CA Bordeaux, ch. soc. B, 24 avril 2025, n° 22/03092
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 24 avril 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/03092 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYWG
Monsieur [O] [U]
c/
S.A. GAN PREVOYANCE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Nezha FROMENTEZE de la SELARL FROMENTEZE, avocat au barreau de LOT
Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 mai 2022 (R.G. n°F 21/00021) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 28 juin 2022,
APPELANT :
[O] [U]
né le 29 Avril 1971 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Nezha FROMENTEZE de la SELARL FROMENTEZE, avocat au barreau de LOT
INTIMÉE :
S.A. GAN PREVOYANCE Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 1]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
Assistée par Me Dominique CHAPELLON-LIEDHART de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Vanessa DELATTRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 février 2025 en audience publique, devant Madame Valérie Collet, conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Valérie Collet, conseillère,
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
1 - Monsieur [O] [U] a été engagé en qualité de conseiller en prévoyance, non cadre, par la SA Gan Prévoyance (en suivant, la société Gan Prévoyance), à compter du 1 er janvier 2004. Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des échelons intermédiaires des services extérieurs de production des sociétés d'assurances.
2 - M. [U] a été placé en arrêt de travail ordinaire le 11 décembre 2017, jusqu'au 22 décembre 2017, prolongé jusqu'au 7 janvier 2018. Un nouvel arrêt de travail lui a été délivré le 9 janvier 2018, jusqu'au 7 février 2018, prolongé sans discontinuer jusqu'au 27 septembre 2018.
3 - Le 27 août 2018, le médecin du travail a déclaré M. [U] inapte définitivement au poste de conseiller prévoyance et à tout poste dans l'entreprise et dans le groupe. L'avis correspondant précise ' L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi '. M.[U] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 9 novembre 2018, par un courrier en date du 5 octobre 2018, puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par un courrier en date du 20 novembre 2018.
4 - M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Bergerac pour contester les modalités d'exécution de son contrat de travail et la légitimité de son licenciement par une requête reçue le 31 mars 2021. Dans un jugement du 30 mai 2022, notifié le 1 er juin 2022, le conseil de prud'hommes :
' - dit que les demandes liées à l'exécution du contrat de travail de M. [U] ne sont pas prescrites et sont donc recevables ;
- juge que le harcèlement moral allégué par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'est pas démontré ;
- déboute M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- juge que l'atteinte à la vie privée alléguée par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'est pas démontrée ;
- déboute M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour atteinte à sa vie privée ;
- rejette la demande tendant à voir juger que le licenciement est nul ;
- rejette la demande de M. [U] de paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- déboute M. [U] du surplus de ses demandes ;
- déboute M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamne M. [U] à payer 500 euros à la société Gan Prévoyance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamne M. [U] aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels d'exécution'.
5 - M. [U] en a relevé appel par une déclaration électronique du 28 juin 2022, à l'exception des dispositions qui déclarent les demandes liées à l'exécution du contrat de travail recevables. L'ordonnance de clôture est en date du 7 janvier 2025 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 3 février 2025.
6 - Dans ses dernières conclusions - Conclusions récapitulatives appelant - , notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 9 juillet 2024, M. [U] demande à la cour de :
' - confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Bergerac en date du 30 mai 2022 en ce qu'il a dit que les demandes liées à l'exécution du contrat de travail de M. [U] ne sont pas prescrites et sont donc recevables ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Bergerac le 30 mai 2022 en ce qu'il a jugé que le harcèlement moral allégué par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'était pas démontré, débouté M. [U] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, jugé que l'atteinte à la vie privée alléguée par M. [U] n'était pas démontrée, débouté M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour atteinte sa vie privée, rejeté la demande tendant à voir juger le licenciement nul , rejeté la demande de M. [U] au titre du paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, débouté M. [U] du surplus de ses demandes, débouté M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné M. [U] à payer 500 euros à la société Gan Prévoyance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamné M. [U] aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels d'exécution ;
Statuant de nouveau,
SUR L'EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
- juger que M. [U] a été victime de harcèlement moral ; en conséquence, condamner la société Gan Prévoyance à verser à M. [U] la somme de 42 900 euros à titre de dommages et intérêts ;
- juger que la société Gan Prévoyance a porté atteinte à la vie privée de M. [U] ; en conséquence, condamner la société Gan Prévoyance à verser à M. [U] la somme de 42 900 euros à titre de dommages et intérêts ;
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
- juger recevable la procédure initiée par M. [U] ;
- juger nul le licenciement pour inaptitude notifié le 20 novembre 2018 à M. [U] suite au harcèlement moral subi ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement de la somme de 171 600 euros à titre des dommages et intérêts pour le licenciement nul ;
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE
- débouter la société Gan Prévoyance de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement des intérêts sur les sommes allouées au titre de salaires à compter du jour de la saisine du bureau de conciliation;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement des sommes au titre de la capitalisation des intérêts ;
- condamner la société Gan Prévoyance aux dépens d'instance en ceux compris les frais de signification et d'exécution en cas d'absence d'exécution spontanée.
7 - Dans ses dernières conclusions - Conclusions d'intimée avec appel incident n° 2-, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 6 janvier 2025, la société Gan Prévoyance demande à la cour de :
'- réformer le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac du 30 mai 2022 en ce qu'il a jugé recevable la demande de M. [U] de dommages et intérêts pour atteinte a la vie privée ; en conséquence, juger irrecevable la demande de M. [U] de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée ; à titre subsidiaire, confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte a la vie privée ;
- confirmer, pour le surplus, le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac du 30 mai 2022 ; en consequence,débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral; juger le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [U] parfaitement valable ; débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement ; débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée; débouter M. [U] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- y ajoutant, condamner M. [U] à verser à la société Gan Prévoyance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamner M. [U] aux dépens '.
8 - Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à la vie privée
Moyens des parties
9 - M. [U] fait valoir que la divulgation par la directrice des ressources humaines, auprès de son supérieur hiérarchique direct, de l'assistante du directeur régional de la région Centre Atlantique dont il dépendait et d'une salariée du service RH, de son mot de passe personnel associé à l'application de géolocalisation Ocean installée par l'employeur dans les véhicules utilisés par les salariés pour faciliter l'établissement des notes de frais, caractérise une atteinte à la vie privée en ce que le boîtier dédié, bien que débranché de la prise allume cigare, continue de fonctionner grâce à sa batterie et donc à enregistrer les déplacements, en ce compris les déplacements privés; qu'il est fondé à demander la réparation du préjudice qui en a résulté.
10 - La société Gan Prévoyance objecte au principal que la demande est prescrite en ce que M.[U], dont le mot de passe a été communiqué par un mail du 8 mars 2017, a saisi le conseil de prud'hommes par une requête reçue le 31 mars 2021, soit au-delà du délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail ; à titre subsidiaire que M. [U] a été régulièrement informé de l'existence du dispositif, que la mise de la responsable d'études au pôle rémunérations au sein de la direction des ressources humaines, de l'assistante du directeur régional et du manager de M. [U] en copie du mail que la directrice des ressources humaines a adressé à ce dernier ne constitue pas une violation de la vie privée du salarié, que M. [U] ne rapporte la preuve d'aucune consultation par qui que ce soit de ses données personnelles de géolocalisation, que M. [U] ne justifie pas du préjudice qu'il allègue.
Réponse de la cour
11- La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18- 23.932). Il revient donc au juge de s'interroger sur la nature de la créance objet de la demande pour déterminer le délai de prescription applicable.
Suivant les dispositions de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
L'action en réparation d'un préjudice matériel ou moral lié à un manquement de l'employeur à ses obligations est soumise au délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail.
12 - La cour juge que l'action par laquelle M. [U] demande réparation du préjudice subi du fait d'une atteinte à sa vie privée par la société Gan Prévoyance se rattache à l'exécution du contrat de travail, qu'elle est donc soumise au délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail.
13 - En l'espèce, il n'est pas discutable que le mail dont M. [U] se prévaut a été expédié le 8 mars 2017. Le manquement de l'employeur allégué en résultant était donc connu de M. [U] depuis plus de quatre ans lorsque celui-ci a porté son action en réparation devant le conseil de prud'hommes. Il s'en déduit que l'action en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à la vie privée alléguée est prescrite, en conséquence que la demande en dommages et intérêts formée par M. [U] à ce titre est irrecevable. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Moyen des parties
9 - M. [U] fait valoir qu'il a été victime de harcèlement managérial de la part de M. [J] et de M. [C], respectivement son supérieur hiérarchique sur l'inspection de [Localité 2] et son responsable hiérarchique au niveau de la division [Localité 7] Limousin ; qu'il a en résulté des répercussions sur son état de santé, en compensation desquelles il est en droit de solliciter des dommages et intérêts.
