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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 25 avril 2025, n° 25/00707

RENNES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximite France (SAS)

Défendeur :

Ajire (SELARL), Fides (SELARL), Breizh Distri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Vice-président :

M. Contamine

Conseiller :

Mme Cadoret

Avocats :

Me Verrando, Me Lhermitte, Me Wilhelm, Me Dumur, Me Caro, Me Brocard, Me Awatar, Me Buet Cado

T. com. Brest, du 5 sept. 2023, n° 24/04…

5 septembre 2023

EXPOSE DU LITIGE ET PROCÉDURE :

Par jugement du 5 septembre 2023, le tribunal de commerce de Brest a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Breizh Distri et a désigné la société Ajire, représentée par M. [R] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société Fides, représentée par M. [P], en qualité de mandataire judiciaire.

Par déclaration du 28 septembre 2024, la société Carrefour Proximité France (CPF), franchiseur de la société Breizh Distri, a formé tierce-opposition à ce jugement.

Par jugement du 9 juillet 2024, le tribunal de commerce de Brest a notamment :

- jugé recevable la tierce-opposition introduite par la société Carrefour Proximité France ;

- rétracté le jugement du 5 septembre 2023 du tribunal de commerce en ce qu'il a ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Breizh Distri.

Les sociétés Breizh Distri, Ajire et Fides ont interjeté appel de ce jugement par déclaration commune du 17 juillet 2024. Cet appel a été enrôlé sous le n° RG 24/04264.

Par message RPVA du 26 juillet 2024, le greffe a adressé aux parties un message indiquant que le président de la chambre avait décidé que cette affaire relevait de la procédure à bref délai, conformément aux articles 905 et suivants du code de procédure civile et qu'un avis de fixation leur serait prochainement adressé.

Par message RPVA du 28 août 2024, le greffe a adressé aux parties un avis de fixation à bref délai en indiquant la date prévue de clôture, à savoir le 5 décembre 2024, et la date prévue de l'audience, à savoir le 13 janvier 2025.

Les sociétés appelantes ont conclu les 27 et 30 septembre 2024.

Par conclusions d'incident du 25 octobre 2024, la société Carrefour Proximité France a saisi le président de la troisième chambre commerciale de la cour d'appel de Rennes, en lui demandant à titre principal de prononcer la nullité de la déclaration d'appel des sociétés et à titre subsidiaire, l'irrecevabilité de celle-ci.

Par lettre du 27 novembre 2024, la société Carrefour Proximité France a formulé des observations sur la compétence du président de chambre pour statuer sur les demandes de nullité et d'irrecevabilité d'appel.

Par ordonnance du 21 janvier 2025, considérant qu'il n'est pas de la compétence du président de chambre de statuer sur la nullité ou sur l'irrecevabilité d'une déclaration d'appel en-dehors de cas limitativement énumérés ne correspondant pas au cas d'espèce, le magistrat délégué du président de la troisième chambre commerciale a :

- déclaré irrecevables les demandes de nullité de l'appel et d'irrecevabilité de l'appel formés par la société Carrefour Prioximité France ;

- condamné la société Carrefour Proximité France aux dépens de l'incident ;

- condamné la société Carrefour Proximité France à payer aux sociétés Breizh Distri, Ajire représentée par M. [R] en qualité d'administrateur de la société Breizh Distri et Fides, représentée par M. [P] en qualité de mandataire judiciaire de la société Breizh Distri, la somme globale de 3.000 euros ;

- rejeté toute autre demande des parties.

Par requête du 3 février 2025, la société Carrefour Proximité France a déféré cette ordonnance à la cour, en lui demandant de :

- déclarer recevable la présente requête de Carrefour Proximité France visant à déférer à la cour l'ordonnance n° 9 rendue par le magistrat délégué par le président de la troisième chambre commerciale le 21 janvier 2025 ;

- infirmer l'ordonnance n° 9 rendue par le magistrat délégué par le président de la troisième chambre commerciale le 21 janvier 2025 ;

Statuant à nouveau :

à titre principal :

- prononcer la nullité de la déclaration d'appel du 17 juillet 2024 de la société Ajire ès qualités, la société Fides ès qualités et Breizh Distri ès qualités enregistrée sous le numéro 24/03975 ;

