CA Colmar, 1re ch. A, 23 avril 2025, n° 24/01718
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
W Logistics System (SAS)
Défendeur :
W Logistics System (SAS), Sk Urbanisme (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Walgenwitz
Conseillers :
M. Roublot, Mme Rhode
Avocats :
Me Reins, Me Grivaud, Me Renaud, Me Hahn-Rollet
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par assignation délivrée le 30 novembre 2023, la SAS SK Urbanisme a fait citer la SAS W Logistics System devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg.
Par ordonnance rendue le 25 avril 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg a':
'Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir, mais dès à présent, tous droits et moyens des parties réservés,
Ordonné une expertise aux fins d'évaluer l'indemnité d'éviction due à la SAS W Logistics System et l'indemnité d'occupation due à la SAS SK Urbanisme ;
Commis en qualité d'expert :
ANGSTHELM-MEYER Anne Camille
[Adresse 9]
[Localité 12]
Tel : [XXXXXXXX03]
Port : 06.81.97.15.45
Mèl : [Courriel 14]
Ou à défaut :
[D] [Y]
Cabinet d'expertises [D] [Adresse 5]
[Localité 12]
Tel : [XXXXXXXX01] Fax : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 15]
Avec pour mission de :
1) se rendre sur place [Adresse 4], en présence des parties dûment convoquées et y faire contradictoirement toutes constatations utiles ;
2) se faire remettre tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission, en particulier tous documents comptables et financiers relatifs à l'activité commerciale de la SAS W Logistics System au cours des années écoulées et de l'année en cours, selon les besoins de l'expertise ;
3) procéder à toutes opérations aux fins d'évaluation de l'indemnité d'éviction due à la SAS W Logistics System, par la SAS SK Urbanisme, correspondant au préjudice subi du fait de l'absence de renouvellement du bail ;
4) pour ce faire, déterminer la valeur marchande du fonds de commerce selon les usages de la profession ;
5) donner tous les éléments d'évaluation concernant tous les frais annexes tels que notamment les frais et droits de mutation à payer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur, l'indemnité pour perte de matériel, pour trouble commercial, pour frais de licenciement, etc. ;
6) dire si le fonds a une clientèle propre et distincte de celle exploitée par la SAS W Logistics System en son siège social ;
7) dire si le fonds est transférable et notamment de dire si la clientèle est une clientèle dite de 'quartier', s'il existe des locaux identiques à proximité ;
8) chiffrer l'indemnité d'éviction selon sa valeur de remplacement et selon sa valeur de déplacement ;
9) procéder à toutes opérations aux fins d'évaluation de l'indemnité d'occupation due à la SAS SK Urbanisme, par la SAS W Logistics System ;
10) plus généralement, fournir tous éléments techniques ou de fait, de nature à éclairer la juridiction du fond sur le litige, dont elle sera saisie ;
11) dresser un projet de rapport à diffuser aux parties préalablement au dépôt du rapport, permettant au tribunal de fixer l'indemnité d'éviction due ;
Dit que les parties devront transmettre leur dossier complet directement à l'expert, et ce, au plus tard le jour de la première réunion d'expertise ;
Dit que l'expert pourra en cas de besoin avoir recours à un technicien autrement qualifié, à charge pour lui de joindre son avis au rapport d'expertise ;
Dit que la SAS SK Urbanisme versera une consignation de trois mille euros à valoir sur la rémunération de l'expert et ce avant le 31 juillet 2024 ;
Dit que la consignation s'effectuera à la :
DRFIP RHONE-ALPES
Pôle de gestion des consignations de [Localité 17]
[Adresse 10]
[Localité 13]
IBAN : [XXXXXXXXXX016]
Rappelé qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque selon les modalités fixées par l'article 271 du code de procédure civile ;
Dit que l'expert devra déposer auprès du greffe du tribunal judiciaire de Strasbourg, service des expertises, un rapport détaillé de ses opérations dans un délai de 6 mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé du versement de la consignation et qu'il adressera copie complète de ce rapport, y compris la demande de fixation de rémunération à chacune des parties, conformément aux dispositions de l'article 173 du code de procédure civile ;
Précisé qu'une photocopie du rapport sera adressée à l'avocat de chaque partie ;
Précisé que l'expert doit mentionner dans son rapport l'ensemble des destinataires à qui il l'aura adressé ;
Débouté toutes les parties pour le surplus ;
Condamné la SAS SK Urbanisme aux dépens ;
Rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile.'