10 - La société Gan Prévoyance objecte qu'ainsi que les premiers juges l'ont relevé aucun des éléments produits par M. [U] n'établit la réalité de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Réponse de la cour
11- Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Le juge, après s'être assuré de leur matérialité, doit analyser les faits invoqués par le salarié dans leur ensemble et les apprécier dans leur globalité afin de déterminer s'ils permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
12 - Au soutien de sa demande, M. [U] renvoie la cour à la lecture :
- des témoignages, de M. [R], salarié du 1 er décembre 2000 au 7 avril 2007 au poste d'inspecteur commercial et supérieur hiérarchique de M. [U] du 1 er janvier 2004 au 7 avril 2007, de Mme [S], salariée de septembre 2010 au 8 novembre 2012, de Mme [I], salariée du mois d'octobre 2008 au mois de décembre 2014, de Mme [B], salariée du mois de mars 2003 au mois de mai 2010, de M. [A], salarié de 2002 à 2012 manager de l'équipe de [Localité 3], rattaché à la division [Localité 7] Limousin, de M. [D], salarié du mois de mars 1991 au mois d'avril 2006, de M. [J], salarié de 2006 au mois de juin 2013 au poste de responsable d'inspection de l'agence de [Localité 2], de M. [C], salarié de 1988 à 2014, inspecteur à l'animation commerciale en qualité de directeur de la région [Localité 7] Limousin ;
- du courrier recommandé avec accusé de réception qu'il a adressé à M. [C] le 11 mars 2011 tenant au comportement de M. [J] ;
- des courriels qu'il a adressés entre 2007 et 2018, respectivement à M. [J], à ' l'ensemble de [ma] hiérarchie, à M. [C], à [Courriel 8], copie à M. [C], à M. [N], à M. [H], à M. [X], tenant aux dysfonctionnements de son équipement informatique ;
- aux certificats médicaux établis par le docteur [T], psychiatre, le 27 septembre 2018, et le docteur [E], médecin généraliste, le 2 octobre 2018 ;
- au compte rendu de Mme [V], psychologue du travail, en date du 29 janvier 2018, à l'attestation de Mme [W], psychothérapeute, en date du 5 octobre 2018; à son dossier médical renseigné par le service de santé au travail, à l'étude de poste réalisée au mois de janvier 2018 à la demande du médecin du travail.
13 - Dans son courrier à M. [C] en date du 11 mars 2011, M. [U] écrit : ' Monsieur, Conformément à votre demande et en accord avec l'ensemble de mes collègues CEP de l'équipe de [Localité 2] je vous confirme par écrit que la reprise d'activité de notre responsable d'inspection Monsieur [J] de retour de congé maladie, il apparaît impossible d'envisager de reprendre une collaboration saine et sereine avec lui. En effet l'accumulation des évènements passés a ruiné la confiance et la crédibilité nécessaires à une relation normale de travail entre un responsable et une équipe. Par ailleurs j'ajoute que Monsieur [J], au-delà de ses problèmes de santé ne me semble pas pouvoir faire preuve des qualités nécessaires pour manager une équipe dans des conditions normales.Cela s'est traduit en de multiples occasions par des situations inutilement compliquées à gérer tant au niveau du groupe que pour chacun d'entre nous (...)'.
Dans son témoignage établi le 14 mars 2023, M. [A], dont il n'est pas discuté qu'il rencontrait M. [U] dans des réunions et qu'il était comme ce dernier rattaché à la division [Localité 7] Limousin dirigée par M. [C], atteste , ' (...) C'est donc en de multiples occasions, lors de réunions, que j'ai pû être témoin de faits de harcèlement que M. [U] à dû subir de la part de sa hiérarchie (...) M. [J] qui était le manager de M. [U] se rendait régulièrement coupable de comportements inappropriés, de paroles déplacées et d'injonctions qui avaient l'évident objectif d'asseoir une autorité qu'il n'avait pas et de maintenir une pression constante sur M. [U]. Que ce soit pour l'accomplissement de tâches administratives (souvent inutiles), l'exploitation de fichiers, la réalisation de campagnes ciblées, le développement de nouvelles cibles, l'organisation de manifestations commerciales, la participation à des séances de phoning punitives tout était prétexte pour exiger toujours plus de M. [U], qui par ailleurs affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes. Outre son problème d'alcool ( qui était bien connu dans l'entreprise, son instabilité en matière d'accompagnement et son incapacité à mener son équipe (...). C'est d'une manière complètement décomplexée et avec la protection de la direction régionale que M. [C] pratiquait lui-aussi la manipulation, le mensonge, le harcèlement et le maintien d'une pression constante sur ses subordonnés et bien évidemment sur M. [U] (...) Comme M. [U] était un des meilleurs producteurs de la division, pour maintenir son autorité sur lui, M. [C] se rendait régulièrement coupable de pratiques s'apparentant à du harcèlement managérial. Il inventait et imposait à M. [U] de nouvelles obligations de manière arbitraire et autoritaire : faire un rapport tous les matins à 7h00, participer à des ponts téléphoniques ( présentés comme obligatoires alors qu'ils ne l'étaient pas), organiser des actions commerciales ( alors que ce n'était pas sa fonction); faire du démarchage téléphonique ( alors que M. [U] n'avait aucun besoin de ça pour réussir), accomplir des tâches administratives inutiles et chronophages, remplir des tableaux inutiles, faire des reporting, rédiger des commentaires détaillés sur les rapports d'activité (...)
De manière générale, M. [C] pratiquait une forme de management par la négative, autoritaire, dégradant et déstabilisant à l'égard de M.[U] : lors des réunions de division auxquelles j'assistais j'ai régulièrement constaté que même quand M. [U] réussissait et remplissait certains objectifs, M. [C] ne manquait jamais l'occasion de pointer ce qui n'avait pas été accompli et soulignait de façon dégradante les challenges qui n'avaient pas été remplis. Quand M. [U] réussissait sur le marché des professionnels, ce n'était pas assez bien sur le marché de la santé ou de la prévoyance... au final ce n'était jamais assez bien et il y avait toujours matière à reproches pour le rabaisser. Bien évidemment l'accumulation des faits subis par M. [U] est inacceptable d'autant que je le rappelle encore la direction de Gan Prévoyance, au plus haut niveau, était parfaitement au courant de ce qui se pratiquait en matière de management et en tant que cadre je peux en attester formellement (...)'.
Dans son témoignage du 1 er février 2022, M. [J] atteste , ' (...) On m'a confié la direction de l'inspection de [Localité 2] pour prendre la succession de M. [Z] [R] qui venait de démissionner. En tant que responsable hiérarchique je peux témoigner de la politique managériale qui était pratiquée dans l'entreprise. Je souhaite par ce témoignage mettre en lumière le contexte délétère et les conditions détestables dans lesquelles M. [U] a été contraint de travailler. Pour commencer un des fondamentaux de la culture de l'entreprise était le respect de la voix hiérarchique (...) Dans ce contexte de jeux de pouvoirs les inspecteurs tels que moi avions l'obligation d'appliquer les règles imposées arbitrairement par M. [Y] [C], inspecteur à l'animation commerciale, qui était le n+2 de la division. Celui-ci avait la fâcheuse tendance d'obtenir de ses collaborateurs ce qu'il voulait pas des procédés plus que discutables et pratiquait ou faisait pratiquer le chantage, la manipulation, l'intimidation, le mensonge, la pression et le harcèlement moral. Toutes les occasions étaient bonnes et j'ai été témoin de ce qu'a dû supporter M. [U] : pressions et chantage pour lui accorder ses jours de rtt ; manipulation pour imposer le choix de ses dates de congés d'été ( alors que les accords d'entreprise laissaient une certaine latitude de choix aux collaborateurs); pression et chantage pour obtenir le traitement de campagnes commerciales qui étaient inutiles à l'activité de M. [U]; harcèlement pour obliger M. [U] à faire de la prospection alors qu'il réalisait largement ses objectifs en travaillant par recommandation et bouche à oreille (...) Harcèlement pour contraindre M. [U] à participer à des punitions collectives infantilisantes telles que la participation à des séances de phoning coaché le vendredi soir de 18h à 20h à [Localité 5] ; par la suite ces séances de prises de rendez-vous téléphoniques surveillés par moi-même se sont institutionnalisés et ont été rendus obligatoires par M. [C] ; pression et manipulation pour rendre obligatoire la participation à des points équipes à 8h00 (...) Ces réunions téléphoniques n'avaient pas d'autre vocation que de surveiller de plus en plus étroitement l'activité des collaborateurs; harcèlement pour que les résultats soient quotidiennement transmis avant 7h00 du matin ( par la suite la pression s'est intensifiée et la communication des résultats a été rendue obligatoire par demie journée) (...) J'ai personnellement relaté ces faits auprès des patrons de la DRH de l'époque (...) qui m'ont répondu être parfaitement au courant de la situation et de rien pouvoir faire. Je souhaite témoigner et confesser ici avoir moi-même participé à ces pratiques inacceptables par des comportements indignes d'un manager . Malgré les multiples débordements dont je me suis rendu coupable, la direction de l'entreprise, qui en avait connaissance, a délibérément choisi de me maintenir dans ma fonction de manager car les résultats de mon équipe étaient globalement satisfaisants au regard des objectifs fixés (...)' ;