à titre subsidiaire,

- déclarer irrecevables les appels formés par la société Ajire ès qualités et la société Fides ès qualités à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Brest du 9 juillet 2024, par déclaration du 17 juillet 2024, enregistrée sous le numéro 24/03975, dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 24/04264, pour défaut de droit d'interjeter appel en application de l'article L. 266-1, 1°, du code de commerce, et de l'article 592 du code de procédure civile ;

- déclarer en conséquence irrecevables tous les moyens et prétentions développés par la société Ajire ès qualités et la société Fides ès qualités qui concernent la procédure enregistrée sous le numéro RG 24/04264, et notamment dans leurs conclusions d'appel n°2 régularisées le 25 novembre 2024 ;

- déclarer irrecevable l'appel formé par Breizh Distri à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Brest du 9 juillet 2024, par déclaration du 17 juillet 2024 enregistrée sous le numéro 24/03975, dans la procédure enregistrée sous le numéro RG 24/04264, pour défaut d'intimation de la Selarl Ajire ès qualité et de la Selarl Fides ès qualités en application de l'article R. 661-6 du code de commerce ;

- déclarer en conséquence irrecevables tous moyens et prétentions développés par Breizh Distri qui concernent la procédure enregistrée sous le numéro RG 24/04264, et notamment dans ses conclusions d'appelant n°2 régularisées le 25 novembre 2024 ;

en tout état de cause :

et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

- condamner in solidum et au besoin solidairement Breizh Distri, la Selarl Ajire ès qualités et la Selarl Fides ès qualités à payer à Carrefour Proximité France la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum et au besoin solidairement Breizh Distri, la Selarl Ajire ès qualités et la Selarl Fides ès qualités aux entiers dépens, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

Dans ses dernières conclusions remises le 18 mars 2025, la société Carrefour reprend les demandes de sa requête en déféré en y ajoutant les deux demandes suivantes :

- rejeter la demande de la société Breizh Distri de condamnation de la société Carrefour au paiement de la somme de 20.000 euros pour procédure abusive ;

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la société Breizh Distri, de la société Ajire ès qualités et de la société Fides ès qualités.

La société Carrefour Proximité France fait valoir à titre liminaire que, conformément à l'article 905-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 entré en vigueur le 1er septembre 2024, le président de chambre est bien compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tendant à l'absence de droit d'interjeter appel des parties, l'alinéa 6 de l'ancien article 902-5 du code de procédure civile lui permettant de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel. Elle critique le raisonnement du juge de première instance, estimant que celui-ci s'est livré à une interprétation restrictive de l'ancien article 902-5 du code de procédure civile en considérant qu'il était limitativement et seulement compétent pour statuer sur la caducité de l'appel, l'irrecevabilité des conclusions déposées hors délai et l'irrecevabilité des actes de procédure non transmis électroniquement. Elle précise que la Cour de cassation (Civ. 2ème, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21.25-236) a rendu, un arrêt disposant que « le président de chambre est compétent pour connaître des incidents liés à l'irrecevabilité ou la caducité de l'appel interjeté ». La société Carrefour indique que conformément à cette solution, la jurisprudence des cours d'appel retient sans limitation la compétence du président de chambre pour statuer sur l'irrecevabilité de l'appel et elle cite à cet égard un arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 juin 2022. Elle ajoute que la compétence du président de chambre a été, selon ses termes, éclaircie et consacrée par la réforme du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 et la modification apportée à l'article 906-3 du code de procédure civile.

La société Carrefour estime que l'arrêt invoqué par ses adversaires (Civ. 2ème, 13 avril 2023, pourvoi n° 21.12-852) concerne une hypothèse différente du cas d'espèce car était en cause non pas le défaut de qualité à relever appel mais le défaut de qualité à agir. En revanche, dans le cadre de la présente instance, n'ayant pas à apprécier la qualité à agir des parties, mais à se prononcer sur la recevabilité de l'action initiale pour constater l'absence de droit d'interjeter appel d'une partie, la compétence du président de la chambre doit être admise.

