CA Nîmes, 4e ch. com., 24 avril 2025, n° 24/00388
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Bellucci (SAS)
Défendeur :
Bricoman (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Duprat, M. Maitral
Avocats :
Me Vancraeyenest, Me Moulis, Me Simoneau, Me Dondeyne
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 14 octobre 2019 par la SAS Bellucci à l'encontre du jugement rendu le 6 septembre 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n° RG 2016008309 ;
Vu l'arrêt mixte rendu le 12 janvier 2022 par la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes (n° RG 19/03935), rectifié par arrêt du 16 mars 2022 ;
Vu le rapport de carence remis par l'expert judiciaire et la réinscription de l'affaire sur demande de la société Bellucci ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11 septembre 2024 par la SAS Bellucci, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 1er juin 2024 par SA Bricoman, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance du 3 octobre 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 20 mars 2025.
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La société Bellucci a pour objet social le commerce au détail, en gros et demi-gros d'appareils sanitaires, de plomberie, de chauffage, d'électroménager et de climatisation.
La société Bricoman, à [Localité 3] (84), a pour objet social le commerce, le détail de quincailleries, peintures et verres en grande surface (400m² et plus).
La société Bellucci et la société Bricoman ont commercialisé une gamme de climatiseurs fixes composée d'équipements « prêt à poser », constitués d'une unité externe, d'une unité interne, et de raccords. Ces trois éléments sont préchargés en gaz fluoré (R410A) et sont raccordés lors de leur installation.
Par ordonnance sur requête du 21 août 2015, le président du tribunal de grande instance d'Avignon a autorisé la société Bellucci à faire constater par huissier de justice les conditions de vente de climatiseurs pré chargés à système split ou bi-bloc à des particuliers, entreprises et opérateurs, par la société Bricoman, ce qui fût exécuté le 28 août 2015.
Par exploit du 13 septembre 2016, la société Bellucci a fait assigner la société Bricoman devant le tribunal de commerce d'Avignon afin de:
dire et juger que la société Bricoman, en se dispensant de respecter la réglementation applicable à la vente des climatiseurs pré chargés à système split ou bi-bloc s'est placée dans une situation anormalement favorable par rapport à la société Bellucci,
dire et juger que les faits reprochés à la société Bricoman sont constitutifs d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale,
dire et juger que la société Bellucci a été privée de réaliser des ventes de climatiseurs pré chargés à système split ou bi-bloc par le report, fût-il partiel, de ces ventes sur les produits proposés à la clientèle dans des conditions illicites par la société Bricoman,
condamner la société Bricoman à payer et verser à la société Bellucci la somme de 716.100 ' à titre d'indemnisation du préjudice économique subi du fait des actes de concurrence déloyale pratiqués.
Par ailleurs, la société Bellucci a également attrait devant la même juridiction, pour les mêmes motifs, les sociétés Castorama, Rexel, Distribution Sanitaire Chauffage, Richardson, Comptoir électrique Français, Leroy Merlin, Bricoman et Brico Dépôt.
En application de l'article 367 du Code de Procédure civile, plusieurs sociétés ont sollicité la jonction de toutes ces procédures introduites par la société Bellucci, ses demandes reposant en effet sur la prétendue violation de la règlementation applicable à la vente des climatiseurs pré-chargés à système split ou bi-bloc, mais également sur la réparation d'un même préjudice.
Par décision du 3 juillet 2017, le tribunal de Commerce d'Avignon a rejeté cette demande de jonction.
Par jugement du 6 septembre 2019, le tribunal de commerce d'Avignon a:
rejeté l'ensemble des demandes de la société Bellucci,
condamné la société Bellucci à payer la somme de 3.000' à titre d'amende civile,
condamné la société Bellucci à payer à la société Bricoman la somme de 3.000 ' à titre de dommages et intérêts pour avoir agi de manière abusive,
condamné la société Bellucci à payer a la société Bricoman la somme de 6.000 ' à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé la société Bellucci la charge des dépens, dont frais de greffe taxes et liquidités à la somme de 66,70' TTC,
rejeté toute autre demande, fins ou conclusions contraires.
