CA Orléans, ch. com., 24 avril 2025, n° 22/01062
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
ACB Optique (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chegaray
Conseillers :
Mme Chenot, M. Desforges
Avocats :
Me Baudry, Me Pinet, Me Plessis, Walter & Garance Avocats, AARPI Omnia Legis, Association Lebray & Associés
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :
Par acte notarié du 29 décembre 1979, la commune de [Localité 10] a concédé un bail à construction portant sur un terrain situé sur son territoire, [Adresse 9], préalablement déclassé du domaine public communal, à la société d'économie mixte Société d'Equipement de la Touraine (la SET), en vue de l'édification d'un centre commercial.
La convention, conclue pour une durée de 40 ans, a pris effet au 1er janvier 1980, pour atteindre son terme extinctif le 1er janvier 2020. Elle octroyait à la SET la possibilité de procéder à des cessions partielles de son droit, comme celle de louer libremement les constructions édifiées pour une durée ne pouvant excéder celle du bail à construction lui-même.
La convention prévoyait également en son article 7.15 que :
« En complément des dispositions des articles 7.6.2 [prévoyant l'extinction de plein droit de tous les droits consentis du chef du preneur] et 7.14 [aux termes duquel l'expiration du bail à construction entraînerait l'acquisition par accession, au profit du bailleur, de tous les bâtiments, aménagements et améliorations réalisés sur le terrain loué] qui sont en tant que de besoin ici confirmées en fin de bail à construction pour quelque raison que ce soit y compris en cas de résiliation, le bailleur prend :
- vis-à-vis des commerçants qui exploiteront effectivement à la date d'expiration du bail à construction et depuis trois années au moins un fonds de commerce en qualité de commerçants inscrits au registre du commerce dans l'un des locaux du centre commercial - à l'exclusion du ou des commerçants exerçant leur activité dans les locaux prévus pour le supermarché ou pour la banque - qu'ils soient cessionnaires partiels du présent bail à construction ou titulaires d'un bail commercial consenti par un de ces cessionnaires,
L'engagement, au seul choix du bailleur :
1° - soit, de leur payer une indemnité calculée comme en matière d'expropriation, mais n'indemnisant cependant ni la valeur des murs ou du droit au bail ou du pas de porte,
2° - soit de leur consentir pour le local qu'ils occupent un bail aux conditions habituelles avec un loyer correspondant à la valeur locative ».
Le 11 mars 1981, la SET a procédé à une cession partielle des droits tirés du bail à construction, en ce que ceux-ci concernaient le lot numéroté 24 du centre commercial Maurice Thorez, correspondant à un local ayant son entrée au [Adresse 2], au profit de M. [F] [R], opticien, lequel a ainsi pu s'installer et exercer son commerce au sein dudit local.
Suivant acte authentique du 14 août 2007, M. [R] a, à son tour, cédé ses droits à la société ACB Optique, laquelle a poursuivi au même lieu, sous l'enseigne 'Un nouveau regard', l'activité de commerce de détail d'optique.
Le 23 avril 2019, la commune de [Localité 10] a rappelé à la SAS ABC Optique les stipulations de l'article 7.15 du bail à construction et a sollicité la transmission de certaines informations. En réponse, la société a fait savoir, par missive datée du 13 mai 2019, qu'elle souhaitait « pérenniser son fonds de commerce » et a prié son interlocutrice de « lui confirmer la possibilité d'un bail commercial (3, 6, 9) ».
Par courrier daté du 10 octobre 2019, le maire de [Localité 10] a indiqué que l'avenir du centre commercial Maurice Thorez faisait « l'objet d'une réflexion approfondie, qui pourrait conduire à terme à sa démolition ou à son transfert dans de nouveaux locaux » et qu'en conséquence, il avait été décidé de proposer à la société ACB Optique, au titre de la mise en oeuvre de l'article 7.15 de la convention de 1979, un bail dérogatoire de l'article L.145-5 du code du commerce, d'une durée de trois ans. La missive précisait qu'en cas de refus exprès ou implicite de la société, cette dernière devrait avoir libéré le local qu'elle occupait au 31 décembre 2019, sans pouvoir solliciter quelque indemnité que ce soit.
La SAS ACB Optique a répondu, par lettre recommandée reçue en mairie de [Localité 10] le 28 novembre 2019, que l'offre n'était pas acceptable, le « bail aux conditions habituelles » mentionné par l'article 7.15 ne pouvant correspondre qu'à un bail commercial de droit commun. La société ACB Optique a, en conséquence,
proposé à la commune de conclure un tel contrat, ou à défaut, de l'indemniser à hauteur de 225 000 euros.
