CA Metz, 6e ch., 24 avril 2025, n° 23/01138
METZ
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Flores
Conseillers :
Mme Devignot, Mme Dussaud
Avocats :
Me Zachayus, Me Bettenfeld
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 29 octobre 2015, la SARL Framboise Boutique, dont Mme [J] [O] était la gérante, a souscrit un prêt auprès de la SA Banque Populaire d'Alsace Lorraine Champagne (ci-après « SA BPALC ») d'un montant de 18 000 euros en principal, remboursable en 60 échéances au taux fixe de 4%.
Mme [O] s'est portée caution personnelle et solidaire dudit prêt à hauteur de 9 000 euros et pour une durée de 60 mois.
La SARL Framboise Boutique a souscrit un second prêt le 17 novembre 2019 auprès de la SA BPALC d'un montant de 15 000 euros remboursable en 60 échéances portant intérêts au taux fixe de 1,9% par an. Mme [O] s'est portée caution personnelle dudit prêt à hauteur de 19 500 euros sur 60 mois.
Ces deux prêts ont fait l'objet d'un avenant en date du 17 avril 2020.
Par jugement du 07 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Metz a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au profit de la SARL Framboise Boutique.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 19 décembre 2020, la SA BPALC a mis en demeure Mme [O], en sa qualité de caution des deux prêts, à lui régler la somme totale de 16 083,69 euros.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 décembre 2020, la SA BPALC a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire pour un montant de 26 616,59 euros.
Le 1er mars 2021, Me [M] a, à la demande de la SA BPALC, fait parvenir une sommation de payer la somme totale de 16 425,18 euros à Mme [O].
Par ordonnance d'injonction de payer du 19 avril 2021, signifiée le 4 juin 2021, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a condamné Mme [O] à payer à la SA BPALC les sommes en principal de 1 890,31 euros et 14 193,38 euros au titre de ses engagements de caution.
Le 14 juin 2021 Mme [O] a formé opposition contre cette ordonnance d'injonction de payer devant le tribunal judiciaire de Sarreguemines.
Par jugement contradictoire rendu le 17 mars 2023, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines a :
condamné Mme [O], au titre de ses engagements de caution en date des 04 novembre 2015 et 17 avril 2019, à verser à la SA BPALC les sommes suivantes :
1 952,68 euros au titre du prêt n°05814974, augmentés des intérêts au taux contractuel de 7% à compter du 30 juin 2021 ;
14 521,39 euros au titre du prêt n°05938635, augmentés des intérêts au taux contractuel de 4,90% à compter du 30 juin 2021 ;
rejeté la demande de délai de paiement formée par Mme [O] ;
débouté les parties pour le surplus ;
condamné Mme [O] à verser à la SA BPALC la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné Mme [O] aux dépens ;
ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 24 mai 2023, enregistrée au greffe de la cour d'appel de Metz le 25 mai 2023, Mme [O] a interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement infirmation, du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Sarreguemines le 17 mars 2023.
Par dernières conclusions du 23 août 2023, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [O] demande à la cour d'appel de :
« faire droit à l'appel de Mme [O] contre le jugement rendu le 17 mars 2023 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines ;
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, notamment en ce qu'il a :
condamné Mme [O], au titre de ses engagements de caution en date des 4 novembre 2015 et 17 avril 2019, à verser à la SA BPALC les sommes suivantes:
1 952,68 euros au titre du prêt n°05814974, augmentés des intérêts au taux contractuel de 7 %, à compter du 30 juin 2021 ;
14 521,39 euros au titre du prêt n°05938635, augmentés des intérêts au taux contractuel de 4,90 % à compter du 3 juin 2021 ;
rejeté la demande de délais de paiement formée par Mme [O] ;
débouté les parties pour le surplus ;
condamné Mme [O] à verser à la SA BPALC la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné Mme [O] aux dépens ;
ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
Statuant à nouveau,
dire et juger que la SA BPALC ne peut se prévaloir des engagements de caution conclus par Mme [O] les 4 novembre 2015 et 17 avril 2019 dont l'engagement était, lors de leur conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus ;
En conséquence,
déclarer la SA BPALC irrecevable, subsidiairement mal fondée en l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [O] ;
débouter la SA BPALC de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Mme [O], après avoir, au besoin déchargé Mme [O] de ses engagements de caution ;
Au besoin,
condamner la SA BPALC à payer à Mme [O] les sommes qu'elle réclame à titre de dommages et intérêts pour soutien abusif du débiteur principal voire pour faillite à son obligation de mise en garde ;
ordonner la compensation entre les créances respectives des parties ;
A titre infiniment subsidiaire,
octroyer à Mme [O] un délai de grâce de deux ans pour le paiement des sommes de 1 952,68 euros et 14 521,39 euros en principal ;
dire et juger que le paiement de cette dette s'effectuera à l'issue de ce délai de deux ans ;
rappeler que l'octroi de délai de grâce porte dispense de plein droit de payer les majorations d'intérêts et les pénalités encourues à raison du retard ;
Dans tous les cas,
condamner la SA BPALC à payer à Mme [O] la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens de première instance et d'appel ».
