CA Metz, 6e ch., 24 avril 2025, n° 24/00738
METZ
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bellevret Industries (SASU)
Défendeur :
Jd Consulting (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flores
Conseillers :
Mme Devignot, Mme Dussaud
Avocats :
Me Rozenek, Me Richaud, Me Vanmansart
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par ordonnance rendue le 28 novembre 2022, le président du tribunal de commerce de Lons-Le-Saunier statuant en référé a constaté la résiliation du contrat de location avec option d'achat de 3 bennes conclu le 04 octobre 2021 entre la SASU Bellevret Industries et la SASU JD Consulting aux torts exclusifs de la preneuse, la SASU JD Consulting, et l'a notamment condamnée à :
Payer les sommes provisionnelles de 1'329,90 euros TTC au titre des factures échues correspondant aux loyers des mois d'août, septembre et octobre 2022 outre les intérêts de retard contractuels au taux de 16,25% et capitalisés à compter du 8 septembre 2022, 120 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et 10'639,30 euros TTC au titre des loyers restant à échoir devenus exigibles,
Restituer les deux bennes SPFE SP de 8 m3 et la benne SPFE de 10 m3 à ses frais, dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'ordonnance et à défaut, sous astreinte de 25,00 euros par jour de retard, se réservant la liquidation de l'astreinte.
Cette ordonnance de référé a également autorisé la SASU Bellevret Industries, en cas d'inexécution de la SASU JD Consulting, à venir reprendre le matériel aux frais exclusifs de la SASU JD Consulting dans quelques lieux qu'il se trouve.
Par jugement en date du 31 janvier 2023, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au profit de la SASU JD Consulting. La SAS [C] & Associés prise en la personne de M. [U] [C], a été désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Ce jugement a été publié au BODACC dans son édition des 18 et 19 février 2023.
Par requête enregistrée au greffe le 28 avril 2023, la SASU Bellevret Industries a formé une action en revendication des deux bennes SPFE SP de 8 m3 et de la benne SPFE de 10 m3.
Par ordonnance en date du 07 décembre 2023, le juge commissaire a rejeté la requête en restitution de la SASU Bellevret Industries, ainsi qu'en paiement de la somme de 16'241,88 euros TTC.
La SASU Bellevret Industries a formé un recours contre cette ordonnance devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines, enregistré au greffe le 04 janvier 2024.
A l'audience, la SASU Bellevret Industries représentée par son conseil a réitéré oralement le terme de ses écritures.
La SAS [C] & Associés a répondu que les bennes ne figuraient pas dans l'inventaire établi par le commissaire de justice et n'ont pas été vendu par le mandataire liquidateur car il ne les avait jamais détenues. Elle a indiqué que la restitution de la chose était donc impossible et que la restitution du prix ne l'est pas non plus, les conditions n'étant pas remplies.
M. [Y] [P], dirigeant de la SASU JD Consulting, n'a pas comparu en première instance.
M. le Procureur de la République a déclaré s'en rapporter.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 26 mars 2024, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a :
- Déclaré recevable l'action en revendication formée par la SASU Bellevret Industries;
- Confirmé l'ordonnance du juge-commissaire en date du 07 décembre 2023 ;
- Condamné la SASU Bellevret Industries aux dépens ;
- Rappelé le caractère exécutoire par provision du présent jugement.
Par déclaration du 23 avril 2024, enregistrée au greffe de la cour d'appel de Metz le 24 avril 2024, la SASU Bellevret Industries a interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement infirmation, de ce jugement en ce qu'il a':
Confirme l'ordonnance du Juge-commissaire en date du 07 décembre 2023,
Condamne la SASU Bellevret Industries aux dépens.