Les parties ont échangé entre elles, sans qu'un accord puisse être trouvé. La société ACB Optique s'est maintenue dans les lieux et y a poursuivi son activité après le 1er janvier 2020.
Par acte du 28 janvier 2020, la commune de Saint-Pierre-des-Corps a, dûment autorisée, fait assigner à jour fixe la société ACB Optique devant le tribunal judiciaire de Tours aux fins principalement, après avoir retenu sa compétence, de voir dire et juger que la société ACB Optique est occupante sans droit ni titre des locaux loués depuis le 1er janvier 2020, et d'ordonner en conséquence son expulsion.
Par jugement mixte du 30 avril 2020, le tribunal judiciaire de Tours a :
- débouté la SAS ACB Optique de sa demande tendant à la condamnation sous astreinte de la commune de [Localité 10] à conclure avec elle un bail commercial de droit commun portant sur le local situé au [Adresse 2] à [Localité 10], correspondant au lot numéro 24 de l'ensemble immobilier à usage commercial de la [Adresse 9],
- débouté la SAS ACB Optique de sa demande tendant à la condamnation sous astreinte de la commune de [Localité 10] à conclure avec elle un bail commercial dérogatoire portant sur le local situé au [Adresse 2] à [Localité 10], correspondant au lot numéro 24 de l'ensemble immobilier à usage commercial de la [Adresse 9],
- ordonné l'expulsion de la SAS ACB Optique du local situé au [Adresse 2] à [Localité 10], correspondant au lot numéro 24 de l'ensemble immobilier à usage commercial de la [Adresse 9],
- dit que ladite expulsion sera diligentée suivant les règles prévues par le livre IV du code des procédures civiles d'exécution, le concours de la force publique sollicité conformément aux dispositions des articles L.153-1 et suivants, R.153-1 et suivants du même code, le sort des meubles laissés sur place réglé comme il est dit aux articles L.433-1 et suivants, R.433-1 et suivants du même code,
- condamné la SAS ACB Optique à verser à la commune de [Localité 10] une indemnité d'occupation journalière de 6,02 euros à compter du 1er janvier 2020 et jusqu'à la date effective de libération des lieux,
- débouté la commune de [Localité 10] de sa demande tendant au prononcé d'une astreinte à l'encontre de la SAS ACB Optique,
- dit que la commune de [Localité 10] devra régler à la SAS ACB Optique l'indemnité mentionnée au 1° de l'article 7.15 du bail à construction conclu le 29 décembre 1979 suivant acte reçu par Maître [T] [N], notaire à [Localité 5],
- ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [L] [B] ([Adresse 4] - [XXXXXXXX01] - [Courriel 8]), expert inscrit sur la liste tenue par la cour d'appel d'Orléans,
avec faculté de prendre l'avis de tout technicien de son choix dans une spécialité différente de la sienne et mission de recueillir tous renseignements utiles à la charge d'en indiquer la source, d'entendre tous sachants sauf à ce que soient précisés leur identité, et s'il y a lieu leur lien de parenté, d'alliance, de
subordination ou de communauté d'intérêt avec les parties,
et avec pour mission, dans le strict et constant respect du contradictoire, de :
' convoquer les parties et se rendre au [Adresse 2] à [Localité 10], correspondant au lot numéro 24 de l'ensemble immobilier à usage commercial de la [Adresse 9],
' se faire communiquer tous documents et tous renseignements utiles,
' procéder à une évaluation de :
- la valeur du fonds de commerce dont était titulaire la SAS ACB Optique, en prenant pour date de référence le 1er janvier 2020 et en se prononçant sans tenir compte de la valeur des murs, d'un quelconque droit au bail ou pas de porte,
- l'éventuelle indemnité de remploi, correspondant aux frais qui devraient être exposés pour l'acquisition d'un fonds similaire,
- tous autres potentiels chefs de préjudice dont la société ACB pourrait justifier, subis du fait de la perte du fonds de commerce et directement liés à celle-ci,
' fournir toute précision utile à la solution du litige,
- dit que les opérations d'expertise se dérouleront sous le contrôle de M. Zearo Silvère, juge du tribunal judiciaire de Tours et que l'expert l'avertira sans délai, par tout moyen et de préférence par voie électronique ([Courriel 11]) de toute espèce de difficulté rencontrée,
- dit que l'expert dressera un pré-rapport, qu'il adressera par tout moyen aux parties, fixera un délai raisonnable pour qu'elles en prennent connaissance et puissent présenter leurs observations ou réclamations, et répondra aux derniers dires écrits formulés par chacune des parties dans le délai qui aura été imparti, conformément aux prévisions de l'article 276 du code de procédure civile, avant d'établir son rapport définitif,
- dit que l'original du rapport définitif devra être déposé au greffe du tribunal judiciaire de Tours avant le 31 décembre 2020,
- dit qu'il appartiendra à l'expert, pour le cas où il n'aurait pu achever ses opérations avant la date mentionnée, de solliciter une prorogation auprès du juge chargé du contrôle de l'expertise, en exposant les raisons du retard,
- dit que les frais et honoraires de l'expert seront avancés par la SAS ACB Optique,
- fixé à 1 500 euros la provision à valoir sur ces frais et honoraires qui devra être versée par la SAS ACB Optique, dans un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi 2020-290 du 23 mars 2020 à l'ordre de la Régie du tribunal judiciaire de Tours,