Mme [O] se prévaut de l'article L.341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation pour soutenir que ses engagements de caution étaient disproportionnés. Elle précise qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné d'établir que le patrimoine de la caution, au moment où celle-ci est appelée, lui permet de faire face à son obligation.
Concernant l'engagement de caution du 29 octobre 2015, Mme [O] déclare qu'elle ne bénéficiait d'aucun revenu lui permettant d'y faire face. De plus, Mme [O] soutient que la fiche de renseignement produite par la SA BPALC et datée du 4 novembre 2015 contenait des anomalies apparentes. Elle souligne que cette fiche est postérieure à l'engagement de caution en date du 29 octobre 2015. Elle ajoute qu'elle a été remplie de manière dactylographiée, qu'elle doit être comparée avec celle remplie à la main qui est annexée à l'acte de cautionnement du 2 mai 2019, et elle estime que la fiche du 4 novembre 2015 constitue un abus de blanc-seing. Elle conclut que la banque n'était pas déliée de son obligation de renseignement et qu'il lui appartenait de vérifier l'exactitude des sommes mentionnées. Elle ajoute, qu'à défaut, la caution qui démontre que son engagement était disproportionné à ses biens et revenus est bien fondée à opposer à la banque l'impossibilité pour elle de se prévaloir du cautionnement.
Sur l'engagement de caution du 17 avril 2019, Mme [O] fait valoir que les éléments produits par la banque, en particulier la fiche de renseignement du 2 mai 2019 annexée à l'acte de cautionnement, démontrent son absence de patrimoine mobilier et immobilier et la disproportion de l'engagement.
Subsidiairement, Mme [O] fait valoir que la SA BPALC a commis une faute directement à l'origine de l'aggravation du passif de la SARL Framboise Boutique en lui accordant des concours financiers abusifs malgré une situation financière obérée et ce, au mépris de ses obligations de prudence, de vigilance et de mise en garde ainsi qu'au préjudice de la caution.
Mme [O] ajoute qu'il est de jurisprudence constante que l'existence d'un soutien abusif est établi lorsqu'une banque, au jour de l'ouverture d'un crédit consenti à une société, mise par la suite en redressement judiciaire aurait pu ou dû prévoir l'aggravation de sa situation financière ou que cet octroi y a contribué substantiellement. Elle développe qu'en l'espèce, le prêt de trésorerie a été octroyé le 17 avril 2019, et que le placement en liquidation judiciaire de la SARL Framboise Boutique est intervenu 8 mois après la signature de l'avenant du 17 avril 2020, de sorte que selon elle la banque a aggravé le passif de la société en prolongeant le second prêt.
En outre, Mme [O] soutient qu'en la contraignant ainsi que son compagnon à souscrire à titre personnel un prêt destiné à venir soulager la situation financière de la SARL Framboise Boutique, la banque s'est affranchie de toutes ses obligations et a contourné les règles très restrictives en matière de cautionnement.
Plus subsidiairement, sur l'application de l'article 1343-5 du code civil, Mme [O] soutient, d'une part, que la créance dont la banque revendique le paiement revêt pour elle un caractère modeste. D'autre part, que son patrimoine ne lui permet pas de faire face immédiatement au paiement des sommes réclamées.