Le 14 octobre 2019, la SAS ETS Bellucci a relevé appel de ce jugement pour le voir réformer en ce qu'il a rejeté ses demandes.
Par arrêt du 12 janvier 2022, la cour :
'Dit que les dispositions du Règlement (UE) n°517/2014 étaient applicables sur le territoire français dès le 1er janvier 2015,
Dit que la société Bricoman, en se dispensant, à compter du 1er janvier 2015, de respecter la réglementation applicable à la vente des climatiseurs pré chargés à système split ou bi-bloc s'est placée dans une situation anormalement favorable par rapport à la société Bellucci,
Dit que les faits reprochés à la société Bricoman sont constitutifs d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale,
Dit qu'il s'en infère nécessairement un trouble commercial, générateur de préjudice,
Dit que la cour n'a pas d'éléments suffisants pour évaluer le préjudice économique de la société Bellucci,
Avant-dire-droit,
Ordonne une mesure d'expertise et commet pour y procéder Monsieur [X], expert incrit à titre probatoire sur la liste de la cour d'appel de Nîmes, avec pour mission de :
(..)
Dit que la société Bellucci fera l'avance des frais d'expertise et consignera à cette fin la somme de 2 000 ' au secrétariat greffe de la Cour dans un délai de deux mois à compter de l'avis qui lui sera donné par le secrétariat greffe en application de l'article 270 du code de procédure civile, et qu'à défaut de consignation dans le délai fixé la mission deviendra caduque,
Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du jeudi 07 avril 2022 à 09h30 soit pour tirer les conséquences du refus de consigner, soit pour procéder au retrait du rôle dans l'attente du dépôt du rapport.
Dit qu'après avoir provoqué les observations des parties, en leur soumettant un rapport préalable et en leur impartissant à cette fin un délai raisonnable, l'expert établira son rapport dans un délai de six mois à compter de la réception de l'avis qui lui sera donné par le secrétariat greffe du caractère effectif de la consignation, et dit qu'il en remettra une copie à chacune des parties ou à leurs représentants, en faisant mention de cette remise sur l'original.
Commet la Présidente de Chambre pour suivre les opérations d'expertise, ou tout conseiller de la chambre qu'elle désignera.
Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation pour l'audience fixées ci-dessus.
Réserve les demandes de dommages intérêts, d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens. »
Par arrêt du 16 mars 2022 (n° RG 22/00495), la 4ème chambre commerciale de la cour d'appel de Nîmes:
« Rectifie le dispositif de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 12 janvier 2022 sous le numéro 1 RG19/03935,
Dit qu'il y a lieu de lire :
« rechercher le nombre de climatiseurs split système ou bi-blocs vendus par la société Bricoman sur les mêmes périodes de temps »
Au lieu de :
« rechercher le nombre de climatiseurs split système ou bi-blocs vendus par la société Castorama sur les mêmes périodes de temps»
Dit que mention du présent arrêt rectificatif sera portée sur la minute et les expéditions de l'arrêt Nîmes n°1, RG19/03935 du 12 janvier 2022,
Met les dépens du présent arrêt à la charge du Trésor public ».
Par ordonnance d'incident du 2 février 2023, l'affaire a été retirée du rôle.
Le 31 octobre 2023, Monsieur [F] [X], expert désigné, a fait savoir au juge chargé du contrôle des mesures d'expertise que le défaut de communication des pièces demandées ne lui permettait pas de débuter la mesure expertale et a déposé un rapport de carence d'expertise technique.
Par conclusions déposées le 30 janvier 2024, la société Bellucci a sollicité la réinscription de l'affaire.