Dans son témoignage en date du 8 février 2022, M. [C], en poste de 1988 à 2014, atteste, ' (...) Pour réaliser leurs actes de vente, les conseillers étaient tributaires du bon fonctionnement de leur ordinateur. Malheureusement les outils dont nous disposions souffraient d'un manque de fiabilité et de performance: entre la lenteur, la complexité d'utilisation, les pannes régulières, la perte de données et l'incapacité de l'entreprise à dépanner rapidement, je me souviens que M.[U] se plaignait régulièrement d'être entravé dans le bon fonctionnement de son activité. M.[U] était un gros producteur et pour maintenir son niveau de performance (et par conséquent son niveau de rémunération) il devait maintenir un niveau d'activité très soutenu. Ces pannes avaient pour lui des conséquences lourdes en termes de pression psychologique et de stress. (...) l'entreprise a été trop souvent incapable d'apporter des réponses satisfaisantes (...) On peut considérer sans exagération que la répétition régulière de ces pannes a constitué pour M. [U] une forme de harcèlement psychologique. La direction de l'entreprise connaissait cette problématique et a été incapable d'y remédier. En 2007, après le départ de M. [R], c'est M. [J] qui a repris le management de l'équipe de [Localité 2] et il est ainsi devenu le hiérarchique n+1 de M. [U] jusqu'en 2013. Ce manager est à l'origine de nombreux problèmes dans l'entreprise; il a été mis en cause à plusieurs reprises et s'est rendu coupable de fautes. M.[U] s'est plaint auprès de moi à plusieurs reprises de son manager en faisant état de : manipulations, harcèlement, mensonges, insultes, ivresse alcoolique en clientèle en présence des collaborateurs, propos irrespectueux (...) Il a été délibérément décidé de maintenir M. [J] à son poste. Cette décision de l'entreprise a exposé M. [U] ( et ses collègues ) à une atmosphère psychologiquement toxique pendant plusieurs années (...) En application des directives imposées par la direction générale les réunions que je devais animer en division avaient pour objectif principal de faire un bilan quantitatif et qualitatif des résultats collectifs mais également individuels, ce qui peut sembler normal dans une activité commerciale sauf que la multiplicité et le niveau élevé des objectifs les rendaient impossibles à atteindre dans leur globalité. Marché par marché, cible par cible, produit par produit, catégorie par catégorie; fichier par fichier ... même en situation de réussite il y avait toujours des points sur lesquels la direction pouvait trouver à redire(...) Autres sources de stress et de mécontentement pour M.[U] : les problèmes de commissionnements, très régulièrement je devais traiter les réclamations de M. [U] qui relevait des anomalies sur ses fiches de paie; les problèmes avec les services de gestion, les informations relatives aux impayés, aux demandes clients, aux sorties anormales parvenaient aux conseillers régulièrement trop tard pour être traités ; les conséquences étaient reprochées et pénalisantes pour les conseillers ; M. [U] en a souffert régulièrement ; les émissions des contrats étaient régulièrement retardées, reportées avoire annulées ce qui compromettait les efforts fournis pour atteindre certains objectifs (...) J'affirme être sincère et conforme à la réalité qu'a vécue M. [U] dans son travail, j'ajoute que j'aurais souhaité avoir l'autorité nécessaire pour lui éviter d'avoir à subir tous les débordements qui lui ont coûté sa carrière professionnelle'.
Il en ressort que M. [U], qui affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes tout en travaillant par recommandation et bouche à oreille, a subi de la part de sa hiérarchie une pression constante en matière d'objectifs, consistant en des reproches systématiques, l'obligation de rendre compte de son activité de la veille avant 7h00 du matin puis à la demi-journée, l'obligation de prospecter par téléphone sous la surveillance de son n+1, en même temps que ses demandes légitimes pour être équipé d'un outil informatique fiable et ses alertes sur le comportement inapproprié de son n+1 restaient sans réponse.
14 - La mise en place s'agissant des objectifs d'une pression permanente par la multiplication des cibles à atteindre , l'énoncé en réunions d'équipe de reproches systématiques, le contrôle de l'activité à la demie journée, la prise de rendez-vous par téléphone sous la surveillance de son n+1, à l'égard d'un salarié dont il n'est pas discuté qu'il affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes et qu'il travaillait par recommandation et bouche à oreille, le choix de l'employeur d'ignorer les alertes du salarié sur le comportement inapproprié de son n+1, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
15 - Pour s'opposer à la demande de M. [U], la société Gan Prévoyance fait valoir que les éléments médicaux n'établissent nullement la réalité de faits de harcèlement moral, que Mme [S] s'exprime sur son seul cas, que Mme [B], Mme [I] et M. [D] n'évoquent aucun fait précis concernant M. [U], que M. [R] se contente d'évoquer un possible harcèlement par analogie avec une situation qu'il aurait vécue, que le risque psychosocial évoqué dans l'étude poste est inhérent à chaque entreprise, que la bi-polarité, l'invalidité et l'alcoolisme de M. [J] sont susceptibles d'altérer son discernement et questionnent à la fois sur sa capacité juridique à témoigner et sur sa crédibilité, qu'il est légitime de s'interroger sur le fichier WORD joint à la seconde attestation de M. [J] qui semble avoir été recopié, que le comportement assumé par M. [J] n'établit pas la réalité d'un harcèlement moral, que le fait de rendre compte de son activité journalière n'est pas illicite, que la participation à des séances de phoning n'a pas d'autre finalité que de permettre au salarié d'améliorer sa rémunération en augmentant le nombre de souscriptions, que la maintenance informatique était assurée par un prestataire extérieur, que M. [U] a été déclaré apte à l'issue d'une visite périodique organisée le 8 décembre 2017, ce qui est manifestement insuffisant à établir que l'exercice d'une pression constante en matière d'objectifs par la multiplication des cibles à atteindre, l'énoncé en réunions d'équipe de reproches systématiques, le contrôle de l'activité à la demie journée, la prise de rendez-vous par téléphone sous la surveillance du supérieur hiérarchique - l'ensemble à l'égard d'un salarié dont il n'est pas discuté qu'il affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes tout en travaillant par recommandation et bouche à oreille - , et le choix de l'employeur d'ignorer les alertes du salarié sur le comportement inapproprié de son n+1, sont justifiés par des faits objectifs étrangers à tout fait de harcèlement, étant précisé de première part que les suppositions de la société Gan Prévoyance sur l'altération éventuelle du discernement de M. [J] ne sont confortées par aucun élément extrinsèque, de deuxième part qu'il ne ressort d'aucun des éléments du dossier le dépôt par la société Gan Prévoyance d'une plainte pour faux ou usage de faux de sorte que les développements de l'intimée sur le fichier Word attaché à l'attestation de M. [J] sont sans intérêt , de troisième part qu'exiger d'un salarié qu'il justifie de son activité chaque jour avant 7h00 puis par demi-journée journée excède l'exercice normal du pouvoir de direction.
16 - La cour juge que M. [U] a subi un harcèlement moral de la part de son n+1 et de son n+2. Le préjudice qui en a résulté sera entièrement réparé par l'allocation de la somme de 8 000 euros que la société Gan Prévoyance est condamnée à lui payer. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
II - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Sur la demande de requalification du licenciement en un licenciement nul
Moyens des parties
17- M. [U] fait valoir que l'action en justice pour harcèlement moral se prescrit par cinq ans, que son inaptitude trouve son origine dans le harcèlement moral dont il a été victime.
18 - La société Gan Prévoyance objecte que M. [U] n'établit pas avoir été victime de harcèlement moral, que M. [U] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au terme d'une procédure régulière, que l'inaptitude en raison de laquelle M. [U] a été licencié n'a pas de lien avec les faits qu'il allègue puisque M. [J] et M. [C] ont quitté l'entreprise en 2014 et que M. [U] a travaillé sans faire état de difficulté particulière jusqu'au mois de décembre 2017.
Réponse de la cour
19 - Lorsque l'inaptitude du salarié est la conséquence directe des agissements de harcèlement moral, l'employeur ne peut pas s'en prévaloir pour rompre le contrat de travail et le licenciement est nul.
20 - Au soutien de sa demande, M. [U] renvoie la cour à la lecture des certificats du docteur [T], psychiatre, et du docteur [E], médecin généraliste, du compte rendu de Madame [V], psychologue du travail, de l'attestation de Mme [W], psychothérapeute, de son dossier médical tenu par la médecine du travail.
Dans un courrier à l'attention du médecin du travail en date du 27 septembre 2018, le docteur [T] écrit, ' La situation de M. [U] âgé de 47 ans est marquée par le rapport particulier entretenu avec l'entreprise pour laquelle il a travaillé. Lors de son arrêt maladie il a été possible de constater l'ampleur des pensées négatives concernant le mode d'exercice qu'il a eu dans ce cadre professionnel. Les pensées étaient tout à la fois angoissées, obsédantes, mêlées de colère et de désir d'échapper à ce mécanisme de ressassement sans y parvenir. La déclaration d'inaptitude à tout poste dans cette entreprise correspond en tous points aux nécessités de M. [U] ; en poursuivant dans ses anciennes fonctions il aurait retrouvé les mêmes difficultés, le cas restant d'ailleurs très théorique, car il lui aurait été probablement impossible de reprendre ce travail (...)'.
Dans un certificat en date du 2 octobre 2018, le docteur [E] écrit, ' Je soussigné, Dr [E], certifie être le médecin traitant de monsieur [U] [O], 47 ans, depuis 2002 et n'avoir constaté jusqu'au 11 décembre 2017 aucun symptôme pouvant évoquer des troubles anxieux sévères ; ces troubles sont apparus avec son activité professionnelle de ces dernières années; il me dit avoir consluté une psychologue en 2009 car il avait besoin d'aide devant certaines situations liées à son activité liée à son activité professionnelle. Le surmenage obligeant le patient à s'arrêter, a conduit à l'inaptitude dans cette entreprise'.
