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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 24 avril 2025, n° 24/02734

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eos France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hauduin

Vice-président :

M. Berthe

Conseiller :

Mme Jacqueline

Avocats :

Me Turpin, Me Le Roy, Me Bouscatel, Me Lopes

TJ Amiens, JEX, du 24 mai 2024

24 mai 2024

DECISION :

Par ordonnance d'injonction de payer du 27 décembre 2011, M. [V] [T] a été condamné à payer à la société GE Money Bank la somme de 13 238,85 euros en principal avec intérêts au taux contractuel de 10,88 % l'an à compter du 28 octobre 2011, un euro au titre de la clause pénale, ainsi que les dépens. Cette ordonnance a été signifiée le 21 mars 2012 et rendue exécutoire le 30 avril 2012.Le 9 mars 2023, une saisie-attribution a été pratiquée par un commissaire de justice sur les comptes bancaires de M. [T] ouverts dans les livres de la Banque Postale ; cette saisie a été partiellement fructueuse et a permis d'immobiliser la somme de 1 213,66 euros, solde bancaire insaisissable déduit. Cette saisie a été dénoncée le 14 mars 2023 à M. [T].

Ce dernier a assigné la société Eos France devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Amiens aux fins de contester cette mesure de saisie-attribution.

Parallèlement, le 6 avril 2023, une seconde saisie-attribution a été pratiquée par le commissaire de justice sur les comptes bancaires de M. [T] ouverts dans les livres de la Banque Postale ; cette saisie a été partiellement fructueuse et a permis d'immobiliser la somme de 911,47 euros, solde bancaire insaisissable déduit. Cette saisie a été dénoncée le 14 avril 2023 à M. [T].

Le 13 avril 2023, M. [T] a de nouveau fait assigner la société Eos France devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Amiens aux fins de contester cette mesure de saisie-attribution.

Les deux affaires ont été jointes.

Par jugement contradictoire du 24 mai 2024, le tribunal judiciaire d'Amiens a :

Constaté que la SAS Eos France ne justifie pas de son intérêt à agir et à se prévaloir de l'ordonnance d'injonction de payer du 27 décembre 2011 rendue par le président du tribunal d'instance de Montélimar à l'encontre de M. [T], signifiée le 21 mars 2012, rendue exécutoire le 30 avril 2012 ;

En conséquence,

Annulé les saisies-attribution du 9 mars 2023, dénoncée le 14 mars 2023, et du 6 avril 2023, dénoncée le 13 avril 2023, auprès de la Banque Postale [Localité 7] ;

Ordonné la main levée des dites saisies ;

Débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts ;

Débouté les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la SAS Eos France aux dépens ;

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif.

Par déclaration du 10 juin 2024, la SAS Eos France a interjeté appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 3 décembre 2024, la SAS Eos France demande à la cour de :

Infirmer le jugement de rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Amiens le 24 mai 2024 en ce qu'il a :

* Constaté que la société Eos France ne justifie pas de son intérêt à agir et à se prévaloir de l'ordonnance d'injonction de payer du 27 décembre 2011 rendue par le président du tribunal d'instance de Montélimar à l'encontre de M. [T], signifiée le 21 mars 2012, rendue exécutoire le 30 avril 2012 ;

* Annulé les saisies-attribution du 9 mars 2023, dénoncée le 14 mars 2023, et du 6 avril 2023, dénoncée le 13 avril 2023, auprès de la Banque Postale [Localité 7] ;

* Ordonné la mainlevée des dites saisies ;

* Débouté la société Eos France de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Condamné la société Eos France aux dépens ;

* Débouté la société Eos France de ses demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;

Confirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Amiens le 24 mai 2024 en ce qu'il a :

* Débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts ;

* Débouté M. [T] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

A titre principal,

Déclarer la société Eos France recevable pour agir en recouvrement de sa créance à l'encontre de M. [T] ;

Débouter M. [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire,

Cantonner le montant des sommes saisies dans le cadre des saisies-attribution du 9 mars 2023 et du 6 avril 2023 à la somme de 463,94 euros pour chacune des saisies ;

Débouter M. [T] pour le surplus ;

Si par extraordinaire la cour devait cantonner le montant des intérêts, la société Eos France sollicite de la cour de bien vouloir :

Dire et juger que seuls les intérêts courant depuis le 9 mars 2021 sont dus ;

Cantonner le montant des intérêts aux seuls intérêts courant depuis le 9 mars 2021 ;

Débouter M. [T] pour le surplus ;

En tout état de cause,

Condamner M. [T] à payer à la société Eos France, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La SAS Eos France soutient que sa qualité et son intérêt à agir sont établis car les références du contrat et les mentions de la cession de créance sont concordantes. Elle indique qu'il suffit que la référence de la créance figure sur l'annexe de la cession de créances.