Malgré signification de la déclaration et des conclusions d'appel par acte du 03 juillet 2024 et selon les modalités de l'article 658 du code de procédure civile, M. [P], président de la SASU JD Consulting, n'a pas constitué avocat à hauteur de cour.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 novembre 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 27 juin 2024, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, SASU Bellevret Industries, prise en la personne de son représentant légal demande à la cour d'appel, au visa notamment des articles L. 624-16 et L. 624-18 du code de commerce, de l'article 700 du code de procédure civile, de':
- « Déclarer la société Bellevret Industries recevable et bien fondée ;
- Débouter les intimés de l'ensemble de leurs prétentions, demandes et moyens ;
- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines en date du 26 mars 2024 en ce qu'il a :
- Confirmé l'ordonnance du juge-commissaire en date du 7 décembre 2023 ;
- Condamné la SASU Bellevret Industries aux dépens.
Et, statuant à nouveau
- Déclarer la clause de réserve de propriété opposable à la société JD Consulting ;
- Constater le droit de propriété de la requérante sur tous les matériels, objets de la vente conclue ;
- Prendre acte que la SAS [C] & Associés, ès mandataire liquidateur de la société JD Consulting, a autorisé la reprise de possession des bennes
- Ordonner la restitution au profit de la société Bellevret Industries dans quelque lieu qu'elles se trouvent, les bennes considérées ayant les numéros de châssis suivants :
- n°68216
- n°68221, et
- n°69012
Subsidiairement,
- Condamner le liquidateur judiciaire ès qualités à payer le prix et autoriser en conséquence ce paiement, à hauteur de 16'241,88 euros TTC, entre les mains de Bellevret Industries en application de l'article L.624-18 du code de commerce ;
En tout état de cause,
- Condamner la SAS [C] ET Associés, ès qualités de liquidateur de la société JD Consulting à verser à Bellevret Industries la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SAS [C] ET Associés, es qualité de liquidateur de la société JD Consulting aux entiers dépens, qui seront passés en frais privilégiés de liquidation.'»
Au soutien de ses prétentions, la SASU Bellevret Industries se prévaut d'une part de l'article L. 624-16 du code de commerce, précisant qu'il est de jurisprudence constante que le bien revendiqué doit exister en nature dans le patrimoine de la personne morale débitrice, qu'elle le détienne dans ses locaux ou qu'il soit détenu par son représentant légal dans d'autres lieux. D'autre part, l'appelante invoque l'article L. 624-18 du même code, précisant cette fois que le créancier peut revendiquer le prix du matériel vendu sous clause de réserve de propriété et qui aurait été revendu à un tiers avant l'ouverture de la procédure collective, dès lors que le prix de revente n'a pas été payé avant l'ouverture de ladite procédure collective.
Appliquant ces articles à l'espèce, la SASU Bellevret Industries expose que le tribunal ne pouvait se retrancher derrière le fait que les bennes n'avaient pas été trouvées au siège de l'entreprise pour la débouter de sa revendication mais aurait dû constater que les bennes n'existaient plus dans le patrimoine de la SASU JD Consulting au jour de l'ouverture de la procédure, ce qu'elle affirme ne pas être le cas. Pour le démontrer, la SASU Bellevret Industries soutient que le 07 novembre 2022, M. [P] a indiqué être toujours en possession des bennes concernées et souhaitait poursuivre la location du matériel. L'appelante ajoute que la SAS [C] & Associé a indiqué que ces biens n'avaient pas été vendus et prétend qu'il s'agit d'un aveu selon lequel les biens existaient dans le patrimoine du débiteur au jour de l'ouverture de la procédure.
La SASU Bellevret Industries soutient en outre qu'il ressort du jugement du tribunal de Sarreguemines du 02 avril 2024 prononçant contre M. [P] une faillite personnelle qu'il existe un écart inexpliqué entre l'actif inscrit au bilan et les biens retrouvés au siège de la société débitrice et dont il a été fait inventaire, laissant selon elle supposer qu'ils ont été soustraits à l'inventaire. L'appelante en déduit que, malgré leur absence sur l'inventaire, les biens revendiqués figurent bien dans le patrimoine de la SASU JD Consulting.
Rappelant qu'il importe peu que les biens ne se soient pas trouvés au siège de la société, la SASU Bellevret Industries affirme que, en tout état de cause, il ne lui appartient pas de supporter le fait que ces biens soient détenus, entreposés ou loués en un lieu inconnu à ce jour et non communiqué par M. [P].
