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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 29 avril 2025, n° 23/05888

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Capricci Production (SAS), Capricci Films (SAS)

Défendeur :

Andergraun Films SL (Sté), Rosa Filmes LDA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Vice-président :

Mme Ramin

Conseiller :

Mme Pichon

Avocats :

Me Cressard, Me Foloppe, Me Leclerc, Me Pouget

TC Nantes, du 10 févr. 2025, n° 20220000…

10 février 2025

La société de droit français Capricci production a pour activité la production de films.

M. [O] [E] en est le représentant légal.

La société Capprici films est une société de production, de distribution et de ventes internationales de films. M. [O] [E] en est le représentant légal.

M. [I] [F] est auteur-réalisateur et producteur, de nationalité espagnole.

M. [F] a constitué la société de production espagnole Andergraun films SL dont il est le représentant légal et le seul associé.

M. [F] est auteur et réalisateur du film « La Mort de Louix XIV » (ci-après le film) dont il a cédé les droits d'auteur scénario/adaptation/dialogue/ réalisation le 10 août 2015 dans le cadre d'une convention avec la société Capricci production. M. [S] [E] est le co-scénariste.

Le 18 septembre 2015, un contrat de coproduction franco-espagnole du film a été conclu entre la société Capricci production et la société Andergraun films.

Antérieurement, le 1er août 2015, un contrat de mandat de ventes internationales du film (commercialisation/distribution) a été conclu entre la société Capricci production, en sa qualité de producteur, et la société Capricci films en sa qualité de vendeur.

Le 24 mars 2016, un contrat de coproduction a été conclu entre Capricci production et la société portugaise Rosa filmes LDA.

Le 24 août 2016, un « avenant contrat de coproduction » a été signé entre Capricci production, Rosa filmes et Andergraun films s'agissant de la répartition des recettes nettes d'exploitation du film dans le monde entier en proportion de leur apport au coût de production du film. Il y est prévu la réparation provisoire suivante :

- Capricci production : 70 %

- Rosa filmes : 20 %

- Andergraun films : 10 %.

Le 2 novembre 2016, le film est sorti en salles en France.

Un litige est né au sujet des comptes à établir entre les sociétés Rosa filmes, Andergraun films et Capricci production.

Par courriers recommandés du 11 mars 2020, les sociétés Rosa filmes et Andergraun films ont mis en demeure la société Capricci production d'avoir à leur communiquer le décompte final du coût de la production et les comptes d'exploitation dans les territoires dont elle avait la charge, depuis la première année d'exploitation du film, le tout, le cas échéant, accompagné du règlement de leurs droits.

Concomitamment, un autre litige est né, relatif à la rémunération des droits d'auteur de M. [F], ayant également fait l'objet d'échange de courriers et pièces.

Par courriels des 5 mai 2020 et 1er juillet 2020, et courrier du 1er juillet 2020, la société Capricci production a communiqué des « redditions de comptes [ndr : d'exploitation] sur Louis XIV, arrêtées au 1/1/2020 » ainsi que les comptes de production certifiés le 29 novembre 2016.

Par courrier du 9 décembre 2020, la société Capricci production a soutenu qu'elle avait adressé les informations requises et a fait valoir que les deux autres sociétés ne lui avaient pas adressé les comptes définitifs espagnols et portugais et les contrats locaux liés à l'exploitation du film ainsi que les dossiers déposés auprès des institutions compétentes.

Les sociétés Capricci production et Capricci films ont assigné les sociétés Andergraun films et Rosa filmes devant le tribunal de commerce de Nantes pour l'obtention des comptes de production et l'accès à la comptabilité d'exploitation. Les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont formé des demandes reconventionnelles.

Par jugement du 12 juin 2023, le tribunal de commerce de Nantes a :

- constaté que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont régulièrement communiqué leur comptabilité de production à la société Capricci production, et leur a décerné acte d'avoir rempli leurs obligations à ce titre,

- ordonné que tout coproducteur pourra contrôler la comptabilité d'exploitation du film d'un autre coproducteur sous réserve d'un préavis de 8 jours ouvrés, pendant les heures d'ouverture des bureaux et aux frais du contrôleur sauf en cas d'écart de plus de 10% par rapport aux recettes versées par le coproducteur faisant l'objet du contrôle et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la fin du préavis pour une durée de 90 jours, le tribunal se réservant le droit de liquider ladite astreinte,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films la somme totale de 18.781,89 euros au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Rosa filmes la somme totale de 34.243,07 euros au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- constaté la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation du film « La Mort de Louis XIV » confié à Capricci production,

- prononcé la révocation de tous les mandats confiés par Capricci production à la société Capricci films,

- ordonné à la société Capricci production de cesser toute exploitation directe ou indirecte du film « La Mort de Louis XIV » sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée, passé un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision,

- ordonné la publication du communiqué suivant, sous le titre sous le titre « Publication judiciaire à la demande des sociétés Andergraun films et Rosa filmes », dans 5 journaux d'audience nationale et internationale au choix des sociétés Andergraun films et Rosa filmes :

« Par jugement en date du 12 juin 2023, le Tribunal de commerce de Nantes a condamné la société Capricci production à cesser toute exploitation du film d'[I] [F] intitulé La Mort de Louis XIV, ainsi qu'à verser des dommages-intérêts aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes pour avoir violé ses obligations contractuelles »,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films et Rosa filmes la somme de 3 000 euros répartie à parts égales au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit et que rien ne justifie qu'il y soit dérogé en application de l'article 514 du Code de procédure civile,

- condamné la société Capricci production aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à 149,87 euros toutes taxes comprises.

