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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 24 avril 2025, n° 23/06057

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Piéderrière (SARL)

Défendeur :

Lanoe (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Desalbres

Conseillers :

Mme Malardel, M. Belloir

Avocats :

Me Stephan, Me Bourges, SCP Gicquel - Desprez

TJ Vannes, du 4 févr. 2020, n° 20/00704

4 février 2020

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La SCI Lanoe, cogérée par M. [Z] [O], est propriétaire d'une maison d'habitation située [Adresse 5] à [Localité 4] qu'elle a fait rénover.

Elle a confié à la société Etablissements Piederriere, gérée par M. [F] [I], des travaux de maçonnerie.

Le 13 novembre 2018, la société Etablissements Piederriere a émis une facture d'un montant de 13 255 euros. Elle a adressé à la SCI Lanoe, en vain, plusieurs demandes en paiement par un mail en date du 18 décembre 2018, par courriers recommandés en date des 29 janvier et 6 février 2019, par une mise en demeure transmise par son assureur de protection juridique le 11 février 2019 et par une nouvelle lettre le 23 avril 2020.

Par requête en date du 21 mai 2019, elle a saisi le tribunal de grande instance de Vannes d'une demande en injonction de payer, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 14 juin 2019. Le 22 juillet 2019, la SCI Lanoe a formé opposition à cette ordonnance. Par ordonnance du 27 septembre 2019, le tribunal a constaté l'extinction de l'instance, la société Etablissements Piederriere n'ayant pas constitué avocat dans les délais légaux.

Par un acte en date du 17 juin 2020, la société Etablissements Piederriere a assigné la SCI Lanoe devant le tribunal judiciaire de Vannes en paiement.

Par un jugement en date du 5 septembre 2023, le tribunal judiciaire a :

- déclaré irrecevable l'action en paiement de la société Etablissements Piederriere et la demande reconventionnelle de la SCI Lanoe,

- condamné la société Etablissements Piederriere à payer à la SCI Lanoe la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Etablissements Piederriere aux entiers dépens,

- prononcé l'exécution de plein droit.

La société Etablissements Piederriere a interjeté appel de cette décision le 24 octobre 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2025.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions du 6 janvier 2025, la société Etablissements Piederriere demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures,

- y faisant droit :

- réformer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable sa demande en paiement,

- en conséquence, condamner la SCI Lanoe à lui payer une somme de 13 255,00 euros en principal avec intérêts de retard au taux légal à compter du 6 février 2019,

- débouter la SCI Lanoe de l'ensemble de ses demandes,

- condamner en cause d'appel, la SCI Lanoe à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Lanoe aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 13 décembre 2024, la SCI Lanoe demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire :

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable l'action en paiement de la société Etablissements Piederriere et sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau,

- débouter la société Etablissements Piederriere de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Etablissements Piederriere à lui verser la somme de 4 020 euros, au titre de son préjudice financier,

En tout état de cause :

- condamner en cause d'appel la société Etablissements Piederriere à lui verser la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la recevabilité

Selon l'article 1418 du code de procédure civile dans sa version en vigueur du 1er juillet 2017 au 1er janvier 2020 'devant le tribunal de grande instance, l'affaire est instruite et jugée selon la procédure contentieuse applicable devant cette juridiction, sous réserve des dispositions suivantes.

Le greffe adresse au créancier, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie de la déclaration d'opposition. Cette notification est régulièrement faite à l'adresse indiquée par le créancier lors du dépôt de la requête en injonction de payer. En cas de retour au greffe de l'avis de réception non signé, la date de notification est, à l'égard du destinataire, celle de la présentation et la notification est réputée faite à domicile ou à résidence.

Le créancier doit constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de la notification.'

Aux termes de l'article 1419 du même code applicable à l'espèce 'devant le tribunal de grande instance, le président constate l'extinction de l'instance si le créancier ne constitue pas avocat dans le délai prévu à l'article 1418.

L'extinction de l'instance rend non avenue l'ordonnance portant injonction de payer.'

Il se déduit de ces dispositions que la circonstance que l'ordonnance soit non avenue après l'extinction de l'instance permet au créancier de recommencer le recouvrement de créance par la voie accélérée de l'injonction de payer ou par la voie ordinaire du droit commun, pour autant qu'il soit encore dans le délai pour agir.

