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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 22 avril 2025, n° 21/03305

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Renoval (SA), SMABTP (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barthe-Nari

Conseillers :

Mme Delaubier, Mme Gauci Scotte

Avocats :

Me Nautou, Me Pajeot, Me Wiehn, Me Reichling, Me Labrusse, Me Tesniere

TGI Caen, du 12 juill. 2021, n° 16/04004

12 juillet 2021

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Selon devis accepté du 24 juin 2004, M. [G] [E] et son épouse, Mme [P] [E] née [X] ont confié à la société CDM Bâtiment, la fourniture et la pose de deux vérandas destinées à servir de pièces à vivre au rez-de-chaussée de leur maison d'habitation à [Localité 7], moyennant le prix de 41 161,23 euros TTC.

Les époux [E] se sont réservés la réalisation des travaux de gros oeuvre et des revêtements de sols alors que la société CDM Bâtiment avait la charge de l'établissement des plans nécessaires à l'obtention du permis de construire, la fourniture et le montage de l'ossature aluminium, des châssis vitrés et de la couverture.

La société CDM Bâtiment a passé commande des deux vérandas en aluminium auprès de la société Rénoval Véranda ( ci-après la socié&té Renoval) suivant bons de commande du 16 novembre 2004. Celle-ci a commandé les vitrages à la société Miroiterie de l'Ouest, se chargeant de la fabrication des châssis aluminim et de l'ossature à profilés aluminium.

Les deux vérandas ont été installées par la société CDM Bâtiment début 2005.

Se plaignant de malfaçons affectant les travaux réalisés et déplorant notamment une insuffisance de température ambiante dans les deux vérandas, M et Mme [E] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Caen d'une demande d'expertise judiciaire au contradictoire des sociétés CDM Bâtiment et Rénoval. Par ordonnance en date du 7 juin 2007, M. [U] a été désigné en tant qu'expert.

Au cours des opérations d'expertise, la société CDM Bâtiment est intervenue pour procéder au remplacement des vitrages des châssis verticaux, dont les caractéristiques n'étaient pas conformes aux prévisions contractuelles, et au réglage des deux vantaux.

L'expert a déposé son rapport le 20 février 2010. Il a notamment chiffré le coût des remèdes restant à réaliser à 750 euros TTC.

Par acte d'huissier en date du 8 octobre 2010, les époux [E] ont fait assigner la société CDM Bâtiment devant le tribunal d'instance de Caen aux fins d'indemnisation de leur préjudice financier lié à la surconsommation d'énergie pendant cinq hivers (1 750 euros) et du trouble de jouissance subi entre novembre 2005 et février 2010 (5 200 euros). Par ailleurs, ils ont sollicité que soit ordonnée, sous astreinte, la remise entre leurs mains de l'attestation d'assurance responsabilité décennale de la société CDM Bâtiment.

Il est apparu qu'à l'époque des travaux exécutés sur l'immeuble des époux [E], la société CDM Bâtiment était assurée en responsabilité décennale auprès de la société Azur Assurances Iard aux droits et obligations de laquelle vient la société MMA,Iard.

Soutenant constater de nouveaux désordres affectant les vérandas (un phénomène de corrosion au niveau des poteaux d'angle et un défaut d'étanchéité), les époux [E] ont, suivant lettre en date du 27 décembre 2010, sollicité l'intervention de la société CDM Bâtiment au titre de la garantie décennale.

Le 23 février 2012, la société CDM Bâtiment a assigné en intervention forcée devant le tribunal d'instance de Caen la société Rénoval en garantie et en déclaration d'expertise commune.

Lors de l'audience du 24 mai 2012 devant le tribunal d'instance de Caen, les époux [E] ont sollicité un complément d'expertise afin d'examiner les nouveaux désordres survenus depuis la précédente expertise.

Par jugement avant dire droit en date du 5 juillet 2012, le tribunal d'instance de Caen a, compte tenu des nouveaux désordres allégués par les demandeurs (oxydation des profilés, décollements des joints et infiltrations), décidé d'ordonner une mesure d'expertise complémentaire, confié à nouveau à M. [U] et l'a déclarée commune à la société Rénoval, ordonnant le sursis à statuer sur l'ensemble des autres demandes formulées par les parties.