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Dans ses dernières conclusions, la société Bellucci, appelante, demande à la cour, au visa des articles 378 et suivants du code de procédure civile, de l'article 249 du Traité instituant la Communauté européenne, du règlement (UE) n°517/2014 du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, des articles R543-78 et R543-84 du code de l'environnement (version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2015), et enfin des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, de :
« Dire que l'instance figure au rôle des affaires en cours et qu'elle est rétablie afin qu'il soit statué sur l'indemnisation du préjudice subi par la société Bellucci,
Dire et juger son appel bien fondé et recevable,
Réformer le jugement rendu en date du 6 septembre 2019 par le tribunal de commerce d'Avignon (RG N°2016 008309), en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'il a condamné la société ETS Bellucci
- à payer la somme de 3.000 euros à titre d'amende civile,
- à payer à la société Bricoman la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir agi de manière abusive,
- à payer à la société Bricoman la somme de 6.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dire que société Bricoman devra rembourser à la société Bellucci les sommes perçues en application du jugement dont appel,
Dire que la société Bricoman devra payer et verser à la société Bellucci la somme de 100.000 euros à titre d'indemnisation du préjudice économique subi du fait des actes de concurrence déloyale pratiqués,
Dire que la société Bricoman sera purement et simplement déboutée de toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à titre reconventionnel,
Dire que la société Bricoman devra payer à la société Bellucci la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dire que la société Bricoman supportera les entiers dépens ce y compris les frais d'expertise judiciaire d'un montant de 2.000 euros, sauf à parfaire. ».
Au soutien de ses prétentions, la société Bellucci, appelante, expose qu'elle a communiqué à Monsieur l'expert-judiciaire l'intégralité de ses écritures comptables pour les années 2014 et 2015 mais que la société Bricoman n'a communiqué aucune pièce, rendant ainsi impossible l'exécution de la mission de l'expert.
Se fondant sur un arrêt rendu par la chambre commerciale de la cour de cassation du 12 février 2020 qui admet que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indû que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale (Com. 12 février 2020 n° 1731614) et rappelant qu'en matière de concurrence déloyale, il s'infère nécessairement un préjudice fut-il moral (Com. 3 mars 2021, n°1824373), la société Bellucci fait valoir qu'elle s'est retrouvée dans une situation anormalement défavorable par rapport à son concurrent, ce qui l'a privée de réaliser des ventes de climatiseurs préchargés à système split ou bi-bloc par le report, fût-il partiel, de ces ventes sur les produits proposés à la clientèle dans des conditions illicites par la société Bricoman.
La société Bellucci insiste sur l'existence d'un préjudice commercial important car le climat caniculaire des mois de juin, juillet et août 2015 a eu un effet notable sur les ventes de climatiseurs, le marché a connu une forte progression (+15%). Mais les statistiques de ventes du Groupement Algorel, auquel appartient la société Bellucci démontrent que ses ventes ont chuté de plus de 10 %.
La société Bellucci estime la perte de ventes à 10 unités par mois et par établissement pour la période du mois de janvier au mois de mai 2015 et de 35 unités par mois et par établissement pour les mois de juin, juillet et août 2015, soit :
- 10 unités x 13 points de vente x 5 mois (janvier à mai 2015) = 650 unités,
- 35 unités x 13 points de vente x 3 mois (juin, juillet et août 2015 = 1.365 unités,
- soit un total de 2.015 unités.
La société Bellucci indique que sa marge brute moyenne sur la vente d'un climatiseur pré chargé à système split ou bi-bloc est de 220 ' H.T. de sorte que son préjudice économique peut être évalué, potentiellement, à environ 443.300 ' (2.015 unités * 220 ').