Dans le compte-rendu qu'elle a établi à la suite de l'entretien qui s'est déroulé le 29 janvier 2018 à la demande du médecin du travail, Mme [V] écrit: ' M. [U] fait état d'un mal être psychologique qu'il met en lien avec le travail et qui s'apparenterait à une forme de stress chronique. Cette situation de stress chronique ne serait selon lui pas en lien avec les objectifs commerciaux qu'il dit réaliser aisément ( serait classé dans les 200 meilleurs sur 600/700 depuis plus de dix ans) mais en lien avec l'augmentation des contraintes de travail qui selon ce qu'il décrit l'amènerait à une situation de travail tendu ( jobstrain). Il évoque les symptômes suivants ' grande fatigue, sentiment d'être vidé, sans envie et troubles du sommeil (...) Mais au-delà de cette situation de stress chronique, un autre facteur apparaît et me semble jouer un grand rôle dans le mal être de M.[U] : le conflit de valeurs. Effectivement, il décrit une entreprise qui à la faveur des évolutions aurait mis en place de nouvelles exigences qui pour M.[U] n'ont pas de sens car elles l'entraveraient dans l'atteinte de son chiffre d'affaires. Il cite quelques unes de ces nouvelles exigences qui semble-t-il réduiraient son autonomie au travail: ' obligation d'inscrire 12 rdv par semaine sur son planning, obligation d'en réaliser 10, de rentrer 6 recommandations et 3 contrats; obligation de faire du phoning alors que son réseau professionnel lui permettrait selon ses propos d'atteindre largement ses objectifs.
Enfin M. [U] évoque un évènement concernant les véhicules personnels: (...) or suite à un problème technique M.[U] dit s'être vu renvoyer un nouveau code non par le gestionnaire externe comme prévu mais par sa DRH avec copie à son manager. On perçoit une perte de confiance ', puis conclut ' M. [U] me semble aujourd'hui en questionnement quant à son avenir professionnel. Les éléments qu'il décrit amènent une situation transitoire et ne relève pas à mon sens de la psychopathologie.
En revanche il est certain que M. [U] a besoin de mener un travail psychologique pour traverser cette crise et il semble que cela va le conduire à prendre des déciisons quant à son avenir dans ou hors de l'entreprise. J'ai tendance à estimer qu'il peut demeurer maître de son parcours professionnel pour l'instant '.
Dans son témoignage établi le 5 octobre 2018, Mme [W] atteste,' (...) Après une période très longue et très traumatisante pour lui, son supérieur hiérarchique a fini par être écarté ( m'a aussi dit M. [U], je ne sais plus à quelle date, de mémoire ce devait être en 2013); d'autre part durant ces années il m'a également fait part de situations où sa hiérarchie faisait usage de manipulation et de mensonge pour obtenir des collaborateurs une plus grande docilité. Plus récemment, alors qu'il s'estime en situation de réussite il raconte que sa hiérarchie lui impose des tâches qui le détournent de sa mission de conseiller commercial et qui le mettent en situation de double-lien ( choix impossible). Il se plaint que la direction se comporte de manière décomplexée et en toute impunité, changeant constamment les règles fixées au mépris des règles du droit du travail. Il mentionne également que lorsqu'il tente de s'en ouvrir à son supérieur hiérarchique direct, la réponse qu'il obtient est toujours la même: à savoir qu'il n'est pas pas là pour réfléchir, discuter ou proposer mais pour exécuter et que si cet état de fait ne lui convient pas il peut prendre la porte.M.[U] dit vivre très mal cette situation car après 14 ans d'expérience réussie dans l'entreprise il vit comme un manque de respect et de considération l'atttitude de l'entreprise à son égard (...)'.
21- Il n'est pas discutable, et M. [U] ne le discute pas, que M.[J] et M. [C] expressément désignés comme auteurs du harcèlement managérial dont M. [U] a été victime, ont quitté l'entreprise, au mois de décembre 2013 pour le premier et au cours de l'année 2014 pour le second. M. [U] ne se prévaut d'aucun fait spécifique pour la période postérieure au départ de M. [C]. Aucun des témoignages de salariés produits par M. [U] ne concerne la période qui a suivi les départs de M. [J] et de M. [C], en ce que M. [A] a travaillé au sein de l'entreprise de 2002 à 2012, Mme [S] du 1 er septembre 2009 au 8 novembre 2012, Mme [B] du mois de mars 2007 au mois de mai 2010, Mme [I] du mois d'octobre 2008 au mois de décembre 2014, M. [D] du mois de mars 1991 au mois d'avril 2006. La société Gan Prévoyance soutient sans être aucunement contredite que M. [U] a poursuivi son activité sans interruption jusqu'au 11 décembre 2017. Il ressort de la lecture attentive des certificats établis par le docteur [T] et par le docteur [E] et des observations consignées dans le dossier médical de M. [U] par l'infirmière et par le médecin du travail à la suite des visites du 5 novembre 2015, du 8 décembre 2017 et du 9 janvier 2018, l'existence d'un mal être au travail en lien avec une incompatiblité entre les méthodes de travail du salarié et celles en vigueur dans l'entreprise, qui ne laisse toutefois pas supposer l'existence d'un harcèlement, l'attestation de Mme [W] - dont la cour relève qu'elle est en retraite depuis 2014 et qu'elle indique témoigner à titre amical -, qui rapporte les propos de M. [U] uniquement n'y suppléant pas.
Si l'étude de poste réalisée à la demande du médecin du travail conclut à l'existence d'une différence entre le travail prescrit et le travail réel et d'un stress technologique, les préconisations émises ne sont aucunement en lien avec l'existence de faits de harcèlement en ce qu'elles portent, de première part sur des améliorations techniques - singulièrement la mise à disposition de chaque équipe d'un ordinateur portable et d'une imprimante de façon à réduire le risque routier en réduisant le nombre de déplacements, la mise à disposition des commerciaux d'un téléphone équipé de deux cartes SIM afin d'éviter qu'ils se déplacent avec deux téléphones, l'attribution d'un code strictement personnel s'agissant du traceur kilométrique pour protéger la vie privée -, de deuxième part sur des améliorations organisationnelles, singulièrement la mise à disposition des salariés confrontés à des pannes informatiques d'un numéro dédié avec des interlocuteurs dédiés, l'établissement de comptes rendus à l'issue des réunions, l'ouverture d'un local commun pour réaliser les réunions et les entretiens et utiliser l'imprimante de façon à favoriser les échanges entre pairs, une réflexion sur la qualité de vie au travail, le lancement d'une réflexion avec la direction des services informatiques sur la sauvegarde des dossiers, leur confidentialité et leur traçabilité, la taille des caractères sur les tablettes au regard de la charte graphique, l'analyse des besoins des utilisateurs. Il s'en déduit que la preuve que l'inaptitude est la conséquence directe d'un harcèlement de la part de l'employeur n'est pas rapportée. Le jugement déféré est en conséquence confirmé, par motifs substitués, dans ses dispositions qui déboutent M. [U] de sa demande de requalification du licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement en un licenciement nul.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul
Moyens des parties
22 - M.[U] fait valoir qu'il est fondé à demander une indemnisation équivalente à 24 mois de salaire en ce qu'il a été au chômage du mois de décembre 2018 au mois de juin 2021, qu'il a ensuite été admis au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique jusqu'au mois de septembre 2021, qu'il est en arrêt maladie depuis le 8 novembre 2021.
23 - La société Gan Prévoyance objecte que M. [U] ne peut pas prétendre à quelconque indemnisation dès lors qu'il ne rapporte pas la preuve du harcèlement sur lequel il asseoit sa demande de nullité et ne justifie aucunement du préjudice qu'il allègue.
Réponse de la cour
24 - La cour déboute M. [U] pour les raisons susénoncées de sa demande de requalification du licenciement en un licenciement nul. Il s'en déduit que M. [U] doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts. Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
III - Sur les frais du procès
25 - La société Gan Prévoyance, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, et les dépens d'appel.
26- La cour condamne la société Gan Prévoyance aux dépens, qui ne peut dès lors pas prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société Gan Prévoyance est en conséquence déboutée de sa demande à ce titre. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
27 - L'équité commande de ne pas laisser à M. [U] la charge de ses frais irrépétibles. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Gan Prévoyance est condamnée à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme la décision dans ses dispositions qui déboutent M. [U] de sa demande de requalification du licenciement en un licenciement nul et de sa demande de dommages et intérêts subséquente ;
Infirme la décision déférée pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour;
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée formée par M. [U] ;
Condamne la société Gan Prévoyance à payer à M. [U] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
Condamne la société Gan Prévoyance aux dépens de première et aux dépens d'appel; en conséquence la déboute de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;
Condamne la société Gan Prévoyance à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
--------------------------
ARRÊT DU : 24 avril 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/03092 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYWG
Monsieur [O] [U]
c/
S.A. GAN PREVOYANCE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Nezha FROMENTEZE de la SELARL FROMENTEZE, avocat au barreau de LOT
Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 mai 2022 (R.G. n°F 21/00021) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 28 juin 2022,
APPELANT :
[O] [U]
né le 29 Avril 1971 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Nezha FROMENTEZE de la SELARL FROMENTEZE, avocat au barreau de LOT
INTIMÉE :
S.A. GAN PREVOYANCE Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 1]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
Assistée par Me Dominique CHAPELLON-LIEDHART de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Vanessa DELATTRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 février 2025 en audience publique, devant Madame Valérie Collet, conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Valérie Collet, conseillère,
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
1 - Monsieur [O] [U] a été engagé en qualité de conseiller en prévoyance, non cadre, par la SA Gan Prévoyance (en suivant, la société Gan Prévoyance), à compter du 1 er janvier 2004. Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des échelons intermédiaires des services extérieurs de production des sociétés d'assurances.
