CA Caen, 2e ch. civ., 24 avril 2025, n° 23/02891
CAEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
New Trade Company (SARL)
Défendeur :
Pierre Doumer (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Chereul, Me Salmon, Me Cohen-Trumer
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Par acte sous signature privée du 19 décembre 2005, la SCI [Adresse 3], aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SCI Pierre Doumer (la SCI), a donné à bail commercial à la SARL New Trade Company, exploitant une activité de vente de photographies sous l'enseigne Yellowkorner, des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 2].
Le bail a été consenti pour une durée de neuf ans avec effet au 1er janvier 2005 jusqu'au 1er janvier 2014, moyennant un loyer d'un montant annuel de 10.065 euros HT indexé sur l'indice du coût de la construction.
Le local loué comprend un magasin en façade sur la [Adresse 3], une cave et une réserve en fond de magasin et en fond de cour.
Le bail précise que le bailleur autorise le preneur à réaliser à ses frais un passage couvert de type véranda d'une largeur maximum d'un mètre permettant d'assurer la communication de la réserve de fond de cour à la cave située derrière la réserve au fond du magasin.
En décembre 2005, le bailleur a autorisé le preneur à utiliser la réserve en fond de cour d'une surface d'environ 47 m2 en local commercial pour exposition de marchandises et l'accueil de la clientèle.
Le 28 juin 2013, la SCI a fait délivrer congé au preneur pour le 31 décembre 2013, ledit congé portant refus de renouvellement du bail et offre de paiement d'indemnité d'éviction.
Par ordonnance de référé du 31 juillet 2014, M. [Y], expert près cette cour, a été désigné en qualité d'expert pour déterminer le montant des indemnités d'éviction et d'occupation des lieux.
Le 29 décembre 2015, la société New Trade Company a assigné la SCI devant le tribunal judiciaire de Caen aux fins notamment de la voir condamner au paiement d'une indemnité d'éviction en suite du non-renouvellement du bail.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 1er juin 2016.
Le 18 mai 2017, la SCI a notifié à la société New Trade Company son droit de repentir en renonçant au refus de renouvellement et offert le renouvellement du bail pour une durée de neuf ans aux clauses et conditions du bail échu moyennant la fixation du loyer de renouvellement à la somme annuelle de 31.878 euros HT et HC.
Par arrêt du 22 octobre 2022, cette cour a, notamment, confirmé le jugement rendu le 5 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen en ce qu'il a déclaré valable le repentir du bailleur et a fixé l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 22.176 euros HC et HT, sur la base du rapport d'expertise de l'expert judiciaire retenant notamment un prix unitaire de 420 euros/m² UP pour une surface pondérée de 66m² sans qu'il y ait lieu de déduire de cette surface celle correspondant à la partie sinistrée et un abattement pour précarité global de 20 %.
Aucun accord n'est intervenu entre les parties sur la fixation du loyer du bail renouvelé.
Par jugement du 19 octobre 2023, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Caen a :
- dit que la modification notable des caractéristiques des locaux loués sur la période de référence justifie le déplafonnement du loyer,
- dit que le prix du loyer du bail renouvelé des locaux loués s'établit à la somme annuelle de 27.720 euros hors taxes et hors charges au 18 mai 2017, pour une durée de neuf ans,
- dit que le bail conclu entre la SCI et la société New Trade Company s'est trouvé renouvelé pour le surplus à compter du 18 mai 2017 aux conditions et charges du bail initial, sous réserve de l'application de l'article R. 145-35 du code de commerce,
- débouté les parties de toutes autres demandes,
- condamné la société New Trade Company aux dépens.
Selon déclaration du 15 décembre 2023, la société New Trade Company a relevé appel de cette décision.
Suivant jugement du 23 octobre 2024, le tribunal de commerce de Caen a prononcé la liquidation judiciaire de la société New Trade Company et désigné Me [F] [U] comme liquidateur.
Par dernières conclusions du 16 janvier 2025, la société New Trade Company et Me [U], ès qualités, outre des demandes de 'juger' et 'dire' ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il y a lieu de statuer, demandent à la cour d'infirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a dit que le bail en cause s'est trouvé renouvelé pour le surplus à compter du 18 mai 2017 aux conditions et charges du bail initial, sous réserve de l'application de l'article R. 145-35 du code de commerce, statuant à nouveau dans cette limite, de débouter l'intimée de sa demande d'expertise, de juger inexistante, durant la période à considérer, une quelconque amélioration des facteurs locaux de commercialité ayant bénéficié au commerce exploité par elle, de dire que les travaux autorisés par le bail renouvelé du 19 décembre 2005 constituent des améliorations financées exclusivement par le preneur, lesquelles prévalent sur des modifications et ne peuvent, en tout état de cause, être pris en compte pour justifier un déplafonnement et fixer la valeur locative, en raison de la clause d'accession insérée au bail, de dire n'y avoir lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé, lequel doit être indexé pour être fixé à la somme annuelle de 13.234,40 euros HT à compter du 18 mai 2017.
