CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 24 avril 2025, n° 24/10993
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
JLK (SAS)
Défendeur :
Du Portail Neuf (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pacaud
Conseillers :
Mme Neto, Mme Mogilka
Avocats :
Me Alligier, Me Ceresiani, Me David, Association d'avocats Mascaras Ceresiani - Les Avocats Associés
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat dérogatoire excluant expressément l'application du statut des baux commerciaux en date du 6 novembre 2020, expirant le 5 novembre 2021, et deux avenants en date des 6 novembre 2021, expirant le 15 janvier 2023, et 16 janvier 2023, expirant le 5 novembre 2023, la société civile immobilière (SCI) Du portail neuf a donné à bail à la société par actions simplifiée (SAS) JLK des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 3], afin d'y exercer une activité de restaurant, bar et épicerie fine.
Refusant de faire droit à la demande de sa locataire formulée, par courrier du 20 septembre 2023, de requalifier leur relation en un bail commercial, la société Du portail neuf lui a demandé, par courrier du 26 octobre 2023 et acte d'huissier signifié le 3 novembre 2023, de quitter les lieux au plus tard le 5 novembre 2023.
Se plaignant du maintien de la société JLK dans les lieux au-delà du 5 novembre 2023, la société Du Portail neuf l'a fait assigner, par acte d'huissier en date du 31 janvier 2024, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan aux fins d'entendre ordonner son expulsion et de la voir condamner à lui verser une indemnité d'occupation provisionnelle journalière.
Par ordonnance en date du 21 août 2024, ce magistrat a :
- rejeté l'exception d'incompétence ;
- ordonné l'expulsion de la SAS JLK, de toutes personne, matériels, marchandises et autres biens de son chef des locaux dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision et, passé le délai de deux mois à compter de celle-ci, avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ;
- condamné la société JLK à payer à la SCI Du Portail neuf une indemnité provisionnelle journalière d'occupation de 500 euros par jour à compter du 6 novembre 2023 ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle en séquestre des loyers ;
- condamné la société JLK à payer à la SCI Du Portail neuf une indemnité de 3 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Ce magistrat a estimé :
- qu'il était compétent pour connaître du litige dès lors que le juge de la mise en état qui a été désigné le 23 janvier 2024 dans le cadre de l'action initiée au fond par la société JLK aux fins de requalification de sa relation en bail soumis au statut des baux commerciaux, soit avant l'action en référé introduite par la société Du Portail neuf, n'avait pas compétence pour ordonner une expulsion pour occupation sans droit ni titre qui n'avait pas de caractère provisoire ;
- que la durée totale des baux dérogatoires consentis, allant du 6 novembre 2020 au 5 novembre 2023, n'avait pas excédé trois ans conformément à l'article L 145-5 du code de commerce ;
- que le bail saisonnier consenti pour la période allant du 1er juin 2020 au 5 novembre 2020 au bénéfice de MM. [T] et [W], agissant en qualité de fondateurs de la société JLK, n'avait pas à être pris en compte dès lors que l'article susvisé ne s'appliquait pas aux baux saisonniers ;
- que l'occupation sans droit ni titre de la société JLK depuis le 5 novembre 2023 constituait un trouble manifestement illicite justifiant son expulsion ;
- que l'indemnité d'occupation à raison de 500 euros par jour n'était pas contestable dès lors que c'était le montant prévu au bail.
Suivant déclaration transmise le 9 septembre 2024, la société JLK a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 18 février 2025, avec demande de révocation de l'ordonnance de clôture, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, elle sollicite de la cour qu'elle réforme ou annule l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau qu'elle :
- déclare le juge des référés incompétent pour constater la résiliation du bail, ordonner son expulsion et la condamner à une indemnité d'occupation ;
- dise n'y avoir lieu à référé sur les demandes de l'intimée ;
- déboute l'intimée de ses demandes ;
- désigne tel séquestre judiciaire qu'il plaira au juge des référés avec mission de séquestrer les loyers dus par la société JLK après avoir qualifié les sommes dues en loyers ou indemnités d'occupation ;
- dise que le séquestre des sommes vaudra paiement à due concurrence des sommes séquestrées;
- déboute l'intimée de ses demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
- la condamne à lui verser la somme de 3 800 euros pour les frais exposés en première instance et celle de 3 800 euros pour ceux exposés en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Concernant l'exception d'incompétence, elle considère que, dès lors que le juge de la mise en état peut, en application de l'article 789 du code de procédure civile, ordonner toutes mesures provisoires, même conservatoires, il est seul compétent, à partir de sa désignation, à l'exclusion de tout autre juge, pour prononcer une expulsion et allouer une indemnité provisionnelle journalière d'occupation.