2 - M. [U] a été placé en arrêt de travail ordinaire le 11 décembre 2017, jusqu'au 22 décembre 2017, prolongé jusqu'au 7 janvier 2018. Un nouvel arrêt de travail lui a été délivré le 9 janvier 2018, jusqu'au 7 février 2018, prolongé sans discontinuer jusqu'au 27 septembre 2018.
3 - Le 27 août 2018, le médecin du travail a déclaré M. [U] inapte définitivement au poste de conseiller prévoyance et à tout poste dans l'entreprise et dans le groupe. L'avis correspondant précise ' L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi '. M.[U] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 9 novembre 2018, par un courrier en date du 5 octobre 2018, puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par un courrier en date du 20 novembre 2018.
4 - M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Bergerac pour contester les modalités d'exécution de son contrat de travail et la légitimité de son licenciement par une requête reçue le 31 mars 2021. Dans un jugement du 30 mai 2022, notifié le 1 er juin 2022, le conseil de prud'hommes :
' - dit que les demandes liées à l'exécution du contrat de travail de M. [U] ne sont pas prescrites et sont donc recevables ;
- juge que le harcèlement moral allégué par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'est pas démontré ;
- déboute M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- juge que l'atteinte à la vie privée alléguée par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'est pas démontrée ;
- déboute M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour atteinte à sa vie privée ;
- rejette la demande tendant à voir juger que le licenciement est nul ;
- rejette la demande de M. [U] de paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
- déboute M. [U] du surplus de ses demandes ;
- déboute M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamne M. [U] à payer 500 euros à la société Gan Prévoyance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamne M. [U] aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels d'exécution'.
5 - M. [U] en a relevé appel par une déclaration électronique du 28 juin 2022, à l'exception des dispositions qui déclarent les demandes liées à l'exécution du contrat de travail recevables. L'ordonnance de clôture est en date du 7 janvier 2025 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 3 février 2025.
6 - Dans ses dernières conclusions - Conclusions récapitulatives appelant - , notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 9 juillet 2024, M. [U] demande à la cour de :
' - confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Bergerac en date du 30 mai 2022 en ce qu'il a dit que les demandes liées à l'exécution du contrat de travail de M. [U] ne sont pas prescrites et sont donc recevables ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Bergerac le 30 mai 2022 en ce qu'il a jugé que le harcèlement moral allégué par M. [U] de la part de la société Gan Prévoyance n'était pas démontré, débouté M. [U] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral, jugé que l'atteinte à la vie privée alléguée par M. [U] n'était pas démontrée, débouté M. [U] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour atteinte sa vie privée, rejeté la demande tendant à voir juger le licenciement nul , rejeté la demande de M. [U] au titre du paiement de dommages et intérêts pour licenciement nul, débouté M. [U] du surplus de ses demandes, débouté M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamné M. [U] à payer 500 euros à la société Gan Prévoyance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamné M. [U] aux dépens de l'instance ainsi qu'aux frais éventuels d'exécution ;
Statuant de nouveau,
SUR L'EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
- juger que M. [U] a été victime de harcèlement moral ; en conséquence, condamner la société Gan Prévoyance à verser à M. [U] la somme de 42 900 euros à titre de dommages et intérêts ;
- juger que la société Gan Prévoyance a porté atteinte à la vie privée de M. [U] ; en conséquence, condamner la société Gan Prévoyance à verser à M. [U] la somme de 42 900 euros à titre de dommages et intérêts ;
SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
- juger recevable la procédure initiée par M. [U] ;
- juger nul le licenciement pour inaptitude notifié le 20 novembre 2018 à M. [U] suite au harcèlement moral subi ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement de la somme de 171 600 euros à titre des dommages et intérêts pour le licenciement nul ;
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE
- débouter la société Gan Prévoyance de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement des intérêts sur les sommes allouées au titre de salaires à compter du jour de la saisine du bureau de conciliation;
- condamner la société Gan Prévoyance au paiement des sommes au titre de la capitalisation des intérêts ;
- condamner la société Gan Prévoyance aux dépens d'instance en ceux compris les frais de signification et d'exécution en cas d'absence d'exécution spontanée.
7 - Dans ses dernières conclusions - Conclusions d'intimée avec appel incident n° 2-, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 6 janvier 2025, la société Gan Prévoyance demande à la cour de :
'- réformer le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac du 30 mai 2022 en ce qu'il a jugé recevable la demande de M. [U] de dommages et intérêts pour atteinte a la vie privée ; en conséquence, juger irrecevable la demande de M. [U] de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée ; à titre subsidiaire, confirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte a la vie privée ;
- confirmer, pour le surplus, le jugement du conseil des prud'hommes de Bergerac du 30 mai 2022 ; en consequence,débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral; juger le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [U] parfaitement valable ; débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement ; débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée; débouter M. [U] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- y ajoutant, condamner M. [U] à verser à la société Gan Prévoyance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; condamner M. [U] aux dépens '.
8 - Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'atteinte à la vie privée
Moyens des parties
9 - M. [U] fait valoir que la divulgation par la directrice des ressources humaines, auprès de son supérieur hiérarchique direct, de l'assistante du directeur régional de la région Centre Atlantique dont il dépendait et d'une salariée du service RH, de son mot de passe personnel associé à l'application de géolocalisation Ocean installée par l'employeur dans les véhicules utilisés par les salariés pour faciliter l'établissement des notes de frais, caractérise une atteinte à la vie privée en ce que le boîtier dédié, bien que débranché de la prise allume cigare, continue de fonctionner grâce à sa batterie et donc à enregistrer les déplacements, en ce compris les déplacements privés; qu'il est fondé à demander la réparation du préjudice qui en a résulté.
10 - La société Gan Prévoyance objecte au principal que la demande est prescrite en ce que M.[U], dont le mot de passe a été communiqué par un mail du 8 mars 2017, a saisi le conseil de prud'hommes par une requête reçue le 31 mars 2021, soit au-delà du délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail ; à titre subsidiaire que M. [U] a été régulièrement informé de l'existence du dispositif, que la mise de la responsable d'études au pôle rémunérations au sein de la direction des ressources humaines, de l'assistante du directeur régional et du manager de M. [U] en copie du mail que la directrice des ressources humaines a adressé à ce dernier ne constitue pas une violation de la vie privée du salarié, que M. [U] ne rapporte la preuve d'aucune consultation par qui que ce soit de ses données personnelles de géolocalisation, que M. [U] ne justifie pas du préjudice qu'il allègue.
Réponse de la cour
11- La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18- 23.932). Il revient donc au juge de s'interroger sur la nature de la créance objet de la demande pour déterminer le délai de prescription applicable.
Suivant les dispositions de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
L'action en réparation d'un préjudice matériel ou moral lié à un manquement de l'employeur à ses obligations est soumise au délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail.
12 - La cour juge que l'action par laquelle M. [U] demande réparation du préjudice subi du fait d'une atteinte à sa vie privée par la société Gan Prévoyance se rattache à l'exécution du contrat de travail, qu'elle est donc soumise au délai biennal de l'article L.1471-1 alinéa 1 du code du travail.
13 - En l'espèce, il n'est pas discutable que le mail dont M. [U] se prévaut a été expédié le 8 mars 2017. Le manquement de l'employeur allégué en résultant était donc connu de M. [U] depuis plus de quatre ans lorsque celui-ci a porté son action en réparation devant le conseil de prud'hommes. Il s'en déduit que l'action en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à la vie privée alléguée est prescrite, en conséquence que la demande en dommages et intérêts formée par M. [U] à ce titre est irrecevable. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Moyen des parties
9 - M. [U] fait valoir qu'il a été victime de harcèlement managérial de la part de M. [J] et de M. [C], respectivement son supérieur hiérarchique sur l'inspection de [Localité 2] et son responsable hiérarchique au niveau de la division [Localité 7] Limousin ; qu'il a en résulté des répercussions sur son état de santé, en compensation desquelles il est en droit de solliciter des dommages et intérêts.
