CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 24 avril 2025, n° 21/06499
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chalbos
Conseillers :
Mme Vignon, Mme Martin
Avocats :
Me Badie, Me Simon-Thibaud, Me Abran, Me Carlhian, Me De Sousa
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 27 juin 2009, la société [18], représentée par M. [F] [A] et la société [17] ont cédé à M. [P] [Y], avec le consentement de son épouse commune en biens, les parts sociales de la SARL [14] moyennant un prix de 102.000 ' payable au moyen de 84 mensualités de 1.032,28 ', chacune assortie d'un intérêt de 2% l'an avec un TEG de 2,34%.
A la suite d'un impayé survenu en janvier 2014 et du prononcé du redressement judiciaire de la société [14] le 16 janvier 2014, converti en liquidation judiciaire le 18 février 2014,les sociétés [18] et [17] ont saisi le tribunal de grande instance de Draguignan d'une demande en paiement à l'encontre de M. et Mme [Y], tout en prenant une garantie hypothécaire sur un bien immobilier appartenant à ces derniers sis [Adresse 16] à [Localité 21].
Cette prise d'hypothèque a été étendue aux enfants du couple, [I] et [J] [Y], suite à la donation reçue par Me [K], notaire, le 12 juillet 2014, des époux [Y] au profit de leurs enfants de la nue-propriété de l'immeuble situé [Adresse 16] à [Localité 21].
Par jugement du 5 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Draguignan a, notamment:
- condamné M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] solidairement à payer à la société [18] et la société [17] la somme de 44.085,60 ' avec intérêts au taux contractuel de 5% à compter du 3 mars 2014,
- dit que la donation reçue le 12 juillet 2014 par Me [K], notaire, était inopposable à la société [18] et à la société [17].
Parallèlement, M. [F] [A], en sa qualité de président de la société [18], s'est porté caution:
- envers la société [19] pour le compte de la société [14] à concurrence d'une somme de 19.500 ',
- envers la [13], toujours pour le compte de la société [14] à concurrence d'une somme de 17.250 '.
M. [P] [Y] s'est également porté caution pour le compte de la SARL [14] dont il était le gérant, en faveur des mêmes établissements financiers que M. [F] [A] et pour les mêmes montants.
M. [F] [A] a été poursuivi par les deux établissements financiers en paiement des sommes dues par la société [14] dont il s'était porté caution.
Considérant être également victime de fraude à ses droits et d'une faute commise par M. [P] [Y] consistant à prélever dans les actifs de la société [14] la somme de 40.000 ' quelques jours avant son dépôt de bilan, M. [F] [A] a fait assigner M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] ainsi que leurs enfants aux fins de les voir condamner au paiement de dommages et intérêts ainsi que de voir déclarer la donation susvisée comme lui étant inopposable.
M. [F] [A] est décédé le [Date décès 10] 2020 et l'instance a été reprise par ses héritiers, M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V].
