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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 29 avril 2025, n° 24/01109

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vedrines (SARL)

Défendeur :

Eric-Briac (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Ramin, Mme Pichon

Avocats :

Me Le Couls-Bouvet, Me Villatte, Me Vives

TC Nantes, du 10 févr. 2025, n° 20220068…

10 février 2025

Suivant acte de cession de parts sociales en date du 1er mars 2019, la société Eric-Briac a acquis auprès de la société Vedrines, représentée par son gérant, M. [J], la totalité du capital de la société RVE (devenue Le Poussin Rouge), pour un prix provisoire de 467 418 '.

Le même jour, la société Vedrines et M. [J] et Mme [Y], associés de celle-ci, ont conclu avec les sociétés RVE et Eric-Briac une convention de garantie d'actif et de passif.

Le 18 septembre 2019, un acte complémentaire de cession a été signé pour fixation du prix définitif à la somme de 497 078 '.

Depuis lors, la société Le Poussin Rouge exploite un fonds de commerce de « restauration, bar, brasserie » au sein du local commercial composé :

- au rez-de-chaussée : une salle de café, une cuisine, une salle de restaurant et une cave,

- au 1er étage : une terrasse couverte et fermée, une salle, remises,

- au 2ème et 3ème étages : greniers (').

Le 15 juillet 2020, la société Eric-Briac a adressé un courrier à M. [J] en sa qualité de représentant des garants, pour l'informer que, selon un rapport réalisé par la société Qualiconsult du 15 novembre 2019, l'établissement exploité par la société RVE présenterait plusieurs non conformités à la réglementation relative à la sécurité incendie, dont le chiffrage des travaux pour y remédier s'élèverait, selon devis joints, à la somme de 36 521,37 ' hors taxe. Elle sollicitait le paiement de cette somme au titre de la garantie d'actif et de passif.

Les garants ont contesté, pour divers motifs, devoir s'acquitter d'une telle somme.

Le 11 octobre 2022, en l'absence de résolution amiable du litige, la société Eric-Briac a assigné M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines devant le tribunal de commerce de Nantes en paiement au titre de la garantie d'actif et de passif.

Par jugement du 19 février 2024, le tribunal de commerce de Nantes a :

- jugé que la demande n'est pas prescrite,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac la somme de 28.836,17 ' HT, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation en remboursement des travaux réalisés pour la mise en conformité aux normes de sécurité incendie,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac la somme de 2.500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac en tous les dépens dont frais de greffe liquidés à 129.81 euros toutes taxes comprises.

Par déclaration du 23 février 2024, la société Vedrines, M. [J] et Mme [Y] ont formé appel.

Les dernières conclusions des appelants sont du 10 décembre 2024.

Par ordonnance du 28 novembre 2024, le conseiller de la mise en état a, sur incident soulevé par les appelantes :

- déclaré irrecevables les conclusions de l'intimée déposées et notifiées le 11 septembre 2024 et les pièces n°1 à 17 communiquées à l'appui,

- déclaré irrecevable l'appel incident,

- rappelé que l'irrégularité de ses premières conclusions prive l'intimée de la possibilité de conclure à nouveau et de déposer de nouvelles pièces,

- rejeté toute autre demande,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'arrêt rendu au fond.

L'ordonnance de clôture a été rendue, avant l'ouverture des débats, le 13 février 2025.

PRÉTENTIONS ET MOYEN

La société Vedrines, M. [J] et Mme [Y] demandent à la cour de :

- recevoir M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines en leurs demandes, fins et conclusions,

y faire droit,

en conséquence,

- réformer le jugement du 5 mai 2022 rendu par le tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il a :

- jugé que la demande n'est pas prescrite,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac la somme de 28.836,17 ' HT, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation en remboursement des travaux réalisés pour la mise en conformité aux normes de sécurité incendie,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac la somme de 2.500 ' au titre de l'article 700 du code de Procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné solidairement la société Vedrines, M. [S] [J] et Mme [W] [Y] à verser à la société Eric-Briac en tous les dépens,

en conséquence,

- débouter la société Eric-Briac de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires,

à titre principal :

- juger que l'action introduite par la société Eric-Briac par assignation signifiée à M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines le 11 octobre 2022 est prescrite,

en conséquence,

- déclarer irrecevables les demandes formulées par la société Eric-Briac,

à titre subsidiaire :

- constater le non-respect des formalités propres à la mise en 'uvre de la garantie telles qu'expressément mentionnées par la convention de garantie d'actif et de passif conclue le 1er mars 2019,

- juger n'y avoir lieu à mise en 'uvre de la garantie prévue par la convention du 1er mars 2019 eu égard à la pleine connaissance par la société Eric-Briac, préalablement à l'acte de cession, des non-conformités en matière d'accessibilité,

en conséquence,

- débouter la société Eric-Briac de sa demande indemnitaire portée à l'encontre des défendeurs à la somme de 37.766,38 ' HT soit 41.719,66 ' TTC.

en tout état de cause :

- condamner la société Eric-Briac à verser à M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines la somme de 5 000 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux dernières écritures des appelants visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.

