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Décisions

CA Douai, ch. 1 sect. 1, 24 avril 2025, n° 22/00834

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 22/00834

24 avril 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 24/04/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/00834 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UDU2

Jugement (N° 19/04479)

rendu le 11 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer

APPELANT

Monsieur [S] [J]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 11]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 14]

représenté par Me Francis Dupont, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

SELARL [7]

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Laure Warembourg, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Marine Guillemin, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 03 octobre 2024, tenue par Céline Miller, magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 avril 2025 après prorogation du délibéré en date du 13 février 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président en remplacement de Bruno Poupet, président empêché et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 septembre 2024

****

[S] [J] était biologiste médical et actionnaire de la société d'exercice libéral à forme anonyme ([13]) [5], au capital social de 947 430 euros divisé en 55 635 actions, dont le siège social se situait [Adresse 4] à [Localité 14] (Nord), exploitant un laboratoire de biologie médicale comptant cinq sites répartis sur le territoire du Hainaut-Cambrésis (Nord).

Lors d'une assemblée générale extraordinaire en date du 3 octobre 2017, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) [7], au capital social de 7 241 046 euros divisé en 44 574 parts sociales, dont le siège social est situé à [Localité 9] (Pas-de-Calais) et exploitant un laboratoire de biologie médicale comportant 31 sites sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais, a procédé à la fusion par voie d'absorption de la société [5] avec effet rétroactif comptable et fiscal au 1er janvier 2017.

Cette opération visait à constituer un groupe plus important pour rationaliser l'organisation opérationnelle de l'activité et générer d'importantes synergies, en conformité avec les textes législatifs et réglementaires de la profession.

M. [S] [J], qui s'était opposé à la fusion lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société [5] du 14 octobre 2016 et a été débouté de son action en annulation de cette opération par jugement du tribunal de grande instance de Valenciennes du 16 février 2017, a perçu 2 166 parts de la nouvelle entité, devenue la Selarl [7] ('la société [7]'), en échange de ses actions de la société [5].

Alors qu'il était auparavant gérant et associé de la société [5], il est resté uniquement biologiste médical associé de la société [7] et percevait, en sa qualité d'associé, des dividendes décidés chaque année par l'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes. Il bénéficiait, en outre, d'une rémunération relevant fiscalement et socialement de la catégorie des travailleurs non salariés de 200 000 euros par an, versée mensuellement à hauteur de 16'666,66 euros, au titre de ses activités libérales de biologiste médical.

Le 8 novembre 2018, l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société [7] a décidé de réduire la rémunération brute de M. [J] de 20 % pour, selon elle, tenir compte d'une activité professionnelle réduite de celui-ci. Aucune rémunération n'a donc été versée à l'intéressé en novembre et décembre 2018 et sa rémunération a été réduite à 13 333,33 euros par mois à compter de janvier 2019.

Par acte d'huissier du 21 juin 2019, M. [J] a fait assigner la société [7] devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer aux fins d'obtenir, notamment, l'annulation des résolutions n° 23 et 16 de l'assemblée générale extraordinaire des associés de cette société tenue le 3 octobre 2017, ainsi que l'annulation de la résolution n° 11 de l'assemblée générale extraordinaire du 8 novembre 2018 et la condamnation de la société à lui verser la somme de 53'333,33 euros au titre de sa rémunération fonctionnelle mensuelle du 1er novembre 2018 au 30 juin 2019.

Par jugement du 8 juin 2021, M. [J] a été débouté de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société [7].

Par arrêt partiellement infirmatif du 14 septembre 2023, la cour d'appel de céans a condamné la Selarl [7] à payer à M. [S] [J] la somme de 27'500 euros au titre de sa rémunération des mois de novembre et décembre 2018.

**

Parallèlement, par délibération du 27 juin 2019, l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société [7] a décidé de l'exclusion à effet immédiat de M. [J] pour contravention à ses règles de fonctionnement.

Par courrier du 12 septembre 2019, la société [7] a notifié à M. [J] la perte de sa qualité d'associé et, en conséquence, l'a informé mettre un terme à sa faculté d'exercice au sein de la structure. La somme de 1 887 257,40 euros lui a été réglée au titre du remboursement de ses parts sociales, déduction faite de son droit à dividendes de 124 956,60 euros effectivement payé le 15 juillet 2019, correspondant à une valeur de rachat de 929 euros par part, coupon attaché.

Par acte d'huissier du 29 novembre 2019, M. [J] a fait assigner la société [7] devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir reconnaître le caractère abusif et non fondé de son exclusion, de la voir condamner en conséquence à lui payer la somme de 1'400 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée de son activité libérale au sein du laboratoire, celle de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et celle de 1'462'938 euros en réparation de son préjudice financier résultant de la privation de ses droits à l'augmentation de la valeur de sa participation, de surseoir à statuer sur sa demande au titre du prix des parts jusqu'au dépôt du rapport de l'expertise devant être ordonnée par le président du tribunal en application des dispositions de l'article 1843-4 du code civil et de condamner la société [7] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Parallèlement, M. [J] a obtenu la désignation, par ordonnance du 8 janvier 2020 rendue par le président du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer statuant en la forme des référés, d'un expert judiciaire aux fins de déterminer la valeur des parts sociales.