Elle relève que la cession de créances a été signifiée à M. [T] qui ne peut soutenir qu'elle ne lui serait pas opposable.

Elle conteste toute prescription du titre exécutoire compte tenu de la signification d'un commandement de payer aux fins de saisie-vente le 25 septembre 2019 qui a interrompu le délai de prescription de dix ans.

Elle affirme ensuite qu'il revient au débiteur de rapporter la preuve que le compte saisi n'était composé que de fonds insaisissables ce que M. [T] ne ferait pas. Elle sollicite, à titre subsidiaire, que chaque saisie soit cantonnée à 463,94 euros.

Elle conteste tout abus de droit et pratique commerciale déloyale car elle a agi alors que le titre exécutoire n'était pas prescrit et après de multiples tentatives de recouvrement de la créance. Elle note qu'une pratique commerciale déloyale n'est pas sanctionnée par l'inopposabilité de la cession de créance.

Elle ajoute produire un décompte d'intérêts tenant compte de la prescription biennale des intérêts et note qu'une erreur initiale sur le décompte n'entraîne pas la nullité de la saisie attribution.

Elle s'oppose à l'octroi de délais de paiement alors que la saisie attribution a un effet attributif.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2024, M. [T] demande à la cour de :

Déclarer M. [T] recevable et bien fondé et en conséquence :

A titre principal,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Confirmer la décision du 24 mai 2024 en intégralité et notamment en ce qu'elle a constaté que la société Eos France ne justifie pas de son intérêt à agir et à se prévaloir de l'ordonnance portant injonction de payer du 27 décembre 2011, annulé les saisies attribution litigieuses et ordonné leur mainlevée ;

A titre subsidiaire,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Confirmer la décision du 24 mai 2024 en ce qu'elle a annulé les saisies attribution litigieuses et ordonné leur mainlevée, au motif que l'action en recouvrement de la société EOS France est prescrite ;

A titre plus subsidiaire,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Confirmer la décision du 24 mai 2024 en ce qu'elle a annulé les saisies attributions litigieuses et ordonné leur mainlevée, au motif que la cession de créance réalisée le 10 avril 2018 par la société GE Money Bank au profit de la société Eos France est inopposable à M. [T], faute de notification préalable ;

A titre infiniment subsidiaire,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Confirmer la décision du 24 mai 2024 en ce qu'elle a annulé les saisies attributions litigieuses et ordonné leur mainlevée, au motif que les saisies-attribution pratiquées par la société Eos France les 9 mars et 6 avril 2023 sont abusives car constituent un détournement des règles d'ordre public ;

A défaut, cantonner le montant des sommes saisies à la somme de 463,94 euros chacune ;

A titre plus infiniment subsidiaire,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Confirmer la décision du 24 mai 2024 en ce qu'elle a annulé les saisies attribution litigieuses et ordonné leur mainlevée, au motif que les saisies attribution pratiquées par la société Eos France les 9 mars et 6 avril 2023 sont abusives ;

A titre très infiniment subsidiaire,

En cas d'infirmation de la décision en ce qu'elle a annulé les saisies et ordonné leur mainlevée,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Déclarer prescrits les intérêts sollicités par la société Eos France ;

Cantonner les sommes dues par M. [T] à la somme de 9 709,82 euros ;

Accorder à M. [T] les plus larges délais de paiement, a minima comme suit :

* 23 mensualités de 366,60 euros

* 1 mensualité de 366,55 euros

En tout état de cause,

Déclarer M. [T] recevable en toutes ses demandes ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts ;

En conséquence, et statuant à nouveau : condamner la société Eos France à régler à M. [T] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamner la société EOS France aux entiers dépens ;

Condamner la société EOS France à régler la somme de 5 000 euros à M. [T] ;

Débouter la société EOS France de toute demande plus ample ou contraire.