10 - La société Gan Prévoyance objecte qu'ainsi que les premiers juges l'ont relevé aucun des éléments produits par M. [U] n'établit la réalité de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Réponse de la cour
11- Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Le juge, après s'être assuré de leur matérialité, doit analyser les faits invoqués par le salarié dans leur ensemble et les apprécier dans leur globalité afin de déterminer s'ils permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
12 - Au soutien de sa demande, M. [U] renvoie la cour à la lecture :
- des témoignages, de M. [R], salarié du 1 er décembre 2000 au 7 avril 2007 au poste d'inspecteur commercial et supérieur hiérarchique de M. [U] du 1 er janvier 2004 au 7 avril 2007, de Mme [S], salariée de septembre 2010 au 8 novembre 2012, de Mme [I], salariée du mois d'octobre 2008 au mois de décembre 2014, de Mme [B], salariée du mois de mars 2003 au mois de mai 2010, de M. [A], salarié de 2002 à 2012 manager de l'équipe de [Localité 3], rattaché à la division [Localité 7] Limousin, de M. [D], salarié du mois de mars 1991 au mois d'avril 2006, de M. [J], salarié de 2006 au mois de juin 2013 au poste de responsable d'inspection de l'agence de [Localité 2], de M. [C], salarié de 1988 à 2014, inspecteur à l'animation commerciale en qualité de directeur de la région [Localité 7] Limousin ;
- du courrier recommandé avec accusé de réception qu'il a adressé à M. [C] le 11 mars 2011 tenant au comportement de M. [J] ;
- des courriels qu'il a adressés entre 2007 et 2018, respectivement à M. [J], à ' l'ensemble de [ma] hiérarchie, à M. [C], à [Courriel 8], copie à M. [C], à M. [N], à M. [H], à M. [X], tenant aux dysfonctionnements de son équipement informatique ;
- aux certificats médicaux établis par le docteur [T], psychiatre, le 27 septembre 2018, et le docteur [E], médecin généraliste, le 2 octobre 2018 ;
- au compte rendu de Mme [V], psychologue du travail, en date du 29 janvier 2018, à l'attestation de Mme [W], psychothérapeute, en date du 5 octobre 2018; à son dossier médical renseigné par le service de santé au travail, à l'étude de poste réalisée au mois de janvier 2018 à la demande du médecin du travail.
13 - Dans son courrier à M. [C] en date du 11 mars 2011, M. [U] écrit : ' Monsieur, Conformément à votre demande et en accord avec l'ensemble de mes collègues CEP de l'équipe de [Localité 2] je vous confirme par écrit que la reprise d'activité de notre responsable d'inspection Monsieur [J] de retour de congé maladie, il apparaît impossible d'envisager de reprendre une collaboration saine et sereine avec lui. En effet l'accumulation des évènements passés a ruiné la confiance et la crédibilité nécessaires à une relation normale de travail entre un responsable et une équipe. Par ailleurs j'ajoute que Monsieur [J], au-delà de ses problèmes de santé ne me semble pas pouvoir faire preuve des qualités nécessaires pour manager une équipe dans des conditions normales.Cela s'est traduit en de multiples occasions par des situations inutilement compliquées à gérer tant au niveau du groupe que pour chacun d'entre nous (...)'.
Dans son témoignage établi le 14 mars 2023, M. [A], dont il n'est pas discuté qu'il rencontrait M. [U] dans des réunions et qu'il était comme ce dernier rattaché à la division [Localité 7] Limousin dirigée par M. [C], atteste , ' (...) C'est donc en de multiples occasions, lors de réunions, que j'ai pû être témoin de faits de harcèlement que M. [U] à dû subir de la part de sa hiérarchie (...) M. [J] qui était le manager de M. [U] se rendait régulièrement coupable de comportements inappropriés, de paroles déplacées et d'injonctions qui avaient l'évident objectif d'asseoir une autorité qu'il n'avait pas et de maintenir une pression constante sur M. [U]. Que ce soit pour l'accomplissement de tâches administratives (souvent inutiles), l'exploitation de fichiers, la réalisation de campagnes ciblées, le développement de nouvelles cibles, l'organisation de manifestations commerciales, la participation à des séances de phoning punitives tout était prétexte pour exiger toujours plus de M. [U], qui par ailleurs affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes. Outre son problème d'alcool ( qui était bien connu dans l'entreprise, son instabilité en matière d'accompagnement et son incapacité à mener son équipe (...). C'est d'une manière complètement décomplexée et avec la protection de la direction régionale que M. [C] pratiquait lui-aussi la manipulation, le mensonge, le harcèlement et le maintien d'une pression constante sur ses subordonnés et bien évidemment sur M. [U] (...) Comme M. [U] était un des meilleurs producteurs de la division, pour maintenir son autorité sur lui, M. [C] se rendait régulièrement coupable de pratiques s'apparentant à du harcèlement managérial. Il inventait et imposait à M. [U] de nouvelles obligations de manière arbitraire et autoritaire : faire un rapport tous les matins à 7h00, participer à des ponts téléphoniques ( présentés comme obligatoires alors qu'ils ne l'étaient pas), organiser des actions commerciales ( alors que ce n'était pas sa fonction); faire du démarchage téléphonique ( alors que M. [U] n'avait aucun besoin de ça pour réussir), accomplir des tâches administratives inutiles et chronophages, remplir des tableaux inutiles, faire des reporting, rédiger des commentaires détaillés sur les rapports d'activité (...)
De manière générale, M. [C] pratiquait une forme de management par la négative, autoritaire, dégradant et déstabilisant à l'égard de M.[U] : lors des réunions de division auxquelles j'assistais j'ai régulièrement constaté que même quand M. [U] réussissait et remplissait certains objectifs, M. [C] ne manquait jamais l'occasion de pointer ce qui n'avait pas été accompli et soulignait de façon dégradante les challenges qui n'avaient pas été remplis. Quand M. [U] réussissait sur le marché des professionnels, ce n'était pas assez bien sur le marché de la santé ou de la prévoyance... au final ce n'était jamais assez bien et il y avait toujours matière à reproches pour le rabaisser. Bien évidemment l'accumulation des faits subis par M. [U] est inacceptable d'autant que je le rappelle encore la direction de Gan Prévoyance, au plus haut niveau, était parfaitement au courant de ce qui se pratiquait en matière de management et en tant que cadre je peux en attester formellement (...)'.
Dans son témoignage du 1 er février 2022, M. [J] atteste , ' (...) On m'a confié la direction de l'inspection de [Localité 2] pour prendre la succession de M. [Z] [R] qui venait de démissionner. En tant que responsable hiérarchique je peux témoigner de la politique managériale qui était pratiquée dans l'entreprise. Je souhaite par ce témoignage mettre en lumière le contexte délétère et les conditions détestables dans lesquelles M. [U] a été contraint de travailler. Pour commencer un des fondamentaux de la culture de l'entreprise était le respect de la voix hiérarchique (...) Dans ce contexte de jeux de pouvoirs les inspecteurs tels que moi avions l'obligation d'appliquer les règles imposées arbitrairement par M. [Y] [C], inspecteur à l'animation commerciale, qui était le n+2 de la division. Celui-ci avait la fâcheuse tendance d'obtenir de ses collaborateurs ce qu'il voulait pas des procédés plus que discutables et pratiquait ou faisait pratiquer le chantage, la manipulation, l'intimidation, le mensonge, la pression et le harcèlement moral. Toutes les occasions étaient bonnes et j'ai été témoin de ce qu'a dû supporter M. [U] : pressions et chantage pour lui accorder ses jours de rtt ; manipulation pour imposer le choix de ses dates de congés d'été ( alors que les accords d'entreprise laissaient une certaine latitude de choix aux collaborateurs); pression et chantage pour obtenir le traitement de campagnes commerciales qui étaient inutiles à l'activité de M. [U]; harcèlement pour obliger M. [U] à faire de la prospection alors qu'il réalisait largement ses objectifs en travaillant par recommandation et bouche à oreille (...) Harcèlement pour contraindre M. [U] à participer à des punitions collectives infantilisantes telles que la participation à des séances de phoning coaché le vendredi soir de 18h à 20h à [Localité 5] ; par la suite ces séances de prises de rendez-vous téléphoniques surveillés par moi-même se sont institutionnalisés et ont été rendus obligatoires par M. [C] ; pression et manipulation pour rendre obligatoire la participation à des points équipes à 8h00 (...) Ces réunions téléphoniques n'avaient pas d'autre vocation que de surveiller de plus en plus étroitement l'activité des collaborateurs; harcèlement pour que les résultats soient quotidiennement transmis avant 7h00 du matin ( par la suite la pression s'est intensifiée et la communication des résultats a été rendue obligatoire par demie journée) (...) J'ai personnellement relaté ces faits auprès des patrons de la DRH de l'époque (...) qui m'ont répondu être parfaitement au courant de la situation et de rien pouvoir faire. Je souhaite témoigner et confesser ici avoir moi-même participé à ces pratiques inacceptables par des comportements indignes d'un manager . Malgré les multiples débordements dont je me suis rendu coupable, la direction de l'entreprise, qui en avait connaissance, a délibérément choisi de me maintenir dans ma fonction de manager car les résultats de mon équipe étaient globalement satisfaisants au regard des objectifs fixés (...)' ;