M. [B] [F] a déposé son rapport d'expertise le 31 mars 2021.

Par jugement du 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a :

- débouté le demandeur de ses demandes :

- d'annulation des 16ème et 23ème résolutions de l'assemblée générale extraordinaire du 3 octobre 2017,

- tendant à voir dire que son exclusion de la société [7] était abusive et vexatoire,

- de dommages et intérêts pour rupture anticipée de son activité libérale, pour perte de chance, pour privation de ses droits à augmentation de la valeur de sa participation, et pour préjudice moral,

- fixé le prix de cession de ses parts sociales à 1 257 euros par part,

- condamné la société [7] à lui verser la somme de 710 448 euros représentant le complément de prix (de ses parts), avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- débouté M. [J] de sa demande d'actualisation (du prix de ses parts) et d'expertise à cette fin,

- condamné M. [J] et la société [7] à prendre en charge chacun la moitié des dépens, en ce compris les frais d'expertise,

- débouté les parties de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

M. [J] a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions remises le 4 janvier 2023, demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a débouté de ses demandes tendant à voir reconnaître le caractère abusif et vexatoire de son exclusion de la société [7] et de ses demandes indemnitaires corrélatives, a condamné la société [7] à lui payer le complément de prix avec intérêts au taux légal à compter du jugement, soit le 11 janvier 2022, l'a débouté de sa demande d'actualisation et d'expertise à cette fin, l'a condamné avec la société [7] à prendre en charge chacun la moitié des dépens, en ce compris les frais d'expertise et débouté les parties de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau, de :

- condamner la société [7] à lui verser les sommes suivantes :

* 370 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier lié à l'exclusion abusive de son activité libérale au sein du laboratoire de biologie médicale exploité par l'intimée,

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de son exclusion abusive et, conséquemment, de la rupture abusive et vexatoire de son activité libérale au sein du laboratoire de biologie médicale exploité par l'intimée,

* 710 448 euros au titre du complément de prix de cession de ses parts sociales, avec intérêts au taux légal applicable à une personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels à compter du 28 novembre 2019, et capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil,

- juger bien fondée sa demande d'actualisation du prix de cession de ses parts sociales, le fixer à la somme de 3 096,75 euros par part, fixer en conséquence le prix de cession à la date de l'arrêt à intervenir à la somme de 6 707 560,50 euros et condamner, en conséquence, la société intimée à lui payer, au titre du solde du prix de cession, la somme de 3 984 898,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2019 et capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil ;

Subsidiairement, si la cour estimait ne pas disposer des éléments lui permettant de fixer le prix de cession actualisé de ses parts sociales :

- surseoir à statuer sur cette demande d'actualisation et confier l'actualisation du prix de cession desdites parts à l'expert [F] qui retiendra un prix de cession à la date de clôture de son rapport d'actualisation,

- surseoir à statuer sur sa demande tendant à la condamnation de la société intimée à lui payer la différence entre l'évaluation du prix de cession de ses parts au 27 juin 2019 et celle qui résultera de l'actualisation du rapport de l'expert [F], déduction faite des acomptes perçus à hauteur de la somme globale de 2 722 662 euros,

Sur l'appel incident de la société [7], il demande à la cour, s'il ne devait pas être fait droit à son propre appel principal, de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- jugé que ses 2 166 parts sociales devaient être évaluées selon la méthode 'valeur de marché des titres',

- jugé que le prix desdites parts devait en conséquence être fixé à la somme de 2 722 662 euros,

- condamné la société [7] à lui payer la somme de 710 448 euros représentant le complément de prix de rachat de ses parts avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil,

en conséquence, de :

- débouter la société intimée de sa demande incidente tendant à le voir condamner à lui rembourser la somme de 710 448 euros à titre de complément de prix, et 4 879,80 euros au titre des intérêts,

en tout état de cause, de :

- condamner la société intimée, outre aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, tant du rapport déposé le 31 mars 2021 par l'expert [F], que ceux afférents à l'actualisation de ce rapport, à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 13 juillet 2022, la société [7] demande à la cour, au visa des articles 1843-4 et 1231-7 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'appelant de ses demandes :

- d'annulation des 16ème et 23ème résolutions de l'assemblée générale extraordinaire du 3 octobre 2017,

- tendant à voir dire que son exclusion de la société [7] était abusive et vexatoire,

- de dommages et intérêts pour rupture anticipée de son activité libérale, pour perte de chance, pour privation de ses droits à augmentation de la valeur de la participation et pour préjudice moral,

- d'actualisation du prix de cession et d'expertise à cette fin,

mais de l'infirmer en ce qu'il a :

- fixé le prix de cession des parts sociales de l'appelant à 1 257 euros par part,

- l'a condamnée à payer à ce dernier la somme de 710 448 euros représentant le complément de prix avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- les a condamnés, chacun, à la moitié des dépens, en ce compris les frais d'expertise,

- débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau, de :

- juger qu'en application de l'article 1843-3 du code civil, les 2 166 parts sociales de l'appelant doivent être évaluées selon la méthode prévue dans les statuts de la société,

- juger que le prix desdites parts doit, en conséquence, être fixé à la somme de 2 012 214 euros en application de la méthode susmentionnée,

- constater que ce prix a déjà été intégralement payé à l'appelant,

- condamner ce dernier à lui rembourser les sommes de 710 448 euros, à titre de complément de prix, et de 4 879,80 euros, au titre des intérêts, qu'il a reçues dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement déféré, avec intérêts au taux légal à compter du paiement,

- condamner l'appelant, outre aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de préciser que la décision entreprise n'est pas contestée en ce qu'elle a débouté M. [J] de ses demandes d'annulation des 16ème et 23ème résolutions de l'assemblée extraordinaire des associés de la société [7] du 3 octobre 2017, sur lesquelles il convient au demeurant de relever que la cour de céans a déjà statué dans son arrêt du 14 septembre 2023 précité.

Cette disposition, désormais irrévocable, ne sera donc pas évoquée.

Sur la nature des relations entre M. [J] et la Selarl [7]

Aux termes de l'article 1134 du code civil, recodifié aux articles 1103 et 1104 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1832 du même code dispose que la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

Il résulte des statuts de la société [7] actualisés au 28 juin 2018 que celle-ci est une société d'exercice libéral à responsabilité limitée régie par la loi n° 90-1258 du 31décembre 1990 en application de l'article L.6223-1 3° du code de la santé publique dans sa rédaction applicable au litige, et par le code de commerce, dont l'objet est l'exploitation en commun d'un laboratoire de biologie médicale implanté sur un ou plusieurs sites.