Par déclaration du 13 octobre 2023, les sociétés Capricci production et Capricci films ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 23 mai 2024, le conseiller de la mise en état a :

- débouté les sociétés Andergraun films et Rosa filmes de leurs prétentions à voir déclarer irrecevables les conclusions au fond du 12 janvier 2024 des sociétés Capricci production et Capricci films,

- débouté les sociétés Andergraun films et Rosa filmes de leurs demandes visant à voir constater la caducité de l'appel,

- dit n'y avoir lieu à radiation de l'affaire du rôle de la cour,

- rejeté les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dernières conclusions des appelantes sont du 19 mars 2024.

Les dernières conclusions des intimées sont du 26 juin 2024.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2025, avant l'ouverture des débats.

Par note en délibéré via le RPVA, le conseil des sociétés Capricci a transmis le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 6 mars 2025 dans le litige les opposant avec M. [S] [E], à M. [F] s'agissant des droits d'auteur.

Il a été demandé les observations éventuelles du conseil des sociétés Andergraun films et Rosa filmes sur cette communication.

Par note en délibéré du 2 avril 2025, le conseil des sociétés Andergraun films et Rosa filmes a indiqué qu'un appel avait été formé par M. [F] contre cette décision.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Les sociétés Capricci production et Capricci films demandent à la cour de :

- recevoir les sociétés Capricci production et Capricci films en leur appel, ainsi qu'en leurs écritures, et en toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- les déclarer bien fondées,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nantes le 12 juin 2023 en ce qu'il a :

- constaté que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont régulièrement communiqué leur comptabilité de production à la société Capricci production, et leur décerne acte d'avoir rempli leurs obligations à ce titre,

- ordonné que tout coproducteur pourra contrôler la comptabilité d'exploitation du film d'un autre coproducteur sous réserve d'un préavis de 8 jours ouvrés, pendant les heures d'ouverture des bureaux et aux frais du contrôleur sauf en cas d'écart de plus de 10% par rapport aux recettes versées par le coproducteur faisant l'objet du contrôle et sous astreinte de 500 ' par jour de retard, à compter de la fin du préavis pour une durée de 90 jours, le Tribunal se réservant le droit de liquider ladite astreinte,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films la somme totale de 18.781,89 ' au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Rosa filmes la somme totale de 34.243,07 ' au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- constaté la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation du film « La Mort de Louis XIV » confié à Capricci production,

- prononcé la révocation de tous les mandats confiés par Capricci production à la société Capricci films,

- ordonné à la société Capricci production de cesser toute exploitation directe ou indirecte du film « La Mort de Louis XIV » sous astreinte de 10.000 ' par infraction constatée, passé un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision,

- ordonné la publication du communiqué suivant, sous le titre sous le titre « Publication judiciaire à la demande des sociétés Andergraun films et Rosa filmes », dans 5 journaux d'audience nationale et internationale au choix des sociétés Andergraun films et Rosa filmes :

« Par jugement en date du 12 juin 2023, le tribunal de commerce de Nantes a condamné la société Capricci production à cesser toute exploitation du film d'[I] [F] intitulé La Mort de Louis XIV, ainsi qu'à verser des dommages-intérêts aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes pour avoir violé ses obligations contractuelles »,

- débouté les sociétés Capricci production et la société Capricci films de toutesleurs autres demandes,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films et Rosa filmes la somme de 3.000 ' répartie à parts égales au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Capricci production aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à 149,87 ' toutes taxes comprises,

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nantes le 12 juin 2023, et par voie de conséquence :

- condamner les sociétés Andergraun films et Rosa filmes à remettre à la société Capricci production un décompte final détaillé des dépenses de production effectuées sur leur territoire contractuel, certifiés par un commissaire aux comptes, ainsi que les justificatifs desdites dépenses, pour permettre la vérification et l'établissement du budget définitif du film « La Mort de Louis XIV »,

- les condamner à laisser l'accès à la société Capricci production à leur siège social, aux frais de Capricci production à leur « comptabilité distincte liées aux opérations d'exploitation du film » prévue aux contrats,

- assortir chacune de ces obligations d'une astreinte de 500 ' par jour de retard, à compter de la signification à intervenir,

- juger que le tribunal de commerce de Nantes sera compétent pour liquider ces astreintes,

- condamner les sociétés Andergraun films et Rosa filmes chacune au paiement de la somme de 2.500 ' en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- les condamner aux dépens.