La société Carrefour expose que la déclaration d'appel des sociétés intimées est irrecevable, faute pour les sociétés Ajire et Fides d'avoir droit de relever appel, ce qui constitue une irrégularité de fond. Elle affirme à cet égard, qu'en vertu de l'article L. 661-1, I, 1° du code de commerce, le mandataire et l'administrateur judiciaire sont privés du droit d'interjeter appel des décisions statuant sur l'ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Elle ajoute qu'il en va de même pour l'appel d'un jugement statuant sur tierce-opposition, en application de l'article L. 661-2 du code de commerce qui réserve l'appel au tiers opposant. Ce défaut du droit de relever appel constitue un vice de fond. Elle considère qu'en tout état de cause, le tribunal de commerce de Brest ayant rétracté le jugement d'ouverture du 5 septembre 2023, les sociétés Ajire et Fides ne jouissent plus de leurs qualités respectives d'administrateur et de mandataire judiciaire.

Elle soutient à titre subsidiaire, que si la nullité de la déclaration d'appel venait à ne pas être prononcée par la juridiction, ce défaut de droit d'interjeter appel doit conduire à prononcer l'irrecevabilité de l'appel formé par les sociétés Ajire et Fides.

Elle ajoute que l'appel interjeté par la société Breizh Distri doit également être déclaré irrecevable, en application de l'article R. 661-6 du code de commerce qui prévoit que les mandataires judiciaires (et par assimilation les administrateurs judiciaires) qui ne sont pas appelants doivent être intimés, ce que la société Breizh Distri n'a pas fait.

La société Carrefour s'oppose en tout état de cause à la demande indemnitaire formée par la société Breizh Distri au titre de la procédure abusive, en invoquant notamment le caractère fondamental du droit de se défendre.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 20 mars 2025, la société Breizh Distri demande à la cour de :

- A titre principal, confirmer l'ordonnance rendue par le magistrat délégué par le président de la 3ème chambre commerciale de la cour d'appel de Rennes en date du 21 janvier 2025 en ce qu'elle a déclaré « irrecevables les demandes de nullité de l'appel et d'irrecevabilité de l'appel formé par la société Carrefour Proximité France », en ce que les demandes formées par la société Carrefour Proximité France, d'abord devant le président de la 3ème chambre commerciale de la cour d'appel de Rennes puis devant la cour, saisie sur déféré, sont irrecevables et qu'il convient de :

- juger qu'il ressort de l'article 905-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au présent litige, que le président de chambre n'est pas compétent pour statuer sur les demandes de nullité ou d'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité à agir de l'appelant, à l'instar de la cour, lorsqu'elle est saisie sur déféré ;

- en conséquence, déclarer la société Carrefour Proximité France irrecevable en toutes ses demandes, fins et prétentions formulées au titre du présent déféré ;

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à considérer que l'incident présenté devant elle est recevable :

- sur la demande de nullité de la déclaration d'appel au titre d'un prétendu vice de fond :

- juger que la déclaration d'appel régularisée par la société Breizh Distri et les sociétés Ajire et Fides en date du 17 juillet 2024 n'est entachée d'aucun vice de fond dont la liste est limitativement énumérée par l'article 117 du code de procédure civile ;

- en conséquence, débouter la société Carrefour Proximité France de sa demande de nullité de la déclaration d'appel ;

- sur la demande de l'irrecevabilité prétendue de la société Breizh Distri pour défaut d'intimation des mandataires de justice :

- déclarer la société Breizh Distri recevable en son appel interjeté contre le jugement prononcé le 9 juillet 2024 et intimant la société Carrefour Proximité France ;

- déclarer que les mandataires de justice n'avaient pas à être intimés dans la mesure où ces derniers sont par ailleurs appelants ;

- débouter en conséquence la société Carrefour Proximité France de sa demande d'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Breizh Distri ;

- débouter la société Carrefour Proximité France de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions quant à la nullité de la déclaration d'appel de la société Breizh Distri et des sociétés Ajire et Fides et à l'irrecevabilité des appels interjetés tant par la société Breizh Distri que par les sociétés Ajire et Fides ;

- à titre reconventionnel, sur la procédure abusive :