Lors d'une assemblée générale extraordinaire en date du 3 octobre 2017, cette société, anciennement dénommée [7], a procédé à la fusion par voie d'absorption de la société dénommée [5], avec effet rétroactif comptable et fiscal au 1er janvier 2017, à l'augmentation de son capital social, à l'attribution aux anciens associés de la société [5], dont M. [J], des nouvelles parts sociales ainsi créées et à leur agrément en qualité de nouveaux associés.

Si M. [S] [J] prétend qu'il exerçait son activité de biologiste au sein de la société [7] en vertu d'un contrat d'exercice libéral antérieur à la fusion-absorption qui aurait été transmis à cette société par la société [5], c'est à juste titre que le premier juge a considéré qu'en application de l'article 1315 du code civil, il lui appartenait de rapporter la preuve de l'existence d'un tel contrat, lequel, en vertu de l'article 18 de la loi n°2005-882 du 2 août 2005, devait être écrit, ce qu'il ne faisait pas, ne justifiant pas de son existence et encore moins de son contenu, et notamment des modalités selon lesquelles sa rémunération serait fixée et, en contrepartie, de la nature de ses obligations professionnelles.

Ainsi, M. [J], dont il n'est pas contesté qu'il avait le statut d'associé gérant de la société [5], ne produit aucun contrat écrit relatif à l'exercice de son activité de biologiste médical au sein de cette société cependant qu'il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société [7] du 3 octobre 2017 précitée que la collectivité des associés a décidé, en sa neuvième résolution, de désigner M.'[S] [J], en conséquence de la réalisation définitive de la fusion-absorption, en qualité de 'biologiste médical associé exerçant son activité professionnelle au sein du laboratoire de biologie médicale' exploité par cette société, pour une durée indéterminée et qu'elle a, en sa seizième résolution, précisé les modalités de rémunération et de temps de travail applicables aux biologistes médicaux associés.

C'est donc à juste titre que le premier juge, ayant constaté au vu des éléments produits que M.'[J] n'avait jamais exercé sa profession dans le cadre d'une activité salariée ou de collaborateur libéral, en a déduit qu'il exerçait sa profession en sa qualité d'associé d'une société d'exercice libéral.

Si M. [J] n'était pas présent lors de l'assemblée générale ayant décidé de la fusion dès lors qu'il n'était pas encore associé lorsque les convocations ont été envoyées, il n'en demeure pas moins qu'il a accepté ces dispositions puisqu'il a travaillé au sein de la société [7] et perçu sa rémunération, laquelle était d'ailleurs supérieure à celle qu'il percevait en qualité d'associé de [5].

Enfin, il convient de rappeler que par arrêt du 14 septembre 2023, la cour de céans a confirmé le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer le 8 juin 2021 en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande d'annulation de la 23ème résolution de cette assemblée, laquelle dispose que 'la propriété d'une part emporte de plein droit adhésion aux statuts de la société et aux décisions collectives des associés (...)' et qu'en outre, 'la qualité d'associé de la société emporte de plein droit adhésion au règlement intérieur et au gentlemen agreement applicable aux associés de la société.'

C'est donc à juste titre que le premier juge a indiqué que M. [J] était soumis, à défaut de preuve de l'existence d'un autre document contractuel, aux statuts de la société et au règlement intérieur de celle-ci, applicable à tout détenteur de parts sociales.

Sur l'exclusion de M. [J] de la société [7]

M. [J] demande à la cour de juger que son exclusion de la société [7], ordonnée par délibération de l'assemblée générale des associés en date du 27 juin 2019 en application de l'article 14.2 des statuts, pour manquement 'aux règles de fonctionnement de la société', est non fondée et abusive. S'appuyant sur les articles 1231 et suivants du code civil, il soutient qu'en décidant ainsi de son exclusion alors que les manquements qui pouvaient lui être reprochés, à les supposer établis, ne présentaient en tout état de cause pas un caractère de gravité suffisante, la société [7] a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard et lui a causé un préjudice tant financier que moral

La Selarl [7], qui sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [J] tendant à reconnaître le caractère injustifié de son exclusion et à obtenir des dommages et intérêts, soutient que l'exclusion litigieuse repose sur des motifs sérieux, exposés dans le rapport de gérance présenté à l'assemblée générale des associés, à savoir : le non-respect des règles de fonctionnement et de mise en place des plannings, la mésentente caractérisée avec l'ensemble de ses confrères et collaborateurs, l'absence de démarche spontanée pour l'adaptation de sa rémunération à son activité effective, la non-réalisation des activités de routine, l'adoption d'un comportement déloyal et la perte de tout affectio societatis.

Sur ce

Vu les articles 1103 et 1104 précités du code civil,

L'article 1231-1 du même code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Aux termes de l'article R.6223-66 du code de la santé publique, 'l'associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral mentionnée à l'article R6223-62 peut en être exclu :

1° Lorsqu'il est frappé d'une mesure disciplinaire entraînant une interdiction d'exercice ou du droit de donner des soins aux assurés sociaux, égale ou supérieure à trois mois ;

2° Lorsqu'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société. (passage souligné par la cour)

Cette exclusion est décidée par les associés, statuant à la majorité renforcée prévue par les statuts, calculée en excluant, outre l'intéressé, les associés ayant fait l'objet d'une sanction pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, l'unanimité des autres associés exerçant au sein de la société et habilités à se prononcer en l'espèce devant être recueillie.

Aucune décision d'exclusion ne peut être prise si l'associé n'a pas été régulièrement convoqué à l'assemblée générale, quinze jours au moins avant la date prévue et par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, et s'il n'a pas été mis à même de présenter sa défense sur les faits précis qui lui sont reprochés.

Les parts ou actions de l'associé exclu sont soit achetées par un acquéreur agréé par les associés subsistants, soit achetées par la société, qui réduit alors son capital.