DISCUSSION

Compte tenu de l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée et de l'appel incident, la société Eric-Briac est réputée s'approprier les motifs du jugement en application de l'article 954 dernier alinéa du code de procédure civile.

- sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de la société Eric-Briac

M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines font valoir que l'action du bénéficiaire à l'égard du garant aux fins de mise en oeuvre de la garantie est soumise à un délai de prescription contractuellement fixé jusqu'au 28 février 2022.

En application de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Selon l'article 1189 du même code, en son premier alinéa, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier, étant souligné comme le prévoit l'article 1192, qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

La convention mentionne dans les définitions du début de l'acte :

« période de garantie : désigne la période de la validité de la présente garantie d'actif et de passif d'une durée de trois années à compter de ce jour ».

La période de garantie courrait donc jusqu'au 28 février 2022.

La convention stipule par ailleurs :

« mise en oeuvre de la garantie

La mise en oeuvre de la présente garantie est subordonnée à l'envoi au représentant des garants par le bénéficiaire d'une lettre recommandée avec AR l'informant de tout événement qui provoquerait une diminution d'actif ou une augmentation du passif des comptes de référence arrêts au jour de la réalisation de la cession.

Il en ira de même en cas de survenance d'un dommage provenant d'une inexactitude ou d'une omission dans les déclarations faites par le garant.

1- cette notification devra être réalisée dans le délai de trente jours à compter de la date de révélation de l'événement justifiant la mise en oeuvre de la garantie (...)

De manière générale, il est expressément convenu entre les soussignés que le non respect des délais exposés ci-dessus par le bénéficiaire pourra entraîner la déchéance du droit à garantie à hauteur de la réclamation non notifiée dans le délai, dès lors que, du fait de ce retard, le garant n'a pas été utilement en mesure de préparer sa défense ou celle de sa société (...) »

« durée de la garantie

La responsabilité du garant, à raison de la garantie, qui précède pourra être engagée :

- sur le plan fiscal et social et en matière d'infractions à la législation sur la concurrence et la consommation et en tous autres domaines, sauf litiges salariaux où la prescription quinquennale sera applicable, dans le délai de prescription applicable à chaque type d'imposition ou de contribution sociale ou fiscale concernée, majoré de trois mois, à moins qu'une procédure quelconque n'ait été entreprise dans ce délai. Dans ce cas, la garantie ne s'éteindra qu'à la conclusion desdites procédures ; et en tous autres domaines, sauf litige salariaux où la prescription quinquennale sera applicable, jusqu'au 28 février 2022, à moins qu'une procédure quelconque n'ait été entreprise dans ce délai. Dans ce cas, la garantie ne s'éteindra qu'à la conclusion desdites procédures. »

Il résulte de ces clauses que la convention ne prévoit qu'une date butoir pour la mise en oeuvre de la garantie, à savoir le 28 février 2022, laquelle n'est pas conditionnée par l'introduction d'une action en justice.

La mise en oeuvre de la garantie a été réalisée par le courrier recommandé du 15 juillet 2020, soit avant le 28 février 2022.

La fin de non recevoir est rejetée.

Le jugement est confirmé.

- sur la déchéance du droit à garantie

M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines font valoir que la société Eric-Briac est déchue de son droit à garantie en ce que l'événement justifiant la mise en oeuvre de celle-ci est le rapport Qualiconsult daté du 15 novembre 2019, que la société Eric-Briac disposait dès lors d'un délai de trente jours à compter de cette date pour solliciter la mise en oeuvre de la garantie mais qu'elle n'a adressé notification aux garants que le 15 juillet 2020.

Il résulte de la clause « mise en oeuvre de la garantie » mentionnée supra qu'aucune sanction de déchéance automatique n'a été prévue entre les parties. La déchéance est conditionnée au fait que le garant, en raison du dépassement du délai de trente jours n'ait pas « été utilement en mesure de préparer sa défense ou celle de sa société », ce que M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines n'allèguent nullement.

Aucune déchéance n'est encourue.

Le jugement est confirmé.

- sur les non-conformités

M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines font principalement valoir que le cessionnaire était avisé de la situation du fonds de commerce et de la non-conformité de l'établissement en matière d'accessibilité par rapport aux travaux de réaménagement qu'il envisageait et qu'ils ne peuvent, ainsi, être tenus d'une mise en conformité liée aux travaux entrepris par la société Eric-Briac dans le but d'agrandir l'accueil du public à l'étage de son établissement. Ils soutiennent qu'en l'état du bien vendu, ils respectaient les normes d'accès.