Par jugement en date du 16 mars 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a:
- dit que la donation reçue le 12 juillet 2014 par Me [K], notaire à [Localité 21], publiée le 8 août 2014 volume 2014 P n° 6396 portant sur le bien situé à [Localité 21], anciennement cadastré section BN n° [Cadastre 11], lot [Adresse 5], actuellement cadastré section BN n° [Cadastre 3], par suite d'une division parcellaire avec annulation d'un EDD , est inopposable à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V],
- débouté M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] de leur demande en paiement de dommages et intérêts formée à l'encontre de M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y],
- condamné M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] in solidum à payer à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] la somme de 2.500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que:
Sur la demande de dommages et intérêts formée à l'encontre des époux [Y]:
- la captation d'actifs par remboursement de son compte courant réalisé par M. [P] [Y] est intervenue seulement 8 jours avant le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'égard de la société [14] dont son gérant, M. [P] [Y] ne pouvait ignorer les difficultés et n'avait pour autre but que de favoriser ses intérêts au détriment de l'ensemble des autres créanciers dont faisait partie M. [F] [A],
- le fait qu'il n'y ait pas eu d'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne préjuge en rien de la présente action en responsabilité intentée sur un tout autre fondement par un créancier,
- il est cependant démontré que le passif de l'entreprise s'élevait à la somme de 173.603,84 ' pour un actif disponible de 24.164, 56 ', de sorte que même en réintégrant la somme de 40.000 ' prélevée, M. [F] [A] aurait de toute façon été actionné en tant que caution,
Sur la demande tendant à voir déclarer inopposable la donation réalisée par les époux [Y] au profit de leurs enfants au visa de l'article 1167 ancien du code civil:
- l'obligation de la caution naissant le jour de son engagement, de sorte que dès le 29 août 2011 et le 8 juillet 2013, M. [F] [A] possédait un principe certain de créance, certitude majorée dès février 2014, date à laquelle les deux banques ont déclaré leurs créances, ce que ne pouvait ignorer M. [P] [Y],
- la créance que détient M. [F] [A] et désormais ses ayants droit, concerne au premier chef la société [14], étrangère à l'acte de donation querellé, mais également M. [P] [Y], en qualité de cofidéjusseur dans le cadre des recours pouvant être faits entre eux,
- en consentant, peu après l'ouverture de la procédure collective un démembrement de leur propriété, M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] ont manifesté leur volonté de rendre impossible ou très difficile toute saisie ou vente du bien immobilier dans la mesure où l'usufruit et la nue-propriété sont difficilement vendables séparément et que cet acte diminue la solvabilité de M. [P] [Y] et par là le recours qu'offre l'article 2310 du code civil entre cofidéjusseurs, portant ainsi nécessairement préjudice à M. [F] [A] et ses ayants droits.
- à ce jour, les époux [Y] ne justifient que d'un règlement à hauteur de 5.000 ' au profit de la société [19] alors que la vente de leur bien aurait permis de désintéresser celle-ci et la [13] ainsi d'éviter à M. [F] [A] d'être appelé en garantie,
- il convient donc de dire que la donation litigieuse est inopposable aux consorts [A]- [V] comme étant intervenue en fraude de leurs droits.
Par déclaration en date du 29 avril 2021, M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et signifiées le 18 janvier 2022, M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] demandent à la cour de:
- recevoir M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur appel,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan en date du 16 mars 2021,
- débouter les intimés et les intervenants volontaires de l'ensemble de leurs demandes, fins, conclusions et appel incident,
Vu les articles 1382 ancien et 1240 nouveau du code civil
- prononcer que M. [P] [Y] a engagé sa responsabilité vis-à-vis de M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] sur le fondement de l'article 1382 du code civil, en prélevant dans les actifs de la société [14], à deux jours du dépôt de bilan et de la liquidation judiciaire de ladite société, une somme de 40.000 ' au détriment des créanciers de la société,
- prononcer que par cette faute, M. [P] [Y] a participé au préjudice de M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A], lequel avait dû, en qualité de caution, se substituer à la société [14], pour le règlement des sommes de 17.250 ' et 19.500 ' restant dû par la société [14],
- condamner M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] commune en biens, in solidum à payer à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A], la somme de 36.750 ' à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et anatoscisme annuel,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan en date du 16 mars 2021 en ce qu'il a dit que la donation reçue le 12 juillet 2014 par Me [K], notaire à [Localité 21], publiée le 8 août 2014 volume 2014 P n° 6396 portant sur le bien situé à [Localité 21], anciennement cadastré section BN n° [Cadastre 11], lot [Adresse 5], actuellement cadastré section BN n° [Cadastre 3], par suite d'une division parcellaire avec annulation d'un EDD , est inopposable à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V],
- condamner M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] in solidum à payer à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A], la somme de 4.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Me Sébastien Badie, qui y a pourvu sur son affirmation de droit.