A défaut d'accord sur le prix de cession des titres ou sur leur valeur de rachat, il est recouru à la procédure de l'article 1843-4 du code civil.'

L'article 14.2 des statuts de la société [7] actualisés au 28 juin 2018 stipule que : 'L'associé exerçant au sein de la société pourra en être exclu s'il est frappé d'une mesure entraînant l'interdiction temporaire d'exercer ou de dispenser des soins aux assurés sociaux pour une durée supérieure à trois mois, ou s'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société, en ce compris les dispositions des présents statuts et/ou les dispositions du règlement intérieur des associés de la société et/ou les dispositions du gentlemen agreement' (passage souligné par la cour) ; qu''aucune décision d'exclusion ne peut être prise si l'associé n'a pas été régulièrement convoqué à l'assemblée appelée à statuer sur son exclusion, et mis à même de présenter sa défense'. S'ensuit le rappel des dispositions de l'article R.6223-66 précité sur les modalités du vote des associés.

Par ailleurs, en vertu de l'article 2 de ces statuts, 'la société a pour objet l'exploitation d'un laboratoire de biologie médicale implanté sur un ou plusieurs sites ainsi que toutes opérations nécessaires à cette exploitation et, généralement toutes opérations, de quelque nature qu'elles soient, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet spécifié ci-dessus ou de nature à en favoriser le développement dans le respect de la règlementation en vigueur sur la profession'.(passage souligné par la cour)

L'article 9, II, alinéa 3 de ces statuts rappelle que 'la propriété d'une part emporte de plein droit adhésion aux statuts de la société et aux décisions collectives des associés et, par voie de conséquence, aux modalités de détermination de la valorisation annuelle des titres composant le capital de la société en cas de cession de titre. En outre, la qualité d'associé emporte de plein droit adhésion au règlement intérieur et au gentlemen agreement applicable aux associés de la société.'(passage souligné par la cour)

Il s'ensuit que les règles de fonctionnement devant être respectées par les associés professionnels exerçant au sein de la société [7] sont définies par référence aux dispositions légales applicables aux sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée, énoncées notamment dans le code de la santé publique, mais également au droit de la biologie médicale inclus dans ce code, aux statuts et au règlement intérieur de la société.

Le règlement intérieur des associés de la société [7], adopté le 16 janvier 2012, opposable à l'ensemble des associés après la fusion en application de la 23ème résolution de l'assemblée générale extraordinaire de la société [7] du 3 octobre 2017 , dont le contenu est repris par l'article 9, II, alinéa 3 des statuts susvisé, stipule :

- en son article 1er, que 'Chaque biologiste en exercice au sein de la société assure, sous sa propre et entière responsabilité, toutes les fonctions prévues par la loi et les règles applicables à la profession de biologiste médical et de biologiste-coresponsable, au sens de l'article L6213-7 du code de la santé publique, au sein du laboratoire de biologie médicale exploité par la société. Il est toutefois précisé, à titre spécifiquement interne, sans que cela puisse être opposé aux tiers, que chaque biologiste, en fonction de son expérience, de sa spécialité et de ses vocations, pourra et devra assister chacun de ses autres confrères' ;

- en son article 2, que 'La rémunération brute annuelle d'un biologiste exerçant son activité à temps plein ne saurait être inférieure à 110 000 euros. Il est expressément convenu entre les parties que la rémunération ainsi votée correspondra à l'exercice d'une activité à temps plein, définie comme un temps de travail de 9 heures par jour et de 4 jours par semaine, nonobstant l'activité professionnelle complémentaire des biologistes intervenant le samedi et lors des gardes et astreintes réparties au prorata du temps de travail de chaque biologiste' ;

- en son article 5.1, que 'Les journées de repos seront réparties entre les biologistes au prorata de leur temps de travail et de manière équilibrée, afin de ne pas perturber le fonctionnement du laboratoire de biologie médicale exploité par la société. A cet effet, un planning sera établi au plus tard le 15 de chaque mois pour le mois suivant par le C.P.R.H.' ;

- en son article 5.2, que 'les biologistes bénéficient de sept semaines de congés dans l'année, à prendre au minimum en trois fois, de sorte que ces congés ne puissent excéder trois semaines consécutives. La répartition des congés entre les biologistes veillera à ne pas perturber le fonctionnement du laboratoire de biologie médicale exploité par la société. A cet effet, un planning sera établi deux fois par an et entériné par le [8]'

- en son article 5.4, que 'Les biologistes s'engagent à assurer les gardes et les urgences suivant un ordre établi d'un commun accord entre eux au début de chaque trimestre et dans un ordre équitable. Les gardes et les urgences assurées par les biologistes ne seront pas rémunérées.'

- en son article 9, que 'les parties signataires du présent réglement s'engagent à toujours se comporter l'une envers l'autre comme des partenaires loyaux et de bonne foi et à exécuter toutes les conventions y figurant dans cet esprit.'

(passages soulignés par la cour)

Il résulte de ces dispositions que les biologistes associés travaillant au sein du laboratoire sur la base d'un temps plein, à l'instar de M. [J], s'engageaient à effectuer 4 jours de 9 heures de travail par semaine, en ce non compris les gardes et astreintes obligatoires, les journées de repos devant être réparties au prorata du temps de travail de chacun et de manière équilibrée selon un planning établi à l'avance, de même que les congés, de manière à ne pas perturber le fonctionnement du laboratoire.