M. [U] a déposé son rapport le 6 juin 2016.

Faute d'avoir trouvé une entreprise qui accepterait d'intervenir pour procéder au remplacement des dix potelets corrodés et pour effectuer une révision complète de l'étanchéité des façades et des couvertures (solution dite 'économique'), l'expert judiciaire a chiffré le coût de dépose et de remplacement des deux vérandas à l'identique, avec intervention d'un électricien et d'un carreleur pour réaliser des raccords au périmètre extérieur, à la somme de 132 825 euros TTC, honoraire de maîtrise d'oeuvre inclus (solution dite 'radicale'). M. [U] a retenu que deux mois de travaux étaient à prévoir pour cette dernière solution.

Par jugement en date du 20 octobre 2016, le tribunal d'instance de Caen s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Caen pour connaître du litige au motif que les nouvelles prétentions des demandeurs, suite au dépôt du second rapport d'expertise , portaient sur des sommes dépassant largement la valeur de 10 000 euros.

La société CDM Bâtiment n'a pas constitué avocat devant le tribunal de grande instance de Caen, malgré la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le greffe à cet effet le 24 novembre 2016.

Par jugement en date du 5 décembre 2016, le tribunal de commerce d'Alençon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société CDM Bâtiment. Par jugement en date du 3 avril 2017, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire, avec désignation de la SELARL [N] [H] en qualité de liquidateur.

Par actes extra-judiciaires en date des 27 avril et 9 mai 2018, les époux [E] ont assigné, en intervention forcée, devant le tribunal de grande instance de Caen, la société Mma Iard prise en sa qualité d'assureur de la société CDM Bâtiment et la Société Mutuelle d'Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics (ci-après la SMABTP) en sa qualité d'assureur de la société Rénoval.

Par ordonnance du 23 mai 2018, cette nouvelle procédure a été jointe au dossier principal.

Par jugement du 12 juillet 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :

- déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action directe exercée par M. et Mme [E] à l'encontre de la société MMA Iard, venant aux droits et obligations de la société Azur Assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société CDM Bâtiment ;

- déclaré irrecevable, comme étant prescrite, l'action directe exercée par M. et Mme [E] à l'encontre de la SMABTP prise en sa qualité d'assureur de la société Rénoval ;

- débouté M. et Mme [E] de l'intégralité de leurs prétentions dirigées contre la société Rénoval;

- débouté la société MMA Iard, la SMABTP et la société Rénoval de leurs demande d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné M. et Mme [E] aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais de l'instance en référé et de la présente instance au fond, outre les frais des deux expertises judiciaires effecutées par M. [U].

Par déclaration du 9 décembre 2021, M. et Mme [E] ont formé appel de ce jugement sauf en ce qu'il a débouté la société MMA Iard, la SMABTP et la société Rénoval de leurs demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 31 août 2022, M. et Mme [E] demandent à la cour de :

- constater qu'ils se désistent de leur appel à l'égard des sociétés MMA et SMABTP ainsi qu'à l'égard de la société CDM Bâtiment :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 12 juillet 2021 en ce qu'il :

* les a déboutés de l'intégralité de leurs prétentions dirigées contre la société Rénoval Véranda;

* les a condamnés aux entiers dépens comprenant les frais d'instance de référé de la première instance au fond et des 2 expertises judiciaires effectuées par M. [U] ;

statuant de nouveau,

- les déclarer recevables et bien fondés en leur action ;

- débouter la MMA, la société Rénoval Véranda et la SMABTP de l'ensemble de leurs moyens, fins et prétentions ;

- condamner la société Rénoval Véranda au paiement de la somme de 6 950 euros et de la somme de 152 825 euros ;

- condamner la société Rénoval Véranda au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dpens en ce compris les frais de référé et d'expertise.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 29 septembre 2022, la société Rénoval demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf au titre des frais irrépétibles de première instance ;

le réformant au titre des frais irrépétibles de la première instance,

- condamner M. et Mme [E] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;

y additant,

- condamner M. et Mme [E] à lui payer la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice causé par une procédure abusivement dirigée à son encontre s'agissant de la réparation des désordres objets du premier rapport [U] de 2010 ;

- condamner M. et Mme [E] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi que les dépens d'appel;

à titre infiniment subsidiaire, si sa responsabilité était retenue,

- soit la condamner à procéder au remplacement des poteaux endommagés ;

- soit la condamner à payer aux appelants, selon sa quotepart de responsabilité, le montant du devis de remplacement des poteaux endommagés s'élevant à 3 285,26 euros TTC ;

- condamner la SMABTP, son assureur, à la garantir et à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre au titre des désordres invoqués par les époux [E].