- rappelé qu'à défaut de consignation dans le délai ci-dessus fixé, la présente désignation d'expert sera caduque de plein droit en vertu de l'article 271 du code de procédure civile,
- dit que pour le cas où une provision complémentaire serait nécessaire, l'expert adressera aux parties une note explicative détaillant ses frais et honoraires prévisibles, et qu'il appartiendra aux parties de faire parvenir leurs observations, dans un délai d'un mois, directement au juge chargé du contrôle de l'expertise (au tribunal judiciaire de Tours, Service des expertises, [Adresse 3]),
- condamné la commune de [Localité 10] à verser à la SAS ACB Optique la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice lié à l'exécution de mauvaise foi du bail à construction conclu le 29 décembre 1979 par la bailleresse,
- dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens par elle exposés,
- rejeté les demandes présentées par la commune de [Localité 10] et la SAS ACB Optique au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que la présente décision ne bénéficiera pas de l'exécution provisoire, exception faite de ses dispositions afférentes à l'expertise confiée à M. [L],
- donné avis aux parties de justifier, pour la première audience de mise en état dématérialisée de janvier 2021, à peine de radiation, de l'état d'avancement de l'expertise ou de toutes démarches effectuées pour la faire parvenir à bonne fin et, pour le cas où les opérations auraient été achevées, de conclure en ouverture de rapport.
La société ACB Optique a quitté les lieux le 9 juillet 2020.
Le rapport définitif de M. [B] [L] a été déposé le 27 janvier 2021.
Par jugement du 24 février 2022, le tribunal judiciaire de Tours a :
- condamné la commune de [Localité 10] à verser à la SAS ACB Optique la somme de 285 192,15 euros en application de l'article 7.15 du bail à construction conclu le 29 décembre 1979,
- débouté la commune de [Localité 10] de toutes ses demandes contraires,
- condamné la commune de [Localité 10] aux entiers dépens d'instance,
- condamné la commune de [Localité 10] à verser à la SAS ACB Optique la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant déclaration du 29 avril 2022, la commune de [Localité 10] a interjeté appel de l'ensemble des chefs expressément énoncés de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 juin 2022, la commune de [Localité 10] demande à la cour de :
Vu les articles L.211-3 et R.211-3 du code de l'organisation judiciaire,
Vu les dispositions des articles L.251-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, L.321-1 et suivants du code de l'expropriation,
Vu l'article 7.15 du bail à construction du 29 décembre 1979, prévoyant le versement en fin de bail aux exploitants ne se voyant pas offrir la conclusion d'un bail commercial « une indemnité calculée comme en matière d'expropriation, mais n'indemnisant cependant ni la valeur des murs ou du droit au bail ou pas de porte »,
Vu le jugement entrepris,
Vu les pièces versées au débat,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :
A titre principal :
- juger le commerce de l'exploitant ACB Optique transférable dans des locaux vacants au sein de la commune, de sorte que ACB Optique ne saurait prétendre qu'à une indemnité de déplacement, et non pas à une indemnité de remplacement au sens de l'article 7.15 du bail à construction originel,
- en conséquence, fixer le montant de l'indemnité principale de déplacement à hauteur de 25 000 euros,
Subsidiairement :
Si par extraordinaire la cour venait à considérer que l'exploitant peut prétendre à une indemnité principale de remplacement et non pas de déplacement :
- fixer le montant de l'indemnité principale de remplacement par la méthode du chiffre d'affaires à hauteur de 124 582 euros,
- fixer le montant de l'indemnité principale de remplacement par la méthode de la rentabilité à hauteur de 122 686 euros,
- en conséquence, croiser la méthode du chiffre et de la rentabilité et fixer le montant de l'indemnité principale de remplacement à hauteur de 123 634 euros,
En tout état de cause :
- fixer le montant des indemnités accessoires à concurrence de la somme consolidée de 26 469 euros se décomposant comme suit :
* indemnité de remploi : 12 363 euros,
* indemnité pour trouble commercial : 14 106 euros,
- juger que l'indemnité de remploi devra être restituée à la commune en cas de non-réinstallation de l'exploitant dans un délai de 18 mois à compter de la date du paiement de l'indemnité principale,
- débouter la société ACB Optique de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la société ACB Optique au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2022, la SAS ACB Optique demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1103, 1192 et 1240 du code civil,
Vu les dispositions du code de commerce, et notamment ses articles L.145-1 et L.145-5,
Vu les dispositions de l'article L.222-1 du code de l'expropriation,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu la décision déférée,
- débouter la commune de [Localité 10] de toutes demandes contraires aux présentes écritures,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Tours du 24 février 2022 en toutes ses dispositions,
- condamner la commune de [Localité 10] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux dernières écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 mars 2024, pour l'affaire être plaidée le 28 mars suivant.