* L'assemblée générale extraordinaire des associés, réunie le 27 juin 2019 après avoir régulièrement été convoquée, a voté à l'unanimité des associés présents, à l'exception de M.'[J], non votant, la résolution prononçant l'exclusion à effet immédiat de celui-ci après qu'eurent été exposés les griefs retenus par le rapport adressé par la gérance aux associés, aux termes desquels il était reproché à M. [J] d'adopter 'un comportement contraire à l'intérêt social et manifestant sa volonté de s'affranchir de toute contrainte liée à la qualité d'associé, particulièrement :

- en s'affranchissant des règles d'organisation et de mise en place des plannings des sites du Hainaut, où M. [J] intervient, notamment en transmettant ses plannings unilatéralement, sans concertation avec ses confrères, avec pour effet :

. de désorganiser de manière régulière ces sites, obligeant ses confrères/associés à modifier leurs propres plannings pour pallier les conséquences de ses décisions unilatérales,

. d'engendrer des graves perturbations des services de ces sites au détriment de l'activité de la société ainsi que de la permanence et de la continuité des soins, soit donc de la prise en charge des patients,

- en entretenant une mésentente permanente avec ses confrères/associés ainsi qu'avec les membres du personnel des sites au détriment de la cohésion des équipes,

- en s'abstenant de solliciter l'adaptation de sa rémunération correspondant à une activité à temps plein au fait avéré que son activité effective est significativement inférieure au temps plein prévu par le règlement intérieur des associés de la société, établi au fins de maintien de la permanence des soins,

- en ne réalisant pas son activité de routine, en s'absentant durant ses permanences et en validant tardivement les résultats d'analyse au détriment de :

. l'organisation des sites du pôle Hainaut,

. la prise en charge des patients,

. l'image et la réputation de la société et du laboratoire de biologie médicale qu'elle exploite,

- en adoptant un comportement déloyal et contraire aux intérêts de la société, notamment en :

. proposant à des biologistes concurrents du groupe [6] et notamment à Mme [H] [V] de s'installer dans les locaux de [Localité 14] déjà occupés par la société,

. effectuant un audit Cofrac les 21, 22 et 23 novembre 2018 à [Localité 10] alors qu'il était en arrêt maladie vis-à-vis de la société et de ses confrères/associés,

- en perdant tout affectio societatis dans la société puisque :

. son comportement face à la nécessaire organisation des services du [12] démontre son absence de volonté de s'investir dans l'activité collective de la société et du laboratoire de biologie médicale qu'elle exploite,

. il agit à l'encontre des intérêts de la société comme le démontrent les faits développés ci-avant,

. il s'abstient de participer aux assemblées et décisions de la société.'

La régularité de la procédure d'exclusion au regard des dispositions de l'article R.6223-66 du code de la santé publique et de l'article 14.2 des statuts n'étant plus contestée en appel, il convient d'en examiner exclusivement le bien-fondé, étant observé qu'il appartient à la société [7] d'établir la preuve de la réalité des griefs allégués, la cour devant s'attacher à déterminer si ces griefs, à les supposer établis, présentent un caractère suffisamment sérieux pour justifier l'exclusion de l'associé ou s'ils caractérisent un abus, de la part de la société, de son droit de faire usage de la clause d'exclusion.

A cet égard, il résulte des échanges de courriers et courriels versés aux débats qu'après la fusion de sa société [5] avec la société [7], à laquelle il s'était vainement opposé, M. [J] est rapidement entré en conflit avec les associés-gérants de la nouvelle entité, refusant qu'un nouveau mode d'organisation lui soit imposé pour le pôle Hainaut.

Ainsi, par un courrier du 9 août 2018, M. [J] s'est vu informé par M. [O], co-gérant de la société [7], de la modification prochaine des règles d'organisation des établissements dépendant de ce pôle à la suite de difficultés rencontrées sur les sites concernés et a été invité à participer à une réunion devant se tenir à cette fin le 3 septembre suivant, son correspondant soulignant avoir été informé à plusieurs reprises de ce qu'il ne respectait peut-être pas complètement les plannings précédents, ce qui était de nature à nuire à l'efficacité de l'organisation de la société et de ses activités, et lui rappelant la nécessité, en tant qu'associé, de respecter les règles de fonctionnement mises en place, tout en lui joignant copie des statuts, du règlement intérieur et du gentlemen's agreement de la société.

Dans son courrier en réponse du 17 août suivant, M. [J] rétorque : 'vous n'êtes pas sans savoir qu'un contrat n'engage que ceux qui l'ont signé. Je ne pense pas avoir signé le règlement intérieur de la société [7]. J'exerce ma profession dans le respect des usages issus de la société [5] et des droits acquis à ce titre : par l'effet de la fusion, les droits et devoirs des associés de [5] vis-à-vis de leur laboratoire ont été transférés à la société [7], tels qu'ils étaient. J'exerce par ailleurs ma profession en conformité avec les règles de bonne pratique professionnelle en conformité avec l'accréditation et avec notre déontologie professionnelle, qui garantit l'indépendance du biologiste médical dans son exercice professionnel. (...) Vous n'êtes pas sans savoir, non plus, que je suis en congés le 3 septembre 2018".

M. [J] n'ayant pas assisté à la réunion d'organisation des services du 3 septembre, une synthèse de celle-ci comportant l'énoncé des décisions prises, et notamment des règles d'organisation précises du travail, des plannings, des gardes et des congés des biologistes, lui a été adressée par courrier du 21 septembre suivant, avec un rappel de ses obligations au regard des statuts et du règlement, en ces termes : 'votre façon de vous planifier, en modifiant vos jours d'absences ou de présences la veille pour le lendemain, voire le matin même, n'est pas sans créer de gros problèmes organisationnels sur les sites du pôle Hainaut. Vos départs impromptus du laboratoire, alors que vous êtes indiqué présent, perturbent fortement le personnel qui ne sait plus comment faire face au mécontentement des patients, contraignant en outre vos confrères à devoir abandonner leur activité pour vous remplacer, sans aucune information de votre part.'

S'ensuit un échange de courriels tendus entre M. [J] et son confrère chargé de l'établissement des plannings, dans lesquel M. [J] s'oppose purement et simplement à ce que son planning soit établi par celui-ci, refuse de respecter un tel planning et affirme qu'il ne respectera que le planning établi par ses soins qu'il lui communique.