Dans son témoignage en date du 8 février 2022, M. [C], en poste de 1988 à 2014, atteste, ' (...) Pour réaliser leurs actes de vente, les conseillers étaient tributaires du bon fonctionnement de leur ordinateur. Malheureusement les outils dont nous disposions souffraient d'un manque de fiabilité et de performance: entre la lenteur, la complexité d'utilisation, les pannes régulières, la perte de données et l'incapacité de l'entreprise à dépanner rapidement, je me souviens que M.[U] se plaignait régulièrement d'être entravé dans le bon fonctionnement de son activité. M.[U] était un gros producteur et pour maintenir son niveau de performance (et par conséquent son niveau de rémunération) il devait maintenir un niveau d'activité très soutenu. Ces pannes avaient pour lui des conséquences lourdes en termes de pression psychologique et de stress. (...) l'entreprise a été trop souvent incapable d'apporter des réponses satisfaisantes (...) On peut considérer sans exagération que la répétition régulière de ces pannes a constitué pour M. [U] une forme de harcèlement psychologique. La direction de l'entreprise connaissait cette problématique et a été incapable d'y remédier. En 2007, après le départ de M. [R], c'est M. [J] qui a repris le management de l'équipe de [Localité 2] et il est ainsi devenu le hiérarchique n+1 de M. [U] jusqu'en 2013. Ce manager est à l'origine de nombreux problèmes dans l'entreprise; il a été mis en cause à plusieurs reprises et s'est rendu coupable de fautes. M.[U] s'est plaint auprès de moi à plusieurs reprises de son manager en faisant état de : manipulations, harcèlement, mensonges, insultes, ivresse alcoolique en clientèle en présence des collaborateurs, propos irrespectueux (...) Il a été délibérément décidé de maintenir M. [J] à son poste. Cette décision de l'entreprise a exposé M. [U] ( et ses collègues ) à une atmosphère psychologiquement toxique pendant plusieurs années (...) En application des directives imposées par la direction générale les réunions que je devais animer en division avaient pour objectif principal de faire un bilan quantitatif et qualitatif des résultats collectifs mais également individuels, ce qui peut sembler normal dans une activité commerciale sauf que la multiplicité et le niveau élevé des objectifs les rendaient impossibles à atteindre dans leur globalité. Marché par marché, cible par cible, produit par produit, catégorie par catégorie; fichier par fichier ... même en situation de réussite il y avait toujours des points sur lesquels la direction pouvait trouver à redire(...) Autres sources de stress et de mécontentement pour M.[U] : les problèmes de commissionnements, très régulièrement je devais traiter les réclamations de M. [U] qui relevait des anomalies sur ses fiches de paie; les problèmes avec les services de gestion, les informations relatives aux impayés, aux demandes clients, aux sorties anormales parvenaient aux conseillers régulièrement trop tard pour être traités ; les conséquences étaient reprochées et pénalisantes pour les conseillers ; M. [U] en a souffert régulièrement ; les émissions des contrats étaient régulièrement retardées, reportées avoire annulées ce qui compromettait les efforts fournis pour atteindre certains objectifs (...) J'affirme être sincère et conforme à la réalité qu'a vécue M. [U] dans son travail, j'ajoute que j'aurais souhaité avoir l'autorité nécessaire pour lui éviter d'avoir à subir tous les débordements qui lui ont coûté sa carrière professionnelle'.
Il en ressort que M. [U], qui affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes tout en travaillant par recommandation et bouche à oreille, a subi de la part de sa hiérarchie une pression constante en matière d'objectifs, consistant en des reproches systématiques, l'obligation de rendre compte de son activité de la veille avant 7h00 du matin puis à la demi-journée, l'obligation de prospecter par téléphone sous la surveillance de son n+1, en même temps que ses demandes légitimes pour être équipé d'un outil informatique fiable et ses alertes sur le comportement inapproprié de son n+1 restaient sans réponse.
14 - La mise en place s'agissant des objectifs d'une pression permanente par la multiplication des cibles à atteindre , l'énoncé en réunions d'équipe de reproches systématiques, le contrôle de l'activité à la demie journée, la prise de rendez-vous par téléphone sous la surveillance de son n+1, à l'égard d'un salarié dont il n'est pas discuté qu'il affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes et qu'il travaillait par recommandation et bouche à oreille, le choix de l'employeur d'ignorer les alertes du salarié sur le comportement inapproprié de son n+1, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.
15 - Pour s'opposer à la demande de M. [U], la société Gan Prévoyance fait valoir que les éléments médicaux n'établissent nullement la réalité de faits de harcèlement moral, que Mme [S] s'exprime sur son seul cas, que Mme [B], Mme [I] et M. [D] n'évoquent aucun fait précis concernant M. [U], que M. [R] se contente d'évoquer un possible harcèlement par analogie avec une situation qu'il aurait vécue, que le risque psychosocial évoqué dans l'étude poste est inhérent à chaque entreprise, que la bi-polarité, l'invalidité et l'alcoolisme de M. [J] sont susceptibles d'altérer son discernement et questionnent à la fois sur sa capacité juridique à témoigner et sur sa crédibilité, qu'il est légitime de s'interroger sur le fichier WORD joint à la seconde attestation de M. [J] qui semble avoir été recopié, que le comportement assumé par M. [J] n'établit pas la réalité d'un harcèlement moral, que le fait de rendre compte de son activité journalière n'est pas illicite, que la participation à des séances de phoning n'a pas d'autre finalité que de permettre au salarié d'améliorer sa rémunération en augmentant le nombre de souscriptions, que la maintenance informatique était assurée par un prestataire extérieur, que M. [U] a été déclaré apte à l'issue d'une visite périodique organisée le 8 décembre 2017, ce qui est manifestement insuffisant à établir que l'exercice d'une pression constante en matière d'objectifs par la multiplication des cibles à atteindre, l'énoncé en réunions d'équipe de reproches systématiques, le contrôle de l'activité à la demie journée, la prise de rendez-vous par téléphone sous la surveillance du supérieur hiérarchique - l'ensemble à l'égard d'un salarié dont il n'est pas discuté qu'il affichait les meilleurs résultats de la division en terme de volume de ventes tout en travaillant par recommandation et bouche à oreille - , et le choix de l'employeur d'ignorer les alertes du salarié sur le comportement inapproprié de son n+1, sont justifiés par des faits objectifs étrangers à tout fait de harcèlement, étant précisé de première part que les suppositions de la société Gan Prévoyance sur l'altération éventuelle du discernement de M. [J] ne sont confortées par aucun élément extrinsèque, de deuxième part qu'il ne ressort d'aucun des éléments du dossier le dépôt par la société Gan Prévoyance d'une plainte pour faux ou usage de faux de sorte que les développements de l'intimée sur le fichier Word attaché à l'attestation de M. [J] sont sans intérêt , de troisième part qu'exiger d'un salarié qu'il justifie de son activité chaque jour avant 7h00 puis par demi-journée journée excède l'exercice normal du pouvoir de direction.
16 - La cour juge que M. [U] a subi un harcèlement moral de la part de son n+1 et de son n+2. Le préjudice qui en a résulté sera entièrement réparé par l'allocation de la somme de 8 000 euros que la société Gan Prévoyance est condamnée à lui payer. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
II - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Sur la demande de requalification du licenciement en un licenciement nul
Moyens des parties
17- M. [U] fait valoir que l'action en justice pour harcèlement moral se prescrit par cinq ans, que son inaptitude trouve son origine dans le harcèlement moral dont il a été victime.
18 - La société Gan Prévoyance objecte que M. [U] n'établit pas avoir été victime de harcèlement moral, que M. [U] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au terme d'une procédure régulière, que l'inaptitude en raison de laquelle M. [U] a été licencié n'a pas de lien avec les faits qu'il allègue puisque M. [J] et M. [C] ont quitté l'entreprise en 2014 et que M. [U] a travaillé sans faire état de difficulté particulière jusqu'au mois de décembre 2017.
Réponse de la cour
19 - Lorsque l'inaptitude du salarié est la conséquence directe des agissements de harcèlement moral, l'employeur ne peut pas s'en prévaloir pour rompre le contrat de travail et le licenciement est nul.
20 - Au soutien de sa demande, M. [U] renvoie la cour à la lecture des certificats du docteur [T], psychiatre, et du docteur [E], médecin généraliste, du compte rendu de Madame [V], psychologue du travail, de l'attestation de Mme [W], psychothérapeute, de son dossier médical tenu par la médecine du travail.
Dans un courrier à l'attention du médecin du travail en date du 27 septembre 2018, le docteur [T] écrit, ' La situation de M. [U] âgé de 47 ans est marquée par le rapport particulier entretenu avec l'entreprise pour laquelle il a travaillé. Lors de son arrêt maladie il a été possible de constater l'ampleur des pensées négatives concernant le mode d'exercice qu'il a eu dans ce cadre professionnel. Les pensées étaient tout à la fois angoissées, obsédantes, mêlées de colère et de désir d'échapper à ce mécanisme de ressassement sans y parvenir. La déclaration d'inaptitude à tout poste dans cette entreprise correspond en tous points aux nécessités de M. [U] ; en poursuivant dans ses anciennes fonctions il aurait retrouvé les mêmes difficultés, le cas restant d'ailleurs très théorique, car il lui aurait été probablement impossible de reprendre ce travail (...)'.