M. [T] soutient que les saisies ont été opérées sur la base d'une ordonnance d'injonction de payer rendue le 27 décembre 2011 par le tribunal d'instance de Montélimar au profit de la société GE Money Bank et que la société Eos France ne rapporterait pas la preuve du transfert de cette créance à son profit compte tenu des incohérences concernant le prêt en cause, son exécution se heurtant quoiqu'il en soit à l'expiration du délai de prescription de 10 ans et constituant une pratique déloyale constitutive d'un abus de droit. Il ajoute que la société Eos France a procédé à un détournement des règles d'ordre public en mettant en place une nouvelle saisie un mois seulement après une saisie-attribution sachant que Monsieur [V] [T] ne disposait d'aucune épargne et que cela revenait à appréhender ses seules pensions de retraite. Enfin, les intérêts se heurtent selon lui à la prescription biennale de l'article L 218-2 du code de la consommation, des délais de paiement doivent lui être octroyés compte tenu de sa situation précaire et la société Eos France doit indemniser son préjudice compte tenu de la brutalité des mesures de recouvrement.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 décembre 2024 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 9 janvier 2025.

MOTIFS

1. Sur la demande d'annulation et de mainlevée des saisies-attribution

1.1. Sur la qualité pour agir de la société Eos France

En droit, aux termes de l'article 1324, alinéa 1, du code civil, la cession n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que le 8 avril 2008, M. [T] a accepté une offre préalable de location avec option d'achat n° 101A1454040, offre émise le 8 avril 2008 par la société GE Money Bank et valable jusqu'au 28 avril 2008, en vue de la location d'un véhicule OPEL Astra d'une valeur de 25 156 euros pendant 61 mois comportant des loyers représentant 1,68 % du prix d'achat de la voiture.

En raison d'impayés de loyers, M. [T] a été mis en demeure le 28 décembre 2010 par un huissier de justice de régler les mensualités impayées sous peine de déchéance du terme. Ce courrier comportait la référence dossier suivante : 1012280023 1116.

Une nouvelle mise en demeure a été adressée au débiteur à une nouvelle adresse le 26 octobre 2011. La référence de la voiture sur ces deux mises en demeure est parfaitement identique, une nouvelle référence de dossier apparaît cependant sous le numéro 1110180080 78.

Cette différence de numéro de dossier n'apparaît pas anormale puisque les premières données de la référence correspondent en réalité à l'année, au mois et au jour de la délivrance de la mise en demeure.

A la suite de ces impayés, la société GE Money Bank a déposé une requête en injonction de payer au greffe du tribunal d'instance de Montelimar. Cette requête vise un numéro de dossier 1110180080 1116 qui mentionne donc les deux parties des références de dossier d'huissier précédentes. Il est fait référence à une location avec option d'achat du "28 avril 2008" alors que le contrat a été signé par M. [T] le 8 avril 2008. Il ressort cependant de l'offre de prêt que celle-ci était valable jusqu'au 28 avril 2008, date qui apparaît sur le contrat, et du tableau d'amortissement que le premier loyer était exigible à cette même date.

Il est donc établi que la requête a été déposée aux fins d'obtenir un titre exécutoire en vue du recouvrement des sommes dues au titre de l'offre de prêt du 8 avril 2008 souscrite en vue de l'achat du véhicule Opel Astra. Contrairement à ce que soutient l'intimé, il n'existe pas de doute sur le contrat concerné et le juge d'instance a ainsi statué sur une requête concernant l'offre de location avec option d'achat du véhicule Opel Astra souscrite par M. [T], dont la date et le lieu de naissance sont d'ailleurs rappelés.

M. [T] a été condamné à payer à la société GE Money Bank la somme de 13 238,85 euros avec intérêts au taux légal de 10,88 % l'an à compter du 28 octobre 2011, selon ordonnance d'injonction de payer du 27 décembre 2011 signifiée le 21 mars 2012. Elle est devenue exécutoire en l'absence d'opposition le 30 avril 2012.