Les sociétés Andergraun films et Rosa filmes demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nantes le 12 juin 2023 en ce qu'il a :

- constaté que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont régulièrement communiqué leur comptabilité de production à la société Capricci production, et leur décerne acte d'avoir rempli leurs obligations à ce titre,

- constaté la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation du film « La Mort de Louis XIV » confié à Capricci production,

- prononcé la révocation corrélative de tous les mandats confiés par Capricci production à la société Capricci films,

- ordonné à la société Capricci production de cesser toute exploitation directe ou indirecte du film « La Mort de Louis XIV » sous astreinte de 10.000 ' par infraction constatée, passé un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision,

- ordonné la publication judiciaire de sa décision,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films et Rosa filmes la somme de 3.000 ' répartie à parts égales au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Capricci production aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à 149,87 ' toutes taxes comprises,

L'infirmant pour le surplus et y ajoutant :

- dire, concernant la mesure d'interdiction sous astreinte, que la Cour de céans demeurera compétente pour connaître du contentieux éventuel de la liquidation de l'astreinte,

- dire et juger que les parties coproductrices devront se rapprocher dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir pour désigner d'un commun accord le ou les distributeurs et exploitants du Film concernant les droits et territoires non attribués exclusivement à Andergraun films et Rosa filmes ;

- dire qu'en cas de difficulté passé ce délai, il en sera référé à la requête de la partie la plus diligente au Président de la cour de céans statuant en référé pour prendre toute mesure notamment d'administration provisoire du Film,

- désigner tel expert spécialisé dans le domaine cinématographique et audiovisuel qu'il plaira à la Cour nommer avec pour mission d'établir la réalité des exploitations du film d'[I] [F] intitulé La mort de Louis XIV en France et à l'étranger par la société Capricci production directement ou par l'intermédiaire des sociétés Capricci films et Capricci ciné ou toute autre société tierce et, à cet effet, de :

- se faire communiquer par Capricci production et ses contractants distributeurs et exploitants tous éléments justificatifs relatif à l'exploitation du film,

- consulter tous documents utiles et entendre tous sachants,

- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre l'évaluation des préjudices subis, professionnels et personnels ;

- déterminer territoire par territoire et mode d'exploitation par mode d'exploitation, le montant des recettes brutes générées par l'exploitation du film,

- fixer le montant de quote-part des recettes augmentée des intérêts moratoires et anatocisme revenant à Andergraun films et à Rosa filmes conformément aux contrats de coproduction et aux termes du jugement du tribunal de céans,

- fournir tous éléments de nature à permettre l'évaluation des préjudices de toute nature subis par Andergraun films et à Rosa filmes,

- donner son avis sur les comptes présentés par Capricci production,

- dire que l'expertise sera mise en 'uvre et que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions de l'article 263 et suivant du nouveau code de procédure civile et que, sauf conciliation des parties, il déposera son rapport au secrétariat/greffe de cette cour dans les six mois de sa saisine,

- dire qu'il en sera référé au juge en cas de difficulté,

- fixer la provision à consigner au greffe par la société Capricci production, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert,

- condamner dès à présent solidairement la société Capricci production et la société Capricci films à payer à titre de dommages-intérêts à la société Andergraun films la somme de 59 724 ',

- condamner dès à présent solidairement la société Capricci production et la société Capricci films à payer à titre de dommages-intérêts à la société Rosa filmes la somme de 109 998 ',

- ordonner la publication aux frais avancés des sociétés Capricci production et Capricci films du communiqué suivant, sous le titre « Publication judiciaire à la demande des sociétés Andergraun films et Rosa filmes », dans 5 journaux d'audience nationale et internationale au choix des sociétés Andergraun films et Rosa filmes :

« Par jugement du Tribunal de commerce de Nantes en date du 12 juin 2023 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Rennes en date du ------, la société Capricci production a été condamné à cesser toute exploitation du film d'[I] [F] intitulé La mort de Louis XIV ainsi qu'à verser des dommages et intérêts aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes pour avoir violé ses obligations contractuelles »

- condamner solidairement la société Capricci production et la société Capricci films à payer à chacune des concluantes la sommes de 30 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la société Capricci production et la société Capricci films en tous les dépens.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.

DISCUSSION

La demande de communication de la comptabilité de production

Les sociétés Capricci font valoir que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont versé tardivement, après l'assignation, le compte certifié de leurs dépenses de production bien que les audits produits indiquent des dates de réalisation des 2 mars et 15 décembre 2017, comptes pourtant nécessaires pour l'établissement postérieur des comptes définitifs de production et des comptes d'exploitation.

Les sociétés Angergraun films et Rosa filmes font valoir qu'elles n'avaient pas à transmettre des comptes de production certifiés aux termes des contrats de co-production et qu'en outre, la société Capricci production disposait des informations nécessaires à l'établissement des comptes définitifs de production puisque elle leur a communiqué le coût définitif du film en incorporant les dépenses de production portugaises et espagnoles le 24 août 2016.

Selon l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

L'article 10.2 du contrat de co-production du 18 septembre 2015 conclu entre la société Andegraun films et la société Capricci production stipule :

« Andergraun Film remettra à Capricci Production, dans un délai de quatre-vingts dix jours suivant la livraison de la copie zéro, un décompte final des dépenses de production effectuées sur leur territoire »

L'article 10.3 de ce contrat prévoit :

« Capricci production préparera ensuite le décompte final du coût final du coût de la production du film certifié par un expert comptable indépendant, qu'elle remettra à Andergraun Film au plus tard quatre mois suivant la livraison de la copie zéro du film »

L'article 10.2 du contrat de co-production du 24 mars 2016 conclu entre la société Rosa filmes et la société Capricci production stipule :

« Andergraun Film [sic] remettra à Capricci Production, dans un délai de quarante-cinq jours suivant la livraison de la copie zéro, un décompte final des dépenses de production effectuées sur leur territoire »

L'article 10.3 de ce contrat prévoit :

« Capricci production préparera ensuite le décompte final du coût final du coût de la production du film certifié par un expert comptable indépendant, qu'elle remettra à Rosa filmes au plus tard six mois suivant la livraison de la copie zéro du film »

Il s'en évince que ni la société Andergraun films, ni la société Rosa filmes ne devait adresser des comptes certifiés à la société Capricci production mais simplement le décompte final de leurs dépenses de production.