MOTIFS :
Sur l'indemnité principale :
La commune de [Localité 10] soutient que l'indemnité principale doit être une indemnité de déplacement et non une indemnité de remplacement comme l'ont retenu les premiers juges à l'instar de l'expert. Elle fait valoir que le commerce de la société ACB Optique est transférable dans des locaux vacants au sein de la commune,
situés à proximité immédiate des locaux objets du litige, ceux-ci étant distants de 180 mètres, 220 mètres et 250 mètres de l'ancien local de l'exploitant, et ayant des caractéristiques similaires et une commercialité équivalente. Elle considère que l'indemnité de déplacement correspond à la valeur du droit au bail majorée des frais de déménagement et peut être valorisée à la somme de 25 000 euros compte tenu de la très faible valeur du droit au bail du fait de la faible commercialité du site.
Il a été jugé, suivant jugement mixte du 30 avril 2020, d'une part que 'la commune de [Localité 10] devra régler à la SAS ACB Optique l'indemnité mentionnée au 1° de l'article 7.15 du bail à construction conclu le 29 décembre 1979', d'autre part que la mission de l'expert désigné est 'l'évaluation de la valeur du fonds de commerce dont était titulaire la SAS ACB Optique", l'éventuelle indemntié de remploi correspondant aux frais qui devraient être exposés 'pour l'acquisition d'un fonds similaire' et tous autres potentiels chefs de préjudice dont la société ACB Optique pourrait justifier, 'subis du fait de la perte du fonds de commerce' et directement liés à celle-ci.
L'article 7.15 susvisé prévoit expressément 'une indemnité calculée comme en matière d'expropriation mais n'indemnisant cependant ni la valeur des murs ou du droit au bail ou pas de porte'. Or en matière d'expropriation, l'indemnité principale correspond à la valeur vénale du bien exproprié afin de permettre à l'ancien propriétaire d'acquérir un bien équivalent à celui dont il a été dépossédé, ce qui vise nécessairement une indemnité de remplacement. Et c'est précisément en ce sens que la mission de l'expert a été définie aux termes du jugement du 30 avril 2020, ce que ce dernier ne manque pas de relever dans sa réponse aux dires du 25 janvier 2021 annexée à son rapport. De surcroît, l'indemnité de remplacement revient à indemniser la valeur du droit au bail, ce qui est précisément exclu par l'article 7.15.
A titre surabondant, c'est à raison au vu des pièces communiquées, y compris devant la cour, que les premiers juges ont considéré qu'en tout état de cause, la commune de [Localité 10] ne produisait qu'un plan cadastral et une capture d'écran d'un plan depuis le site 'Mappy' ne permettant aucunement de justifier de la disponibilité alléguée de locaux de remplacement et encore moins d'en apprécier le prix, la surface et la commercialité, étant ajouté que la simple mention de l'expert dans sa réponse aux dires du 25 janvier 2021 'même s'il y a effectivement des locaux libres, ils ne correspondent en aucun cas à la situation du commerce en question' ne saurait suppléer la carence de la commune de [Localité 10] dans l'administration de la preuve qui lui incombe de l'existence de locaux vacants, similaires, dans un secteur proche correspondant aux besoins du locataire et permettant la réinstallation sans perte significative de la clientèle.