Par conclusions du 15 juillet 2024, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS [C] et associés, prise en la personne de M. [U] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU JD Consulting, demande à la cour d'appel de':
- «'Donner acte à Maître [C] qu'il a autorisé la récupération des bennes tout en précisant qu'il ignore où elles se trouvent,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la somme de 16'241,88 euros,'
- Condamner la société appelante aux dépens d'appel outre le paiement de la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile »
Au soutien de ses prétentions, la SAS [C] & Associés précise reconnaitre le droit de propriété de la SASU Bellevret Industries sur les bennes revendiquées mais qu'elle ne les a jamais vues. La SAS [C] & Associés expose que les bennes semblent avoir disparu avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire puisqu'elles ne figurent pas sur l'inventaire dressé par le commissaire de justice le 21 février 2023.
Le liquidateur ajoute qu'il ignore ce que sont devenues les bennes mais affirme qu'il est certain qu'elles n'ont pas été vendues dans le cadre de la liquidation judiciaire.
La SAS [C] & Associés précise que l'ancien gérant de la SASU JD Consulting, M. [P], ne coopère pas et que le tribunal judiciaire de Sarreguemines, par jugement du 02 avril 2024, a prononcé une faillite personnelle à son encontre.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il est observé qu'il n'est pas fait appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Sarreguemines le 26 mars 2024 en ce qu'il a déclaré recevable l'action en revendication formée par la SASU Bellevret Industries. La cour d'appel n'en est donc pas saisie et cette disposition est désormais définitive.
I- Sur la revendication en nature
Aux termes de l'article L. 624-16 du code de commerce, peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature, les biens meubles remis à titre précaire au débiteur.
Il est constant que la preuve de l'existence en nature des biens est apportée par l'inventaire réalisé à l'ouverture de la procédure. Il incombe au revendiquant d'apporter la preuve de son droit de propriété et de la présence en nature des biens revendiqués n'apparaissant pas dans l'inventaire.
En l'espèce, la SASU Bellevret Industries revendique en premier lieu, la restitution de deux bennes SPFE de 8m3, comportant les numéros de châssis 68216 et 68221, et d'une benne SPFE de 10 m3 comportant le numéro de châssis 69012 mis à la disposition de la SASU JD Consulting en vertu d'un contrat de location avec option d'achat conclu le 04 octobre 2021 et produit au débat. Ce droit de propriété est par ailleurs reconnu dans l'ordonnance de référé du 28 novembre 2022 rendue par le président du tribunal judiciaire de Lons-Le-Saunier et n'est pas contesté par la SAS [C] & Associés.
Il est donc établi que les biens revendiqués sont la propriété de la SASU Bellevret Industries et qu'ils ont été remis à titre précaire à la SASU JD Consulting.
Ensuite, il est constant que le procès verbal d'inventaire réalisé le 21 février 2023 en application du jugement du 31 janvier 2023 rendu par le tribunal judiciaire de Sarreguemines et ouvrant au profit de la SASU JD Consulting une procédure de liquidation judiciaire, ne fait aucunement mention de ces bennes au titre des biens se trouvant au siège social de la société débitrice au moment de la réalisation de cette mesure.
La SASU Bellevret Industries entend apporter la preuve de la présence en nature de ces biens dans le patrimoine de la SASU JD Consulting par la production du mail de M. [P], alors gérant de celle-ci, par lequel il demande s'il est possible de reprendre les paiements de façon amiable et continuer la location mensuelle. Toutefois il est observé que ce mail date du 07 novembre 2022 et est donc antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
S'il est vrai que doit être pris en considération au titre du patrimoine du débiteur l'ensemble des biens de la société et non seulement ceux présents à son siège social, le mail produit reste insuffisant pour apporter la preuve de l'existence en nature des biens revendiqués dans le patrimoine du débiteur à la date de l'ouverture de la procédure collective.
Il ressort en outre des échanges produits entre les parties que si le liquidateur a autorisé à la SASU Bellevret Industries la reprise des bennes aujourd'hui revendiquées et il a toujours indiqué ne pas savoir où se trouvaient ces biens.