Par courriel du 19 août 2016 adressé à M. [S] [E], la société Rosa filmes a transmis l'état de ses dépenses à la société Capricci [pièce 22 intimées].

Il ressort du courriel de M. [S] [E], depuis une adresse « @capricci.fr » en date du 24 août 2016 ayant pour objet « comptes et plan de financement Louis XIV » adressé aux représentants des sociétés Andergraun films et Rosa filmes et en copie à la société Capricci production, que celui-ci a transmis les comptes de financement, en y intégrant les dépenses pour l'Espagne et le Portugal, pour éventuelles corrections afin de déposer la demande d'agrément en France. La pièce jointe à ce courriel mentionne l'ensemble des dépenses pour un coût total de production au 16 juin 2016 de 1 041 860,34 '. [pièce 21 intimées]

Il en résulte que les sociétés espagnole et portugaise lui avaient adressé leurs décomptes des dépenses de production effectuées sur leur territoire, conformément aux contrats.

Par la suite, les sociétés Rosa filmes et Andergraun films ont fait réaliser respectivement une vérification comptable par un expert comptable (2 mars 2017) et un audit des sommes dépensées (15 décembre 2017). [pièce 32 et 41]

L'auditeur indique pour la société espagnole que les « coûts (...) sont dûment justifiés par des documents, et ont été effectivement payés (...) » et l'expert-comptable mentionne pour la société portugaise qu'il a « procédé à la vérification et à la validation des pièces justificatives jointes à la reddition des comptes (...) ».

Il apparaît que la somme retenue pour les dépenses portugaises dans le décompte de la société Capricci du 16 juin 2016 (246 141,08 ') est quasiment identique à celle validée par l'expert-comptable postérieurement (248 151,42 ') et que celle retenue pour les dépenses espagnoles (121 845,05 ') est légèrement inférieure aux dépenses validées par audit (135 019,25').

Ainsi, la société Capricci production, qui n'allègue ni, a fortiori, ne justifie de ce que les envois initiaux étaient parcellaires ou inexacts à la date à laquelle ils étaient attendus, a bien eu à sa disposition les comptes de production courant août 2016 au plus tard.

Il est, au surplus, relevé que ce n'est que par courrier de leur conseil du 9 décembre 2020 que les sociétés appelantes, en réponse aux demandes des sociétés Andergraun films et Rosa filmes, leur ont réclamé les comptes définitifs espagnols et portugais « certifiés par un commissaire aux comptes » sans toutefois qu'il ne soit précisé s'il s'agissait des comptes de production ou des comptes de recettes.

Il doit donc être considéré que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont respecté leurs obligations contractuelles sans qu'il y ait lieu d'exiger la « certification par un commissaire aux comptes » et la production des « justificatifs des dépenses ».

Le jugement sera infirmé en ce qu'il n'a fait que constater et décerner acte aux sociétés Andergraun fims et Rosa filmes « d'avoir rempli leurs obligations » de communiquer leur comptabilité de production et, statuant à nouveau, il convient de rejeter la demande des sociétés Capricci production et Capricci films de condamnation des sociétés intimées sous astreinte à remettre à la société Capricci production un décompte final détaillé des dépenses de production certifié par un commissaire aux comptes et les justificatifs desdites dépenses.

La demande d'accès à la comptabilité d'exploitation

Dans le dispositif de leurs conclusions, les sociétés Capricci, sans développer de moyens ou arguments dans le corps de leur discussion, demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné que tout coproducteur pourra contrôler la comptabilité d'exploitation du film et sollicitent pour elle-même uniquement l'accès au siège social des sociétés Andergraun et Rosa filmes pour ce faire, comme prévu aux contrats.

Il est rappelé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, « la partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance (...) ».

Les sociétés Andergraun films et Rosa filmes font valoir que l'accès à la comptabilité ou l'obligation de redditions de comptes d'exploitation est accessoire à l'obligation principale du droit à rémunération du cocontractant sur les produits de l'exploitation concernée. Or, elles soutiennent que la société Capricci production n'a aucun droit à rémunération sur les produits d'exploitation du film en Espagne ou au Portugal selon les termes de leurs accords.

Il existe des incohérences entre le contrat signé entre la société Capricci production et la société Andergraun films et celui signé entre la société Capricci production et la société Rosa filmes auquel n'est pas partie la société Andergraun films.

Selon le premier des contrats, en Espagne, la société Andergraun films conserve l'exploitation « en musées, institutions culturelles ou académiques » ainsi que l'exploitation télévisuelle dont elle bénéficie seule de la propriété des recettes. La société Capricci production conserve l'exploitation commerciale en salles. Les recettes, hors recettes télévisuelles, devant être réparties entre coproducteurs.