M. [P] [Y], Mme [R] [Y], M. [I] [Y] et Mme [J] [Y], suivant leurs dernières conclusions déposées et signifiées par RPVA le 3 mars 2022, demandent à la cour de:
Vu les dispositions des articles 1240 et 1345-1 du code civil,
A titre principal,
- confirmer le jugement de première instance dont appel en ce qu'il a débouté M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] de leur demande en paiement de dommages et intérêts formée à l'encontre de M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y],
- infirmer le jugement de première instance dont appel en ce qu'il a:
* dit que la donation reçue le 12 juillet 2014 par Me [K], notaire à [Localité 21], publiée le 8 août 2014 volume 2014 P n° 6396 portant sur le bien situé à [Localité 21], anciennement cadastré section BN n° [Cadastre 11], lot [Adresse 5], actuellement cadastré section BN n° [Cadastre 3], par suite d'une division parcellaire avec annulation d'un EDD , est inopposable à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V],
* condamné M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y] in solidum à payer à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] la somme de 2.500 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Et statuant à nouveau,
- débouter M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] de leur demande tendant à dire que la donation intervenue entre les consorts [Y] envers leurs enfants leur soit déclarée inopposable,
- condamner M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] à payer à M. [P] [Y], Mme [R] [Y], M. [I] [Y] et Mme [J] [Y] la somme de 2.500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés pour la première instance,
- condamner M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] à payer à M. [P] [Y], Mme [R] [Y], M. [I] [Y] et Mme [J] [Y] la somme de 2.500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la présente procédure d'appel,
- condamner M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Jenny Carlhian, avocat aux offres de droit,
A titre subsidiaire, si la cour devait infirmer le jugement de première instance et accueillir la demande indemnitaire de M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A],
- débouter M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] de leur demande tendant à la condamnation de M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y], in solidum à leur payer la somme de 36.750 ' à titre de dommages et intérêts, en l'absence de faute commise par Mme [R] [E] épouse [Y] susceptible d'engager sa responsabilité,
- accorder à M. [P] [Y] les plus larges délais de paiement et préciser qu'il réglera sa dette à l'issue d'un délai de 2 ans à compter de la signification du jugement à intervenir, étant précisé que cette somme ne portera pas intérêt au taux légal pendant le délai de suspension de 2 ans,
- réduire à de plus justes proportions la somme sollicitée par M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A], de leur demande tendant à la condamnation de M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y], in solidum à leur payer les frais de toutes garanties qu'ils pourraient être amenés à prendre à titre conservatoire.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 21 janvier 2025.
MOTIFS
Sur la demande de dommages et intérêts formées par M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] en leur qualité d'ayants droit de feu M. [F] [A], à l'encontre de M. [P] [Y] et Mme [R] [E] épouse [Y]
Les consorts [A]-[V] sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a reconnu que M. [P] [Y] avait commis une faute en prélevant 40.000 ' à son profit personnel, en remboursement de son compte courant d'associé 48 heures avant le dépôt de bilan de la société [14], ladite somme correspondant aux autorisations de découvert, privilégiant sa dette personnelle envers la société au détriment des créances, en créant un découvert à la banque. Ils considèrent qu'il y a bien là une faute détachable des fonctions de gérant commise par M. [P] [Y], démontrant une volonté délibérée, quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective, de faire échapper la somme de 40.000 ' aux créanciers de la société.
Les consorts [A]-[V] font, en revanche, grief au tribunal d'avoir rejeté leur demande dommages et intérêts alors que M. [F] [A] a bien subi un préjudice personnel du fait de ce prélèvement de 40.000 ' rappelant que celui-ci s'était porté caution vis-à-vis de deux banques concernant les encours bancaires détenus par la société [14] et que du fait de ce prélèvement, les découverts bancaires ont augmenté de 40.000 '. Ils considèrent que sans ce prélèvement, il n'y aurait pas de découvert bancaire, ou très peu, et la caution n'aurait pas été actionnée par les banques, de sorte que leur préjudice s'élève à la somme de 36.750 ' représentant le montant des deux cautionnements réglés.
