-7, la période d'observation est d'une durée maximale de six mois, renouvelable une fois, pour une même durée, pouvant être exceptionnellement prolongée, sur demande du ministère public, pour une durée de six mois.
Il doit être rappelé qu'aucune disposition ne sanctionne le dépassement ni la prolongation exceptionnelle de la période d'observation en l'absence de demande du procureur de la République (Cass., Com.'10 juin 2008 pourvoi n°07-17.043).
En l'espèce, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire prononcée à l'encontre de la société Exxor par jugement du 6 février 2023, des paiements ont été opérés, permettant de désintéresser les créances initialement inscrites au passif de cette société, notamment par le versement de la somme de 256 751,05 euros, correspondant au solde restant dû à la SELARL Périn [S], ès qualités, outre les honoraires du mandataire judiciaire et les frais de greffe au titre de la présente procédure.
Néanmoins, à la suite du relevé de forclusion obtenu par le pôle de recouvrement spécialisé de l'Aisne, ce dernier a déclaré une créance de 56 640,19 euros, objet de contestations actuellement dans le cadre d'un recours pendant devant la cour d'appel de Douai, somme qui n'avait pu être réglée au jour où le tribunal a statué.
A cette date, il n'était fait état ni d'autre dettes ni d'un actif disponible permettant de faire face au passif exigible.
Ainsi, compte tenu de la présence de cette créance, demeurée impayée, et en l'absence de fonds permettant de mettre un terme à la procédure de redressement judiciaire, dont la période d'observation avait été renouvelée trois fois, la décision de conversion était justifiée au jour où le tribunal a statué.
Cependant, les pièces du dossier établissent, ce dont les parties conviennent, que des fonds ont été versés et consignés pour régler l'intégralité de la créance du pôle de recouvrement spécialisé de l'Aisne, quand bien même cette créance ferait l'objet d'un recours pendant et de contestations.
Au jour où la cour statue, il n'existe ainsi plus de passif exigible, l'actif disponible demeurant inchangé, étant en outre observé que demeure à l'actif de la société débitrice un immeuble sur lequel le PRS a inscrit une hypothèque et qui n'a pu être cédé.
En conséquence, au jour où la cour d'appel statue, le redressement de la société débitrice n'apparaît pas manifestement impossible. La demande de conversion de la procédure en liquidation judiciaire doit donc être rejetée, par voie d'infirmation du jugement entrepris.
Le tribunal de commerce demeurant saisi de la procédure collective de la société Exxor, la demande de renvoi de l'affaire aux fins de poursuite des opérations de redressement judiciaire formulée par l'ensemble des parties est sans objet.
Enfin, la décision entreprise est confirmée en ce qu'elle a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
L'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure est ordonné.
PAR CES MOTIFS
Vu l'évolution du litige,
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 12 juin 2024, sauf en ce qu'il a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective';
REJETTE la demande tendant à la conversion du redressement judiciaire de la société Exxor en liquidation judiciaire'formée par la société Alpha MJ, en qualité de mandataire judiciaire de cette société';
DIT sans objet la demande de renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce pour poursuite des opérations de redressement judiciaire.'
ORDONNE l'emploi des dépens d'appel en frais privilégiés de procédure collective.