La SAS W Logistics System - WLS a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 4 mai 2024.
La SAS SK Urbanisme s'est constituée intimée le 31 mai 2024.
Dans ses dernières conclusions datées du 17 janvier 2025, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SAS W Logistics System et la SAS WEIL - [Z] - LUTZ, prise en la personne de Me [M] [Z], administrateur judiciaire de la SAS W Logistics System, demandent à la cour de':
'SUR L'APPEL PRINCIPAL :
Déclarer l'appel principal formé par la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil-[Z]-Lutz recevable et bien fondé,
Faire droit à l'ensemble des demandes, moyens et prétentions de la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil - [Z] - Lutz,
Déclarer les demandes de la société intimée irrecevables, en tous cas mal fondés, les rejeter intégralement,
Débouter la société intimée de l'ensemble de ses demandes, y compris s'agissant d'un appel incident,
Corrélativement, infirmer l'ordonnance entreprise en ce que le 1er juge a statué comme suit :
- déboutons toutes les parties pour le surplus,
Et, statuant à nouveau sur ce point,
Condamner la société SAS SK Urbanisme à verser à la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil - [Z] - Lutz, la somme de 288 709,88 ' à valoir sur l'indemnité d'éviction totale au titre du congé du contrat de bail commercial signifié et qui sera déterminée par l'expert judiciaire ;
Condamner la société SAS SK Urbanisme à verser à la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil - [Z] - Lutz, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 8 095,08 ' au titre des frais exposés en première instance ;
Condamner la société SAS SK Urbanisme aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance,
SUR L'APPEL INCIDENT :
Déclarer l'appel incident irrecevable, en tous cas mal fondé,
Le rejeter,
Débouter la société SAS SK Urbanisme de l'ensemble de ses demandes,
Faire droit aux demandes de la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil - [Z] - Lutz,
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :
Déclarer régulière l'intervention volontaire la SAS Weil - [Z] - Lutz, prise en la personne de Maître [M] [Z], [Adresse 8], en qualité d'administrateur judiciaire de la société W Logistics System,
Confirmer la décision entreprise pour le surplus.
Condamner la société SAS SK Urbanisme à verser à la SAS W Logistics System, en redressement judiciaire, assistée par son administrateur judiciaire la SAS Weil - [Z] - Lutz, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 14 400 ' au titre des frais de procédure en appel ;
Condamner la société SAS SK Urbanisme aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, y inclus les frais liés à la réalisation d'une expertise privée par le cabinet Jorexco à hauteur de 5 400 ' TTC.'
Dans ses dernières conclusions datées du 30 septembre 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, la SAS SK Urbanisme demande à la cour de':
'Rejeter l'appel de la société W Logistics System comme infondé,
Déclarer recevable et bien fondé l'appel incident de la société SK Urbanisme,
Infirmer l'ordonnance du 25.04.2024 en ce qu'elle a condamné la société SK Urbanisme aux dépens,
Statuant à nouveau sur ce point,
Condamner la société W Logistics System aux dépens de première instance,
Confirmer l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions vu l'évolution du litige,
Condamner la société W Logistics System à produire l'état des lieux de sortie dressé par acte d'huissier le 30.04.2024,
En tout état de cause,
Condamner la société W Logistics System aux dépens d'appel,
Condamner la société W Logistics System à payer à la société SK Urbanisme la somme de 5 000 ' sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.
L'affaire a été renvoyée et retenue à l'audience de plaidoirie du 24 février 2025.
MOTIFS :
Au préalable, la cour rappelle que :
- aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions, que s'ils sont invoqués dans la discussion,
- ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à 'dire et juger' ou 'constater', en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d'emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que la cour n'y répondra qu'à la condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à 'dire et juger' lorsqu'elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).
Sur la provision :
L'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile dispose que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point. A l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle, le montant de la provision n'ayant alors d'autre limite que le montant, non sérieusement contestable, de la créance alléguée.