Par ordonnance d'extinction partielle d'instance du 7 septembre 2022, le président chargé de la mise en état de la première chambre civile de la cour de céans à :

- constaté le désistement de M. et Mme [E] à l'égard de :

* la société MMA Iard venant aux droits et obligations de la société Azur Assurances prise en la personne de son représentant légal ;

* la SMABTP prise en la personne de son représentant légal ;

* la société CDM Bâtiment prise en la personne de son représentant légal ;

- dit que l'instance se poursuit entre la société Renoval Véranda et la SMABTP ;

- dit que l'instance se poursuit entre M. et Mme [E] et la société Rénoval prise en la personne de son représentant légal ;

- condamné M. et Mme [E] aux frais de l'instance éteinte.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 2 décembre 2024, la SMABTP demande à la cour de :

- constater le désistement partiel des époux [E] de leur appel en ce qu'il était dirigé contre elle;

- rejeter l'appel en garantie présenté par la société Rénoval à son encontre comme étant tout à la fois dépourvu d'objet, irrecevable pour cause de prescription et infondé ;

- condamner les époux [E] solidairement et/ou la société Rénoval à lui payer une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société CDM Bâtiment a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 15 février 2019.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 18 décembre 2024.

EXPOSE DES MOTIFS :

S'étant désistés de l'action en responsabilité qu'ils avaient engagée à l'encontre de la société CDM Bâtiment, qui a été radiée du registre du commerce et des sociétés en 2019, puis de l'action directe à l'encontre de son assureur, la société MMA Iard et de l' action directe à l'encontre de la société SMABTP,assureur de la société Renoval, les époux [E] recherchent désormais la responsabilité de la seule société Renoval pour l'ensemble des désordres affectant les vérandas.

Au soutien de leur appel, prétendant que les désordres relevés par l'expert ont un caractère décennal, M et Mme [E] font valoir que la responsabilité de la société Renoval peut être engagée sur plusieurs fondements :

- sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, puisqu'elle a élaboré les plans des ouvrages réalisés par la société CDM Bâtiment et s'est comportée comme un maître d'oeuvre et non comme un simple fournisseur,

- en sa qualité de sous-traitant de la société CDM Bâtiment en ce qu'elle a mis en oeuvre une technique de fabrication spécifique à la commande et a engagé sa responsabilité pour manquement à l'obligation de résultat, à laquelle elle était tenue à l'égard de la société CDM Bâtiment,

- en sa qualité de fabricant EPERS au sens de l'article 1792-2 du code civil,

- sur le fondement des articles 1231 et 1240 du code civil, à raison notamment du non respect de la norme NF-P 24-351 .

M et Mme [E] soutiennent qu'ils ne sont pas prescrits en leur action, quel que soit le fondement juridique retenu. Ils soulignent avoir assigné la société Renoval en référé le 25 avril 2007, puis au fond le 8 octobre 2010, et font valoir que, si la société CDM Bâtiment a assigné en intervention forcée la société Renoval dans la cadre de la procédure au fond introduite le 8 octobre 2010 par acte d'huissier du 23 février 2012, la prescription de leur action décennale a été interrompue par leur demande d'expertise à l'audience du 24 mai 2012. S'agissant de leur action contractuelle directe contre la société Renoval, ils estiment qu'elle a été interrompue également le 24 mai 2012 pour ne recommencer à courir que le 6 avril 2016 à la date du dépôt du second rapport de M. [U].

Sur la responsabilité de la société Renoval au titre des premiers désordres :

Il s'agit des désordres constatés par M et Mme [E] dans les mois qui ont suivi la réception des travaux qu'ils fixent à la date du 14 avril 2005.