En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu une indemnité de remplacement pour indemniser la société ACB Optique.
Sur le quantum de l'indemnité de remplacement, la commune de [Localité 10] conteste la pertinence du coefficient retenu de 100 % pour l'évaluation de l'indemnité principale par le chiffre d'affaires, mettant en exergue à cet égard la petitesse de la commune (moins de 20 000 habitants) et l'absence d'enseigne nationale de l'exploitant, la concurrence de [Localité 5] et la faible commercialité du secteur, la faiblesse des résultats de l'exploitant, ainsi que la diminution des prix de vente des fonds d'optique en raison de la diminution des barèmes de remboursement des produits d'optique, et revendique l'aplication d'un coefficient de valorisation de 60 % du chiffre d'affaires hors taxes.
La commune de [Localité 10] conteste également la pertinence du coefficient retenu de 4,5 s'agissant de l'évaluation de l'indemnité principale par la rentabilité pour les mêmes motifs précédemment exposés et demande que soit retenu un coefficient qui ne saurait excéder 2.
Elle conclut qu'en croisant la méthode du chiffre d'affaires et celle de la rentabilité, l'indemnité principale de remplacement s'élève à 123 634 euros.
La société ACB Optique considère pour sa part que le coefficient de 100 % appliqué est justifié au regard de la situation commerciale du local dans l'hypercentre de la ville, secteur le plus commerçant et à proximité des praticiens prescripteurs, et que le taux retenu pour le calcul de l'indemnité par la rentabilité est justifié pour les mêmes motifs, relevant que rapportés à son nombre d'employés, ses résultats sont particulièrement bons et attestent de sa rentabilité.
Les parties s'accordent, à l'instar de l'expert, sur le croisement de deux méthodes pour évaluer le fonds de commerce concerné, à savoir un certain pourcentage du chiffre d'affaires annuel et un certain coefficient multiplicateur appliqué au bénéfice annuel, en procédant à la moyenne arithmétique des résultats des deux méthodes.
Les premiers juges ont retenu le pourcentage de 100 % du chiffre d'affaires proposé par l'expert pour l'évaluation du fonds par la méthode dite du chiffre d'affaires, relevant que la situation du local litigieux, dont notamment son positionnement en plein centre ville, en agglomération tourangelle, en centre commercial, à proximité du cabinet d'ophtalmologie et adossé à un supermarché de grande enseigne, en font un emplacement particulièrement privilégié et doté d'une très forte commercialité.
Dans le secteur optique, le pourcentage de valorisation du fonds de commerce varie entre 50 et 130 % du chiffre d'affaires annuel. Le coefficient de 100 % ne peut être appliqué au seul motif que le commerce en question va perdre 100 % de sa clientèle, puisque c'est le propre de toute indemnisation en cas de perte du fonds et que la valorisation d'un fonds dépend de son chiffre d'affaires et de sa rentabilité intrinsèque et non de sa disparition, comme le fait justement observer la commune de [Localité 10].
Si la concurrence de [Localité 5] ou du centre commercial des Atalantes situé sur la commune de [Localité 10] à 2 km du centre-ville sur la rocade apparaît sans influence en l'espèce s'agissant d'un commerce de proximité situé dans le centre ville de [Localité 10], il reste que l'emplacement de la société ACB Optique dans une petite ville de moins de 20 000 habitants au pouvoir d'achat limité ne peut être qualifié d' 'hyper commerçant' (selon l'expert), même situé à proximité d'un cabinet d'ophtalmologie et adossé à un centre commercial (huit commerces et une moyenne surface alimentaire Auchan en l'espèce), les pourcentages élevés restant le privilège des grandes villes à fort pouvoir d'achat.
En outre, il apparaît que la société ACB Optique, exerçant sous l'enseigne indépendante 'un nouveau regard', génère un chiffre d'affaires médian de 207 635 euros HT, bien inférieur au chiffre d'affaires moyen par point de vente (opticiens indépendants et enseignes nationales confondus) de 525 000 euros, selon la presse professionnelle versée au débat par l'appelante, ce qui va à l'encontre de l'existence d'un emplacement du magasin dans un secteur doté d'une très forte commmercialité.
Quant à la diminution drastique des prix de vente des fonds d'optique liée à la diminution des barèmes de remboursement des produits d'optique alléguée par la commune de [Localité 10], elle n'est pas établie et ce d'autant que le commerce d'optique reste en tout état de cause un commerce tout à fait essentiel.