Subsidiairement, ils demandent à la cour de juger que les facteurs locaux de commercialité se sont dégradés au détriment du preneur excluant que la valeur locative puisse excéder la somme annuelle de 19.800 euros HT, de juger que le loyer ne pourra être appelé que sur une moindre surface de 44 m2 du 18 mai 2017 jusqu'à l'achèvement des travaux et de condamner l'intimée à leur verser la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction au profit de son conseil.
Par dernières conclusions du 31 janvier 2025, la SCI demande à la cour de confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a dit que le prix du loyer du bail renouvelé des locaux loués s'établit à la somme annuelle de 27.720 euros hors taxes et hors charges au 18 mai 2017, pour une durée de neuf ans et débouté les parties de toutes autres demandes, statuant à nouveau de ces chefs, de débouter la société New Trade Company de toutes ses demandes et de fixer le montant du loyer de renouvellement à la somme annuelle de 31.878 euros HT et HC à compter du 18 mai 2017.
Subsidiairement, elle demande à la cour d'ordonner une expertise afin de donner un avis sur la valeur locative des locaux loués et les éventuels motifs de déplafonnement et de fixer le loyer provisionnel à la somme annuelle de 31.878 euros HT et HC et de condamner Me [U], ès qualités, au paiement de la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.
La mise en état a été clôturée le 5 février 2025.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS
1. Sur le loyer du bail renouvelé
Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
À défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1° les caractéristiques du local considéré,
2° la destination des lieux,
3° les obligations respectives des parties,
4° les facteurs locaux de commercialité,
5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Ces éléments s'apprécient dans les conditions fixées aux articles R. 145-3 à R. 145-11.
L'article L. 145-34 plafonne les variations des loyers des baux renouvelés ou révisés à la variation de l'indice trimestriel des locaux commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, sauf modification notable des éléments de détermination de la valeur locative mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 et sauf clause du contrat relative à la durée du bail.
Selon ce même texte, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures pour une année à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
Il résulte de ces dispositions qu'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu'autant qu'elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée par le preneur.
La période à prendre en compte court du 1er janvier 2005 au 18 mai 2017, date d'exercice de son droit de repentir par le bailleur. Au 18 mai 2017, le loyer annuel indexé s'élevait à la somme de 13.234,40 euros HT.
Les appelantes font grief au premier juge de considérer que les travaux réalisés en cours de bail par le preneur constituent une modification notable des caractéristiques du local et non des travaux d'amélioration des lieux loués, de sorte que cette modification justifie le déplafonnement du loyer du bail renouvelé dès le premier renouvellement nonobstant la clause d'accession prévue au bail, alors que les travaux réalisés par le preneur à ses frais en 2005 durant la période de référence, consistant en la création d'une véranda permettant de relier la boutique sur rue à la surface de vente et à la réserve auparavant seulement accessibles par la boutique précédente avec autorisation du bailleur d'utiliser la réserve comme surface de vente, ne constituent qu'une simple amélioration des locaux loués ayant permis leur adaptation pour faciliter le réassort et non une modification notable des caractéristiques du local, qu'en présence d'une clause d'accession en fin de bail cette amélioration ne justifier un déplafonnement du loyer du bail renouvelé et qu'à supposer établis une modification notable des caractéristiques du local, le régime des améliorations devait s'appliquer, de sorte que la demande de déplafonnement du loyer ne peut intervenir que lors du deuxième renouvellement du bail.
Les appelantes contestent l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité sur la période considérée.
En réplique, l'intimée soutient que les travaux réalisés en 2005 constituent une modification notable des caractéristiques du local au sens de l'article R. 145-3 du code de commerce en permettant de relier deux surfaces qui auparavant ne l'étaient pas, le preneur ayant été autorisé à exposer des marchandises et accueillir de la clientèle dans l'espace initialement affecté à la réserve de fond de cour, ce qui a apporté une modification des structures, des volumes, des surfaces ou de la division des surfaces des locaux loués ou encore une modification de la conformation des différentes parties des locaux, si bien qu'il est fondé à solliciter le déplafonnement du loyer du bail renouvelé dès le premier renouvellement en fonction de la valeur locative des locaux en cause.
En outre, le bailleur fait valoir une modification notable des facteurs locaux de commercialité résultant de la piétonisation des rues [Adresse 6], [Adresse 1] et [Adresse 7] en 2009, l'augmentation de la population de la communauté d'agglomération Caen la mer et du développement des transports en commun.