Concernant l'occupation sans droit ni titre, elle fait valoir l'absence de trouble illicite et des contestations sérieuses dès lors que les demandes d'expulsion et d'indemnité d'occupation nécessitent une qualification de la relation existant entre les parties afin de déterminer le régime juridique applicable, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés. Elle expose avoir initié une action devant le juge du fond le 24 octobre 2023, soit avant même l'action en référé engagée par l'intimée, afin que le bail en question soit qualifié de bail commercial depuis le 1er juin 2023 en application de l'article L 145-5 du code de commerce. Elle insiste sur le fait qu'avant les trois baux dérogatoires qui lui ont été consentis, elle occupait déjà les lieux en vertu d'un bail saisonnier qui lui a été consenti entre le 1er juin et le 5 novembre 2020. Elle considère donc qu'elle occupait les lieux de manière continue, à la date du 5 novembre 2023, depuis plus de trois ans. Elle expose que, nonobstant les stipulations ou intitulés des baux consentis, seule la réalité des faits compte en matière de requalification. Elle considère donc que le débat ne porte pas sur la requalification du bail saisonnier mais sur la qualification de la situation des parties qui, par l'effet de quatre conventions successives, ont fait qu'elle est dans les lieux depuis plus de trois ans, de sorte qu'elle est en droit de se prévaloir du statut d'ordre public qui régit les baux commerciaux. Elle affirme que juger l'inverse reviendrait à vider de sa substance les dispositions d'ordre public de l'article L 145-5 du code de commerce en permettant au bailleur de les contourner, et ce, de manière totalement illicite.
Concernant la demande de séquestre fondée sur l'article 1961 du code civil, elle expose que toutes ses tentatives pour régler son loyer ont été vaines, l'intimée refusant de les encaisser.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 17 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la société Du Portail neuf sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise ;
- déboute l'appelante de ses demandes ;
- la condamne à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Concernant l'exception d'incompétence, elle expose que la compétence du juge de la mise en état résultant de l'article 789 du code de procédure civile ne fait pas obstacle à celle du juge des référés pour connaître de ses demandes dès lors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de la mise en état d'ordonner une expulsion pour occupation sans droit ni titre résultant de l'arrivée du terme du bail dérogatoire qui a été consenti. Elle insiste sur le fait que le litige ne porte pas sur la résiliation d'un bail.
Concernant l'occupation sans droit ni titre, elle expose que le trouble manifestement illicite est caractérisé, outre le fait que sa demande d'expulsion ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Elle affirme que le bail dérogatoire qui a été consenti, en application de l'article L 145-5 du code de commerce, et ce, conformément à la volonté des parties, n'a pas excédé trois ans, dès lors qu'il a concerné une période allant du 6 novembre 2020 au 5 novembre 2023, soit une durée totale de 2 ans, 11 mois et 29 jours, faisant valoir qu'elle a demandé à la société JLK de quitter les lieux dès le 26 octobre 2023, soit avant la date d'expiration du bail dérogatoire. En réplique aux moyens de défense, elle affirme que la location saisonnière portant sur la période allant du 1er juin au 5 novembre 2020 ne doit pas être prise en compte dans le calcul de la durée des trois ans dès lors que le contrat de bail saisonnier ne peut être assimilé à un bail dérogatoire pouvant être conclu pour une durée de trois ans maximum. Elle relève que l'article L 145-5 du code de commerce lui-même exclut les locations à caractère saisonnier du champ d'application du statut des baux commerciaux. Elle explique que la société JLK souhaitait, à l'origine, uniquement prendre le bail le temps d'une saison et que, voyant que son activité fonctionnait, elle a manifesté son envie de rester dans les lieux et de ne plus exercer une activité saisonnière. Elle insiste sur le fait que, s'il est vrai que le bail dérogatoire doit se faire lors de l'entrée du locataire dans les lieux, celle-ci doit s'entendre de la prise de possession des locaux en exécution de la date d'effet du premier bail dérogatoire conclu avec le propriétaire, peu important que le preneur les ait occupés antérieurement en vertu d'un autre titre depuis expiré. Elle affirme que, selon leur volonté commune, le bail dérogatoire, qui a commencé le 6 novembre 2020, a pris fin le 5 novembre 2023, de sorte que la société JLK ne peut se prévaloir d'aucun maintien dans les lieux après l'échéance du bail.