Par dernières conclusions du 25 avril 2024, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SA BPALC demande à la cour d'appel de :
« rejeter l'appel de Mme [O] ;
confirmer le jugement du 17 mars 2023 en toutes ses dispositions ;
Très subsidiairement, et si la cour devait juger que la SA BPALC avait commis une faute à l'encontre de Mme [O],
juger que seule l'indemnisation de la perte de chance de ne pas contracter l'un ou l'autre des engagements de caution était susceptible d'indemnisation ;
débouter Mme [O] de sa demande de dommages et intérêts présentée pour un montant équivalent à celui réclamé par la SA BPALC ;
déclarer Mme [O] irrecevable en toute demande nouvelle qu'elle présenterait en ce sens,
Très subsidiairement,
juger que Mme [O] ne justifie pas d'une perte de chance sérieuse de ne pas contracter les engagements de caution ;
Encore plus subsidiairement,
fixer la perte de chance à une somme de 5 % maximale du montant restant dû au titre de l'engagement de caution qui serait considéré comme conclu fautivement, et ordonner la compensation des créances réciproques ;
En tout état de cause,
Ajoutant au jugement,
ordonner la capitalisation des intérêts qui auront courus pour une année entière, en application de l'article 1154 ancien et 1343-2 du nouveau code civil ;
Ajoutant en tant que besoin au jugement,
juger que les condamnations sont prononcées en deniers ou quittance ;
déclarer Mme [O] irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins, moyens, conclusions et prétentions et les rejeter ;
déclarer la SA BPALC recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins, moyens conclusions et prétentions et les accueillir ;
condamner Mme [O] aux entiers frais et dépens d'appel ;
condamner Mme [O] à payer à la SA BPALC une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ».
Au soutien de ses prétentions, la SA BPALC conteste le caractère manifestement disproportionné des engagements de caution au jour de la conclusion des actes, notamment au regard des informations communiquées par Mme [O]. La banque soutient, d'une part, que Mme [O] ne démontre pas l'existence d'une telle disproportion. Elle souligne qu'elle a signé la fiche de renseignements une semaine après la date du premier cautionnement et l'a certifiée sincère et véritable, et que la seconde fiche de renseignement est contemporaine du second engagement. Elle fait valoir, pour chacun des deux engagements, que Mme [O] n'établit pas que son patrimoine mobilier, constitué du fonds de commerce de la SARL Framboise Boutique, aurait une valeur inférieure au montant cautionné. D'autre part la BPALC soutient que les revenus de Mme [O] au jour où elle a été appelée lui permettaient de faire face à ses engagements étant précisé qu'elle a été en mesure de régler les sommes dues à l'occasion des mesures d'exécution du jugement.
La banque fait valoir qu'elle n'était pas redevable d'un devoir de mise en garde à l'encontre de Mme [O]. En ce sens, elle indique que Mme [O] était particulièrement avertie et que les engagements de caution n'étaient pas manifestement disproportionnés à sa situation de sorte qu'il n'existait pas de risque de surendettement.
De surcroît, la SA BPALC conteste être à l'origine de l'aggravation du passif de la SARL Framboise Boutique. Elle indique que les prêts accordés avaient pour objet une restructuration de dettes s'agissant du premier, et de reprendre un crédit de trésorerie et le découvert en compte courant s'agissant du second. D'autre part, qu'il n'y a eu aucun soutien abusif, ce d'autant plus que l'avenant conclu le 17 avril 2020 a permis à la SARL Framboise Boutique de bénéficier de 6 mois supplémentaires de franchise sur demande de Mme [O].
S'agissant du prêt personnel destiné à venir soulager la situation financière de la SARL Framboise Boutique, la banque relève qu'il est au nom de M. [S] [G] qui n'est pas partie aux débats, étant précisé que nul ne plaide par procureur.
En outre, la banque considère que les dispositions de l'article L. 651-1 du code de commerce ne sont pas applicables en matière de procédure collective, et qu'en tout état de cause Mme [O] ne démontre pas qu'elle aurait commis une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou qu'elle aurait pris des garanties disproportionnées au concours alloué.