La société Bellucci soutient avoir subi un second manque à gagner lié à la prestation de mise en route et au raccordement des appareils de climatisation bi-bloc facturé en sus de la vente des appareils. Elle considère que la prestation de mise en route et de raccordement des appareils vendus est facturée en sus et génère donc un chiffre d'affaires supplémentaire dont la société Bellucci a été privée du fait des actes de concurrence déloyale dont elle a été victime. L'appelante évalue sa marge brute moyenne sur la prestation de mise en route et de raccordement à la somme moyenne de 200 '.16
La société Bricoman ayant fait le choix de ne pas communiquer ses propres chiffres, empêchant ainsi de quantifier l'augmentation de ses ventes sur la période de référence, devra, selon la société Bellucci en subir toutes les conséquences.
La société Bellucci ' qui concède une méthode empirique en l'absence de chiffre permettant de distinguer entre les différents acteurs économiques - demande condamnation de chacun de ses concurrents poursuivis au paiement de la somme de 100.000 ', soit 600.000 ' pour l'ensemble des 6 procédures pendantes par devant la Cour d'appel de céans, ce qui représente environ 6 % de son chiffre d'affaires, ce qui est très cohérent à l'analyse de l'ensemble des pièces versées au débat.
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Dans ses dernières conclusions, la société Bricoman, intimée, demande à la cour, au visa du règlement (UE) n° 517 / 2014 du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, de l'article R 543-84 du code de l'environnement, dans sa version issue du décret n° 2011-396 du 13 avril 2011, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2015, du décret 2015-1790 du 28 décembre 2015, de l'article R 543-84 du code de l'environnement, dans sa version postérieure au 31 décembre 2015, de l'arrêté du ministre chargé de l'environnement définissant la forme et le contenu de ce registre, relatif à certains fluides frigorigènes et aux gaz à effet de serre fluorés du 29 février 2016, publié au JORF n° 59 du 10 mars 2016, des articles 1240 et suivants nouveaux du code civil, et enfin de l'article 32-1 du code de procédure civile, de :
« - Dire que la société Bellucci ne justifie pas de l'existence, ni de l'étendue d'un préjudice en lien avec les prétendus agissements reprochés à la société Bricoman,
- Débouter la société Bellucci de ses demandes de condamnation à l'encontre de la société Bricoman,
En conséquence,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon le 6 septembre 2019, en ce qu'il a débouté la société Bellucci de ses demandes d'indemnisation,
En toute hypothèse,
- Débouter la société Bellucci de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
A titre reconventionnel, y ajoutant en cause d'appel,
- Condamner la société Bellucci à payer à la société Bricoman la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Bellucci aux entiers frais et dépens ».
Au soutien de ses prétentions, la société Bricoman, intimée, expose que, dès l'ouverture de l'expertise, elle avait informé l'expert de l'impossibilité de produire les documents demandés en raison de l'ancienneté des faits, des départs de personnel et d'un changement de système informatique notamment. Elle indique que l'ensemble de ses bilans sont disponibles librement, qu'ils avaient été produits dans le cadre de la procédure mais que cela ne suffisait pas à l'expert pour remplir sa mission, de sorte que la société Bellucci ne peut se targuer d'avoir produit ses bilans.
Elle fait valoir que la société Bellucci est incapable de démontrer l'existence d'un préjudice et qu'elle pallie sa carence par une demande forfaitaire. Elle rappelle que l'analyse sommaire du préjudice avait déjà été développée par l'appelante dans la procédure initiale et qu'elle n'avait pas satisfaite la cour.
La société Bricoman fait état de la jurisprudence de la cour de cassation selon laquelle il ne peut être alloué une réparation forfaitaire et relève qu'il n'est demandé que la réparation d'un préjudice économique et non pas moral. Elle critique la jurisprudence citée par l'appelante qui s'applique uniquement au parasitisme alors qu'il a été retenu en l'espèce une concurrence déloyale par détournement de clientèle.