Concernant la demande de séquestre, elle indique refuser l'encaissement des loyers depuis le terme du bail dérogatoire dès lors que les sommes qu'elle réclame depuis le 5 novembre 2023 ne sont pas des loyers mais des indemnités d'occupation.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 18 février 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le rabat de l'ordonnance de clôture
Il résulte de l'article 802 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige, qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l'ordonnance de clôture.
L'article 803 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats sur décision du tribunal.
Par ailleurs, l'article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacun soit à même d'organiser sa défense.
Enfin, aux termes de l'article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il est admis que le juge dispose d'un pouvoir souverain pour apprécier si des conclusions et/ou des pièces ont été déposées en temps utile. Ainsi, s'il estime qu'elles ont été déposées peu de temps avant le moment prévu pour l'ordonnance de clôture, le juge doit veiller au respect des droits de la défense et, éventuellement, les écarter des débats en caractérisant les circonstances particulières qui l'ont conduit à se prononcer en ce sens.
En l'espèce, l'appelante a transmis ses dernières conclusions le 18 février 2025, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture qui a été rendue le jour même, en réplique à des conclusions qui lui ont été transmises la veille par l'appelante.
A l'audience, avant le déroulement des débats, les avocats des parties ont indiqué qu'ils ne s'opposaient pas à la révocation de l'ordonnance de clôture afin d'admettre les derniers jeux de conclusions de chacune des parties.
La cour a donc, de l'accord général, révoqué ladite ordonnance puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée.
Sur l'exception d'incompétence en application de l'article 789 du code de procédure civile
Il résulte de l'article 789 du code de procédure civile que lorsque le juge de la mise en état est saisi, il est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal pour accorder une provision, ordonner des mesures provisoires ou conservatoires. Sa désignation obère donc toute perspective de saisine du juge des référés.
Il est admis que la désignation du juge de la mise en état dans une instance ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés pour statuer sur un litige lorsque l'objet de ce litige est différent de celui dont est saisie la juridiction du fond.
En l'espèce, il est acquis, qu'avant la saisine du juge des référés par la société Du Portail neuf, le 31 janvier 2024, tendant à voir expulser la société JLK de son bien pour occupation sans droit ni titre, un juge de la mise en état a été désigné, le 23 janvier 2024, dans le cadre de la procédure au fond initiée par la société JLK tendant à la requalification de sa relation avec la société Du Portail neuf en un bail commercial.
Or, bien que ces deux actions concernent les mêmes parties et ont une même cause, elles n'ont pas le même objet. L'action en requalification initiée par la société JLK est différente des demandes d'expulsion et de provision pour occupation sans droit ni titre formées par la société Du Portail neuf à son encontre sur le fondement des articles 834 et 835 du code de procédure civile.
Au surplus, même à considérer que la société Du Portail neuf entend demander au juge du fond, à titre reconventionnel, l'expulsion de la société JLK et sa condamnation à lui verser une indemnité pour occupation sans droit ni titre, il est admis que l'expulsion ne peut s'analyser comme une mesure provisoire ou conservatoire relevant de la compétence du juge de la mise en état. S'il en va différemment de la demande de provision, il convient de relever que, dans le cas présent, elle n'est que la conséquence de l'expulsion sollicitée, de sorte que ces deux demandes ne peuvent être scindées en deux.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge s'est déclaré compétent. Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur l'occupation sans droit ni titre de la société JLK
Il résulte en premier lieu de l'article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'urgence est caractérisée chaque fois qu'un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur.
En outre, une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Enfin, c'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier non seulement l'urgence mais également l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ces moyens.
En second lieu, il résulte de l'article 835 alinéa 1 que le président peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
L'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite.
La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
L'occupation sans droit ni titre d'un immeuble est ainsi de nature à constituer un trouble manifestement illicite et, à tout le moins, l'obligation de quitter les lieux est non sérieusement contestable.
En l'espèce, il n'est pas contesté que, préalablement au bail dérogatoire consenti par la société Du Portail neuf à la société JLK portant sur la période allant du 6 novembre 2020 au 5 novembre 2023, soit moins de 36 mois, un bail saisonnier concernant les mêmes locaux a été consenti pour la période allant du 1er juin au 5 novembre 2020.
L'article L 145-1 I du code de commerce énonce que les dispositions régissant le bail commercial s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1°) Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du fonds de commerce ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal.