Ce taux d'intérêt n'est certes pas mentionné dans le contrat, le montant du crédit dans les lettres de mise en demeure préalables à la résiliation du contrat ne l'est pas davantage, mais il ne s'agit pas d'une 'anomalie' supplémentaire comme le soutient M. [T], dès lors que l'offre souscrite n'est pas un prêt personnel mais une location avec option d'achat qui mentionne la valeur du véhicule à l'achat et le taux applicable sur cette valeur pour calculer le montant des loyers mensuels.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que la société GE Money Bank a ensuite changé de dénomination pour devenir la société MyMoney Bank.

Il est produit le contrat de cession d'un lot de 1 255 créances détenues par la société MyMoney Bank à la société Eos Crédirec, devenue Eos France suite à un changement de dénomination publiée au BODACC n°19 B des 26 et 27 janvier 2019, ce dont il est justifié.

Le contrat date du 10 avril 2018 et il est versé aux débats un document intitulé 'annexe 1 liste des créances cédées' comportant un tableau paraphé dans lequel seules les références des contrats sont mentionnées sauf sur le deuxième page où la référence 101A1454040 est suivie du nom de M. [V] [T].

L'intimé soutient que cette pièce ne suffit pas à démontrer la réalité de la cession de la créance liée au crédit souscrit le 8 avril 2008 et objet du titre exécutoire du 27 décembre 2011.

Si l'intitulé du tableau n'est pas reporté sur les trois pages, il figure bien en page 1 et les trois pages produites sont paraphées. Par ailleurs, la référence qui apparaît sur l'annexe correspond à la référence du dossier sur l'offre de crédit du 8 avril 2008. La société Eos n'est pas tenue, par ailleurs, de produire l'annexe comportant toutes les données personnelles concernant les autres débiteurs dont l'anonymat doit pouvoir être assuré.

Dans ces conditions, l'acte de cession de créances et son annexe suffisent à établir la réalité de la cession de la créance correspondant au crédit souscrit le 8 avril 2008 par M. [T] auprès de la société GE Money Bank.

Cette cession a été notifiée à M. [T] le 20 juillet 2018 par un courrier à l'en tête de MyMoneyBank et Eos Credirec. Elle a ensuite fait l'objet d'une signification par acte d'huissier avec un commandement de payer le 25 septembre 2019.

La qualité pour agir de la société Eos France en recouvrement de la créance est donc établie. La décision entreprise sera en conséquence infirmée de ce chef.

1.2. Sur la prescription du titre exécutoire

Selon l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

Aux termes de l'article 2040 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

Aux termes de l'article 2044 du code civil, le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.

En l'espèce, le délai de prescription de 10 ans à l'égard de l'ordonnance d'injonction de payer a commencé à courir le 30 avril 2012, date à laquelle elle est devenue exécutoire.

La signification d'un commandement de payer aux fins de saisie-vente le 25 septembre 2019 a interrompu le délai de prescription qui n'était pas échu à la date des procès-verbaux de saisie-attribution.

La signification a été réalisée à l'étude de l'huissier de justice, ce dernier indiquant que le domicile de M. [T], absent lors de son passage ou ne répondant pas à ses appels, était confirmé non seulement par le facteur mais également par le bailleur au téléphone. L'huissier a par ailleurs laissé un avis de passage. Comme le souligne la société Eos France, l'adresse de M. [T] mentionnée sur l'acte d'huissier du 25 septembre 2023 est la même que celle figurant sur les actes de dénonciation de saisie attribution litigieux, signifiés à personne. Dans ces conditions, bien que M. [T] indique qu'il 'conteste formellement avoir reçu un tel acte' sans en tirer les conséquences juridiques, il est justifié d'une signification régulière du commandement qui a interrompu la prescription.

Dès lors, l'exécution du titre n'était pas prescrite à la date des actes de saisie et ce motif d'annulation sera rejeté.

1.3. Sur le détournement de règles d'ordre public

Aux termes de l'article L. 3252-2 du code du travail, sous réserve des dispositions relatives aux pensions alimentaires prévues à l'article L. 3252-5, les sommes dues à titre de rémunération ne sont saisissables ou cessibles que dans des proportions et selon des seuils de rémunération affectés d'un correctif pour toute personne à charge, déterminés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret précise les conditions dans lesquelles ces seuils et correctifs sont révisés en fonction de l'évolution des circonstances économiques.