La société Bricoman s'étonne du montant des sommes réclamées par la société Bellucci qui aboutiraient à une indemnisation à hauteur de 110% de ses ventes. Elle considère que la société Bellucci a perdu la chance de faire 15% de bénéfice en plus, ces 15% s'élèvent tout au plus à la somme de 20 050 euros (15% de son résultat), d'autant que la société Bellucci ne vend pas que des climatiseurs. Critiquant l'absence d'élément comptable produit par la société Bellucci au soutien de ses calculs, la société Bricoman prétend que, de surcroît, le résultat de la société Bellucci a augmenté de 15% en 2015 et le chiffre d'affaires de sa filiale également.
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Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur l'arrêt mixte :
La cour a déjà décidé que des actes de concurrence déloyale constitutifs d'une faute extra contractuelle sont caractérisés.
Elle a motivé ainsi sa décision de recourir d'office à une mesure d'expertise judiciaire :
« De tout acte de concurrence déloyale s'infère nécessairement un trouble commercial générant un préjudice, fût-il moral, de telle sorte que les fautes retenues à la charge de la société (') ont nécessairement causé un préjudice à la société Bellucci dont celle-ci est légitime à demander indemnisation.
Le préjudice est donc présumé, sauf à la partie adverse de renverser cette présomption, ce qu'elle ne parvient pas à démontrer, sauf à faire valoir que la méthode de calcul de la société Bellucci est incohérente.
En effet, la comparaison des résultats 2014/2015 n'est pas efficiente, car l'analyse est faussée par des charges exceptionnelles grevant l'exercice 2014. Et le préjudice minime relevé par le jugement déféré ne signifie pas une absence de préjudice.
Si la pratique de la société intimée consiste à s'affranchir d'une réglementation, son respect n'avait pas nécessairement un coût, puisqu'il était répercuté sur l'utilisateur final dans la facturation. Il n'existe donc aucun avantage indû de la part de l'auteur des actes de concurrence déloyale, hormis un impact sur le chiffre d'affaires, à moduler par les charges variables et un éventuel préjudice moral dont il n'est pas en l'espèce réclamé indemnisation.
Ainsi que le relève la société Bellucci, la société intimée n'est pas seule à se voir reprocher un non- respect de la réglementation.
Aussi, elle sollicite -au vu de sa marge commerciale réalisée pour l'exercice 2015 qui serait de 36,03% - la condamnation de chacun de ses concurrents au paiement de la somme de 100 000 euros, soit 600 000 euros pour les 6 procédures, ce qui correspond à 6% de son chiffre d'affaires.
Il s'agit d'une analyse sommaire qui omet de prendre en compte le chiffre d'affaires dégagé par les 6 sociétés auxquelles il est reproché des actes de concurrence déloyale, et par conséquent la possibilité d'une variation du trouble commercial généré. La société Bellucci omet également de prendre en considération les charges variables qui n'ont pas été engagées du fait de la perte de chiffre d'affaires alléguée.
L'existence de principe d'un dommage étant établi, il convient de l'évaluer justement et, dès lors que la cour n'a pas d'éléments suffisants pour statuer, il y a lieu d'ordonner d'office une mesure d'expertise judiciaire, dont la mission est spécifiée au dispositif du présent arrêt. »
Après réinscription de l'affaire, la société Bellucci forme exactement les mêmes demandes en réparation de son préjudice.
Il s'agit d'une demande forfaitaire en réparation alors que le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime s'oppose à une appréciation forfaitaire et que la réparation du dommage doit correspondre au préjudice subi.
Com. 30 nov. 2022, n° 21-17.703
L'application du principe de réparation intégrale supposait de moduler la perte de chiffre d'affaires revendiquée par la société Bellucci par le montant des charges variables, de vérifier contradictoirement sa marge brute et l'individualité des 6 personnes morales attraites en justice, dont l'implantation, le chiffre d'affaires, la clientèle, les marges ne sont pas forcément identiques.