- juger que le droit d'agir en justice de la société Carrefour Proximité France dégénère un abus dès lors qu'elle détourne, à des fins d'intimidation, la présente procédure incidente, impliquant la société Breizh Distri, déjà acculée par les diverses entités du groupe Carrefour, dans une procédure supplémentaire l'exposant à engager de nouveaux frais pour assurer sa défense, occasionnant de ce fait des préjudices lourds ;

- en conséquence, condamner la société Carrefour Proximité France à indemniser la société Breizh Distri des préjudices subis de ce fait, à hauteur de 20.000 euros à parfaire ;

- en tout état de cause, débouter la société Carrefour Proximité France de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 15.000 euros à la société Breizh Distri au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre du présent incident ;

- condamner la société Carrefour Proximité France aux entiers dépens de l'instance.

La société Breizh Distri, invoquant un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-12.852) indique que le président de chambre n'est compétent que pour statuer sur les fins de non-recevoir tirées de :

- l'irrecevabilité de l'appel, sans qu'il ne puisse se prononcer sur la qualité de l'appelant ;

- la caducité de l'appel ;

- l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure.

Ainsi, selon la société Breizh Distri, en l'état du droit applicable jusqu'à l'entrée en vigueur le 1er septembre 2024 du décret n° 2023-139 du 29 décembre 2023, aucun texte n'attribuait au président de chambre statuant en circuit court, à la différence du conseiller de la mise en état intervenant en circuit long, le pouvoir de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'appel en raison du défaut de qualité de l'appelant.

La société Breizh Distri s'oppose à l'argumentation de l'appelante s'appuyant sur l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2024, indiquant que celui-ci ne porte non pas sur les pouvoirs du président de chambre mais sur les modalités de sa saisine. Elle ajoute que la société Carrefour Proximité France est mal fondée à invoquer les dispositions du code de procédure civile entrées en vigueur postérieurement à l'introduction de la présente procédure d'appel.

À titre subsidiaire, la société Breizh Distri expose que la liste des vices de fond énoncés à l'article 117 du code de procédure civile est limitative et qu'un vice de fond doit nécessairement être distingué d'une fin de non-recevoir. En l'espèce aucune irrégularité de fond, pas plus que de forme, n'affecte la déclaration d'appel du 17 juillet 2024. Elle expose que les sociétés Ajire et Fides disposent de la capacité à agir et sont valablement représentées. La société Breizh Distri indique, en tant que débiteur, qu'elle-même est recevable à interjeter appel du jugement statuant sur la tierce-opposition, conformément aux articles L. 661-1 et L. 661-2 du code de commerce. Elle ajoute que les mandataires de justice n'ont pas à être intimés puisqu'ils sont appelants.

A titre reconventionnel, la société Breizh Distri expose que la société Carrefour Proximité France est de mauvaise foi, dès lors qu'elle multiplie les procédures judiciaires dans le seul dessein d'étouffer les franchisés qui oseraient dénoncer ses agissements. Elle expose que le comportement de l'appelante a pour conséquence de ralentir la procédure au fond et engendre à son égard des coûts supplémentaires, alors qu'elle se trouve déjà dans une situation précaire. La société Breizh Distri indique que l'attitude du groupe Carrefour l'a conduit notamment à devoir solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, se justifier sur son bien-fondé, interjeter appel du jugement du 9 juillet 2024 et se constituer intimée dans le cadre d'un autre procès intenté par les sociétés Selima et Profidis.

Dans leurs conclusions remises le 13 février 2025, les sociétés Ajire et Fides demandent à la cour de :

- constater que la société Breizh Distri a également formé appel-nullité lequel restaure la voie de l'appel légalement fermée ;

- confirmer l'ordonnance du magistrat délégué par le président de la 3ème chambre commerciale du 21 janvier 2025 ;

- débouter la société Carrefour Proximité France de sa requête en déférée ;

- subsidiairement, vu l'article R. 661-6 du code de commerce :

- juger valables la déclaration d'appel des sociétés Ajire et Fides représentées par Maîtres [R] et [P], respectivement administrateur et mandataire judiciaires, conjointe à celle du débiteur, la société Breizh Distri ;

- juger que les sociétés Ajire et Fides, représentées par Maîtres [R] et [P], ont qualité pour agir et leurs appels conjoints recevables ;

- juger que le principe d'indivisibilité entre le débiteur et les organes de la procédure justifie l'appel conjoint et dispense de l'intimation des sociétés Ajire et Fides représentées par Maîtres [R] et [P] ;

- débouter la société Carrefour Proximité France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Carrefour Proximité France à payer aux sociétés Ajire et Fides représentées par Maîtres [R] et [P] une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance sur incident.