Selon le deuxième contrat, qui ne peut prévaloir faute de participation de la société Andergraun films et sans autres explications des parties sur ce point, la société Capricci production conserve l'exploitation de l'ensemble des procédés, sauf télévisuels, en Espagne.

Selon les articles 15.3 et 16.1 du second contrat, la société Rosa filmes a mandat exclusif pour exploiter le film au Portugal, les recettes hors recettes télévisuelles, devant être réparties entre les coproducteurs. Toutefois, par courrier non daté adressé à la société Rosa filmes, le gérant de la société Capricci production lui a confirmé que la société Rosa filmes demeurait propriétaire de toutes les recettes de l'exploitation du film quel que soit le mode d'exploitation malgré les termes du contrat de coproduction. [Pièce 27 intimées]

Il s'en déduit que la société Capricci production ne conserve aucun intérêt à la vérification de la comptabilité d'exploitation des sociétés Rosa filmes et Andergraun films prévue aux articles 16.1.3 et 17.1.3 des contrats susvisés.

Il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a « ordonné » que la société Capricci production puisse contrôler leur comptabilité selon les modalités qu'il a fixées mais également en ce qu'il a, par là même, autorisé les sociétés Andergraun films et Rosa filmes, qui ne le sollicitaient pas, à procéder de la sorte.

La demande des sociétés Capricci production et Capricci filmes est rejetée.

La demande de confirmation du constat de la résiliation des contrats aux torts de la société Capricci production

Les sociétés Aundergraun films et Rosa filmes font valoir la résiliation partielle de plein droit des contrats de coproduction et, plus particulièrement, des mandats d'exploitation confiés à la société Capricci production ainsi que ceux qu'elle a confiés à la société Capricci films, après les mises en demeure du 11 mars 2020, en ce que la société Capricci production a violé ses obligations contractuelles ayant trait à l'exploitation du film en ne procédant pas à la redditions des comptes s'entendant de la production des comptes d'exploitation et du paiement de leurs droits.

Les sociétés Capricci font valoir que la mise en oeuvre de la clause résolutoire suppose que les manquements allégués aient fait l'objet d'une mise en demeure et que ceux-ci aient persisté malgré la mise en demeure. Elle soutient que l'absence de reddition de comptes de production ou d'exploitation provient de l'absence de fourniture par les intimées de leurs propres comptes de production certifiés. Elle ajoute que le manquement qui consisterait à avoir mandaté la société Capricci films n'a pas donné lieu à mise en demeure et qu'au surplus, elle était libre du choix des vendeurs internationaux.

Selon l'ancien article 1184 du code civil applicable au litige :

« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »

L'article 18.1 du contrat de co-production signé entre la société Capricci production et Andergraun films stipule :

« en cas d'inexécution totale ou partielle par un coproducteur de ses obligations, en ce compris le défaut de paiement ou de remboursements des montants dus. Si l'exécution des obligations non exécutées est encore possible, chaque coproducteur se réserve le droit de résilier le contrat de plein droit quinze jours après l'expiration du délai imparti à la partie défaillante dans la lettre de mise en demeure recommandée restée infructueuse (...) »

La formulation de l'article 19.1 du contrat de co-production signé entre la société Capricci production et Rosa filmes est identique.

Par courriers recommandés en date du 11 mars 2020 adressés à la société Capricci production, les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ont fait valoir qu'elles n'avaient jamais reçu les comptes de production certifiés, ni les redditions de comptes d'exploitation, ni le paiement de leurs droits.

Elles ont mis en demeure la société Capricci production d'avoir notamment :

- à communiquer les comptes de production du film certifiés,

- à communiquer les comptes d'exploitation depuis la première année d'exploitation du film correspondant au détail des recettes, année par année et territoires par territoires, servant de base de calcul de la quote-part de recettes leur revenant,

- à régler, le cas échéant, les droits en résultant selon la répartition de l'avenant du 24 août 2016.

Ces courriers de mise en demeure visant les articles 18.1 ou 19.1 mentionnent l'intention des sociétés Andergraun films et Rosa filmes d'engager, à défaut de production des documents sollicités et de paiement, toute procédure nécessaire à la sauvegarde de leurs droits et en réparation du préjudice subi. Toutefois, elles n'ont pas été suivies d'une manifestation d'intention de procéder à la résiliation des contrats conformément auxdits articles. Aucune résiliation « de plein droit » du mandat d'exploitation n'a pu avoir lieu.

Il ressort du jugement de première instance qu'aucune demande de résiliation des contrats de co-production ou du mandat d'exploitation n'a été formée devant le tribunal de commerce, les sociétés Andergraun films et Rosa filmes s'étant contentées de prétendre au « constat(...) de la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation confié à Capricci production » et au « prononcé(...) de la révocation corrélative de tous les mandats confiés » à sa filiale.

Devant la cour, les sociétés Andergraun films et Rosa filmes ne demandent pas plus le prononcé de la résiliation du mandat d'exploitation mais sollicitent seulement la confirmation du constat de la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation du film.

La cour n'est pas saisie d'une demande de prononcé de la résiliation. Faute de résiliation du mandat d'exploitation, la demande de prononcé de la révocation corrélative des mandats confiés à la société Capricci films ne peut qu'être rejetée comme celle relative aux mesures d'interdiction.