Sur l'impossibilité pour l'expert de remplir sa mission :
Aux termes de l'article 275 dernier alinéa du code de procédure civile, « En cas de carence des parties, l'expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l'autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l'état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l'expert. »
Le 16 février 2023, l'expert demandait à toutes les parties de produire :
- la totalité des statistiques de vente des appareils de climatisation fixes composés d'équipement « prêt à poser » constituées d'une unité externe et d'une unité interne, préchargés en gaz fluorés (R410A) et qui sont raccordés lors de leur installation, du 1er janvier 2015 au 30 septembre 2015, du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2014, du 1er janvier 2013 au 30 septembre 2013. L'expert précisait que les statistiques de vente devaient contenir le nombre d'appareils vendus, facture d'achat et de vente, frais accessoires de vente et que ces données devaient être communiqués pour chacun des sites de vente contenus dans un périmètre de 70 km du siège social des Ets Bellucci sis à [Localité 6] (84),
- le fichier des écritures comptables (FEC) 2014 et 2015 des établissements contenus dans un périmètre de 70 km du siège social des Ets Bellucci sis à [Localité 6] (84).
En l'absence de communication de ces pièces dans le délai imparti de 3 semaines, l'expert réitérait sa demande le 3 juillet 2023, puis effectuait des relances par courriel, sans succès.
Après en avoir informé le juge chargé du contrôle des mesures d'expertise, il dressait un rapport de carence le 31 octobre 2023, ces documents étant indispensables pour débuter la mesure d'expertise.
Si la société Bellucci a communiqué les FEC 2013, 2014 et 2015, elle ne lui a pas adressé les autres pièces demandées, expliquant dans ses conclusions aux fins de reprise d'instance qu'elle ne dispose pas de comptabilité analytique lui permettant de dissocier dans son compte de résultat le chiffre d'affaires réalisé par la vente des climatiseurs des autres produits, de sorte qu'elle ne peut évaluer son préjudice que par la production des données statistiques de son groupement Algorel.
Aucun de ses dires ne fait cependant état de cette difficulté et la société Bellucci n'a pas produit auprès de l'expert les données statistiques qu'elle expose maintenant devant la cour. La production de la facturation 2015 ne permet aucun travail de comparaison avec les ventes de l'année 2014 puisque les factures de cette année-là ne sont pas produites.
Par conséquent, il n'y a aucune évaluation documentée et contradictoire du préjudice économique allégué par la société Bellucci.
Les sociétés intimées n'ont pas accédé - totalement ou partiellement ' aux demandes de pièces de l'expert mais il n'aurait de toute façon pas pu évaluer le préjudice subi par la société Bellucci en raison de la carence de la société appelante.
Sur le préjudice subi par la société Bellucci :
En l'absence de toute évaluation contradictoire de son préjudice économique alors qu'il avait été précédemment dit que les éléments développés par la société Bellucci étaient insuffisants à évaluer celui-ci, la cour entend, en application de l'article 275 du code de procédure civile, tirer la conséquence du défaut de communication de documents à l'expert.
Ainsi, et compte tenu de l'impossibilité de procéder à une réparation forfaitaire, la cour déboute la société Bellucci de sa demande de réparation d'un préjudice économique qui n'est pas caractérisé.
Par ailleurs, la société Bellucci ne fait aucune demande en réparation de son préjudice moral.
Sur les frais et dépens :
Contrairement à ce qu'a retenu le jugement déféré, la société Bellucci n'a pas agi abusivement puisqu'elle a été effectivement en butte à une concurrence déloyale de la part de la société intimée.
Les condamnations à une amende civile, des dommages intérêts ainsi qu'au paiement des frais irrépétibles de la société intimée seront par conséquent infirmées.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une quelconque des parties.
La société Bellucci, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Bellucci à payer la somme de 3.000' à titre d'amende civile, à payer à la société Bricoman la somme de 3.000 ' à titre de dommages et intérêts pour avoir agi de manière abusive, à payer à la société Bricoman la somme de 6.000 ' à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à paiement par la société Bellucci d'une amende civile,
Dit n'y avoir lieu à dommages intérêts pour procédure abusive,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Bellucci aux dépens d'appel qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.