Il résulte de l'article R. 3252-2 du code du travail que la proportion dans laquelle les sommes dues à titre de rémunération sont saisissables ou cessibles, en application de l'article L. 3252-2, est fixée comme suit :

1° Le vingtième, sur la tranche inférieure ou égale à 4 440 euros ;

2° Le dixième, sur la tranche supérieure à 4 440 euros et inférieure ou égale à 8 660 euros ;

3° Le cinquième, sur la tranche supérieure à 8 660 euros et inférieure ou égale à 12 890 euros;

4° Le quart, sur la tranche supérieure à 12 890 euros et inférieure ou égale à 17 090 euros ;

5° Le tiers, sur la tranche supérieure à 17 090 euros et inférieure ou égale à 21 300 euros ;

6° Les deux tiers, sur la tranche supérieure à 21 300 euros et inférieure ou égale à 25 600 euros ;

7° La totalité, sur la tranche supérieure à 25 600 euros.

M. [T] prétend que seules ses pensions de retraite créditent chaque mois son compte bancaire, qu'il perçoit 1 902,45 euros par mois et que malgré une première saisie-attribution qui a permis à la société Eos France de constater qu'il ne disposait que de 1 200 euros, une nouvelle saisie a été diligentée. Il soutient qu'il s'agit un détournement de règles d'ordre public qui doivent conduire à l'annulation des saisies attribution.

Il n'explicite cependant pas en quoi le non-respect de ces dispositions aurait pour effet de conduire à l'annulation des mesures d'exécution.

En outre, les déclarations du tiers saisi jointes en annexe aux procès-verbaux de signification témoignent de la retenue opérée en préservant le solde bancaire insaisissable, seule obligation qui pèse sur le créancier et le tiers saisi à ce stade de la procédure.

Par ailleurs, la production de l'attestation de paiement détaillée de retraite actualisée et de l'avis d'imposition 2024 sur le revenu 2023 ne permettent pas à M. [T] de démontrer qu'il ne perçoit aucun autre revenu que ceux liés à la pension de retraite.

La demande d'annulation des saisies fondée sur une violation de dispositions d'ordre public du code du travail sera donc rejetée. M. [T] sera également débouté de sa demande tendant à cantonner les saisies à la somme de 463,94 euros chacune au regard de la part saisissable de sa pension de retraite.

1.4 Sur l'opposabilité de la cession de créances

Aux termes des dispositions de l'article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

La directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, est une directive d'harmonisation totale.

L'article L. 120-1, devenu L. 121-1, du code de la consommation a permis, depuis la loi n°2008-776 du 4 août 2008, la transposition de ladite directive dans le droit national.

Selon ce texte, une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Saisie d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a précisé, dans un arrêt du 20 juillet 2017 (Gelvora UAB, C-357/16), le champ d'application de la directive et y a fait entrer le recouvrement des créances découlant d'une cession de créances en retenant qu'il s'agit d'un produit au sens de l'article 2, c), de la directive.

En l'espèce, M. [T] se contente de critiquer la multiplicité des actes d'exécution et la réalisation d'une saisie sur son compte bancaire, sur la base d'un titre exécutoire ancien, en faisant état de la 'modestie de sa situation économique'. Il ne caractérise pas l'existence d'une pratique commerciale déloyale imputable à la société Eos France. Il ne démontre pas davantage qu'une telle pratique pourrait être sanctionnée par la nullité de la saisie.

M. [T] sera en conséquence débouté de sa demande d'annulation de la saisie-attribution querellée pour ce motif.

2. Sur la prescription des intérêts

L'article L. 218-2 du code de la consommation aux termes duquel l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Cet article est applicable en l'espèce et conduit à retenir l'application de la prescription biennale des intérêts.

La société Eos France a pratiqué les saisies litigieuses sur la base d'un décompte qui fait état de 9 729,64 euros d'intérêts échus et ne tient pas compte de la prescription biennale des intérêts.

Il convient au contraire de l'appliquer et de retenir que ne sont dus que les intérêts échus depuis le 9 mars 2021 compte tenu de la date de la première saisie attribution, pratiquée le 9 mars 2023.

La société Eos France produit à ce titre un justificatif du calcul des intérêts sur le principal pour un montant de 2 544,79 euros et sur l'euro de clause pénale s'élevant à 0,13 euros.