Les demandes de dommages et intérêts présentées par les sociétés Andergraun films et Rosa filmes

Les sociétés Andergraun films et Rosa filmes sollicitent à titre de dommages et intérêts, pour le préjudice subi du fait de la violation par la société Capricci production de ses obligations de reddition de comptes, les sommes qu'elles estiment leur revenir du fait de l'exploitation du film, compte tenu des informations d'ores et déjà disponibles.

Il s'évince de leurs écritures, comme vu supra, qu'elles entendent par reddition de comptes tant la fourniture de comptes conformes aux engagements contractuels pour permettre le calcul des recettes nettes part producteur (RNPP) que le paiement des sommes éventuellement dues aux co-producteurs.

Outre son argument relatif à l'impossibilité d'établir des comptes entre les parties faute d'avoir reçu les comptes de production des sociétés Andergraun films et Rosa filmes, les sociétés Capricci critiquent le calcul retenu par le tribunal sans toutefois proposer un autre mode de calcul bien qu'elles aient désormais les comptes de production certifiés. Elles ne discutent pas de ce que les demandes formées puissent l'être au titre d'un préjudice, ni du lien de causalité entre la faute alléguée et ledit préjudice.

Il est rappelé qu'il a été retenu supra que les sociétés Andergraun films et Rosa filmes avaient régulièrement communiqué au coproducteur leurs décomptes des dépenses de production effectuées sur leur territoire, conformément aux contrats. Il appartenait à la société Capricci production d'adresser aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes le décompte définitif des dépenses de production certifié par un expert comptable.

Dans le délai de la mise en demeure, la société Capricci production a adressé un décompte définitif de production certifié non pas par un expert comptable indépendant mais par un commissaire aux comptes par courriels des 7 et 8 juillet 2020.

L'article 16.1.1 du contrat de coproduction signé entre la société Andergraun films et la société Capricci production prévoit que :

« chacun des coproducteurs établira les redditions de comptes d'exploitation du film dans son territoire, semestriellement la première année d'exploitation (du 31 juin au 31 décembre) et annuellement ensuite, au 31 décembre de chaque année, ceci pour chaque territoire et chaque mode d'exploitation ».

L'article 16.1.2 du même contrat stipule que :

« les décomptes d'exploitation seront envoyés aux autres coproducteurs et à l'agent de collecte des recettes, dans les trente jours de leur date d'arrêté. A défaut d'exploitation au cours d'une année considérée, les coproducteurs ne seront cependant pas tenus d'adresser de décomptes, sauf sur demande écrite des autres coproducteurs. »

Enfin, l'article 16.1.3 indique que :

« les coproducteurs tiendront dans leurs livres une comptabilité distinctes liées aux opérations d'exploitation du film. La comptabilité d'exploitation du film pourra être contrôlée par chacun des coproducteurs, sous réserve d'un préavis de huit jours ouvrés étant entendu que le contrôle devra s'effectuer pendant les heures d'ouverture des bureaux, au siège social du coproducteur faisant l'objet du contrôle (...) »

Les articles 17.1, 17.1.2 et 17.1.3 du contrat de coproduction signé entre la société Capricci production et Rosa filmes prévoient les mêmes obligations et modalités de contrôle.

La société Capricci production n'avait pas à attendre une certification des comptes de production par les sociétés Andergraun films et Rosa filmes pour produire les comptes d'exploitation.

Par courriel du 5 mai 2020, M. [T], depuis une adresse @capricci.fr, a adressé à M. [F] à l'adresse @andergraun.com « deux redditions de comptes sur Louis XIV arrêtées au 1er janvier 2020 ».

Par lettre simple du 7 juillet 2020 et courriels des 7 et 8 juillet 2020, ces documents ont en outre été adressés au conseil des sociétés Rosa filmes et Andergraun films. [pièce 13 intimées]

Les fichiers présentent de manière groupés l'ensemble des dépenses et recettes entre la date de sortie du film (« release date »), le 2 novembre 2016, et le 1er janvier 2020. Il se déduit des échanges entre les parties que le premier fichier correspond aux recettes et dépenses du film en France tandis que le second correspond aux recettes et dépenses à l'étranger, dont celles des festivals internationaux.

Si la présentation des comptes est discutée en ce qu'au-delà de l'exposé des recettes et dépenses, il est fait état des calculs des parts de chacun selon des modalités critiquées, il en ressort au minium, s'agissant des comptes d'exploitation pour l'étranger, que la société Capricci production mentionne sur le « producer's final share » de 7 271,75 ', un partage final de 4 217,62 ' pour elle-même, de 1 599,79 ' pour Rosa filmes et de 1 454,35 ' pour Andergraun films.

Ce document induit une reconnaissance de la société Capricci production au droit à paiement pour les sociétés Andergraun films et Rosa filmes, bien que la réparation ne soit pas conforme à l'avenant du 26 août 2015 évoqué supra. Pour autant, la société Capricici production ne justifie pas du versement de ces sommes aux coproducteurs et ne peut se retrancher, comme il a été déjà vu, derrière l'absence de communication de leur part des comptes de production certifiés ou des comptes d'exploitation pour le Portugal ou des comptes relatifs aux droits télévisuels espagnols, qu'elle n'avait, au demeurant, pas réclamés au 1er janvier 2020.