Aux termes de l'article L145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Les indemnités accessoires ne sont pas limitativement énumérées, mais elles correspondent à tous les frais que le preneur peut être amené à engager, du fait de la perte de son fonds et de la nécessité dans laquelle il se trouve de se réinstaller, en acquérant un fonds de même valeur, ces frais supplémentaires n'étant pas inclus dans l'indemnité principale. Ces indemnités accessoires ne sont pas dues en toute hypothèse (3ème civ., 2 décembre 1998), mais ne peuvent être exclues que s'il est prouvé l'inexistence d'un préjudice de ce chef, soit l'absence certaine de toute intention chez le preneur de se réinstaller (3ème civ., 9 novembre 1977).
En l'espèce, la société W Logistics System ne demande aucun montant au titre de l'indemnité principale, la question du caractère transférable du fond n'ayant pas été tranchée. Elle sollicite une provision à hauteur de 288'709,88 ' au titre des frais et accessoires se décomposant ainsi':
- 126 180,15 ' TTC au titre des frais de déménagement (déplacement de marchandises et de déchets ; frais d'intérimaires pour la mise en 'uvre du déménagement),
- 102 077,84 ' TTC au titre d'un devis pour le réaménagement d'un nouveau local,
- 36 783,74 ' TTC au titre des frais salariaux liés au déménagement,
- 23 667,45 ' TTC au titre des frais de licenciement économique consécutifs à la résiliation du bail.
Néanmoins, ces indemnités accessoires demeurent en lien, soit avec le caractère transférable ou non du fond, soit avec la question de la réinstallation du locataire.
Ainsi, si le bailleur est tenu d'indemniser le preneur évincé d'un fonds non transférable des frais de déménagement et de réinstallation à exposer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur, cette indemnité n'est pas due s'il est établi que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fond (3ème civ., 18 décembre 2012, n°11-23.273'; 3ème civ., n°11-28.899).
Or, en l'espèce, la société W Logistics System, qui a fait le choix d'informer immédiatement ses clients de la fin de son bail, alors qu'elle avait la possibilité de se maintenir dans les lieux jusqu'à paiement de l'indemnité d'éviction, puis de quitter les locaux litigieux, indique, dans ses conclusions, qu'elle n'a trouvé aucune solution dans le même bassin géographique présentant les mêmes facilités de transit routier tri-national et qu'elle subit une perte totale de sa clientèle, de sorte que des doutes subsistent quant à sa réinstallation. En outre, c'est à juste titre que le bailleur rappelle que les contrats conclus par la société W Logistics System avec ses clients n'étant pas produits, cette dernière ne démontre pas que les frais de restitution des marchandises sont à sa charge.
Par ailleurs, concernant les frais de licenciement, ils doivent être remboursés par le bailleur lorsque le preneur, suite au non renouvellement de son bail, doit licencier du personnel si le licenciement a été rendu nécessaire, soit par les conditions différentes de sa réinstallation, soit par le défaut de toute réinstallation (civ. 3ème, 15 mars 1977).
Ainsi, à défaut de réinstallation, les indemnités de licenciements doivent être mises à la charge du bailleur, mais si le fonds est transférable, ces indemnités ne sont dues que si des licenciements ont été rendus nécessaires par ses conditions de réinstallation. Or, en l'espèce, aucun élément ne permet de trancher cette question, avec la certitude qui s'impose en référé.
En conséquence, ces éléments sont autant de contestations sérieuses qui s'opposent, en l'état et avant la fin des opérations d'expertise en cours, à l'octroi d'une provision.
Sur la production de l'état des lieux de sortie :
Cette pièce est produite par la société W Logistics System (annexe 21), de sorte que cette demande présentée par la SAS SK Urbanisme sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les dépens de la procédure d'appel seront fixés au passif de la procédure collective de la société W Logistics System, qui succombe, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 25 avril 2024 par le juge des référés civils du tribunal judiciaire de Strasbourg,
Y ajoutant,
Rejette la demande présentée par la SAS SK Urbanisme tendant à la communication de l'état des lieux de sortie,
Fixe les dépens de la procédure d'appel au passif de la procédure collective ouverte au profit de la SAS W Logistics System,
Déboute les parties de leurs prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.