L'article 145-5 du code de commerce dispose que les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit par supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession , il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Ainsi, ces dernières dispositions prévoient la possibilité pour les parties de déroger au statut des baux commerciaux tout en limitant ces exceptions aux baux de courte durée au plus égale à trois ans et à la location saisonnière.
En l'occurrence, alors même que la société JLK affirme que la location saisonnière doit être prise en compte dans le calcul de la durée du bail dérogatoire, la société Du Portail neuf soutient qu'il n'en est rien.
Si le bail dérogatoire doit intervenir lors de l'entrée dans les lieux du preneur, c'est-à-dire lors de son entrée en jouissance, la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 2 mars 2017, n° 15-28.068 ; Cass. 3e civ. 1er février 2018, n°16-23.122) juge que l'entrée dans les lieux du preneur, à laquelle se réfère l'article L 145-5 du code de commerce, ne vise que la prise de possession des lieux en exécution dudit bail dérogatoire, peu important que le preneur les ait occupés antérieurement en vertu d'un autre titre depuis lors expiré, et notamment d'un bail commercial statutaire qui a pris fin.
Il en résulte que le seul fait pour la société JLK d'être entrée dans les lieux le 1er juin 2020 en vertu d'une location saisonnière n'empêchait pas les parties de conclure un bail dérogatoire dès la fin de cette location.
Si l'on ne prend pas en compte la durée de la location saisonnière dans le calcul de la durée du bail dérogatoire conclu à compter du 6 novembre 2020, ce dernier n'a pas excédé trois ans.
En effet, la société Du Portail neuf a, par acte d'huissier en date du 3 novembre 2023, mis en demeure la société JLK de quitter les lieux au plus tard le 5 novembre 2023.
En refusant expressément le maintien en possession de la société JLK, aucun nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux n'a opéré au terme du terme du bail de courte durée.
Ainsi, faute d'être restée en possession des lieux en vertu du bail dérogatoire pendant plus de trois ans, la requalification de ce dernier en bail commercial de droit commun revendiquée par la société JLK, tenant à sa durée, ne constitue pas une contestation sérieuse à la demande d'expulsion faite par la société Du Portail neuf tiré d'une occupation sans droit ni titre de la société JLK depuis l'expiration du bail dérogatoire le 5 novembre 2020.
Par ailleurs, la société Du Portail neuf soutient que la commune intention des parties a été de déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux en souscrivant un bail de courte durée inférieure à trois ans, alors même que la société JLK fait valoir que la qualification donnée par les parties ne s'impose pas à la juridiction, en sorte qu'une requalification d'un contrat en bail commercial est toujours possible.
Si l'article L 145-5 alinéa 1 du code de commerce autorise les parties à déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, une telle démarche implique une manifestation de volonté claire et non équivoque.
En l'occurrence, le bail de courte durée stipule (en page 2) qu'il est consenti et accepté pour une durée d'un an allant du 6 novembre 2020 au 5 novembre 2021 en application des dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce. Les parties précisent avoir entendu déroger, en toutes ses dispositions, au statut des baux commerciaux, de sorte que le preneur ne pourra se prévaloir des dispositions du chapitre 5 du titre IV du livre I du code de commerce pour solliciter le renouvellement du bail qui se terminera à l'arrivé du terme fixé sans que le bailleur ait à signifier de congé. Il se poursuit en mentionnant que le preneur ne pourra se prévaloir d'aucun maintien dans les lieux après l'échéance du bail et que, dès lors, à l'expiration du contrat, le preneur s'oblige irrévocablement à libérer les locaux loués. Au cas où le preneur se maintiendrait dans les locaux loués à l'issue du terme prévu ci-dessus, il pourra en être expulsé sur simple ordonnance de référé rendue à la demande du bailleur par le président du tribunal judiciaire compétent.
Ce bail a été renouvelée par deux avenants allant du 6 novembre 2021 au 15 janvier 2023 et 16 janvier 2023 au 5 novembre 2023. Aux termes de ces deux avenants, les parties rappellent leur volonté de proroger le bail de courte durée arrivé à expiration le 5 novembre 2021 en application des dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce qui dispose : 'Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Il est rappelé dans les avenants que la présente convention constitue une location dérogeant au statut des baux commerciaux. Elle est consentie et acceptée dans le cadre des dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce. En conséquence, le preneur reconnaît être informé que la présente convention est exclue du champ d'application du statut des baux commerciaux, et qu'il n'aura donc droit ni au renouvellement du présent bail ni à une quelconque indemnité à son terme.