Les intimés concluent, pour leur part, à l'absence de faute commise par M. [P] [Y] aux motifs que le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la société [14] a retenu, dans un ordonnance définitive, que ce dernier n'avait commis aucune faute de gestion et qu'en tout état de cause, si les créanciers avaient vu leurs intérêts bafoués par ce prélèvement, le liquidateur n'aurait pas manqué d'engager une action en comblement de passif. Ils relèvent que M. [F] [A] n'était pas, au moment du prélèvement, encore créancier de la société.
Ils estiment, qu'en toute hypothèse, le préjudice de M. [F] [A] n'est en aucun cas constitué et soulignent que contrairement aux affirmations des appelants, la caution n'était pas limitée aux encours bancaires, l'acte de cautionnement ne comportant aucune précision en ce sens, les engagements ayant été souscrits pour le remboursement de toutes les sommes qui peuvent ou pourraient être dues pour quelque cause que soit et à quelque titre que ce soit, à la banque par la société [14]. Ils relèvent qu'au seul regard de la déclaration de créance effectuée par la société [19] à hauteurs de 120.469,89 ', M. [F] [A] aurait de toute façon été actionné en qualité de caution, même en l'absence du prélèvement opéré par M. [P] [Y].
En vertu de l'article 1382 ancien du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que M. [F] [A] s'est porté caution, pour le compte de la SARL [14]:
- en faveur de la société [19], par acte du 8 juillet 2013, à hauteur de 19.500 ',
- en faveur de la [13], par acte du 29 août 2011, pour un montant de 17.250 '.
Il ressort d'un courrier de Me [U] [T], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], adressé à M. [P] [Y] le 27 janvier 2016 que ce dernier a effectué des prélèvements importants dans la trésorerie de la société afin de rembourser une partie de son compte courant d'associé, à hauteur de 40.000 ' les 8 et 10 janvier 2014 et ce alors que ladite société a fait l'objet d'un redressement judiciaire le 16 janvier 2014, la date de cessation des paiement étant fixée au 14 janvier 2014.
Cette captation des actifs de la SARL [15] réalisée par M. [P] [Y] est intervenue quelques jours avant l'ouverture de la procédure collective et constitue une faute détachable des fonctions de gérant d'une particulière gravité en ce que celui-ci ne pouvait ignorer les difficultés que traversait la société et n'avait pour autre but que de faire échapper ces sommes aux autres créanciers, dont notamment M. [F] [A] et ce, afin de favoriser ses propres intérêts personnels.
La circonstance que le juge commissaire, après avoir entendu les explications du gérant de la SARL [14], suite aux interrogations de Me [T], a considéré ne pas avoir d'éléments permettant d'envisager une action fondée sur les dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce, retenant par là l'absence de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, est sans incidence sur la recherche par un créancier de la responsabilité de M. [P] [Y] sur un autre fondement juridique, à savoir la responsabilité délictuelle.
En l'occurrence, la faute commise par celui-ci en sa qualité de gérant de la SARL [14], au visa de l'article 1982 du code civil, est incontestable en ce que si les associés ont droit au remboursement à tout moment de leur compte courant, c'est à la condition que ce remboursement ne constitue pas un paiement préférentiel au détriment des créanciers de l'entreprise. Or, lesdits remboursements ont été opérés alors que M. [P] [Y] savait inéluctable la déclaration de cessation des paiements de la société quelques jours plus tard.
Il appartient toutefois aux appelants de rapporter la preuve d'un préjudice certain et direct subi par M. [F] [A] né de la faute commise par M. [P] [Y].
Comme l'a retenu à juste titre le tribunal et au regard notamment du courrier de Me [T] du 27 janvier 2016, le passif privilégié de l'entreprise s'élevait à la somme de 173.603,84 ' pour un actif disponible de 24.164,56 ', de sorte que même en réintégrant la somme de 40.000 ' prélevée par M. [P] [Y], M. [F] [A] aurait de toute façon été actionné en qualité de caution. En effet, la société [19] et la [13], qui ne bénéficiaient d'aucune sûreté, ni d'aucun privilège, ne pouvaient pas être désintéressées par l'actif de la société, même en y ajoutant les 40.000 ' prélevés.