Pour l'exploitation du film en France, selon les comptes d'exploitation remis par la société Capricci production, le montant total des recettes brutes arrêtées au 31 décembre 2019 s'élèvent à la somme de 275 070 ' (correspondant à l'addition des sommes suivantes : 95 052 ' distributor's theatral gross receipts, 700 ' distributor's festivals gross receipts, 11 757 ' distributor's VOD gross receipts, 6 561 ' distributor's DVD gross receipts, 111 000 ' distributor's TV gross receipts) et le montant total des dépenses d'exploitation s'élèvent à la somme de 67 665,71 '.

Pour l'exploitation du film à l'étranger, selon les comptes d'exploitation remis par la société Capricci production, le montant total des recettes brutes arrêtées au 31 décembre 2019 s'élèvent à la somme de 143 324 ' (correspondant à l'addition des sommes suivantes : 75 607 ' distributor's sales gross receipts, 67 717 ' distributor's festival gross receipts) et le montant total des dépenses d'exploitation s'élèvent à la somme de 13 292 '.

Aux termes de ses écritures devant la cour, les sociétés Capricci ne justifient aucunement des pourcentages correspondant à la commission distributeur de la société Capricci films dans les comptes versés allant de 25 à 60 %. Le contrat de coproduction Andergraun/Capricci prévoyait une commission maximale pour le « vendeur » de 25 % (article 14.3) ; le contrat de coproduction Rosa filmes/ Capricci prévoyait une commission maximale pour le « vendeur » de 30 % (15.4). Toutefois, la validation de cette commission devait résulter de la signature d'un contrat « par les parties ». Aucun contrat n'ayant été signé par les sociétés Andergraun films et Rosa filmes avec la société Capricci films (« vendeur », distributeur), ces commissions leur sont, de fait, devenues inopposables. Surtout, il ressort du contrat signé uniquement entre la société Capricci distribution et la société Capricci films le 1er août 2015, non signé par les autres coproducteurs ni même validé a posteriori par ceux-ci, des montants de commissions distributeur supérieures à celles envisagées par les coproducteurs.

Dès lors, pour l'exploitation en France, après retrait de minima garantis (montant non contesté de 60 000 '), la somme à partager entre co-producteurs s'élève à : 147 404,29 ' (275 070 ' - 67 665,71 ' - 60 000 ') et pour l'exploitation à l'étranger, après retrait de minima garantis (montant non contesté de 70 000 '), la somme à partager entre co-producteurs s'élève à la somme de 60 032 ' (143 324 ' - 13 292 ' - 70 000 ').

La répartition entre les coproducteurs des sommes à partager a fait l'objet d'un avenant le 24 août 2016. Depuis lors, les dépenses des producteurs espagnols et portugais ont été réévaluées et certifiées. Il n'est pas démontré la fausseté du coût de production de la société Capricci production au 16 juin 2016 tel que mentionné dans le document adressé à ses coproducteurs ayant servi de base à leurs échanges postérieurs, coût repris dans le document certifié par son commissaire aux comptes par la suite (pièce 13 intimées).

La société Capricci production a intégré dans son coût de financement celui des minima garantis, à savoir le prix payé par la société Capricci films par avance sur la diffusion à venir du film, ainsi que le montant du crédit d'impôt. Aucune des parties ne fait valoir les règles de calcul adoptées par la profession pour le calcul de l'apport producteur à prendre en compte avant la répartition des RNPP à encaisser.

Les sociétés Andergraun films et Rosa filmes font valoir cependant que les minima garantis ayant servi au financement du film pour sa « part française » auraient dû être répartis entre tous les coproducteurs, ce qui s'évince justement des contrats de coproduction dès lors que la société Capricci films ne recevait mandat de la société Capricci production pour la diffusion des films que du fait de la désignation de la société Capricci production comme mandataire des autres coproducteurs pour l'exploitation du film. Dès lors, le montant des minima garantis qui permettent le financement du film en son ensemble aurait dû être réparti entre les coproducteurs à proportion de leurs engagements respectifs.

Selon les documents des parties, le coût de production total du film est de 1 057 044 ', comprenant les minima garantis :

- dépenses Capricci production : 673 874 ' (pièce 21 intimées)

- dépenses Rosa filmes : 248 151 ' (cf supra)

- dépenses Andergraun: 135 019 ' (cf supra)

si l'on enlève les minima garantis de 130 000 ', la répartition finale se fait comme suit :

- Capricci production : 58,67 % ((673.874 - 130.000) X 100 / (1.057.044 - 130.000))

- Rosa filmes : 26,77 % (248.151 X 100 /(1.057.044 - 130.000))

- Andergraun films: 14,56 % (135 019 ' X 100 /(1.057.044 - 130.000))

la réintégration des minima garantis représente :

- 76 271 euros pour Capricci production

- 34 801 euros pour Rosa filmes

- 18 928 euros pour Andergraun films

Il n'y a pas lieu de réattribuer la part de chacun sur les minima garantis, le seul intérêt de les avoir ôtés du coût de production étant uniquement de déterminer la clé de répartition pour le calcul de leurs droits sur les RNPP.