Dès lors qu'il résulte de ces clauses contractuelles une volonté claire et non équivoque des parties à déroger au statut des baux commerciaux en concluant le bail dérogatoire litigieux, la requalification de ce dernier en bail commercial de droit commun revendiquée par la société JLK, tenant à la commune intention des parties, ne constitue pas une contestation sérieuse à la demande d'expulsion faite par la société Du Portail neuf tiré d'une occupation sans droit ni titre de la société JLK depuis l'expiration du bail dérogatoire le 5 novembre 2020.
En conséquence, la preuve d'un trouble manifestement illicite résultant de l'occupation sans droit ni titre de la société JLK est rapportée, de même que l'obligation de cette dernière de quitter les lieux à l'expiration du bail dérogatoire ne se heurte à aucune contestation sérieuse tenant à la possibilité pour le bail dérogatoire d'être requalifié en un contrat soumis au statut des baux commerciaux.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a ordonné l'expulsion de la société JLK des lieux selon les mêmes modalités.
Sur la demande de provision au titre de l'indemnité d'occupation
Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.
L'occupant sans droit ni titre du fait de l'acquisition de la clause résolutoire est tenu de payer une somme équivalente au loyer augmenté des charges à titre de réparation du préjudice subi par le bailleur.
En l'espèce, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que la preuve d'une occupation sans droit ni titre de la société JLK est rapportée avec l'évidence requise en référé, la société Du Portail neuf justifie sa demande tendant à la condamnation de la société JLK à lui verser, à titre provisionnel, une indemnité d'occupation journalière de 500 euros à compter du 6 novembre 2023, et ce, jusqu'à libération des lieux.
Ce montant n'est pas sérieusement contestable puisque c'est celui qui a été fixé par les parties aux termes du contrat de bail dérogatoire (en page 2 in fine).
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle de désignation d'un séquestre
En application de l'article 1961 du code civil, la justice peut ordonner le séquestre des meubles saisis sur un débiteur, d'un immeuble ou d'une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes ou des choses qu'un débiteur offre pour sa libération.
Une mesure de séquestre ne se justifie que s'il existe un litige sérieux et la contestation sérieuse n'est pas nécessairement un obstacle à la décision de référé mais peut au contraire en être la condition. Il reste que le juge des référés ne peut ordonner une mesure de séquestre, en cas d'urgence, qu'à la condition que son ordonnance ne fasse aucun préjudice au principal.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Du Portail neuf a rejeté, le 8 novembre 2023, le virement de 3 000 euros effectué par la société JLK en paiement de son loyer du mois de novembre 2023. Par courriel en date du 20 novembre 2023, la société Du Portail neuf explique ce rejet par le fait que la société JLK n'est plus redevable, par suite de son occupation sans droit ni titre des locaux, d'un loyer mais d'une indemnité d'occupation.
Dès lors qu'il résulte de ce qui précède que l'obligation pour la société JLK de régler une provision de 500 euros par jour à valoir sur l'indemnité d'occupation, du 6 novembre 2023 jusqu'à complète libération des lieux, n'est pas sérieusement contestable, la société Du Portail neuf était en droit de refuser le paiement d'un loyer.
De surcroît, nonobstant la procédure au fond initiée par la société JLK en requalification de son bail dérogatoire en bail commercial, il n'y a aucune raison, compte tenu du sens de la présente décision, de porter atteinte aux droits de la société Du Portail neuf en autorisant la société JLK à remettre à un séquestre, dans l'attente de la décision de la juridiction du fond, l'indemnité d'occupation dont elle est redevable à titre provisionnel.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de séquestre judiciaire formée par la société JLK à titre provisionnel.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société JLK, succombant en appel, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens. En revanche, elle sera infirmée en ce qui concerne le montant alloué à la société Du Portail neuf au titre des frais irrépétibles (3 800 euros).
La société JLK sera condamnée également aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande en outre de la condamner à verser à la société Du Portail neuf la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens.
En revanche, la société JLK, en ce qu'elle est tenue aux dépens, sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rappelle qu'à l'audience, avant l'ouverture des débats, elle a révoqué l'ordonnance de clôture puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée ;
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant alloué à la SCI Du Portail neuf au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SAS JLK à verser à la SCI Du Portail neuf la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens ;
Déboute la SAS JLK de sa demande formée sur le même fondement ;
Condamne la SAS JLK aux dépens de la procédure d'appel.