Dans son premier rapport, déposé le 20 février 2010, M. [U] a confirmé ces désordres, constatant : - une insuffisance de température ambiante dans les vérandas due à plusieurs causes associées comme les positions inadaptées des grilles d'air frais et sections trop importantes, des passages d'air frais 'pirates' par les assemblages des châssis et leurs réglages, des caractéristiques des vitrages des châssis verticaux non conformes aux indications remises au chauffagiste,

- des passages d'air froid aux raccordements des châssis /dormants dû à un réglage insuffisant des deux vantaux,

- des extrémités de logerons de la couverture débordante dans les chéneaux pour les parties biaises des versants dues à une absence de raccourcissement des deux obturateurs,

- des écrasements et déformations de certains joints isolants sous les parties basses des panneaux de couverture dus à une insuffisance de précision au moment des assemblages.

L'expert a retenu la seule responsabilité de la société CDM Bâtiment au titre du non-respect d'une convention contractuelle pour la nature des vitrages des châssis et pour ce qu'il a qualifié de 'problèmes ponctuels d'exécution' concernant les réglages et erreurs d'assemblage de la couverture et des châssis. Il a chiffré le montant des travaux à réaliser pour rémédier aux désordres restants, après les interventions de la société CDM Bâtiment en cours d'expertise, à 750 euros TTC.

La société Renoval rappelle que la demande d'indemnisation des époux [E], au titre des désordres constatés par l'expert en 2010, a été formulée en première instance uniquement à l'encontre de la compagnie MMA, assureur de la société CDM Bâtiment, dans le cadre de l'action directe de la victime à l'encontre de l'assureur de l'auteur du dommage et qu'elle a été déclarée prescrite par le tribunal. Elle prétend que cette demande, désormais dirigée à son encontre, est irrecevable pour deux raisons :

- c'est la première fois que cette demande est formée contre elle, dans le cadre de l'appel, et que s'agissant d'une demande nouvelle, elle est irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile,

- cette demande est prescrite pour avoir été formée par conclusions d'appel signifiées le 8 mars 2022 alors que les désordres qui datent de 2005, ont été constatés par l'expert dans son rapport déposé en 2010.

Cependant, cette prétention tendant à l'irrecevabilité de la demande des époux [E] à son encontre n'est pas énoncée au dispositif des dernières conclusions de la société Renoval de sorte que, conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur ces fins de non-recevoir.

Sur le fond, la société Renoval fait valoir qu'en tout état de cause, l'expert ayant conclu à la responsabilité exclusive de la société CDM Bâtiment pour ces désordres, sa responsabilité ne peut être recherchée sur les premiers désordres relevés par l'expert dans son rapport deposé en 2010. Elle souligne notamment que les appelants ne produisent aucun élément de preuve qui viendrait la mettre en cause, se contentant d'invoquer le rapport [U], pourtant inopérant.

Il ne peut qu'être constaté en effet, que M et Mme [E] se contentent de solliciter la condamnation de la société Renoval au titre des premiers désordres sans exposer de quelle manière sa responsabilité pourrait être engagée sur ce point alors que l'expert a effectivement considéré que ces désordres résultaient d'un non-respect du bon de commande quant aux vitrages et de problèmes ponctuels d'exécution qu'il a imputés en totalité à la société CDM Bâtiment.

De surcroît, le caractère décennal de ces désordres n'est pas démontré, puisque s'ils sont survenus après réception des travaux,les parties s'accordant pour fixer celle-ci au 14 avril 2005, il n'est absolument pas établi qu'ils aient rendu les vérandas impropres à leur destination.

Il résulte en effet, du rapport d'expertise que le dommage subi par les époux [E] à la suite de ces premiers désordres consiste en une dépense en énergie pour le chauffage du logement en saison hivernale, plus importante que prévue, chiffrée par l'expert à un excédent de 350 euros environ. L'expert a noté également que l'installation de chauffage de la maison ne paraissait pas adaptée aux besoins et que l'impossibilité de pouvoir isoler les deux vérandas du logement principal était aussi à retenir comme facteur principal de l'insuffisance de température ambiante. Il a d'ailleurs conseillé aux maîtres de l'ouvrage l'adaptation de portes pour pouvoir, en période hivernale, isoler les deux vérandas du pavillon pré-existant.

Par ailleurs, en cours d'expertise, la société CDM Bâtiment a procédé au remplacement des vitrages et au réglage, des deux vantaux du grand châssis à droite en entrant, lequel était insuffisant selon l'expert .