En l'espèce, le tribunal de grande instance de Vannes a prononcé le 27 septembre 2019 l'extinction de l'instance après avoir constaté que la société Etablissements Piederriere, la créancière, n'avait pas constitué avocat dans le délai de quinze jours de la notification par le greffe de la déclaration d'opposition à l'injonction de payer du 14 juin 2019, conformément à l'article 1418 du code de procédure civile.

Ainsi que le soutient à juste titre la société Etablissement Piederriere, le tribunal ne pouvait faire application de l'article 480 du code de procédure civile qui prévoyait, dans sa version applicable à l'espèce, que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche et retenir que la procédure d'injonction de payer avait autorité de la chose jugée alors que cette dernière a été rendue non avenue par le jugement d'extinction de l'instance et n'a pas tranché le principal, c'est-à-dire l'objet du litige déterminé par les prétentions respectives des parties.

Dès lors, la demande en paiement de la société Etablissement Piederriere est recevable. Le jugement est infirmé.

Sur le fond

Aux termes de l'article 1353 du code civil 'celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.'

Sur l'existence du contrat d'entreprise

La SCI Lanoe soutient qu'elle n'a pas consenti par écrit ou à l'oral au devis du 17 octobre 2018 ni au prix devisé en sorte que la société doit être déboutée de sa demande en paiement.

La preuve de l'existence d'un contrat d'entreprise et de son contenu incombe à l'entrepreneur (3e Civ., 11 janvier 2011, n°10-12.265).

Elle nécessite un commencement de preuve par écrit qui doit être corroboré par un autre moyen de preuve conformément à l'article 1361du code civil lorsque les travaux portent sur une somme supérieure à 1 500 euros.

En l'espèce, l'appelante produit un devis en date du 17 octobre 2018 non signé d'un montant de 17 189,28 euros et une facture du 13 novembre 2018 d'un montant de 13 255 euros pour les postes préparation et déblaiement, nettoyage, canalisations et gaines, gros 'uvre comprenant la mise en oeuvre d'un hérisson avant dallage, le coulage d'une dalle béton avec armatures et treillis soudés, le seuil de porte en béton armé, un appui de baie et bandes de redressement, la création d'une ouverture dans le mur en pierre et la fourniture et pose d'un linteau dont elle demande le paiement qui comprend certains travaux devisés et d'autres qui ne l'étaient pas.

Si la SCI soutient n'avoir pas accepté de devis, elle reconnait que la société Etablissements Piederriere a réalisé quelques travaux de maçonnerie (page 2 conclusions), qu'elle a coulé une dalle, posé un linteau au-dessus d'une porte-fenêtre côté sud ainsi que deux pierres en partie basse et un seuil en ciment (sa pièce 3), travaux qu'elle a fait constater par un huissier le 23 juillet 2019.

Les sms produits par l'appelante corroborent l'intervention de l'appelante sur le chantier à la demande de la SCI. Il résulte en effet des messages téléphoniques produits par la société Etablissements Piederriere qu'elle est intervenue sur le chantier de la rénovation de l'immeuble de la SCI par l'intermédiaire de la société Broceliande EPCMP, gérée par [V] [U], laquelle a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire de sorte qu'elle a repris la suite de ses travaux. Par sms du 6 septembre 2018, [Z] [O] a envoyé un sms à [F] [I] pour l'informer que 'la maison du [Adresse 5] avait été vidée et qu'il pouvait attaquer les travaux dès que possible'. Par message du 1er octobre 2018, M. [U] a écrit à M. [F] [I], 'j'ai [Z] qui t'appelle régulièrement et commence à s'inquiéter pour son chantier de [Localité 6]... Pourrais-tu nous donner une date de démarrage ça devient urgent.'

Il est donc établi que la SCI a commandé de travaux à la société Etablissements Piederriere, cette dernière devant démontrer leur nature, ceux qui ont été commandés ou acceptés et ceux qui ont réalisés.

Les travaux constatés par huissier ont été acceptés puisque la SCI produit un bail de la maison rénovée sans justifier que le hérisson et la dalle auraient été démolis ou le linteau enlevé.