Aux termes de la convention de garantie, le « cédant » déclare :

« que l'immeuble est conforme aux dispositions légales et réglementaires applicables en matière d'accessibilité, d'hygiène, de salubrité et de sécurité »

Page 18 il est précisé que le garant déclare et garantit que :

« les locaux affectés à l'accueil de la clientèle et au travail du personnel attachés au fonds de commerce de la société sont en bon état d'entretien et répondent à toutes les prescriptions légales, réglementaires ou administratives en vigueur concernant l'accessibilité, la sécurité et l'hygiène. »

« la société a effectué préalablement à la date de la cession les contrôles prescrits par la réglementation en matière d'accessibilité, d'hygiène et de sécurité, et notamment les contrôles relatifs à ses installations électriques et gaz, de protection incendie, aux matériels et appareils utilisés pour l'exploitation du fonds de la société et il n'existe aucune mise en cause de responsabilité de la société à ce titre, ni aucune exigence quelconque de mise en conformité (à l'exception des préconisations) émanant d'une quelconque autorité quant aux locaux d'exploitation de la société. »

Le rapport de la société Qualiconsult produit aux débats par les appelants est incomplet (page 1, 2, 3/5). Il correspond à l'annexe jointe au courrier de la société Eric-Briac de mise en demeure du 15 juillet 2020. Ces quelques pages permettent toutefois de lister les constatations réalisées.

La société Qualiconsult précise que les requérants souhaitent « faire un état des lieux du restaurant dans son état actuel notamment du point de vue sécurité incendie et accessibilité handicapés ». Il s'en déduit que le contrôle a été effectué avant tout travaux de réaménagement ou d'augmentation du nombre de couverts par la société Eric-Briac.

Les constatations réalisées par la société Qualiconsult ne sont pas, en elles-mêmes, discutées par les appelants ni même les normes incendie appliquées ; ils soutiennent en revanche que le nombre de personnes à retenir pour les calculs réalisés aurait dû être celui résultant du nombre de couverts tel qu'il se déduit de l'inventaire concomitant à la cession.

La société Qualiconsult rappelle toutefois que le calcul de l'effectif en matière de sécurité incendie correspond à l'effectif théorique déterminé en fonction de la surface totale à raison d'une personne par m², ce qui correspond à l'article N2 de l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) modifié par l'arrêté du 21 juin 1982 alors applicable.

La société Qualiconsult a relevé qu'en l'état de l'aménagement pour la sécurité incendie et de l'effectif théorique de 157 personnes (75 personnes à l'étage et 82 personnes au rez-de-chaussée) :

- deux dégagements de 90 cm étaient nécessaires à l'étage, qu'il manquait un dégagement normal de 90 cm de large et que l'autre dégagement, à savoir l'escalier, connaissait un rétrécissement à 76 cm,

- qu'il manquait un dégagement au rez-de-chaussée,

- qu'il manquait une issue de secours,

- que la retombée (cantonnement au feu) entre la cuisine et les locaux accessibles au public était insuffisante comme ne mesurant que 14 cm.

Il n'est pas question ici de l'accessibilité handicapé EPR, laquelle avait fait l'objet d'un contrôle antérieur à la cession avec diverses préconisations concernant l'escalier (disposer d'une bande d'éveil à la vigilance, équiper les marches de nez de marches, prolonger la main courante) qui n'étaient pas garantie selon la clause supra.

Les garants ont, en revanche, garanti que l'établissement répondaient aux prescriptions légales, réglementaires ou administratives en vigueur concernant la sécurité qui comprend nécessairement la sécurité incendie.

Les éléments débattus établissent le non respect des règles de sécurité incendie ; le coût de la mise aux normes incendie relève dès lors de la garantie.

Les appelants ne contestent nullement la réalisation effective des travaux par la société Eric-Briac ni même les montants retenus par le tribunal. Dès lors, si la cour ne dispose pas des factures de réalisation des travaux compte tenu de l'irrecevabilité des pièces de l'intimée, celle-ci étant présumée s'approprier les motifs du jugement, ce dernier sera confirmé y compris quant au montant octroyé au titre de la garantie.

Dépens et frais

Le jugement sera confirmé s'agissant des condamnations aux dépens de première instance et frais irrépétibles.

Succombant principalement à l'appel, M. [J], Mme [Y] et la société Vedrines seront condamnés in solidum aux dépens de l'instance d'appel, leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera en conséquence rejetée.

Par ces motifs,

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Condamne in solidum M. [S] [J], Mme [W] [Y] et la société Vedrines aux dépens de l'appel,

Rejette toute autre demande des parties,

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