Enfin, la déclaration du liquidateur par laquelle il affirme que les bennes n'ont pas été vendues dans le cadre de la liquidation judiciaire ne vaut pas aveu de l'existence, contemporaine et postérieure à l'ouverture de la procédure collective, de ces biens dans le patrimoine du débiteur, sauf à en extrapoler le sens. Il apparait seulement que le liquidateur a souhaité signifier qu'il n'est pas à l'origine de leur éventuelle disparition du patrimoine.
En définitive, aucun des éléments apportés ne permet de déterminer si les bennes revendiquées sont toujours détenues par la SASU JD Consulting ou par un tiers pour le compte de cette dernière.
L'existence des bennes revendiquées, en nature, dans le patrimoine de la SASU JD Consulting à la date de l'ouverture de la procédure collective n'est donc pas démontrée.
Dès lors, la restitution en nature des bennes portant les numéros de châssis 68216, 68221, et 69012 ne peut être ordonnée sur le fondement de l'article L.624-16 du code de commerce.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
En outre, rien ne s'oppose à ce que le droit de propriété de la SASU Bellevret Industries soit constaté et il y sera donc ajouté au jugement qui n'a pas statué sur ce point.
Pour les mêmes raisons, il y a lieu de prendre acte que la SAS [C] & Associés, a autorisé la reprise de possession des bennes par la SASU Bellevret Industries. Il y sera également ajouté au jugement qui n'a pas statué sur ce point.
II- Sur la revendication du prix
L'article L. 624-18 du code de commerce dispose que peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l'article L. 624-16 qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure. Peut être revendiquée dans les mêmes conditions l'indemnité d'assurance subrogée au bien.
Il est constant que la revendication du prix telle que décrite par l'article suscité concerne les biens vendus sous réserve de propriété qui ont été revendus avant le jugement d'ouverture et dont le prix n'a pas été payé au moins en partie.
En l'espèce, si la SASU Bellevret Industries prétend que l'écart entre l'actif et l'inventaire lacunaire de la SASU JD Consulting exposés dans le cadre de la procédure de faillite personnelle ayant donné lieu à un jugement rendu par le tribunal judiciaire de Sarreguemines le 02 avril 2024 signifie qu'il y a eu cession des bennes par la débitrice, ces observations ne sont corroborées par aucun élément de fait et restent ainsi à l'état de supposition.
Il s'en suit qu'aucun des éléments apportés par la SASU Bellevret Industries ne permet d'établir que les bennes ont été revendues à un tiers par la SASU JD Consulting et encore moins qu'il reste au sous-acquéreur supposé à régler au moins une partie du prix.
Il n'y a donc pas lieu de condamner, sur ce fondement, la SASU JD Consulting au paiement de la somme de 16'241,88 euros.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
III- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La cour confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Sarreguemines le 26 mars 2024 en ce qu'il a condamné la SASU Bellevret Industries aux dépens.
Y ajoutant, la SASU Bellevret Industries succombant à hauteur de cour, l'équité commande de la condamner aux dépens ainsi qu'à payer à la SAS [C] & Associés la somme de 2'000'euros au titre de l'article 700'du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 26 mars 2024 par le tribunal judiciaire de Sarreguemines en toutes ses dispositions';
Y ajoutant,
Constate le droit de propriété de la SASU Bellevret Industries sur deux bennes SPFE de 8m3, comportant les numéros de châssis 68216 et 68221, et une benne SPFE de 10 m3 comportant le numéro de châssis 69012 ;
Prend acte que la SAS [C] & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU JD Consulting, a autorisé la reprise de possession de deux bennes SPFE de 8m3, comportant les numéros de châssis 68216 et 68221, et d'une benne SPFE de 10 m3 comportant le numéro de châssis 69012 ;
Condamne la SASU Bellevret Industries aux dépens d'appel ;
Condamne SASU Bellevret Industries payer à la SAS [C] & Associé, agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SASU JD Consulting, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.