En conséquence, la responsabilité de la société Renoval, à supposer qu'elle puisse être engagée en qualité de maître d'oeuvre, fabricant Epers ou sous-traitant, ne peut être retenue sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil pour ces désordres dont le caractère décennal n'est pas avéré. Par ailleurs, aucune faute contractuelle ou quasi-délictuelle de la société Rénoval n'est davantage caractérisée par les appelants à raison de ces premiers désordres.

Les époux [E] doivent donc être déboutés de leurs demandes dirigées contre la société Renoval en réparation des préjudices résultant de ces premiers désordres.

Pour autant, il ne peut être considéré que l'appréciation inexacte de leurs droits par les époux [E] soit constitutive d'un abus dans l'exercice de leur droit d'agir en justice ni qu'elle caractérise leur mauvaise foi. La société Renoval sera en conséquence déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive au titre d'une prétention mal dirigée contre elle.

Sur la responsabilité de la société Renoval au titre de la deuxième série de désordres:

En cours d'instance, M et Mme [E] se sont plaints de nouveaux désordres, à savoir un phénomène d'oxydation des profilés, un décollement des joints et des infiltrations d'eau dans les vérandas.

S'agissant de ces désordres survenus en 2012, M. [U] a relevé, dans son second rapport déposé, le 6 juin 2016, que :

- les profilés bavettes pièces d'appui-seuil qui sont entièrement thermo laqués et qui sont au contact de supports humides ne sont pas atteints par des dégradations,

- l'absence de traitement des coupes des profilés a favorisé la pénétration de l'humidité entre le métal et le thermo laquage d'où la dégradation du thermo laquage, soulignant d'une part que cette dégradation était apparue plus rapidement en partie basse des poteaux, lesquels sont encastrés dans le revêtement en carrelage dans lequel la pluie s'infiltre et d'autre part que le confinement d'humidité en partie haute des poteaux engendre le même phénomène mais avec un apparition différée et plus lente vu qu'il n'y a pas de stagnation d'eau en partie haute des profilés.

Il a conclu que si les coupes des profilés avaient été traitées, il 'n'y aurait pas eu de sinistre et ce, même si le fait que la réalisation du carrelage qui a supprimé le larmier, la ventilation en parties basses des potelets caractérise un phénomène aggravant.'

Préconisant deux solutions pour rémédier aux désordres, soit le remplacement des potelets alu, solution économique, soit le remplacement des vérandas, solution radicale, M. [U] s'est orienté sur la deuxième solution qu'il a chiffré à 132 825 euros TTC, n'ayant pas trouvé d'artisan pour la première solution et les sociétés CDM Bâtiment et Rénoval n'ayant pas proposé d'intervention.

Les époux [E] font grief aux premiers juges d'avoir totalement écarté la responsabilité de la société Renoval et de n'avoir retenu aucun des fondements juridiques qu'ils ont invoqués à son encontre pour cette deuxième série de désordres.

Reprenant en appel les moyens soutenus devant le tribunal, ils prétendent que la responsabilité tant contractuelle que décennale de la société Renoval est engagée au titre des désordres, apparus en 2012, au motif qu'elle s'est comportée en maître d'oeuvre et non en simple fabricant. Ainsi, ils font valoir qu'elle a assuré la conception de ses ouvrages, en dessinant les plans de montage et de découpes des ouvrages à réaliser, et en donnant à la société CDM Bâtiment des instructions techniques pour construire les vérandas . Ils en veulent pour preuve que les plans remis par la société Renoval à la société CDM Bâtiment, annexés au rapport de l'expert, comportent des prescriptions de montage et que les bons de livraison de menuiserie, également annexés au rapport d'expertise, mentionnent des indications techniques sur les entailles de poteaux à réaliser en raison des descentes intérieures des gouttières, sans aucune alerte quant à la protection de l'aluminium après coupe. Enfin, ils soulignent que la société Renoval a dépêché,sur leur chantier, un de ses salariés pour résoudre des problèmes rencontrés par la société CDM Bâtiment lors du montage des vérandas.

La société Renoval, qui conteste que les conditions d'application de l'article 1792 du code civil soient réunies en l'espèce, reprend la motivation des premiers juges pour souligner que, si elle a effectivement établi les plans de fabrication des deux vérandas, seule la société CDM Bâtiment s'est occupée de déposer le permis de construire et d'assurer la conception des projets de vérandas et le suivi du chantier comme prévu à son devis.