Il résulte par ailleurs des courriels d'employés du laboratoire, du constat d'huissier de justice réalisé le 26 septembre 2018 et des courriers adressés à M. [J] par les gérants de la société, ainsi que de l'enquête réalisée par le détective privé, M. [Z], le 26 novembre 2018, laquelle ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé dès lors qu'il appartient à la société [7] de rapporter la preuve du manquement de celui-ci à ses obligations professionnelles et que cette enquête se limite aux seules constatations relatives au temps de travail effectif de M. [J], que celui-ci ne respectait manifestement pas la durée de travail à temps plein telle que définie par le règlement intérieur de la société et rappelée par le procès-verbal de l'assemblée générale des associés du 3 octobre 2017, de 9 heures par jour à raison de 4 jours par semaine.

C'est dans ce contexte que, par courrier adressé le 1er octobre 2018 au comité de surveillance de la société [7] par les membres du comité de direction et les biologistes du groupe [12], et ainsi signé de neuf consoeurs et confrères de M. [J], ceux-ci se plaignent du refus de celui-ci de toute collaboration pour la gestion de l'activité quotidienne des sites du pôle ; de ce qu'il leur impose systématiquement son propre planning et les sites sur lesquels il se rend sans se préoccuper des besoins impérieux de l'activité biologique du pôle ; qu'il lui est arrivé à plusieurs reprises de modifier son planning sans aucune concertation, parfois le jour même, n'assumant ainsi pas certains rendez-vous prévus pour des prélèvements ; qu'il refuse régulièrement de participer à la routine de l'activité du site sur lequel il est présent ; qu'il arrive régulièrement avec plus d'une heure de retard après l'ouverture du site, alors que l'affluence des patients est importante, laissant les préleveurs du site dépassés par le volume d'activité ; que ses allées et venues entre le laboratoire et son domicile personnel ne permettent pas une gestion optimale du laboratoire ; de ce que, réfutant toute coordination, il n'assure pas le même nombre de jours d'activité et d'astreintes que ses confrères ; et enfin, qu'en conflit ouvert avec ceux du pôle Hainaut depuis plusieurs années, il dénigre le groupe auprès des patients et des salariés et entretient un climat suspicieux et délétère.

De même, par courrier adressé le 7 novembre 2018 à M. [O] en sa qualité de membre du comité de direction de la société, Mme [N], membre de la commission santé, sécurité et conditions de travail et déléguée syndicale, l'a alerté sur les remontées alarmantes de la part de secrétaires et préleveuses concernant M. [J], dont les retards occasionnent un mécontentement grandissant de la patientèle et, par conséquent, un stress important sur ces employées dont les conditions et la qualité de travail se dégradent.

Il convient enfin de relever que, dans sa décision précitée du 14 septembre 2023, la cour de céans a confirmé la décision rendue par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer du 9 juin 2021 en ce que celui-ci, ayant constaté que le temps de travail de M.'[J] était de l'ordre de 7 heures par jour, au lieu des 9 heures prévus pour un temps plein, et que son attitude avait contribué à une désorganisation du laboratoire, de son activité, et au mal-être des salariés, pris à partie par les patients insatisfaits du temps d'attente, ainsi qu'au mécontentement de certains patients, a considéré que l'assemblée générale des associés avait pu, indépendamment de l'existence d'une faute professionnelle qui serait imputable à l'intéressé, décider d'une réduction de la rémunération de celui-ci de 20%.

Outre qu'il est ainsi démontré que M. [J] refusait de coopérer à l'établissement des plannings et de respecter les plannings établis, tout en s'affranchissant des règles relatives au temps de travail applicables au sein de la société, et qu'il entretenait un climat délétère avec ses confrères au regard du ton qu'il employait dans les correspondances qu'il leur adressait, il s'avère qu'il a fait l'objet d'une plainte de la société [7] auprès du Conseil national de l'ordre des pharmaciens ayant donné lieu à une sanction disciplinaire notamment pour avoir tardé, lors d'une garde sur le site de [Localité 14] le 29 septembre 2018, à valider et transmettre les résultats d'une patiente diabétique, ayant entraîné l'hospitalisation en urgence de celle-ci le lendemain en soins intensifs. Si la sanction disciplinaire finalement prononcée en appel le 15 mars 2022 par la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a finalement été réduite de trois mois d'interdiction d'exercice professionnel à deux mois dont un avec sursis, il n'en reste pas moins que M. [J] a été reconnu coupable d'une faute de nature disciplinaire se rattachant à l'un des griefs énoncés à son encontre dans le cadre du rapport de gérance ayant motivé son exclusion.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les manquements de M. [J] au bon fonctionnement de la société sont avérés et suffisamment sérieux pour justifier son exclusion, sans qu'il soit besoin d'entrer dans le détail des autres griefs.

La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de M. [J] tendant à voir reconnaître le caractère abusif de son exclusion de la société et en ce qu'elle l'a débouté en conséquence de ses demandes indemnitaires.

Sur la valeur de cession des parts sociales

Les parties s'opposent sur la méthode de valorisation des parts à retenir, sur l'actualisation du prix de cession des parts demandé par M. [J] et sur le point de départ des intérêts au taux légal.

* Sur la méthode de valorisation

La société [7], qui sollicite l'infirmation de la décision entreprise en ce que celle-ci a fixé le prix de cession des parts sociales de M. [J] à la somme de 1 257 euros par part et en ce qu'elle l'a condamnée à payer à celui-ci la somme de 710 448 euros représentant le complément de prix, soutient qu'en vertu des statuts, la valorisation des titres est déterminée chaque année par l'expert-comptable de la société et que c'est cette méthode qui doit être retenue, l'expert judiciaire désigné étant tenu d'appliquer, en vertu de l'article 1843-4, alinéa 2 du code civil, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévue par les statuts.