Les sociétés Ajire et Fides exposent qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 2ème,13 avril 2023, pourvoi n° 21-12.852) que la nullité de la déclaration d'appel, constitutive d'une exception de procédure et l'irrecevabilité de la déclaration d'appel pour défaut de pouvoir ou de qualité échappent à la compétence du président de chambre et, sur déféré, à la cour. En outre, la société Breizh Distri a également formé un appel-nullité du jugement en raison du défaut d'impartialité du juge faisant l'objet d'un conflit d'intérêts ; or, cet appel-nullité ne peut être jugé que par la cour et non pas par le président de chambre ou la cour sur déféré de l'ordonnance critiquée.

Elles ajoutent, subsidiairement, que la déclaration d'appel n'est pas entachée d'une cause de nullité dès lors que si les organes de la procédure collective doivent être intimés devant la cour, c'est bien qu'ils n'ont pas perdu leurs qualités respectives d'administrateur ou de mandataire judiciaire par l'effet de la rétractation du jugement d'ouverture tant que la décision n'a pas été confirmée par la cour. En outre, aucun texte n'interdit aux organes de la procédure de se joindre à la déclaration d'appel du débiteur. Elles ajoutent que s'il est légitime que seul le débiteur puisse relever appel d'un jugement statuant sur l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, qu'il était tout aussi seul à pouvoir initier, il en va différemment d'un jugement statuant sur l'opposition d'un créancier à l'ouverture de cette même procédure.

Elles font également valoir que puisqu'elles étaient désignées comme parties à l'instance ayant conduit au jugement recevant la tierce-opposition, elles doivent être parties à l'instance d'appel comme elles l'étaient à l'instance sur tierce-opposition, de sorte qu'elles ont qualité pour agir.

Elles font également valoir qu'en application de l'article 591 du code de procédure civile, le jugement statuant sur la recevabilité d'une tierce-opposition conserve ses effets entre les parties même sur les chefs annulés, de sorte que la désignation du mandataire de justice subsiste pendant la procédure d'appel. Enfin, elles exposent que les décisions citées par la société Carrefour Proximité France ne concernent que l'hypothèse où l'un des organes de la procédure a exercé une voie de recours seul, dans une hypothèse où la loi lui ferme cette possibilité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'elles se sont jointes à l'appel du débiteur qui a lui-même incontestablement qualité pour relever appel d'un jugement qui déclare recevable la tierce-opposition contre le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde qu'il a sollicitée.

Le ministère public est intervenu oralement à l'audience pour solliciter le rejet du déféré formé par la société Carrefour, en exposant notamment que l'impératif de sécurité juridique devait conduire au maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation du 13 avril 2023 (Civ. 2ème, 13 avril 2023, pourvoi n° 21-12.852).

MOTIFS DE LA DÉCISION

Interjeté le 17 juillet 2024, et donc avant le 1er septembre 2024, l'appel formé relève des dispositions du code de procédure civile antérieures au décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, dont l'article 16 dispose qu'il entre en vigueur le 1er septembre 2024 et qu'il est applicable aux instances d'appel introduites à compter de cette date.

Sur la demande principale tendant en prononcé de la nullité de la déclaration d'appel :

L'article 905-2 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige, disposait :

« A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.

L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

L'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'appel incident ou de l'appel provoqué à laquelle est jointe une copie de l'avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe.

L'intervenant forcé à l'instance d'appel dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification de la demande d'intervention formée à son encontre à laquelle est jointe une copie de l'avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe. L'intervenant volontaire dispose, sous la même sanction, du même délai à compter de son intervention volontaire.

Le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président peut d'office, par ordonnance, impartir des délais plus courts que ceux prévus aux alinéas précédents.