La SMABTP qui conclut avant tout à la prescription de l'appel en garantie de la société Renoval à son encontre, fait valoir également qu'en tout état de cause, les conditions générales et particulières de la police d'assurance souscrite par la société Renoval au titre de sa garantie décennale, ne sont pas remplies.

Il résulte en effet des conclusions mêmes du rapport d'expertise que les désordres constatés par l'expert, qu'il attribue à une absence de traitement des coupes profilés, ne compromettent pas l'habitabilité des deux vérandas. L'expert sapiteur, spécialisé en corrosion de l'aluminium, consulté par M. [U], a noté que la corrosion filiforme n'affecte en définitive que les seuls poteaux d'angle 'alors que l'ensemble des structures en alliage d'aluminium de ces vérandas, de même teinte, ne présente pas de corrosion filiforme après douze ans de service.'

En conséquence, ces désordres ne présentent pas de caractère décennal contrairement aux affirmations des appelants. Il s'en déduit, sans qu'il y ait lieu de vérifier la qualité de maître d'oeuvre, de sous-traitant ou de fabricant Epers de la société Renoval, que celle-ci ne peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l'article 1792 du code civil ni sur celui de l'article 1792-4 du même code, au titre de la corrosion présente sur les poteaux d'angle des vérandas.

S'agissant de la qualification de fabricant Epers, la société Renoval fait en outre, remarquer à juste titre, que la société CDM Bâtiment a procédé, lors de la pose, à des modifications de l'ossature aluminium et des poteaux qu'elle lui a livrés, de sa propre iniative et selon un mode opératoire qu'elle n'avait pas préconisé.

Il s'ensuit que le seul fondement de responsabilité possible que les époux [E] peuvent invoquer à l'encontre de la société Renoval reste un éventuel manquement à son obligation de délivrance conforme, au titre de l'action directe des sous-acquéreurs contre le fabricant ou une faute délictuelle à leur égard puisqu'aucun contrat ne les lie directement à la société Renoval. Pour établir une faute de la société Renoval à l'origine des désordres constatés en 2012, les époux [E] s'appuient exclusivement sur les conclusions de l'expert [U].

Celui-ci a conclu que les dégradations constatées sur les poteaux d'angle des vérandas étaient dues à l'absence de traitement des coupes des profilés qui a favorisé la pénétration de l'humidité entre le métal et le thermo laquage. Il a ajouté que cette dégradation était apparue plus rapidement en partie basse des poteaux, encastrées dans le revêtement en carrelage dans lequel la pluie s'infiltre. Il anoté que 'le confinement d'humidité en partie haute des poteaux engendre le même phénomène mais avec une apparition différée et plus lente vu qu'il n'y a pas destagnation d'eau en partie haute des profilés.'

M. [U] a par ailleurs, estimé que le larmier, comblé par méconnaissance par M. [E] lors des travaux de carrelage, n'aurait eu que pour effet de ralentir le phénomène corrosif des poteaux et la dégradation en partie basse aurait été alors de même ampleur que celle affectant les poteaux en partie haute. Sa suppression, qui a engendré une rétention d'eau, a été un facteur aggravant de la corrosion filiforme affectant les poteaux mais n'en est pas la cause, selon l'expert.

M.[U] a donc considéré que si la responsabilité de la société CDM Bâtiment qui a ajusté les potelets en partie supérieure, ne peut être écartée en ce qu'elle n'a pas traité ni protégé les coupes de profilés remis par la société Renoval, cette dernière aurait dû lui imposer ce traitement. L'expert a considéré que la société Renoval ne pouvait se retrancher derrière la norme NF P.24-351 qui ne suggérait pas ce traitement, alors qu'elle avait connaissance des différentes recommandations professionnelles, qui, elles, préconisaient, en cas d'usinage après peinture, de reconditionner l'anticorrosion et de repeindre les surfaces concernées.

Toutefois, la cour constate que l'expert sapiteur en corrosion de l'aluminium, M. [L], a de son côté, conclu que 'la corrosion filiforme du bas est due à l'accumulation de terre au pied du poteau d'angle par des fourmis. Cette terre a maintenu pendant des années une humidité permanente, facteur déclenchant de la corrosion filiforme.' Il a estimé que la présence de carrelage sur le seuil des vérandas avait contribué à l'emprisonnement de cette humidité empêchant son évaporation.