Il convient donc de cantonner les saisies attribution pratiquées aux sommes suivantes conformément aux données du décompte actualisé du 24 avril 2023 figurant en pièce n°15 des appelants et exception faite du calcul des intérêts qui ne correspond pas au tableau annexé :

- principal : 13 239,85 euros,

- frais antérieurs : 52,62 euros,

- intérêts échus : 2 544,92 euros,

- actes et frais : 1 209,49 euros

soit un solde dû de 13 359,16 euros après déduction de virements réalisés à hauteur de 3 687,72 euros.

Dans ces conditions, le jugement sera infirmé en ce qu'il a ordonné la mainlevée des saisies-attribution et il sera précisé que la saisie attribution doit être cantonnée à la somme de 13 359,16 euros.

3. Sur la demande de délais de paiement

En application de l'article L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution, la saisie attribution d'une créance disponible, comme en l'espèce, a un effet attributif immédiat, de sorte que la créance sort du patrimoine du débiteur dès la signification du procès verbal de saisie. Le juge de l'exécution ne peut remettre en cause cette attribution immédiate en octroyant des délais de paiement au débiteur. Il ne peut accorder ces délais que sur la fraction de la créance, cause de la saisie, qui n'aurait pas été couverte par la somme saisie attribuée en application de l'article R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution qui permet au juge de l'exécution d'accorder un délai de grâce au débiteur après signification d'un commandement ou de l'acte de saisie.

Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, la créance s'élève à la somme de 13 359,16 euros et le montant total saisissable sur les comptes de M. [T] correspondait à 1 213,66 euros et à 911,47 euros. Il reste donc une fraction de créance non couverte par les sommes saisies attribuées.

Le débiteur est donc recevable à solliciter des délais de paiement pour régler le solde dû. Cependant, compte tenu du montant de la créance restante, M. [T] devrait justifier du fait qu'il est en mesure de régler des mensualités de plus de 550 euros, ce qu'il ne fait pas.

Faute pour lui de démontrer qu'il est capable d'apurer sa dette dans le délai réglementaire, il sera débouté de sa demande de délais de paiement.

4. Sur la demande de dommages-intérêts

Aux termes des articles 1240 et 1241du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

En l'espèce, ainsi que cela a été démontré, M. [T] ne rapporte pas la preuve d'une pratique commerciale déloyale et il est manifeste que la mise en 'uvre de la mesure d'exécution forcée litigieuse n'est pas abusive, le créancier ayant agi sur le fondement d'un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible, et non prescrit.

Comme l'a relevé avec pertinence le premier juge, il était informé au moins depuis le 25 septembre 2019, date de la signification de l'ordonnance d'injonction de payer, de la cession de créances et du commandement de payer et de l'intention de la SAS Eos France de se prévaloir de la décision du tribunal de Montélimar du 27 décembre 2011 à son encontre.

En outre, une saisie de ses rémunérations était mise en place le 13 février 2020, il a à ce titre été convoqué à une audience de conciliation au regard des pièces produites.

Les seules tentatives de recouvrement exercées par le créancier ne datent donc pas des 9 mars et 6 avril 2023 et la signification de la dénonciation de la saisie n'est pas intervenue brutalement sans qu'aucune information ou approche préalable ne soit faite.

En conséquence, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. [T] de sa demande de dommages-intérêts.

5. Sur les demandes accessoires

En application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Eos France aux dépens de première instance et de condamner M. [T] aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu de la situation respective des parties, de débouter la société Eos France de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel. M. [T] sera débouté de sa propre demande au titre des frais irrépétibles, la décision querellée étant confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [V] [T] de sa demande de dommages-intérêts et débouté les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la société Eos France recevable à agir en exécution de l'ordonnance d'injonction de payer du 27 décembre 2011 qui fixe sa créance à l'égard de M. [V] [T] ;

Déboute M. [V] [T] de ses demandes tendant à annuler et obtenir la mainlevée des actes de saisie attribution pratiqués les 9 mars 2023 et 6 avril 2023 et dénoncés respectivement les 14 mars 2023 et 14 avril 2023 ;

Cantonne les saisies pratiquées à la somme de 13 359,16 euros ;

Déboute M. [V] [T] du surplus de ses demandes ;

Condamne M. [V] [T] aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la société Eos France et M. [V] [T] de leur demande respective au titre des frais irrépétibles d'appel ;

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