La banque rappelle également que la sanction en cas de faute est l'octroi de dommages et intérêts qui viendraient compenser une perte de chance de ne pas contracter. La banque relève que Mme [O] ne chiffre pas sa demande et se contente de réclamer une somme équivalente à celle à laquelle elle sera condamnée. Elle ajoute que cette perte de chance n'a pas été alléguée dans les premières conclusions régularisées par Mme [O] à hauteur de cour de sorte que selon elle toute demande présentée en ce sens constituerait une demande nouvelle irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Subsidiairement, la banque développe que la perte de chance alléguée est nulle et à tout le moins pas sérieuse puisque les montants des prêts accordés et des sommes cautionnées étaient raisonnables, que les mensualités des prêts étaient modérées et que les taux d'intérêts étaient conformes à ceux pratiqués à l'époque de la souscription des engagements. Elle ajoute que Mme [O] avait totalement intérêt à ce que sa société puisse disposer des financements sollicités et que les cautionnements n'étaient pris qu'à titre de garanties. D'autre part, elle indique que Mme [O] a été en mesure de régler la somme de 18 634,46 euros le 3 juillet 2023, preuve que le cautionnement n'était pas de nature à l'endetter. La banque affirme qu'il est peu probable que Mme [O] aurait renoncé à se porter caution si elle avait été avertie d'un risque d'endettement.
S'agissant des délais de paiement sollicités, la banque fait valoir que l'article 1343-5 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer, Mme [O] n'étant pas de bonne foi et ne justifiant pas être en mesure de régler sa dette dans le délai de 24 mois qu'elle réclame. Elle ajoute, d'une part, que Mme [O] a déjà bénéficié de délais supérieurs à 24 mois depuis la première mise en demeure par l'effet de la procédure judiciaire. D'autre part, que la demande n'a plus d'objet puisque Mme [O] a réglé l'intégralité des sommes dues à la banque.
Enfin, la banque sollicite la capitalisation des intérêts ayant courus pour une année entière en application de l'article 1154 ancien et 1343-2 nouveau du code civil, estimant que cette demande est recevable pour être l'accessoire, sinon le complément de la demande initiale.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle en dommages-intérêts
Dans le dispositif de ses premières et dernières conclusions justificatives d'appel transmises par RPVA en date du 23 août 2023, Mme [O] a sollicité la condamnation de la BPALC à lui payer les sommes qu'elle réclame à titre de dommages et intérêts pour soutien abusif du débiteur principal voire pour faillite à son obligation de mise en garde. Cette prétention est recevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Il s'agit d'une demande reconventionnelle recevable en application de l'article 567 du code de procédure civile.
Enfin le fait que la demande ne soit pas chiffrée n'est pas une cause d'irrecevabilité de la demande au sens de l'article 122 du code de procédure civile, et il est observé que le montant réclamé par Mme [O] est déterminable puisqu'il correspond au montant de la condamnation prononcée contre elle résultant de l'arrêt.
II- Au fond
1- Sur le caractère disproportionné des engagements de caution
En application de l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur à la date de conclusion du cautionnement litigieux, devenu article L. 332-1 du même code, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution, qui l'invoque, de rapporter la preuve de l'existence de la disproportion manifeste de son engagement au moment de la conclusion de celui-ci.
La disproportion à la date de l'engagement s'apprécie au regard de l'ensemble des engagements souscrits par la caution d'une part, de tous les éléments de son patrimoine ainsi que de ses revenus d'autre part. Si ne peuvent être pris en considération les revenus escomptés de l'opération garantie pour apprécier la disproportion du cautionnement au moment où il a été souscrit, il doit, en revanche, être tenu compte des revenus réguliers perçus par la caution jusqu'à la date de son engagement, quand bien même ceux-ci proviendraient de la société dont les engagements sont garantis par le cautionnement.
La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, correspondant en l'espèce aux mensualités du prêt, mais à son propre engagement.
Elle est caractérisée lorsque la caution était dans l'impossibilité de faire face à son engagement.
Concernant l'engagement de caution du 29 octobre 2015 d'un montant de 9 000 euros
Mme [O] ne conteste pas l'indication de la Banque selon laquelle elle était propriétaire du fonds de commerce exploité par la SARL Framboise Boutique à la date du 29 octobre 2015, ne produit aucune pièce pour le démentir, et n'établit pas la valeur de son fonds.
Par ailleurs elle n'allègue et ne démontre aucun endettement ou engagement de caution antérieur. Dès lors elle ne démontre pas que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus à la date auquel il a été souscrit. Dès lors, elle ne peut pas être déchargée de son engagement en application du texte précité. Le jugement est confirmé en ce qu'il rejette sa demande de décharge à ce titre.
Concernant l'engagement de caution du 17 avril 2019 d'un montant de 19 500 euros
Il incombe à Mme [O] de rapporter la preuve de sa situation patrimoniale et de ses revenus à la date du 17 avril 2019.
Alors que la fiche de renseignement signée le 4 novembre 2015 indique que Mme [O] était à l'époque propriétaire du fonds de commerce exploité par la SARL Framboise Boutique, celle signée le 2 mai 2019 annexée à la pièce 8 de la BPALC ne l'indique plus, et n'indique aucun bien patrimonial, mobilier ou immobilier. La fiche du 2 mai 2019 étant contemporaine de l'engagement du 17 avril 2019, il est établi que Mme [O] n'avait aucun patrimoine lors de ce deuxième engagement.
Un bulletin de paie de Mme [O] annexé à la fiche de renseignement produite en pièce 8 devant la cour par la BPALC indique un salaire net à payer de 372 euros au mois d'avril 2019, et un salaire net imposable cumulé de 1604 euros depuis le début de l'année, soit un salaire mensuel net imposable moyen de 401 euros.
De plus l'avis d'imposition sur les revenus de 2019 édité en 2020 indique un salaire net imposable de 4 812 euros, soit 401 euros par mois pour Mme [O]. Il est ainsi établi que les renseignements portés sur la fiche de dialogue du mois de mai 2018, un an avant l'engagement litigieux, n'étaient plus d'actualité s'agissant des revenus de Mme [O].
Par ailleurs Mme [O] démontre que M. [S] [G], son concubin, percevait à l'époque 51,08 euros par jour de Pole Emploi, ce qui explique le virement de 1532,40 euros de Pole Emploi perçu au crédit du compte joint du couple le 2 juillet 2018 (51,08 x 30 = 1532,40).
Si le relevé de compte joint BPALC au 31 juillet 2018 indique que Mme [O] détenait un compte personnel à son nom à partir duquel elle a opéré 4 virements dans le mois de juillet totalisant 1300 euros pour créditer le compte joint, la fiche de renseignement du 2 mai 2019, 15 jours après l'engagement litigieux, n'indique aucune épargne à l'époque.
A la date du 17 avril 2019 le capital restant dû du prêt du 29 octobre 2015 cautionné par Mme [O] représentait 6093,21 euros, ainsi qu'il ressort du tableau d'amortissement du crédit et de l'examen des lettres d'information annuelles (pièces 1 et 9 de la BPALC).
L'acte de cautionnement du 17 avril 2019 portait les engagements financiers à plus de 25 500 euros, ce qui était manifestement disproportionné compte tenu des faibles revenus personnels et de l'absence de patrimoine pour Mme [O] à cette date.
La caution a été appelée à la date de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer, par acte d'huissier du 4 juin 2021. La BPALC ne démontre pas que son patrimoine lui permettait de faire face à son obligation d'un montant de 14 193,38 euros à cette date. Aucun élément concernant le patrimoine de la caution à cette date n'est produit par la banque. Le fait que Mme [O] a opéré un versement de 18 634,46 euros en exécution du jugement le 3 juillet 2023, ainsi qu'il ressort d'une lettre du 12 février 2024 de M. [P], commissaire de justice, n'établit pas la consistance du patrimoine de Mme [O] à la date à laquelle elle a été appelée, le 4 juin 2021, plus de deux ans avant.
En conséquence la banque ne peut se prévaloir de l'engagement de caution du 17 avril 2019 et sa demande en paiement à ce titre sera rejetée. Le jugement est infirmé sur ce point.
2- Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts
S'agissant de l'engagement de caution du 29 octobre 2015
Sur le fondement d'un manquement au devoir de mise en garde
La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution, ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 15 novembre 2017, pourvoi n° 16-16.790, Bull. 2017, IV, n° 149) ;
Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de gérant. Le caractère averti ou non de la caution s'apprécie au regard de son expérience professionnelle et de sa connaissance ou méconnaissance des techniques financières et bancaires lui permettant de mesurer les risques encourus à l'occasion de l'engagement de caution litigieux.
En l'espèce le seul fait que Mme [O] était gérante de la SARL Framboise Boutique et qu'elle assurait les différents types d'actes de gestion de cette société ne suffit pas à considérer qu'elle était apte à mesurer les risques encourus à l'occasion de l'engagement de caution du 29 octobre 2015. Il n'est pas allégué qu'elle s'était engagée précédemment en qualité de caution, et les différentes fiches de renseignement produites n'indiquent pas d'endettement personnel. Elle est donc considérée comme caution non avertie à l'occasion du premier engagement de caution du 29 octobre 2015.
Toutefois Mme [O] ne démontre pas que cet engagement était inadapté à ses capacités financières, ni à celles de l'emprunteur, étant observé qu'il se déduit des pièces produites par la BPALC que la SARL Framboise Boutique a remboursé régulièrement les 50 premières échéances du crédit sur 60 initialement prévues, de novembre 2015 jusqu'en décembre 2019, puis une échéance après avenant, le capital prêté à rembourser passant de 18 000 euros à 2747,74 euros au 29 novembre 2020. Dès lors la demande en dommages-intérêts pour manquement à une obligation de mise en garde s'agissant de ce premier engagement de caution doit être rejetée.
Sur le fondement d'un soutien abusif au crédit
Selon l'article L. 650-1 du Code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce régissent, dans le cas où le débiteur fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, les conditions dans lesquelles peut être recherchée la responsabilité d'un créancier en vue d'obtenir la réparation des préjudices subis du fait des concours consentis.
Mme [O] n'allègue aucune fraude, ni immixtion caractérisée dans la gestion de la SARL Framboise Boutique par la BPALC s'agissant du prêt du 29 octobre 2015, et n'allègue de faute qu'en ce qui concerne le prêt du 17 avril 2019. Elle ne prétend pas non plus que les garanties prises en contrepartie du prêt du 29 octobre 2015 étaient disproportionnées à celui-ci. De surcroît elle ne produit aucun élément de preuve de nature à démontrer une fraude ou immixtion de la part de la BPALC au sens de l'article L. 650-1 du code de commerce s'agissant de l'octroi de ce prêt du 29 octobre 2015.
Enfin le contrat de crédit du 29 octobre 2015 d'un montant de 18 000 euros prévoit d'une part la garantie à hauteur de 9 000 euros par Bpifrance moyennant une commission prélevée en une seule fois lors du déblocage du prêt, et d'autre part la caution personnelle de Mme [O] à hauteur de 9000 euros, et ces deux garanties couvrant le principal emprunté étaient proportionnées au concours consenti.
Dès lors les conditions de la responsabilité de la banque telles que prévues par l'article L. 650-1 du code de commerce ne sont pas réunies, et la demande en dommages-intérêts au titre du premier engagement de caution sur ce fondement doit être rejetée.
Sur l'engagement de caution du 17 avril 2019
La demande de la banque étant rejetée pour le second engagement de caution, Mme [O] ne subit aucun préjudice réparable au titre du second engagement souscrit le 17 avril 2019, de sorte que sa demande en dommages-intérêts doit être rejetée.
En définitive le jugement est confirmé en ce qu'il rejette les demandes en dommages-intérêts de Mme [O].