M. [J] sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la valeur de marché suggérée par l'expert pour valoriser ses parts sociales et fait valoir à cet effet qu'en cas de désaccord sur le prix de cession des titres dans le cadre d'une exclusion, celui résultant de la détermination annuelle par l'expert comptable de la société ne peut être retenu et que l'expert désigné dans le cadre de l'article 1843-4 du code civil doit alors estimer les titres à valeur de marché, à défaut de méthode de valorisation s'imposant aux parties et à l'expert.

Sur ce

Selon l'article 14.2 des statuts de la société [7], 'en cas d'exclusion d'un associé, le prix de cession des titres sera déterminé conformément aux dispositions de l'article 10.III-IV des statuts ; en cas de désaccord, il sera déterminé conformément à celles de l'article 1843-4 du code civil.'

En vertu de l'article 10.IV des statuts, relatif aux modalités de détermination du prix de cession en cas de cession d'actions entre associés ou au profit de la société elle-même, 'chaque année, lors de la réunion d'une assemblée générale des associés statuant à la majorité des associés représentant les trois quarts des parts sociales composant le capital social de la société, la valorisation des titres composant le capital social de la société est approuvée.

La valorisation des titres composant le capital social de la société sera déterminée conformément à l'article 1592 du code civil par l'expert-comptable de la société, ou toute autre personne dûment habilitée à cet effet par la collectivité des associés statuant à la majorité visée à l'alinéa précédent.

La valorisation ainsi arrêtée sera retenue pour toute cession de titres de la société entre associés et/ou en cas de rachat de titres par la société intervenant à compter de ladite assemblée, et jusqu'à la prochain réunion de l'assemblée générale des associés appelée à statuer sur la valorisation des titres composant le capital social de la société.

Conformément à l'article 1592 du code civil, cette valorisation sera également celle retenue en cas d'exclusion d'un associé intervenant en application de l'article R6212-86 du code de la santé publique, ou en cas de cession de titres par les héritiers d'un associé décédé.

Dans l'hypothèse où la valorisation des titres de la société n'aurait pas été réalisée et que le prix de cession ne serait par conséquent ni déterminé ni déterminable le prix de cession serait fixé d'un commun accord entre les parties concernées ou, à défaut d'accord entre elles, par un expert désigné dans les conditions visées par l'article 1843-4 du code civil, à l'initiative de la partie la plus diligente.

(...) En cas d'impossibilité, pour l'expert, d'accepter sa mission, les autres dispositions de l'article 1843-4 s'appliqueront et l'expert sera désigné par ordonnance du président du tribunal compétent statuant en la forme des référés.'(passages soulignés par la cour)

Il résulte de l'article 1592 du code civil que le prix de vente peut être laissé à l'estimation d'un tiers.

L'article 1843-4 du code civil dispose par ailleurs que :

I. ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

Il est constant qu'il appartient au seul expert désigné de procéder à l'évaluation des droits sociaux, la juridiction ne pouvant y procéder elle-même (Civ. 1ère, 25 nov. 2003, n°01-10.395 P)'; qu'en se remettant, en cas de désaccord sur le prix de cession d'actions, à l'estimation d'un expert désigné conformément à l'article 1843-4 du code civil, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi et, à défaut d'erreur grossière, il n'appartient pas au juge, en modifiant le prix, d'imposer aux parties une convention différente de celle qu'elles avaient entendu établir (Com., 9 avril 1991, n°89-21.611).

Il résulte de la combinaison des textes et dispositions statutaires précités que :

- dans l'hypothèse de l'exclusion d'un associé, le prix de cession de ses parts doit en principe être fixé selon les modalités prévues par les statuts qui, eux-mêmes, renvoient à une fixation par un 'tiers', à savoir l'expert-comptable de la société ;

- cependant, les statuts ne prévoient pas de méthode de calcul pour le prix, laquelle est laissée à l'appréciation de l'expert-comptable ;

- à défaut d'accord sur le prix (tel que déterminé par l'expert-comptable et approuvé par l'assemblée générale des associés en application des statuts), la procédure applicable est celle définie par l'article 1843-4 du code civil qui prévoit la désignation d'un expert par les parties ou par le juge ;

- cet expert est alors 'tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.' (souligné par la cour)

Dès lors que les statuts se contentent de prévoir la détermination de la valeur par un tiers (à savoir l'expert comptable de la société) sans édicter de méthode de calcul, il s'en infère qu'en cas de désaccord sur le prix, l'expert désigné en vertu de l'article 1843-4 du code civil est libre quand au choix de la méthode à appliquer.

Or M. [F], expert désigné suivant la procédure prévue à l'article 1843-4 du code civil, conclut dans son rapport que 'dans l'hypothèse où la valeur des titres ne serait pas contrainte par le texte des statuts [ce qui est le cas], il convient de rechercher quelle aurait été la valeur de marché des titres rachetés par la société à M. [S] [J] lors de son exclusion, le 27 juin 2019".

Il ajoute dans sa synthèse que la valeur de marché au 27 juin 2019 de chacune des 2 166 parts détenues par M. [S] [J] et qui lui ont été rachetées au prix de 929 euros par décision de l'assemblée générale extraordinaire du 27 juin 2019 ressort à 1 257 euros, dividende attaché, soit pour les 2 166 parts, une valeur globale de 2 722 662 euros.

C'est dès lors à juste titre que le premier juge, relevant que l'expert avait indiqué sa méthode de calcul et qu'aucune des parties ne faisait état d'erreurs grossières qu'il aurait commises dans sa méthodologie et son calcul, a retenu la valorisation proposée par celui-ci en référence à la valeur de marché des titres, la cour y ajoutant qu'il n'appartient pas au juge de modifier la méthode retenue par l'expert, de sorte que les observations complémentaires de la société [7], sur l'absence de prise en compte par l'expert des opérations sur titre [7] similaires à celles de l'exclusion de M. [J], l'absence d'application par celui-ci d'une décote de minorité ou la nécessité de retenir une valorisation à partir d'un multiple d'Ebitda fixé à 10, sont inopérantes.