Les consorts [A] prétendent toutefois que ce dernier était caution pour une somme déterminée vis-à-vis de chacun des établissements financiers et uniquement pour un motif précis, à savoir les encours bancaires ouverts dans les livres de ces deux banques. La lecture des deux actes de cautionnement qui sont communiqués atteste néanmoins du contraire, en ce que il n'est nullement indiqué que la caution de M. [F] [A] se limitait aux encours bancaires puisqu'il est stipulé, pour chaque acte, que les engagements de la caution étaient souscrits pour le remboursement de toutes les sommes qui peuvent et pourraient être dues pour quelque cause que ce soit et à quelque titre que ce soit, à la banque, par la société [14].
Le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [A] de leur demande de dommages et intérêts sera donc confirmé.
Sur l'action paulienne
Les consorts [Y] sollicitent l'infirmation du jugement querellé en ce qu'il a déclaré inopposable l'acte de donation du 12 juillet 2014 aux appelants, soutenant que les conditions de l'action paulienne édictées à l'ancien article 1167 du code civil ne sont pas réunies.
Ils exposent en premier lieu que seuls les créanciers disposant d'un droit né antérieurement à l'acte frauduleux reproché sont recevables à exercer une telle action alors qu'en l'espèce, la créance de M. [A] n'existe qu'à partir du jour où il a effectué les règlements envers les deux banques en sa qualité de caution, à savoir les 21 août 2014 et 16 avril 2015. Ils observent que contrairement aux allégations adverses, la créance de M. [A] n'existe pas depuis le 8 juillet 2013, date à laquelle il s'est porté caution, mais qu'à partir du moment où il a effectué des paiements et qu'une faute de gestion a été retenue contre M. [Y].
S'agissant de l'existence d'un préjudice subi par le créancier, les consorts [Y] font valoir que les appelants ne démontrent pas que M. [P] [Y] s'est rendu insolvable par cette donation dès lors que:
- les créanciers éventuels de ce dernier n'ont pas été empêchés de prendre des garanties, le bien immobilier étant grevé de deux hypothèques,
- ils démontrent également leur solvabilité pour s'acquitter de la dette que M. [P] [Y] aurait contractée au profit de M. [A].
Quant à la dernière condition tenant à l'existence d'une fraude commise par le débiteur, ils relatent que ladite donation a été effectuée au profit des enfants du couple en raison de l'état de santé préoccupant de l'épouse de M. [P] [Y].
Les consorts [A]-[V] ne partagent pas une telle analyse, observant que l'acte de donation a été un acte d'appauvrissement permettant d'amputer le capital des époux [Y], en bloquant les créanciers au niveau de la prise de garantie ou de la vente du bien dont la nue-propriété a été transférée aux enfants non débiteur, sachant que le bien est aujourd'hui affecté d'une hypothèque bénéficiant à la banque prêteur de deniers lors de l'acquisition.
Ils soulignent qu'en consentant un tel démembrement, ces derniers poursuivaient le fait que la saisie et la vente du bien immobilier soient rendues impossible.
Il ajoutent qu'il convient de tenir compte de la date de la caution, soit le 8 juillet 2013, laquelle est antérieure à la donation du 12 juillet 2014, que contrairement à leurs affirmations, les époux [Y] n'ont procédé à aucun règlement et que la donation n'a pas été faite en raison de l'état de santé de Mme [R] [Y] mais bien dans le but de soustraire le bien immobilier aux créanciers.
En vertu de l'article 1167 ancien du code civil, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par le débiteur en fraude à leur droits.
Cette action permet à un créancier d'agir contre le débiteur qui , par un comportement frauduleux, tente d'échapper à ses obligations, en organisant son insolvabilité ou en réduisant la valeur de son patrimoine.