Dans un certificat en date du 2 octobre 2018, le docteur [E] écrit, ' Je soussigné, Dr [E], certifie être le médecin traitant de monsieur [U] [O], 47 ans, depuis 2002 et n'avoir constaté jusqu'au 11 décembre 2017 aucun symptôme pouvant évoquer des troubles anxieux sévères ; ces troubles sont apparus avec son activité professionnelle de ces dernières années; il me dit avoir consluté une psychologue en 2009 car il avait besoin d'aide devant certaines situations liées à son activité liée à son activité professionnelle. Le surmenage obligeant le patient à s'arrêter, a conduit à l'inaptitude dans cette entreprise'.
Dans le compte-rendu qu'elle a établi à la suite de l'entretien qui s'est déroulé le 29 janvier 2018 à la demande du médecin du travail, Mme [V] écrit: ' M. [U] fait état d'un mal être psychologique qu'il met en lien avec le travail et qui s'apparenterait à une forme de stress chronique. Cette situation de stress chronique ne serait selon lui pas en lien avec les objectifs commerciaux qu'il dit réaliser aisément ( serait classé dans les 200 meilleurs sur 600/700 depuis plus de dix ans) mais en lien avec l'augmentation des contraintes de travail qui selon ce qu'il décrit l'amènerait à une situation de travail tendu ( jobstrain). Il évoque les symptômes suivants ' grande fatigue, sentiment d'être vidé, sans envie et troubles du sommeil (...) Mais au-delà de cette situation de stress chronique, un autre facteur apparaît et me semble jouer un grand rôle dans le mal être de M.[U] : le conflit de valeurs. Effectivement, il décrit une entreprise qui à la faveur des évolutions aurait mis en place de nouvelles exigences qui pour M.[U] n'ont pas de sens car elles l'entraveraient dans l'atteinte de son chiffre d'affaires. Il cite quelques unes de ces nouvelles exigences qui semble-t-il réduiraient son autonomie au travail: ' obligation d'inscrire 12 rdv par semaine sur son planning, obligation d'en réaliser 10, de rentrer 6 recommandations et 3 contrats; obligation de faire du phoning alors que son réseau professionnel lui permettrait selon ses propos d'atteindre largement ses objectifs.
Enfin M. [U] évoque un évènement concernant les véhicules personnels: (...) or suite à un problème technique M.[U] dit s'être vu renvoyer un nouveau code non par le gestionnaire externe comme prévu mais par sa DRH avec copie à son manager. On perçoit une perte de confiance ', puis conclut ' M. [U] me semble aujourd'hui en questionnement quant à son avenir professionnel. Les éléments qu'il décrit amènent une situation transitoire et ne relève pas à mon sens de la psychopathologie.
En revanche il est certain que M. [U] a besoin de mener un travail psychologique pour traverser cette crise et il semble que cela va le conduire à prendre des déciisons quant à son avenir dans ou hors de l'entreprise. J'ai tendance à estimer qu'il peut demeurer maître de son parcours professionnel pour l'instant '.
Dans son témoignage établi le 5 octobre 2018, Mme [W] atteste,' (...) Après une période très longue et très traumatisante pour lui, son supérieur hiérarchique a fini par être écarté ( m'a aussi dit M. [U], je ne sais plus à quelle date, de mémoire ce devait être en 2013); d'autre part durant ces années il m'a également fait part de situations où sa hiérarchie faisait usage de manipulation et de mensonge pour obtenir des collaborateurs une plus grande docilité. Plus récemment, alors qu'il s'estime en situation de réussite il raconte que sa hiérarchie lui impose des tâches qui le détournent de sa mission de conseiller commercial et qui le mettent en situation de double-lien ( choix impossible). Il se plaint que la direction se comporte de manière décomplexée et en toute impunité, changeant constamment les règles fixées au mépris des règles du droit du travail. Il mentionne également que lorsqu'il tente de s'en ouvrir à son supérieur hiérarchique direct, la réponse qu'il obtient est toujours la même: à savoir qu'il n'est pas pas là pour réfléchir, discuter ou proposer mais pour exécuter et que si cet état de fait ne lui convient pas il peut prendre la porte.M.[U] dit vivre très mal cette situation car après 14 ans d'expérience réussie dans l'entreprise il vit comme un manque de respect et de considération l'atttitude de l'entreprise à son égard (...)'.
21- Il n'est pas discutable, et M. [U] ne le discute pas, que M.[J] et M. [C] expressément désignés comme auteurs du harcèlement managérial dont M. [U] a été victime, ont quitté l'entreprise, au mois de décembre 2013 pour le premier et au cours de l'année 2014 pour le second. M. [U] ne se prévaut d'aucun fait spécifique pour la période postérieure au départ de M. [C]. Aucun des témoignages de salariés produits par M. [U] ne concerne la période qui a suivi les départs de M. [J] et de M. [C], en ce que M. [A] a travaillé au sein de l'entreprise de 2002 à 2012, Mme [S] du 1 er septembre 2009 au 8 novembre 2012, Mme [B] du mois de mars 2007 au mois de mai 2010, Mme [I] du mois d'octobre 2008 au mois de décembre 2014, M. [D] du mois de mars 1991 au mois d'avril 2006. La société Gan Prévoyance soutient sans être aucunement contredite que M. [U] a poursuivi son activité sans interruption jusqu'au 11 décembre 2017. Il ressort de la lecture attentive des certificats établis par le docteur [T] et par le docteur [E] et des observations consignées dans le dossier médical de M. [U] par l'infirmière et par le médecin du travail à la suite des visites du 5 novembre 2015, du 8 décembre 2017 et du 9 janvier 2018, l'existence d'un mal être au travail en lien avec une incompatiblité entre les méthodes de travail du salarié et celles en vigueur dans l'entreprise, qui ne laisse toutefois pas supposer l'existence d'un harcèlement, l'attestation de Mme [W] - dont la cour relève qu'elle est en retraite depuis 2014 et qu'elle indique témoigner à titre amical -, qui rapporte les propos de M. [U] uniquement n'y suppléant pas.
Si l'étude de poste réalisée à la demande du médecin du travail conclut à l'existence d'une différence entre le travail prescrit et le travail réel et d'un stress technologique, les préconisations émises ne sont aucunement en lien avec l'existence de faits de harcèlement en ce qu'elles portent, de première part sur des améliorations techniques - singulièrement la mise à disposition de chaque équipe d'un ordinateur portable et d'une imprimante de façon à réduire le risque routier en réduisant le nombre de déplacements, la mise à disposition des commerciaux d'un téléphone équipé de deux cartes SIM afin d'éviter qu'ils se déplacent avec deux téléphones, l'attribution d'un code strictement personnel s'agissant du traceur kilométrique pour protéger la vie privée -, de deuxième part sur des améliorations organisationnelles, singulièrement la mise à disposition des salariés confrontés à des pannes informatiques d'un numéro dédié avec des interlocuteurs dédiés, l'établissement de comptes rendus à l'issue des réunions, l'ouverture d'un local commun pour réaliser les réunions et les entretiens et utiliser l'imprimante de façon à favoriser les échanges entre pairs, une réflexion sur la qualité de vie au travail, le lancement d'une réflexion avec la direction des services informatiques sur la sauvegarde des dossiers, leur confidentialité et leur traçabilité, la taille des caractères sur les tablettes au regard de la charte graphique, l'analyse des besoins des utilisateurs. Il s'en déduit que la preuve que l'inaptitude est la conséquence directe d'un harcèlement de la part de l'employeur n'est pas rapportée. Le jugement déféré est en conséquence confirmé, par motifs substitués, dans ses dispositions qui déboutent M. [U] de sa demande de requalification du licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement en un licenciement nul.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul
Moyens des parties
22 - M.[U] fait valoir qu'il est fondé à demander une indemnisation équivalente à 24 mois de salaire en ce qu'il a été au chômage du mois de décembre 2018 au mois de juin 2021, qu'il a ensuite été admis au bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique jusqu'au mois de septembre 2021, qu'il est en arrêt maladie depuis le 8 novembre 2021.
23 - La société Gan Prévoyance objecte que M. [U] ne peut pas prétendre à quelconque indemnisation dès lors qu'il ne rapporte pas la preuve du harcèlement sur lequel il asseoit sa demande de nullité et ne justifie aucunement du préjudice qu'il allègue.
Réponse de la cour
24 - La cour déboute M. [U] pour les raisons susénoncées de sa demande de requalification du licenciement en un licenciement nul. Il s'en déduit que M. [U] doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts. Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
III - Sur les frais du procès
25 - La société Gan Prévoyance, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, et les dépens d'appel.
26- La cour condamne la société Gan Prévoyance aux dépens, qui ne peut dès lors pas prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société Gan Prévoyance est en conséquence déboutée de sa demande à ce titre. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
27 - L'équité commande de ne pas laisser à M. [U] la charge de ses frais irrépétibles. En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société Gan Prévoyance est condamnée à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme la décision dans ses dispositions qui déboutent M. [U] de sa demande de requalification du licenciement en un licenciement nul et de sa demande de dommages et intérêts subséquente ;
Infirme la décision déférée pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour;
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée formée par M. [U] ;
Condamne la société Gan Prévoyance à payer à M. [U] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
Condamne la société Gan Prévoyance aux dépens de première et aux dépens d'appel; en conséquence la déboute de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;
Condamne la société Gan Prévoyance à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu