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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-1, 29 avril 2025, n° 22/07292

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Manes

Conseillers :

Mme Cariou, Mme du Crest

Avocats :

Me Lafon, SCP Diemunsch Feyereisen Rubin, SELEURL Minault Teriitehau, Me Vennetier, Me Rubin, Me Moquet, Me Regnault, SCP Raffin & Associés, Me Teriitehau, Me Cordelier, SCP Cordelier Nicolas Richard Zauderer Jourdan Delcourt-Poudenx

TJ Versailles, 1re ch., du 3 nov. 2022, …

3 novembre 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La [12] (ci-après, autrement nommée la '[12]') a pour objet la défendre des intérêts professionnels des sociétés coopératives, des groupements juridiquement constitués ou de leurs unions, essentiellement formés d'entreprises artisanales du bâtiment qui respectent les principes de la coopération artisanale.

Il entre dans le champ d'application de sa mission de permettre à ses adhérents d'accéder aux garanties imposées par la réglementation.

Parmi ses membres se trouvent beaucoup de constructeurs de maisons individuelles auxquels la loi impose, notamment, une garantie de livraison et une garantie de paiement des sous-traitants.

Afin de permettre à ses adhérents d'accéder aux assurances nécessaires, la [12], habilitée à l'exercice de l'activité d'intermédiaire en assurance, démarche les sociétés d'assurance susceptibles de fournir les garanties prévues par la réglementation.

C'est ainsi que, le 1er juillet 2011, la [12] a conclu avec la société de courtage en assurance [17] un 'mandat intermédiaire d'assurance sans manipulation de fonds' en vertu duquel la société [17] donnait mandat à la [12] pour présenter, auprès de ses coopératives et/ou groupements d'artisans, les solutions d'assurance, notamment en matière de garantie de livraison à prix et délais convenus, de garantie de remboursement de l'acompte et de garantie de paiement des sous-traitants mises au point par la société [17] avec ses assureurs partenaires et/ou ses organismes financiers, et pour effectuer, pour le compte de la société [17], un certain nombre de prestations pour la bonne gestion des affaires ainsi réalisées. La [12] percevait des commissions sur les primes versées par les assurés.

Ce contrat a été conclu pour une durée de trois ans à compter du 1er juillet 2011, renouvelable par tacite reconduction.

Au début de l'année 2012, la SCOP [14], constructeur de maisons individuelles, adhérent de la [12], a été placée en liquidation judiciaire. La [12] a dès lors souhaité que les garanties souscrites auprès de la société d'assurance [13] par l'intermédiaire de la société [17] ne soient pas mises en oeuvre et a signé plusieurs protocoles, qu'elle qualifie de 'protocoles d'accord transactionnels' avec la société [13], avec les maîtres de l'ouvrage et les sous-traitants ayant contracté avec la société [14], plusieurs 'protocoles d'accord transactionnels' par lesquels elle s'engageait à prendre à sa charge les indemnités auxquelles la société [13] était tenue afin que la garantie de cette dernière ne soit pas recherchée.

Par lettre recommandée du 19 juin 2015, cosignée par les sociétés [13] et [17], ces dernières ont informé la [12] de la résiliation de l'ensemble des garanties financières souscrites par ses adhérents, dans le respect des échéances et préavis attachés à chacun de ces contrats.

En réponse, par lettre recommandée du 24 juin 2015, la [12] a fait valoir que cette décision avait pour effet de :

' vider de sa substance le contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance en cours avec la société [17], lui occasionnant un manque à gagner correspondant aux rémunérations escomptées jusqu'au terme du contrat le 1er juillet 2017 ;

' remettre en cause les protocoles signés par la [12] avec les maîtres de l'ouvrage touchés par le sinistre [14] en l'absence de contrepartie pour la [12] de la part de la société [17] puisque la prise en charge de ce sinistre à hauteur de la somme de 428 654 euros par elle, aux lieux et place de la société [13] avait pour seul objet d'éviter que la société [13] ne résilie l'ensemble des garanties souscrites par les adhérents de la [12].

La société [17] a contredit cette argumentation aux motifs que :

' la décision de résilier les contrats d'assurance litigieux procédait exclusivement de la société [13] qui la mandatait en sa qualité d'assureur ;

' il ne pouvait y avoir de résiliation par anticipation du contrat de mandat liant la [12] à la société [17] puisque cette dernière disposait d'autres partenaires que la société [13] ;

' la [12] avait manqué à son obligation de bonne foi dans les relations contractuelles entre les parties et ce, dès le mois de mai 2013, en tentant d'établir une relation directe avec la société [13].

Les parties n'étant pas parvenues à s'entendre, par actes d'huissier de justice des 16, 17, 21, 22, 28 décembre 2015, 6, 12, 19 janvier 2016, 11 et 12 février 2016, la [12] a fait assigner, en particulier, les sociétés [17] et [13] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir réparation de son préjudice résultant, selon elle, de la résiliation unilatérale anticipée du contrat de mandat, de la nullité des protocoles d'accord transactionnels et en remboursement des sommes qu'elle a versées aux maîtres d'ouvrage et sous-traitants au titre des garanties dont ces derniers bénéficiaient auprès de la société [13]. Elle demandait ainsi, aux termes de ses dernières écritures, à obtenir la condamnation de la seule société [13] à lui verser la somme de 408 421,44 euros qu'elle détaillait et qui représentait la somme des montants qu'elle avait versés en application des 'protocoles transactionnels'. Elle demandait en outre la condamnation solidaire de la société [13] et la société [17] à lui verser la somme de 335 436 euros en réparation du préjudice résultant de la résiliation unilatérale et par anticipation de son mandat d'intermédiaire d'assurance conclu avec la société [17] ; subsidiairement, la condamnation in solidum des mêmes sociétés, de la même somme, en réparation du préjudice résultant de la résolution de ce contrat aux torts exclusifs de la société [17].

La [12] a confié la défense de ses intérêts à M. [E] [I], avocat au barreau de Paris. La postulation était assurée par M. [K] [U], avocat au barreau de Lille.

Par jugement du 23 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Lille a débouté la [12] de l'ensemble de ses demandes.

La [12] a interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Douai, le 22 décembre 2017.

Par ordonnance du 30 avril 2019, le conseiller de la mise en état a prononcé la nullité de la déclaration d'appel au motif que la sanction encourue pour un acte d'appel ne mentionnant pas les chefs de jugement critiqués était la nullité, sauf si l'appel tendait à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige était indivisible.

Le conseiller de la mise en état relevait que la [12] n'avait pas régularisé la nullité encourue par une nouvelle déclaration d'appel avant le 22 mars 2018, date d'expiration de son délai de trois mois pour conclure.

Estimant que M. [I] et M. [U], avocats, lui avaient fait perdre une chance d'obtenir l'infirmation du jugement du tribunal de grande instance de Lille, la [12] les a fait assigner ainsi que l'assureur de M. [I], la société [15], devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins d'engager leur responsabilité civile professionnelle.

Par jugement contradictoire rendu le 3 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :

' Débouté la [12] de l'ensemble de ses demandes ;

' Condamné la [12] aux dépens de l'instance dont distraction ;

' Débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 6 décembre 2022, la [12] a interjeté appel de cette décision à l'encontre de MM. [U] et [I] et de la société [15].

Par ses dernières conclusions notifiées le 4 septembre 2023 (47 pages), auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la [12] demande à la cour de :

' Infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de condamnation de M. [I] et de M. [U], avocats, à :

* lui régler la somme de 400 000 euros en indemnisation de sa perte de chance d'obtenir la condamnation de la société [13] à lui verser une indemnisation de cette somme en remboursement des sommes versées en exécution des protocoles d'accord,

* lui régler la somme de 335 456 euros en indemnisation de sa perte de chance d'obtenir la condamnation de la société [17] à lui verser une indemnisation pour l'inexécution du contrat d'intermédiaire en assurance,

* lui régler la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* lui régler les dépens de l'instance.

Statuant à nouveau :

' Condamner M. [I] et M. [U], avocats, in solidum, à lui régler la somme de 681 126 euros en réparation des pertes de chances et préjudices causés par leurs fautes ;

' Débouter M. [I], avocat, de son appel incident et de toutes fins et demandes qu'il comporte ;

' Condamner M. [I] et M. [U], avocats, in solidum, à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

' Condamner M. [I] et M. [U], avocats, in solidum, à prendre en charge les dépens de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2024 (20 pages), auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [U] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté la [12] de l'ensemble de ses demandes ;

' Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné la [12] aux dépens de l'instance ;

En conséquence,

' Débouter la [12] de toutes ses demandes à son encontre ;

' Débouter M. [I] et son assureur, la société [15], de leur appel incident formulé aux termes de leurs conclusions d'intimés régularisées le 9 juin 2023 ;

Reconventionnellement, en tout état de cause :

' Condamner la [12] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamner la [12] aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction.

Par leurs dernières conclusions notifiées au greffe le 2 octobre 2024 (30 pages), auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [I] et la SA [15] demandent à la cour de :

' Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté la [12] de l'ensemble de ses demandes ;

' L'infirmer en ce que le tribunal a considéré qu'il a commis une faute ;

' Le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident ;

' Y faire droit ;

Statuant à nouveau :

' Juger qu'il n'a pas procédé, lui-même, à l'inscription de l'appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 23 novembre 2017 au greffe de la cour d'appel de Douai ;

' Juger que l'échec de l'appel, tenant à son irrégularité d'inscription, ne lui est pas imputable car il n'est pas intervenu au stade de l'accomplissement de la formalité dont il ne peut lui être fait grief ;

' Juger que la caducité de l'appel ne lui est pas imputable ;

' Juger que la [12] a fait le choix de ne pas déférer l'ordonnance déclarant l'appel nul à la Cour de cassation ;

' Le déclarer exempt de toutes critiques ;

' Juger que la partie poursuivante, tenue de reconstituer, devant le juge de la responsabilité, le débat qui n'a pas eu lieu devant la cour d'appel de Douai qui ne s'est pas prononcée sur le fond du litige, ne démontre pas qu'elle avait des chances réelles et sérieuses d'obtenir de la cour d'appel la condamnation des parties avec lesquelles elle était en conflit, au paiement des sommes qu'elle réclame aux avocats ;

' Juger que la somme de 335 436 euros dont il est espéré le règlement constitue un préjudice hypothétique, non indemnisable ;

' Juger que la [12] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable ;

' Dire que le préjudice évalué, sans preuve, à la somme globale de 735 436 euros est sans lien de causalité avec les prestations assurées par lui, réduites à l'assistance qu'il a fournie à la cliente devant le tribunal de grande instance de Lille ;

' Déclarer la [12] mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;

' L'en débouter ;

Subsidiairement, ramener le préjudice dans de plus justes proportions pour tenir compte de sa qualification de perte de chance et de dommages-intérêts ;

' Donner acte à la société [15] de ce qu'elle accorde sa garantie à M. [I], comme prévu par le contrat d'assurance souscrit par le barreau de Paris, au bénéfice de ses membres, en conformité avec l'article 27 de la loi du 31 décembre 1971 ;

' Condamner la [12] à leur payer la somme de 10 000 euros chacun, et aux entiers dépens de la procédure devant le tribunal de grande instance et devant ce tribunal.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 3 octobre 2024.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'objet de l'appel,

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.

A titre liminaire,

Il convient de rappeler que conformément aux dispositions des articles 954 et 4 du code de procédure civile, la cour ne statue (donc au dispositif de l'arrêt) que sur des prétentions récapitulées au dispositif des dernières conclusions des parties. Par prétention, il faut entendre une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.

Les 'mentions' figurant au dispositif des dernières conclusions de M. [I] invitant la cour à :

'- Juger qu'il n'a pas procédé, lui-même, à l'inscription de l'appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 23 novembre 2017 au greffe de la cour d'appel de Douai ; ;

' Juger que l'échec de l'appel, tenant à son irrégularité d'inscription, ne lui est pas imputable car il n'est pas intervenu au stade de l'accomplissement de la formalité dont il ne peut lui être fait grief ;

' Juger que la caducité de l'appel ne lui est pas imputable ;

' Juger que la [12] a fait le choix de ne pas déférer l'ordonnance déclarant l'appel nul à la Cour de cassation ;

' Le déclarer exempt de toutes critiques ;

' Juger que la partie poursuivante, tenue de reconstituer, devant le juge de la responsabilité, le débat qui n'a pas eu lieu devant la cour d'appel de Douai qui ne s'est pas prononcée sur le fond du litige, ne démontre pas qu'elle avait des chances réelles et sérieuses d'obtenir de la cour d'appel la condamnation des parties avec lesquelles elle était en conflit, au paiement des sommes qu'elle réclame aux avocats ;

' Juger que la somme de 335 436 euros dont il est espéré le règlement constitue un préjudice hypothétique, non indemnisable ;

' Juger que la [12] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable ;

' Dire que le préjudice évalué, sans preuve, à la somme globale de 735 436 euros est sans lien de causalité avec les prestations assurées par lui, réduites à l'assistance qu'il a fournie à la cliente devant le tribunal de grande instance de Lille ;'

ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais des moyens, à savoir les raisons de fait ou de droit dont M. [I], intimé et appelant incident, se prévaut pour fonder ses prétentions consistant à déclarer qu'il n'a pas commis de faute et, par voie de conséquence, débouter la [12] de ses demandes dirigées contre lui. La cour, tenue d'y répondre, puisqu'ils viennent au soutien de ses prétentions, le fera dans les motifs de l'arrêt, pas au dispositif.

Il en est de même des 'constater' et des 'donner acte' qui ne s'analysent pas en des prétentions sur lesquelles la cour doit statuer.

La cour rappelle encore que, conformément aux dispositions de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions récapitulées au dispositif des conclusions et ne répond qu'aux moyens qui viennent au soutien de ces prétentions.

En l'espèce, la cour observe que la [12] indique en page 20 de ses conclusions solliciter la transmission par les intimés des pièces communiquées en première instance devant le tribunal de grande instance de Lille, mais cette demande ne figure pas au dispositif de ses conclusions de sorte que la cour n'étant pas saisie de cette demande ne saurait y répondre, donc statuer sur elle au dispositif du présent arrêt.

Sur la faute des avocats

Selon l'article 1231-1 du code civil (ancien article 1147), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Selon les articles 412 et 413 du code de procédure civile, la mission d'assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger.

Le mandat de représentation emporte mission d'assistance, sauf disposition ou convention contraire.

L'article 562, dans sa rédaction issue du n° 2017-891 du 6 mai 2017, prévoit que 'L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.'

L'article 901, 4°, du code de procédure civile prévoit que 'La déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites à l'article 58, et à peine de nullité :

...

4° les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.'

En application de ces textes, dénués d'ambiguïté, l'appelant est expressément tenu d'énoncer dans l'acte d'appel, ou dans un document qui lui est annexé, chacun des chefs du dispositif du jugement qu'il entend voir remettre en discussion devant la cour d'appel.

Une déclaration d' 'appel total' ou 'appel général' est entachée d'une irrégularité sanctionnée par la nullité pour vice de forme de sorte que si ce vice de forme affectant la déclaration d'appel est régularisé, la cour d'appel est alors réputée avoir été saisie d'une déclaration d'appel précisant les chefs du jugement critiqués, dont elle aura à connaître par l'effet dévolutif.

Une déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut donc être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond conformément à l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile (par exemple 2ème Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-13.642,publié, 2e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n 21-12.720, publié).

La régularisation ne peut se faire que par une nouvelle déclaration d'appel (2e Civ., 19 novembre 2020, précité), qui s'incorpore à la première déclaration d'appel (2e Civ. 20 mai 2021, pourvoi n 20-13.638). Elle ne peut pas se faire par conclusions (2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n° 20-12.037, publié).

Il est établi que la déclaration d'appel de la [12] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 23 novembre 2017 comporte la mention 'appel total' ; que cet appel ne tendait pas à l'annulation du jugement et que l'objet de l'appel n'était pas indivisible. Il est tout aussi constant que cette irrégularité n'a pas été régularisée par une nouvelle déclaration d'appel dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, soit, en l'espèce avant le 22 mars 2018.

Tant l'avocat postulant que plaidant ont manqué à leur obligation de diligence envers leur client.

En effet, l'avocat postulant, qui représente son client devant la cour d'appel, est garant au premier chef de la régularité de la procédure et il lui incombe dès lors de veiller au respect des obligations prescrites par les dispositions de l'article 901, 4°, du code de procédure civile ce qui se traduit par l'énonciation, dans la déclaration d'appel, des chefs critiqués du dispositif du jugement. Sa défaillance engage sa responsabilité.

De même, l'avocat plaidant, à l'égard de son client, ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant les manquements de son confrère. Chargé de la défense de son client, il lui incombe de veiller à l'efficacité des actes juridiques accomplis dans l'intérêt de la défense de son client. Il lui revient ainsi, avec le postulant, de traduire en actes juridiques efficaces la volonté de son client donc, comme l'indique exactement le jugement, de définir les chefs du dispositif du jugement dont l'infirmation était poursuivie en appel.

C'est encore de manière inopérante que M. [I] soutient qu'aucun manquement ne peut être retenu contre lui dès lors que la [12] a fait le choix de ne pas déférer l'ordonnance du conseiller de la mise en état prononçant la nullité de la déclaration d'appel à la Cour de cassation. En effet, cette circonstance n'a aucune influence sur l'appréciation de l'existence du manquement qui lui est reproché et qui est constitué. En outre, le conseiller de la mise en état ayant appliqué le droit tel que clairement énoncé dans les dispositions du code de procédure civile susmentionnées, le pourvoi n'aurait eu aucune chance de prospérer. Cette lecture ainsi faite par le conseiller de la mise en état a été validée par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts (voir, à cet égard, par exemple, 2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-13.642,publié, 2e Civ., 24 mars 2022, pourvoi n° 20-22.200, 2e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-12.720, publié, 2e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-13.649). La Cour de cassation juge en outre également de manière constante que la régularisation ne peut se faire que par une nouvelle déclaration d'appel (2e Civ., 19 novembre 2020, précité), qui s'incorpore à la première déclaration d'appel (2e Civ. 20 mai 2021, pourvoi n 20-13.638) et ne peut pas se faire par conclusions (2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n 20-12.037, publié). Or, en l'occurrence, il n'est pas démontré que l'irrégularité a été corrigée.

Le jugement en ce qu'il retient l'existence de manquements imputables tant à M. [U] qu'à M. [I] sera confirmé.

Sur la perte de chance alléguée contre la société [13]

La perte de chance, entendue comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

La perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de faire valoir ses droits par la faute d'un auxiliaire de justice, se mesure donc à la seule probabilité de succès de la diligence omise.

Il incombe à la [12] de démontrer que son appel devant la cour d'appel de Douai avait des chances certaines, mêmes faibles, de prospérer. Il est dès lors nécessaire pour ce faire de reconstituer la discussion qui aurait pu avoir lieu devant cette juridiction et il revient à la [12] de le faire.

Il sera ajouté que la discussion juridique proposée par la [12] n'a pas à être limitée aux seuls moyens invoqués par elle devant le tribunal de grande instance de Lille, ni tels qu'ils résultaient des premières conclusions de son conseil devant la cour d'appel de Douai (pièce 33 des productions de l'appelante). En effet, les moyens et les éléments de preuve pouvant toujours être modifiés, ajoutés, complétés tout au long de l'instruction d'une procédure d'appel, il n'apparaît pas complètement exclu que les nouveaux moyens que la [12] invique dernièrement devant cette cour n'avaient aucune chance d'être développés avant la clôture de l'instruction, même si, cette considération s'analyse en un aléa supplémentaire à prendre en considération par cette cour pour apprécier les chances de succès de l'appel 'avorté' en raison de la défaillance procédurale des conseils de la [12].

Devant cette cour, la [12] soutient donc qu'ayant réglé des sommes qui, selon elle, auraient dû l'être par la société [13], elle peut valablement, au fondement de l'article 1251, ancien, devenu 1346 nouveau, du code civil en obtenir paiement.

Elle invoque désormais la subrogation légale pour démontrer que ses prétentions à l'encontre de [13] avaient une chance certaine de prospérer si l'appel avait pu être examiné par la cour d'appel de Douai.

Ce moyen de droit n'ayant pas été invoqué devant le tribunal de grande instance de Lille, la société [13] n'a pu y répliquer de sorte que le jugement et les écritures des parties devant les juges du litige primaire ne sont d'aucun secours.

Selon l'ancien article 1249 du code civil, applicable au litige, les contrats que la [12] invoque à l'appui de ses prétentions ayant tous été signés avant 2016 et la réforme du droit des obligations, la subrogation peut être légale ou conventionnelle.

La subrogation conventionnelle consentie par le créancier était prévue à l'article 1250, 1, du code civil, applicable au litige, selon lequel il y a subrogation 'lorsque le créancier recevant son paiement d'une tierce personne la subroge dans ses droits actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur ; cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement'.

La [12] ne se fonde pas sur ce texte qui, au demeurant, serait inapplicable, l'appelante ne soutenant ni ne justifiant que les bénéficiaires des paiements l'ont subrogée expressément dans leurs droits.

Quant à la subrogation légale, elle était prévue par l'ancien article 1251 du code civil, applicable en l'espèce. Cette disposition prévoit que le paiement n'est subrogatoire que s'il correspond à l'un des cas prévus par la loi.

L'ancien article 1251 du code civil envisage la subrogation légale de plein droit dans cinq hypothèses :

1 .'Au profit de celui qui, étant lui-même créancier, paye un autre créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou hypothèques',;

2 .'Au profit de l'acquéreur d'un immeuble, qui emploie le prix de son acquisition au paiement des créanciers auxquels cet héritage était hypothéqué',;

3 . 'Au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt de l'acquitter',;

4 . 'Au profit de l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net qui a payé de ses deniers les dettes de la succession',

5 'Au profit de celui qui a payé de ses deniers les frais funéraires pour le compte de la succession'.

L'hypothèse prévue au 3 correspond traditionnellement à celle où une seule dette existe, à laquelle sont tenus plusieurs débiteurs, à titre principal, (codébiteurs solidaires ou in solidum), ou à titre accessoire (caution). La subrogation profite à celui qui est tenu avec d'autres ou pour d'autres et qui a par son paiement libéré celui sur lequel doit peser la charge définitive de tout ou partie de cette dette.

La jurisprudence a en outre retenu une interprétation extensive de ce texte. Elle a permis au solvens d' invoquer la subrogation légale même s'il n'a fait qu'acquitter une dette qui lui était personnelle dès lors que par son paiement il a libéré celui qui devait en assumer la charge définitive. Ainsi donc, peu importe que le solvens ait payé une dette personnelle. Il suffit qu'il libère par son paiement un tiers d'une dette dont la charge définitive lui incombe : 'le débiteur qui s'acquitte d'une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation légale s'il a par son paiement libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette' [par exemple, 1ère Civ., 28 sept 2015, pourvoi n° 14-15114 (subrogation de l'assureur du notaire responsable dans les droits de l'acquéreur contre le vendeur); Com. 18 mars 2014, pourvoi n° 13- 12444 (recours d'une société de caution mutuelle contre une caution personne physique)].

La [12] ne dit pas autre chose quand, en page 21 de ses écritures, elle fait valoir que la Cour de cassation juge que 'celui qui s'acquitte d'une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation s'il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun ceux sur qui doit peser la charge définitive de la dette'.

En l'espèce, les conditions de la subrogation légale ne sont pas réunies puisque la [12] ne démontre pas que la charge de la dette lui incombait en partie ou en totalité, raison pour laquelle elle s'en est acquittée en tout ou en partie en concluant ces contrats et en versant les sommes en question. En d'autres termes, elle ne démontre pas que, sans les contrats qu'elle a conclus avec la société [13] ainsi que les maîtres d'ouvrages et les sous traitants ayant contracté avec la société [14], en liquidation judiciaire, elle aurait été tenue à la dette de la société [13].

En outre, la cour a du mal à suivre l'appelante lorsqu'elle persiste à prétendre que les contrats au fondement desquels elle réclamait des sommes à la société [13] étaient dénuées de cause (pages 25 et suivantes de ses conclusions), qu'elle n'avait aucune dette à éteindre auprès des co contractants, tout en soutenant qu'en appel elle aurait pu se fonder sur la subrogation légale pour obtenir le remboursement des sommes qu'elle a dû verser aux co signataires des 'protocoles'. En effet, si les contrats sont dénués de cause, si elle n'a pas acquitté une dette personnelle, en totalité ou en partie, comment peut elle sérieusement revendiquer l'application des dispositions de l'article 1251 du code civil.

Il s'ensuit que ses chances de succès devant la cour d'appel de Douai, pour l'avoir privée d'invoquer le mécanisme de la subrogation légale ou de la nullité des contrats pour absence de cause, étaient inexistantes. A cet égard, la cour fait siens les motifs du jugement déféré qui rejette les demandes de la [12] fondées sur la nullité des protocoles transactionnels.

C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté ces demandes contre M. [U] et M. [I].

Les chances de succès des demandes de la [12] à l'encontre de la société [17]

La [12] prétend que les fautes de ses avocats lui ont fait perdre une chance de pouvoir obtenir la condamnation de la société [17] à lui verser la somme de 335 456 euros pour inexécution du contrat d'intermédiaire en assurance.

Les chances de succès de pouvoir obtenir le paiement de cette somme sont inexistantes. En effet, la cour constate que la [12] ne fait que réitérer les mêmes moyens et arguments, de fait et de droit, qu'elle avait développés devant les juges lillois (pièce 29 de l'appelante) qui y ont répondu à bon droit point par point, pertinemment, de manière circonstanciée et précise, pour estimer, après analyse des différents éléments de preuve produits, qu'aucun manquement contractuel ne pouvait être légitimement reproché à la société [17] et qu'il convenait de débouter la [12] de ses demandes à son encontre tendant à la réparation du préjudice résultant de la résiliation unilatérale et par anticipation de son mandat d'intermédiaire d'assurance conclu avec la société [17] ; subsidiairement, la condamnation in solidum des mêmes sociétés, de la même somme, en réparation du préjudice résultant de la résolution de ce contrat aux torts exclusifs de la société [17].

C'est donc à bon droit, par d'exacts motifs, adoptés par cette cour, que le tribunal a rejeté ces demandes contre M. [U] et M. [I].

Les chances de succès relatifs à la condamnation aux frais de justice

La [12] soutient encore que les fautes de ses avocats lui ont fait perdre une chance d'obtenir l'infirmation du jugement lillois et, dès lors, d'obtenir le remboursement des sommes qu'elle a été amenée à verser au fondement de l'article 700 du code de procédure civile à savoir la somme de 9 000 euros en tout, ramenée à 8 100 euros (au titre de la perte de chance à concurrence de 90%).

Cependant, là encore, dans la mesure où cette cour retient que ses chances de succès d'obtenir l'infirmation du jugement lillois en appel, compte tenu des moyens qu'elle invoque et du débat qu'elle reconstitue devant cette cour qui, selon elle, aurait été celui qu'elle aurait pu soutenir devant la cour d'appel de Douai, mais qui n'a pas été suivie par cette cour, c'est en vain qu'elle sollicite la condamnation de ses conseils à lui verser cette somme de 8 100 euros. En effet, un appel infructueux prive définitivement l'appelant de toute possibilité d'infirmation des dispositions du jugement relatives aux demandes accessoires.

Le jugement qui rejette cette demande sera confirmé.

Sur les condamnations prononcées par le conseiller de la mise en état

C'est à bon droit cependant que la [12] sollicite la condamnation in solidum de M. [U] et de M. [I] à lui verser la somme totale de 3 555,16 euros (1 000 euros à chacun des trois intimés, trois timbres fiscaux, soit 375 euros, et la signification de l'ordonnance pour 180,16 euros) qui constitue un préjudice direct.

Les fautes de ses conseils sont en effet en lien direct avec le préjudice allégué consistant à avoir versé ces sommes en pure perte.

M. [U] et M. [I] seront dès lors condamnés in solidum au paiement de cette somme.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt commande de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La [12], majoritairement partie perdante, supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [U] et M. [I] à verser à la [12] la somme de 3 555,16 euros en réparation de son préjudice résultant des condamnations prononcées le 30 avril 2019 par le conseiller de la mise en état ;

Condamne [12] aux dépens de l'appel ;

Dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Rosanna VALETTE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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