Les ordonnances du président ou du magistrat désigné par le premier président de la chambre saisie statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application du présent article et de l'article 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal. »

Comme l'indique pertinemment l'ordonnance entreprise, dans la procédure à bref délai sous l'empire des dispositions du code de procédure civile dans leur rédaction applicable avant le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, le président de la chambre, ou le magistrat délégué par le premier président, n'a pas le pouvoir de prononcer la nullité de la déclaration d'appel, ce pouvoir n'étant aucunement prévu dans l'article qui vient d'être cité.

La société Carrefour n'explique aucunement en quoi, s'agissant strictement de la possibilité pour le président de chambre de prononcer une nullité de la déclaration d'appel, il conviendrait de s'abstraire des limites fixées par cet article. Elle développe les raisons pour lesquelles, selon elle, les sociétés Ajire et Fides seraient dépourvues du droit d'interjeter appel, ce qui entâcherait leur déclaration d'appel d'une irrégularité de fond et entraînerait la nullité de la déclaration d'appel ; pour autant, elle n'articule aucune critique à l'encontre du motif, pertinent, du magistrat délégué par le premier président, tenant à ce que dans la procédure à bref délai, les pouvoirs juridictionnels du président de chambre ou du magistrat délégué sont fixés par l'article 905-2 et ne comprennent pas le pouvoir de statuer sur la nullité de la déclaration d'appel.

Aussi convient-il de rejeter la demande principale tendant à la nullité de la déclaration d'appel.

Sur la demande subsidiaire tendant à déclarer irrecevables les appels formés par les sociétés Ajire et Fides pour défaut du droit d'interjeter appel :

Sous l'empire de l'article 905-2 dans sa rédaction alors applicable, la Cour de cassation (Civ. 2ème, 13 avril 2023, pourvoi n° 21-12.852) retient que : « Lorsque l'affaire est fixée à bref délai, l'étendue des pouvoirs juridictionnels du président de chambre étant délimitée par l'article 905-2 du code de procédure civile, celui-ci ne peut, dès lors, statuer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant.

Il résulte de l'article 916 du code de procédure civile que saisie par le déféré formé contre l'ordonnance du président de chambre, la cour d'appel ne statue que dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier.

Doit, dès lors, être cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, saisie par le déféré contre une ordonnance d'un président de chambre, statue sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de qualité de l'appelant. »

Il est à noter que les jurisprudences de cours d'appel que cite à cet égard la société Carrefour sont antérieures à cette jurisprudence de la Cour de cassation. En outre, contrairement à ce que soutient la société Carrefour, cette jurisprudence n'a aucunement été remise en cause par celle qu'elle cite (Civ. 2ème, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21.25-236), qui ne porte pas sur l'étendue des pouvoirs juridictionnels du président de chambre statuant dans le cadre de l'article 905-2 mais sur les modalités pour le saisir.

Il est vrai que depuis le décret précité du 29 décembre 2023, le président de chambre statue, en application du nouvel article 906-3, d'une manière générale sur « l'irrecevabilité de l'appel ou des interventions en appel » et non plus seulement sur « sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel (...) en application du présent article et de l'article 930-1 », c'est-à-dire dans les limites des fins de non-recevoir érigées par ces deux articles.

L'impératif de sécurité juridique impose cependant de continuer à interpréter l'article 905-2, dans sa rédaction alors applicable, selon la règle fixée par la jurisprudence de la Cour de cassation : en effet, considérer cette jurisprudence comme non avenue en considération de l'évolution réglementaire résultant du décret du 29 décembre 2023 qui modifie la procédure d'appel à bref délai reviendrait à méconnaître la règle établie sur laquelle les parties avaient pu tabler et qui résultait de la jurisprudence précitée du 13 avril 2023.

Ainsi, c'est à bon droit que l'ordonnance déférée retient que le président de chambre ne pouvait statuer sur l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de pouvoir ou défaut de qualité de l'appelant.

Or, c'était bien en considération du défaut de qualité à agir que la société Carrefour soulevait l'irrecevabilité des appels formés par les sociétés Ajire et Fides, ainsi qu'il résulte de l'exposé du litige, non argué de dénaturation, de l'ordonnance déférée.

À hauteur de déféré, la société Carrefour indique désormais (12ème page de ses conclusions du 18 mars 2025) qu'elle ne soulève plus le défaut de qualité à agir des parties mais la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'interjeter appel.