3- Sur le montant de la créance de la banque
La banque justifie du montant de sa créance au titre de l'engagement de caution du 29 octobre 2015 en produisant le contrat de crédit n°05814974 du même jour, l'acte de cautionnement, le tableau d'amortissement, la déclaration de créance en date du 16 décembre 2020 réceptionnée par le mandataire judiciaire le 21 décembre 2020, ainsi qu'un décompte de créance. En outre le montant de la créance tel que fixé par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Sarreguemines n'est pas spécifiquement discuté par Mme [O]. Il y a dès lors lieu de confirmer le jugement en ce qu'il la condamne à payer la somme de 1 952,68 euros au titre de l'engagement de caution du 29 octobre 2015 en garantie du prêt n°05814974, augmentée des intérêts au taux contractuel de 7% à compter du 30 juin 2021.
Le jugement comporte une simple erreur matérielle quant à la date de l'engagement de caution concerné, qui a été signé le 29 octobre 2015, et non pas le 4 novembre 2015. Il ne paraît pas opportun de se saisir d'office en vue d'une rectification ni de solliciter les observations des parties sur ce point, étant observé que le jugement a déjà été exécuté sans difficulté.
En application de l'article 1343-2 du code civil il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts qui étaient échus et impayés pour au moins une année entière, sur la période du 30 juin 2021 au complet paiement du 3 juillet 2023.
Par ailleurs, alors que le présent arrêt est confirmatif quant à la condamnation à payer la somme de 1 952,68 euros au titre de l'engagement de caution du 29 octobre 2015 en garantie du prêt n°05814974, augmentée des intérêts au taux contractuel de 7% à compter du 30 juin 2021, et que la BPALC souligne elle-même que cette somme a déjà été payée le 3 juillet 2023, il ne paraît pas nécessaire de rajouter que la condamnation est prononcée en deniers ou quittance.
4- Sur la demande de délais de paiement
Eu égard à la situation de la débitrice et aux besoins de la créancière il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de délais de paiement, étant notamment observé que Mme [O] a exécuté le jugement le 3 juillet 2023 en ayant réglé une somme de 18 634,46 euros, ainsi qu'il ressort d'une lettre de M. [P], commissaire de justice.
Le jugement est confirmé en ce qu'il rejette la demande de délai de paiement.
5- Sur les dépens et l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions du jugement statuant sur les dépens et indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance sont infirmées.
Chacune des parties succombe partiellement en ses prétentions, de sorte qu'il y a lieu de partager les dépens et de rejeter les demandes réciproques formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par Mme [J] [O] recevable ;
Confirme le jugement en ce qu'il a :
condamné Mme [O], au titre de son engagement de caution en date du 04 novembre 2015 à verser à la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne la somme de 1 952,68 euros au titre du prêt n°05814974, augmentée des intérêts au taux contractuel de 7% à compter du 30 juin 2021 ;
rejeté la demande de délai de paiement formée par Mme [O] ;
débouté les parties pour le surplus ;
Infirme le jugement en ce qu'il a :
condamné Mme [J] [O], au titre de son engagement de caution en date du 17 avril 2019, à verser à la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne la somme de 14 521,39 euros au titre du prêt n°05938635, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,90% à compter du 30 juin 2021 ;
condamné Mme [O] à verser à la SA BPALC la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné Mme [O] aux dépens ;
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,
Dit que la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne ne peut pas se prévaloir de l'engagement de caution du 17 avril 2019 de Mme [J] [O] en garantie du prêt n°05938635 ;
Rejette en conséquence la demande de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne tendant à la condamnation de Mme [J] [O], en vertu de son engagement de caution en date du 17 avril 2019, à verser à la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne la somme de 14 521,39 euros au titre du prêt n°05938635, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,90% à compter du 30 juin 2021 ;
Condamne Mme [J] [O] à supporter la moitié des dépens de première instance et condamne la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à supporter l'autre moitié des dépens de première instance ;
Rejette les demandes des parties en indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
Y ajoutant,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus sur la somme de 1 952,68 euros précités qui étaient échus et impayés pour au moins une année entière entre le 30 juin 2021 et le 3 juillet 2023 ;
Condamne Mme [J] [O] à supporter la moitié des dépens d'appel et condamne la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à supporter l'autre moitié des dépens d'appel;
Rejette les demandes des parties en indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.