La fraude paulienne suppose, d'une part un élément objectif, à savoir un acte d'appauvrissement du patrimoine du débiteur et, d'autre part, un élément subjectif, le débiteur devant avoir l'intention ou sinon la conscience de nuire au créancier.
Il ressort des pièces produites que par acte notarié du12 juillet 2014, les époux [Y] ont fait donation à leur deux enfants de la nue-propriété de leur maison d'habitation située [Adresse 16] à [Localité 21].
Contrairement à ce que prétendent les intimés, il n'est pas nécessaire, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine et exigible au moment de l'acte argué de fraude. Il suffit que le principe de la créance ait existé avant la conclusion dudit acte par le débiteur.
Ainsi, l'obligation de la caution étant née dès le jour de l'engagement de caution, le créancier possède un principe certain de sa créance à cette date. Il n'est pas contesté que les deux engagements de caution ont été souscrits par M. [F] [A] les 29 août 2011 et 8 juillet 2013, soit antérieurement à la donation litigieuse intervenue en juillet 2014. En outre comme l'a souligné de manière exacte le premier juge, le principe certain de cette créance acquis dès la signature des actes de caution a été majoré en février 2014, date à laquelle les deux banques ont déclaré leurs créances à la procédure collective de la société [14], ce que ne pouvait ignorer M. [P] [Y], en sa qualité de gérant.
La créance que détient M. [F] [A] et désormais ses ayants-droit concerne au premier chef la société [14], qui est certes étrangère à l'acte de donation mais aussi M. [P] [Y] en sa qualité de cofidéjusseur dans le cadre des recours pouvant être faits entre eux, conformément à l'article 2310 du code civil qui dispose que lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion.
L'acte de donation réalisé en juillet 2014 a été un acte d'appauvrissement permettant d'amputer le capital des époux [Y], comme bloquant les créanciers au niveau de la prise de garantie ou de la vente du bien dont la nue-propriété a été transférée aux enfants non débiteurs. Ainsi en consentant un démembrement de leur propriété et en ne conservant que l'usufruit, les époux [Y] poursuivaient le fait que la saisie ou la vente du bien immobilier soit rendue impossible, l'usufruit et la nue-propriété étant difficilement vendables isolément.
Or cet acte a été réalisé peu après l'ouverture de la procédure collective à l'égard de la SARL [14] et alors que compte tenu de l'ampleur du passif de cette société et notamment de ses dettes à l'égard deux établissements bancaires, M. [P] [Y] ne pouvait ignorer que M. [F] [A] allait être actionné en sa qualité de caution. Il avait donc conscience du préjudice causé à ce créancier par l'acte de donation qui diminuait sa solvabilité avec pour conséquence de rendre illusoire le recours offert par l'article 2310 du code civil entre cofidéjusseurs. En outre , les époux [Y] n'ont jamais justifié d'une quelconque solvabilité, soit par l'existence de revenus ou d'économies, étant relevé que la société [14] dont M. [P] [Y] tirait ses revenus a été placée liquidation judiciaire en février 2014. De même, ils ne communiquent pas davantage un avis de valeur de leur usufruit sur le bien immobilier qui serait suffisant pour assurer le paiement des créanciers.
Enfin, M. [P] [Y] prétend que la donation a été réalisée en raison de l'état de santé préoccupant de son épouse alors que les documents médicaux qui sont produits font état de lésions bénignes ( canal carpien ou tendinopathie) et d'un bilan macro-biopsie suite à un petit hématome au niveau d'un sein sans caractère suspect.
En considération de ces éléments, l'acte de donation querellé a bien été réalisé dans une volonté délibérée de tenir en échec les droits du créancier, M. [P] [Y] ayant conscience du préjudice causé à M. [F] [A] par cet appauvrissement délibéré.
Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a dit que la donation réalisée le 12 juillet 2014 est inopposable à M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V] sera confirmé.
L'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Draguignan déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Laisse les dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, à la charge de M. [G] [A], Mme [L] [A] et Mme [Z] [V].