M. [L] a également considéré que la corrosion filiforme de la partie haute du poteau d'angle, de moindre ampleur que celle du bas, était due au confinement de cette zone dans un volume fermé par les bandeaux supérieurs de la véranda.

Pour lui, 'compte tenu de la configuration particulière de cette structure,[...] l'absence de protection des coupes a tout au plus facilité la pénétration de l'humidité entre le métal et le revêtement.' Il ajoute que 'le remplacement éventuel de ces poteaux d'angle doit être précédé des aménagements nécessaires pour éviter le transport de la terre par les fourmis et aérer la zone au sommet des poteaux d'angle.'

Les conclusions de l'expert sapiteur, pour qui le facteur déclenchant de la corrosion filiforme est l'humidité stagnante, présente dans les vérandas, due à la configuration particulière de celles-ci, ne permettent pas de conclure comme le fait l'expert judiciaire, M. [U], que 'si les coupes des profilés avaient été traitées, il n'y aurait pas eu de sinistre.' En effet, le traitement des profilés aurait ralenti le processus de corrosion mais n' aurait pas empêché la corrosion du métal des poteaux, selon M. [L]. Il sera souligné que M. [U] indique d'ailleurs lui-même, dans son rapport, que l'absence de traitement des coupes de profilé a 'favorisé' la pénétration de l'humidité rejoignant ainsi la nuance introduite par l'expert sapiteur sur l'origine des désordres.

Il s'avère donc qu'il revenait à la société CDM Bâtiment , qui a conçu les projets de vérandas et assuré leur montage, de prévoir les aménagements nécessaires à éviter la survenance d'une humidité dans les vérandas. C'est à elle également qu'il revenait de conseiller M. [E] sur la façon de carreler la pièce en lui recommandant de ne pas combler le larmier.

De ce fait, la responsabilité de M. [E] dans la survenance des dommages ne peut être recherchée, les travaux de carrelage qu'il a effectués n'ayant pas causé les dommages mais ayant contribué à leur survenance par une aggravation du phénomène de rétention d'eau et donc de l'humidité stagnante.

En conséquence, il n'est pas démontré en l'état des conclusions de l'expert [U] à la lumière de l'avis sapiteur de M. [L], que l'absence de traitement des profilés soit à l'origine de l'apparition de la corrosion filiforme sur les poteaux d'angle des vérandas. Il apparaît donc, alors que la norme NF P.24-351 ne faisait aucunement obligation à la société Renoval de traiter les coupes de profilés, même si ce traitement était préconisé par l'Union des métalliers, qu'aucun manquement de la société Renoval à son obligation de délivrance conforme à l'égard de la société CDM Bâtiment ni aucune faute en lien de causalité direct et certain avec le dommage subi par les époux [E] ne peuvent être caractérisés et retenus à son encontre.L'appel en garantie de la SMABTP par la société Renoval apparaît dès lors sans objet.

Le jugement ne peut donc qu'être confirmé en ce qu'il a débouté M et Mme [E] de l'intégralité de leurs prétentions à l'égard de la société Renoval.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement confirmé en ses disposition principales, le sera également sur la charge des dépens de première instance.

M et Mme [E] qui succombent en leur appel supporteront solidairement l'intégralité des dépens d'appel.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Renoval l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'elle a dû exposer à l'occasion de l'instance engagée contre elle tant en première instance qu'en appel. Les époux [E] seront donc en conséquence solidairement condamnés à verser à la société Renoval la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et la somme de 2 000 euros au même titre en appel.

M et Mme [E] s'étant désistés de leur action à l'encontre de la SMABTP, ils ne peuvent être condamnés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de celle'ci, étant observé qu'elle n'a formé aucun déféré contre l'ordonnance du 7 septembre 2022. Aucune considération d'équité ne justifie par ailleurs que la société Renoval soit condamnée à supporter les frais irrépétibles de la SMABTP .

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Caen sauf en ce qu'il a débouté la société Renoval de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société Renoval Véranda de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,

Condamne solidairement M [G] [E] et Mme [P] [E] à verser à la société Renoval Véranda la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

Condamne solidairement M [G] [E] et Mme [P] [E] à verser à la société Renoval Véranda la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SMABTP,

Condamne solidairement M [G] [E] et Mme [P] [E] aux entiers dépens d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

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