Aux termes de l'article R. 145-3 du code de commerce, les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° de sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface, de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° de l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° de ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° de l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° de la nature et de l'état des équipements et moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
Selon l'article R. 145-8, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
En présence d'une clause prévoyant l'accession des constructions au bailleur en fin de bail, la modification notable, au cours du bail à renouveler, des caractéristiques du local par la réalisation de travaux par le preneur à ses frais exclusifs entraîne le déplafonnement du prix du bail lors du premier renouvellement suivant celui durant lequel les travaux ont été exécutés, à moins que ces travaux ne constituent des travaux d'amélioration.
En l'espèce, les travaux litigieux consistent en la réalisation d'un passage couvert de type véranda d'une largeur maximum d'un mètre permettant d'assurer la communication de la réserve de fond de cour à la cave située derrière la réserve au fond du magasin.
Ces travaux ont été effectués durant le bail expiré par le preneur, à ses frais.
Le bail comporte une clause d'accession en fin de bail.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, ces travaux constituent une amélioration des locaux loués en ce qu'ils contribuent à une adaptation de ceux-ci en vue d'une meilleure exploitation de l'activité de vente de détail exercée dans ces locaux en facilitant le réassort.
Si les travaux effectués n'ont pas modifié l'assiette du bail, la réalisation de ces travaux et l'autorisation contemporaine du bailleur au preneur d'utiliser la réserve en fond de cour d'une surface d'environ 47 m2 en local commercial pour exposition de marchandises et l'accueil de la clientèle a eu pour effet de modifier notablement l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux au sens des dispositions précitées en accroissant significativement la surface des locaux destinée à l'accueil de la clientèle.
Les travaux en cause constituant à la fois une modification notable des caractéristiques propres au local loué et une amélioration de ce local, c'est le régime des améliorations qui prévaut.
Les travaux ayant été effectués par le preneur à ses frais, ceux-ci n'entraîneront un déplafonnement du loyer qu'au second renouvellement du bail suivant celui durant lequel les travaux ont été réalisés et non au 18 mai 2017.
Selon l'article R. 145-6, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
C'est au bailleur qu'il incombe d'établir une modification notable des facteurs de commercialité.
La SCI soutient que la piétonisation des rues [Adresse 6], [Adresse 1] et [Adresse 7] en 2009, l'augmentation de la population de la communauté d'agglomération Caen la mer et le développement des transports en commun ont modifié de manière favorable les facteurs locaux de commercialité.
Cependant, les appelantes établissent que la piétonisation du centre-ville remonte à 1999, soit à une date antérieure à la période du bail expiré courant de 2005 à 2017, que la population de [Localité 2] intra-muros a diminué sur cette même période, que le cinéma Pathé a fermé en 2013 pour s'installer au sein du centre commercial [5] ouvert concomitamment dans le quartier de la gare et comportant 28.000 m2 de commerces, ce qui a eu pour effet de diminuer le passage de clientèle dans la zone de chalandise du preneur.
Le bailleur invoque un développement des transports en commun sans autre précision ni justificatif, étant relevé que le tramway n'a été mis en circulation qu'en 2019.
Ainsi, la SCI échoue à rapporter la preuve d'une modification notable des facteurs de commercialité favorable à l'activité de vente de photographies du preneur.
Le loyer du bail renouvelé sera donc fixé au montant du loyer plafonné, soit à la somme de 13.234,40 euros HT.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
2. Sur les demandes accessoires
Compte tenu de la solution donnée au litige, les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens de première instance seront infirmées.
La SCI, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Chereul, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à la société New Trade Company et à Me [U], ès qualités, unis d'intérêts, la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la modification notable des caractéristiques des locaux loués sur la période de référence justifie le déplafonnement du loyer, dit que le prix du loyer du bail renouvelé des locaux loués s'établit à la somme annuelle de 27.720 euros hors taxes et hors charges au 18 mai 2017, pour une durée de neuf ans et condamné la société New Trade Company aux dépens ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que les travaux réalisés par le preneur et l'autorisation donnée par le bailleur au preneur d'utiliser la réserve en fond de cour pour exposition de marchandises et accueil de la clientèle constituent une amélioration des lieux loués et une modification notable des caractéristiques propres du local ;
Fixe à la somme annuelle de 13.234,40 euros HT à compter du 18 mai 2017 le loyer du bail renouvelé conclu entre la SCI Pierre-Doumer et la SARL New Trade Company, portant sur les locaux situés [Adresse 3] à [Localité 2] ;
Condamne la SCI Pierre-Doumer aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Chereul, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la SARL New Trade Company et Me [F] [U], ès qualités, la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.