En revanche, aucune pièce ne justifie de la mise en oeuvre des canalisations et gaines, travaux non devisés. Dès lors, seul le poste gros oeuvre qui correspond aux travaux constatés par huissier sera retenu ainsi que les travaux préparatoires prévus au poste 4 du devis et le nettoyage, figurant au point 6.2.1 du devis.

Sur le prix

Celui qui réclame le paiement de travaux doit prouver le consentement de l'autre partie à l'exécution de ceux-ci au prix demandé (3e Civ., 12 juin 2012, 11-14.967).

Le mail de la SCI Lanoe à la société Etablissements Piederriere du 18 décembre 2018 en réponse à une demande de règlement de la facture de cette dernière dans lequel il est écrit 'je pensais tout régler à terme du chantier, comme nous l'avons convenu', et le sms en date du 19 décembre 2018 du gérant de la SCI au gérant de la société Etablissements Piederriere aux termes duquel il est convenu ' salut [E], je te propose un rdv sur le chantier, on fera un point et je pourrais te payer', confirme l'accord sur le prix, celui-ci ne pouvant être laissé à la seule appréciation du maître de l'ouvrage.

Cependant alors que le devis fixait les travaux de la dalle du rez-de-chaussée à 1 897,55 euros, ceux-ci ont été facturés 3 897,60 euros pour une surface de 67,20 m² au lieu des 36,13 m² prévus sans qu'il ne soit justifié l'accord du maître de l'ouvrage et de la surface de la dalle réalisée.

Il sera déduit en conséquence de la facturation la somme de 1 102,10 euros correspondant au sous-total canalisations et gaines ainsi que 2 000,05 euros au titre du surcoût du dallage. La SCI sera ainsi condamnée à payer la somme de 10 152,85 euros TTC à l'appelante avec intérêts de retard au taux légal à compter du 6 février 2019, date de la mise en demeure.

Sur les désordres

La SCI Lanoe fait valoir que la dalle n'est pas conforme, qu'il existe un manque de planéité, qu'elle est trop basse étant située à 8cm sous le bâti des ouvertures par rapport au niveau des appuis des ouvertures des portes-fenêtres et des portes ainsi qu'elle l'a fait constater par huissier le 23 juillet 2019. Elle soutient avoir dû faire reprendre les travaux par la société Pier-Bud suivant facture qu'elle produit dont la date du 3 mai 2019 serait erronée.

L'appelante réplique qu'elle n'a réalisé qu'une prédalle, une chape de 3cm restant à réaliser sur la dalle béton pour niveler le sol dallé et corriger le manque de planéité avant la pose d'une chape liquide de 3 à 10 cm puis du carrelage. Elle souligne que la facture de la société Pier-Bud est antérieure au constat d'huissier et ne peut être prise en compte.

La cour rappelle qu'un constat d'huissier seul est insuffisant pour démontrer les désordres allégués. De plus, la facture de la société Pier-Bud datée du 3 mai 2019, antérieure au relevé le 23 juillet 2019 des travaux de la société Etablissements Piederriere par l'huissier de justice qui ne fait mention d'aucun travaux réparatoires, est insuffisante pour justifier des travaux qui auraient été exécutés en reprise de ceux de l'appelante. Il n'est pas davantage prouvé que la date de la facture est erronée.

Dès lors, l'intimée Lanoe qui échoue à rapporter la preuve de désordres sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts

La SCI Lanoe réclame la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 4 020 euros sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou délictuelle. Elle soutient avoir subi un préjudice financier compte tenu du comportement de la société Etablissements Piederriere sur le chantier, lequel a entrainé du retard.

L'intimée ne peut qu'être déboutée de sa demande alors qu'elle n'a pas démontré l'existence de désordre et qu'elle ne rapporte nullement la preuve d'un retard imputable à l'appelante dont elle minore par ailleurs l'intervention sur le chantier.

Sur les autres demandes

La SCI Lanoe qui succombe pour l'essentiel sera condamnée à payer à la société Etablissements Piederriere la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme le jugement entrepris

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable la demande en paiement de la société Etablissements Piederriere,

Condamne la SCI Lanoe à payer à la société Etablissements Piederriere les sommes suivantes :

- 10 152,85 euros TTC au titre des travaux réalisés avec intérêts de retard au taux légal à compter du 6 février 2019,

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Lanoe de l'ensemble de ses demandes,

Condamne la SCI Lanoe aux dépens de première instance et d'appel.

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