En conséquence, il apparaît plus approprié de retenir un coefficient de 80 % du chiffre d'affaires pour la valorisation du fonds selon cette méthode.
Soit 207 635 euros HT (moyenne du chiffre d'affaires sur les trois dernières années x 80 % = 166.108 euros
Les premiers juges ont appliqué, à l'instar de l'expert, un multiplicateur de 4,5 pour la méthode d'évaluation par la rentabilité, s'appropriant les conclusions de celui-ci 'étant donné la localisation (dans un centre commercial et en plein centre ville)'.
Il est d'usage pour cette méthode d'appliquer un coefficient multiplicateur compris entre 3 et 5 au bénéfice annuel moyen comptabilisé sur les trois dernières années.
Compte tenu des observations qui précèdent sur la commercialité du secteur mais également de ce que les fonds de commerce d'optique sont des commerces tout à fait rentables, et particulièrement celui de la société ACB Optique, qui génère un résultat net de 61 343 euros, il convient d'appliquer un coefficient multiplicateur de 3,5 qui apparaît plus approprié.
Soit 61 343 euros x 3,5 = 214 700 euros
Il en résulte une indemnité principale de 190 404 euros (166 108 + 214 700 /2).
Sur les indemnités accessoires :
La commune de [Localité 10] fait observer qu'il est d'usage que l'indemnité de remploi n'excède pas 10 % de l'indemnité principale et que cette indemnité devra être restituée en cas de non-réinstallation de l'exploitant dans un délai de 18 mois à compter de la date du paiement de l'indemnité principale. Elle rélève que l'indemnité pour frais de déménagement et l'indemnité de licenciement ne peuvent être réglées que sur justificatifs, non produits en l'espèce. Elle ne discute pas l'indemnité pour trouble commercial fixée à 14 106 euros.
La société ACB Optique sollicte la confirmation des montants retenus par les premiers juges.
- Indemnité de remploi
Il s'agit des frais et droits de mutation pour l'acquisition d'un fonds de même valeur.
Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, la commune de [Localité 10] ne justifie pas ses allégations selon lesquelles l'indemnité de remploi ne saurait excéder un pourcentage de 10 % du montant de l'indemnité principale.
Il est avéré que les droits d'enregistrement s'établissent à 3 % du prix d'acquisition de 23 000 à 200 000 euros, soit en l'espèce 190 404 euros x 3 % = 5 712 euros.
Il convient de retenir, comme proposé par l'expert et pas autrement discuté par l'appelante, des frais de notaire à hauteur de 3 000 euros et des frais d'agence de l'ordre de 7,9 % du montant de l'indemnité principale, soit 15 042 euros.
L'indemnité de remploi sera donc fixée à la somme de 23 754 euros.
Faute de preuve rapportée par l'appelante de l'absence de réinstallation de la société ACB Optique, cette indemntié est due.
- Indemnité de déménagement
Si une telle indemnité est réglée sur production des justificatifs, lesquels ne sont pas communiqués en l'espèce, il reste que les locaux ont nécesairement dus être vidés pour être restitués et que c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué la somme forfaitaire de 1 000 euros de ce chef.
- Indemnité pour trouble commercial
L'indemnité allouée à ce titre à concurrence de 14 106 euros n'est pas contestée.
- Indemnité de licienciement
Il n'a été alloué aucune indemntié de ce chef, en l'absence d'éléments, ce que la société ACB Optique ne conteste pas.
En conséquence, par réformation du jugement entrepris, il convient de fixer l'indemnité due par la commune de [Localité 10] à la société ACB Optique en application de l'article 7.15 du bail à construction du 29 décembre 1979 à la somme de :
- indemnité principale : 190 404 euros
- indemnité de remploi : 23 754 euros
- indemnité de déménagement : 1 000 euros
- indemnité pour trouble commercial : 14 106 euros
Total : 229 264 euros
Sur les autres demandes :
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par les premiers juges.
La commune de [Localité 10] étant redevable de l'indemnité dont la fixation est revue à la baisse à l'issue de l'instance d'appel, il convient de laisser à la charge de chacune des parties les dépens ainsi que les frais irrépétibles par elles exposés à l'occasion de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du 24 février 2022 du tribunal judiciaire de Tours, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la commune de [Localité 10] à verser à la SAS ACB Optique la somme de 229 264 euros en application de l'article 7.15 du bail à construction du 29 décembre 1979,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie supportera la charge des dépens d'appel par elle exposés,
Dit n'y avoir lieu à indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.