Il aurait donc du revenir, en l'état des chiffres produits :

- à Rosa filmes : pour l'exploitation en France, au titre des RNPP : 39 460 ' (147 404 X 26,77 %) et pour l'exploitation à l'étranger au titre des RNPP : 16 070 ' (60 032 X 26,77 %),

- à Andgergraun films : pour l'exploitation en France, au titre des RNPP : 21 462 ' (147 404 X 14,56 %) et pour l'exploitation à l'étranger au titre des RNPP : 8 741 ' (60 032 X 14,56 %).

La communauté d'intérêts des sociétés Capricci films et Capricci production fondant la demande des sociétés Andergraun films et Rosa films de condamnation solidaire ne les dispensaient pas, s'agissant d'une demande indemnitaire, de démontrer une faute de la société Capricci films de nature à engager sa responsabilité. Les sociétés Andergraun films et Rosa films ne justifient pas d'une telle faute.

La société Capricci production seule tenue au titre de la responsabilité contractuelle sera condamnée à payer ces sommes à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt fixant les indemnisations dues. Il y a lieu de prévoir que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts.

Le jugement sera infirmé.

La demande d'expertise

Il n'a pas été démontré une impossibilité de mise à exécution des termes des contrats de production qui prévoient la possibilité pour les sociétés Andergraun films et Rosa filmes de vérifier, au siège de la société Capricci production, la comptabilité d'exploitation. La demande d'expertise, dans ce contexte, n'apparaît pas utile pour déterminer les droits de chacun.

Le jugement sera confirmé.

La publication de la décision

Le préjudice des sociétés Andergraun et Rosa filmes est suffisamment réparé par les sommes allouées sans qu'il y ait lieu d'y ajouter une publication de la présente décision.

Leur demande de publication est rejetée. Le jugement est infirmé.

Les dépens et frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé s'agissant des condamnations aux dépens et frais irrépétibles.

Succombant principalement à l'instance d'appel, les sociétés Capricci production et Capricci films seront condamnées in solidum aux dépens de l'appel et à payer aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes, ensemble, la somme de 5 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- ordonné que tout coproducteur pourra contrôler la comptabilité d'exploitation du film d'un autre coproducteur sous réserve d'un préavis de 8 jours ouvrés, pendant les heures d'ouverture des bureaux et aux frais du contrôleur sauf en cas d'écart de plus de 10% par rapport aux recettes versées par le coproducteur faisant l'objet du contrôle et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la fin du préavis pour une durée de 90 jours, le tribunal se réservant le droit de liquider ladite astreinte,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Andergraun films la somme totale de 18.781,89 euros au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- condamné la société Capricci production à payer à la société Rosa filmes la somme totale de 34.243,07 euros au titre des recettes nettes part producteur du film « La Mort de Louis XIV » pour les années 2016 à 2019,

- constaté la résiliation de plein droit au 25 août 2020 du mandat d'exploitation du film « La Mort de Louis XIV » confié à Capricci production,

- prononcé la révocation de tous les mandats confiés par Capricci production à la société Capricci films,

- ordonné à la société Capricci production de cesser toute exploitation directe ou indirecte du film « La Mort de Louis XIV » sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée, passé un délai de 8 jours suivant la signification de la présente décision,

- ordonné la publication du communiqué suivant, sous le titre sous le titre « Publication judiciaire à la demande des sociétés Andergraun films et Rosa filmes », dans 5 journaux d'audience nationale et internationale au choix des sociétés Andergraun films et Rosa filmes :

« Par jugement en date du 12 juin 2023, le Tribunal de commerce de Nantes a condamné la société Capricci production à cesser toute exploitation du film d'[I] [F] intitulé La Mort de Louis XIV, ainsi qu'à verser des dommages-intérêts aux sociétés Andergraun films et Rosa filmes pour avoir violé ses obligations contractuelles »,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la demande des sociétés Capricci production et Capricci films de condamnation des sociétés intimées sous astreinte à remettre à la société Capricci production un décompte final détaillé des dépenses de production certifié par un commissaire aux comptes et les justificatifs desdites dépenses,

Rejette la demande des sociétés Capricci production et Capricci films de condamnation des sociétés intimées à laisser l'accès à la société Capricci production à leur siège social, aux frais de Capricci production à leur « comptabilité distincte liées aux opérations d'exploitation du film » prévue aux contrats,

Rejette les demandes des sociétés Andergraun films SL et Rosa filmes LDA de « dire et juger que les parties coproductrices devront se rapprocher dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir pour désigner d'un commun accord le ou les distributeurs et exploitants du Film concernant les droits et territoires non attribués exclusivement à Andergraun films et Rosa filmes » et de « dire qu'en cas de difficulté passé ce délai, il en sera référé à la requête de la partie la plus diligente au Président de la cour de céans statuant en référé pour prendre toute mesure notamment d'administration provisoire du Film »,

Rejette la demande de cessation de toute exploitation directe ou indirecte du film « La Mort de Louis XIV » par les sociétés Capricci production et Capricci films,

Rejette la demande de publication de la décision,

Condamne la société Capricci production à payer à titre de dommages et intérêts :

- à la société Rosa filmes LDA la somme totale de : 55 530 '

- à la société Andgergraun films SL la somme totale de 30 203 '

augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts,

Condamne in solidum les sociétés Capricci production et Capricci films aux dépens de l'appel,

Condamne in solidum les sociétés Capricci production et Capricci films à payer aux sociétés Andergraun films SL et Rosa filmes LDA, ensemble, la somme de 5 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande des parties,

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