La décision entreprise sera donc confirmée sur ce point et la société [7] déboutée de son appel incident tendant à voir retenir la valorisation des parts sociales telle que déterminée annuellement par l'expert-comptable de la société et approuvée par l'assemblée générale des actionnaires, ainsi que de sa demande en remboursement des sommes par elle versées à M. [J] au titre du complément de prix de ses parts et des intérêts y afférents.

* Sur la demande d'actualisation du prix de cession des parts sociales

M. [J], qui sollicite l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a débouté de sa demande d'actualisation de la valeur de ses parts et d'expertise à cette fin, prétend que la valeur de cession de ses parts sociales doit être actualisée dès lors qu'il est de jurisprudence constante que la valeur des droits sociaux de l'assuré qui se retire ou est exclu doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits ; qu'en l'espèce, si son exclusion a été décidée le 29 juin 2019, il n'a pas été payé de l'intégralité de la valeur de ses droits. Il ajoute que s'il a exprimé son accord à l'expert pour une évaluation de ses parts à la date de rachat fixée au 27 juin 2019 par l'assemblée générale ayant voté son exclusion, il n'a pas pour autant renoncé à solliciter l'actualisation de cette évaluation à la date la plus proche du remboursement de la valeur de ses droits.

La société [7] s'y oppose, soutenant que c'est avec la plus grande mauvaise foi que M. [J] formule cette demande alors qu'il était d'accord, dans le cadre de l'expertise, pour une valorisation de ses parts à la date de son exclusion. Elle ajoute que M. [J] tente ainsi de tirer parti du travail accompli par la société [7] au cours des années 2020 et 2021 pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, auquel il n'a absolument pas contribué puisqu'il a été exclu mi-juin 2019.

Sur ce

Vu l'article 1843-4 du code civil précité ;

Il est constant que si les statuts ne précisent pas la date à laquelle la valeur des titres doit être déterminée, cette date est en principe fixée au jour le plus proche de la cession future (Cass. com., 16 sept. 2014, n°13-17.807 P).

L'expert est cependant tenu, en application du texte susvisé, d'appliquer, pour la détermination de la valeur des parts, toute convention liant les parties.

Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge, ayant constaté l'accord des parties exprimé devant l'expert sur une évaluation des parts à la date de l'assemblée générale ayant décidé de l'exclusion de M. [J], soit au 27 juin 2019, convention que l'expert se devait d'appliquer, a rejeté la demande de M. [J] tendant à la revalorisation de ses parts et à l'organisation d'un complément d'expertise sur ce point.

La décision entreprise sera en conséquence confirmée de ce chef.

* Sur les intérêts

M. [J] soutient que le tribunal a commis une erreur de droit en faisant partir les intérêts au taux légal à compter du jugement, sur le fondement de l'article 1231-7 du code civil, alors que sa créance n'a pas une nature indemnitaire, s'agissant du solde du prix de cession de ses parts sociales, et qu'il convient d'appliquer l'article 1231-6 du même code, qui prévoit l'application de l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, soit en l'espèce l'assignation en date du 28 novembre 2019 ayant saisi le tribunal d'une demande de condamnation de la société [7] à lui payer le juste prix de cession de ses parts sociales. Il prétend en outre qu'en application de l'article L313-2 du code monétaire et financier, il convient de retenir le taux applicable à une personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels et sollicite la capitalisation des intérêts.

La société [7], qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a fait partir à compter de la décision les intérêts au taux légal sur la somme allouée à M. [J] au titre du complément de prix de ses parts, fait valoir que c'est à tort que M. [J] se fonde sur l'article 1231-6 du code civil pour solliciter l'application de l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, dès lors que ce texte évoque des dommages et intérêts alors que la somme allouée à celui-ci n'a pas une telle nature.

Sur ce

Aux termes de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

L'article 1231-7 du même code dispose par ailleurs qu'en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement ; que sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement ; qu'en cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance ; que dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel'; que le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

Il est constant que la créance d'une somme d'argent dont le principe et le montant résultent de la loi ou du contrat et non de l'appréciation du juge porte intérêt dès la sommation de payer (Civ. 1ère, 29 nov. 2005, n°03-16.530 P).

En l'espèce, s'il est exact que la créance de complément de prix due par la société [7] à M.'[J] au titre de la cession de ses parts à la suite de son exclusion résulte, tant dans son principe que dans son montant, de la convention des parties (les statuts de la société) et de la loi (article 1843-4 du code civil), et non de l'appréciation du juge, il convient néanmoins de constater que l'assignation du 28 novembre 2019 délivrée par M. [J] à cette société, en se contentant de demander au tribunal de 'surseoir à statuer sur sa demande tendant à la condamnation de la société [7] à lui payer le juste prix de cession de ses parts sociales jusqu'au dépôt du rapport de l'expert qui sera désigné par le président du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer, à la demande de [S] [J], dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil', n'emporte pas sommation suffisante d'avoir à payer ce complément de prix, aucun montant n'étant sollicité.

Dès lors, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé au jour du jugement le point de départ des intérêts au taux légal portant sur sa créance de complément de prix.

Il convient par ailleurs de constater que la décision n'est pas contestée en ce qu'elle ordonné la capitalisation des intérêts, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur sur ce point.

Enfin, il importe de préciser que le taux d'intérêt légal est celui qui est applicable lorsque le créancier est une personne physique n'agissant pas pour ses besoins professionnels, par application de l'article L313-2 du code monétaire et financier, ce qui n'est pas contesté par la société [7].

Sur les autres demandes

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et frais irrépétibles.

De même, il convient de dire que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme la décision entreprise ;

Y ajoutant,

Dit que le taux d'intérêt légal est celui qui est applicable aux personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel ;

Déboute M. [S] [J] et la Selarl [7] de leurs demandes respectives formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Pour le président empêché

Samuel Vitse

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