Cependant, pas davantage que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, la fin de non-recevoir tirée du défaut du droit d'interjeter appel ne correspond pas à une fin de non-recevoir résultant des articles 905-2 ou 930-1. Dès lors, en application de la jurisprudence précitée, le président de la chambre, où le magistrat délégué par le premier président, et, à hauteur de déféré, la cour d'appel, qui elle-même statue dans le champ d'attribution du premier magistrat (Civ. 2ème,13 octobre 2016, n° 15-24.982 ; Civ. 2ème, 13 avril 2023, n° 21-12.852) ne peuvent connaître de la fin de non-recevoir alléguée à hauteur de déféré et qui serait tirée du défaut du droit d'interjeter appel.

A titre surabondant, à supposer même que la demande de la société aurait été recevable bien que formée devant le président de la chambre ou le magistrat délégué par le premier président, la fin de non-recevoir soulevée par la société Carrefour n'aurait en tout état de cause pu qu'être rejetée. En effet, la qualité de la société Breizh Distri à interjeter appel du jugement ayant rétracté une précédente décision qui avait ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son profit est avérée. Même en considérant que les sociétés Ajire et Fides, respectivement administrateur et mandataire judiciaires, n'avaient elles-mêmes pas qualité pour interjeter appel, elles devaient en tout état de cause être intimées à cette instance, conformément à l'article R. 661-6, 1°, du code de commerce et, partant, être parties à l'instance. La circonstance que les sociétés Ajire et Fides aient elles-mêmes été parties à l'instance d'appel en tant qu'appelantes plutôt qu'en tant qu'intimées n'est pas constitutive d'une fin de non-recevoir, dont il convient de rappeler que l'article 122 du code de procédure civile indique qu'elle correspond à un défaut de droit d'agir : la qualité des sociétés Ajire et Fides de co-appelants, aux côtés de la société Breizh Distri, n'est aucunement de nature à priver cette dernière du droit d'interjeter appel, d'autant qu'elle aurait dû en tout état de cause les intimer à cette instance.

Sur la demande subsidiaire tendant à déclarer irrecevable l'appel formée par la société Breizh Distri pour défaut d'intimation des sociétés Ajire et Fides :

Pour la raison qui vient d'être indiquée, le président de la chambre, où le magistrat délégué par le premier président, et, à hauteur de déféré, la cour d'appel, ne peuvent connaître de cette fin de non-recevoir qui n'est pas au nombre de celles érigées par les articles 905-2 et 930-1 du code de procédure civile. Aussi convient-il de rejeter la demande de la société Carrefour Proximité France formée à ce titre.

Le motif surabondant développé plus haut, tenant à ce que la qualité des sociétés Ajire et Fides de co-appelants, aux côtés de la société Breizh Distri, n'est pas de nature à priver cette dernière du droit d'interjeter appel, aurait en outre conduit à la même solution, quand bien même la demande de la société Carrefour aurait-elle été recevable.

Dès lors, ce sont l'ensemble des demandes formées par la société Carrefour Proximité France qu'il convient de rejeter.

Sur la demande indemnitaire formée par la société Breizh Distri au titre de la procédure abusive :

Pour succombante qu'elle soit, il n'est pas rapporté que la société Carrefour Proximité France ait agi avec une particulière mauvaise foi, dès lors que l'évolution de la compétence du président de chambre en circuit à bref délai, par le décret du 29 décembre 2023, pouvait l'induire en erreur quant à la pérennité de la jurisprudence du 13 avril 2023.

La demande à ce titre de la société Breizh Distri sera en conséquence rejetée.

Sur les mesures accessoires :

L'affaire poursuivant son cours et la requête en déféré n'ouvrant pas une instance autonome par rapport à celle de l'appel (Civ. 2ème, 25 mars 2021, n° 18-23.299), les demandes formées au titre des dépens et des frais irrépétibles seront réservées, dans l'attente de l'arrêt au fond à intervenir.

PAR CES MOTIFS

Rejette l'ensemble des demandes, tant principale que subsidiaires, formées par la société Carrefour Proximité France ;

Rejette la demande de la société Breizh Distri au titre de la procédure abusive ;

Réserve les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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