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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 24 avril 2025, n° 24/02256

AMIENS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grevin

Conseiller :

Mme Mathieu

Conseiller :

Mme Dubaele

Avocats :

Me Fachin, Me Coudert, Me Guyot, Me Leclercq-Leroy

T. com. Beauvais, du 12 mars 2024, n° 20…

12 mars 2024

DECISION

Le 29 juillet 2021, M. [I] [T], né en 1950, a déclaré la cessation des paiements de la SAS [19], anciennement [8], qu'il préside, au capital social de 1.154.048 euros, fondée le 23 juillet 2001 par lui-même, ingénieur, la SAS [14] représentée par [U] [T] et la SA [20] représentée par [D] [T].

La société [19] ayant en dernier lieu pour unique actionnaire la société [6], a pour objet social principal la conception, fabrication d'installation de lyophilisation et tout autre procédé original de séchage permettant de préserver les produits traités, et services associés.

Par un jugement en date du 3 août 2021, le tribunal de commerce de Beauvais a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société qui employait alors 30 salariés, la date de cessation des paiements étant provisoirement fixée au 30 mars 2021 et Me [L] étant désigné comme administrateur judiciaire.

Par un jugement en date du 18 janvier 2022, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en procédure de liquidation judiciaire, la SELARL [E] [18] en la personne de Maître [W] [E] ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire, le tribunal autorisant la poursuite de l'activité jusqu'au 31 janvier 2022 ; le tribunal retenait du rapport de l'administrateur qu'à l'ouverture de la procédure la trésorerie était exsangue, que le passif était significatif, que la trésorerie ne permettait pas de faire face aux charges courantes et qu'aucune offre de reprise n'était recevable.

Par acte en date du 23 mai 2023, la SELARL [E] [18], ès qualités de liquidateur de la SAS [19] a fait assigner Monsieur [I] [T], dirigeant de la SAS [19], devant le tribunal de commerce de Beauvais, aux fins de le voir condamner à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif et de voir prononcer sa faillite personnelle, ou subsidiairement une interdiction de gérer dont la durée ne pourra être inférieure à cinq ans.

Par un jugement en date du 12 mars 2024, le tribunal de commerce de Beauvais, retenant une insuffisance d'actif de plus de 5.000.000 euros :

- Décide que Monsieur [I] [T], dirigeant de la SAS [19], devra supporter l'insuffisance d'actif de ladite société à hauteur de la somme de 20.000 euros, les sommes recouvrées à ce titre devant être affectées au désintéressement des créanciers au marc le franc ;

- Condamne en conséquence Monsieur [I] [T] à payer ladite somme entre les mains de la SELARL [E] [18], en la personne de Maître [W] [E], ès-qualités ;

- Prononce une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, à l'encontre de Monsieur [I] [T] ;

- Fixe la durée de cette mesure à cinq ans ;

- Condamne Monsieur [I] [T] à payer à la SELARL [E] [18], en la personne de Maître [W] [E], ès-qualités de liquidateur judiciaire, la somme de 2.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonne les mesures de publicité prescrites par la loi ;

- Condamne Monsieur [I] [T] aux entiers dépens.

Par une déclaration en date du 23 mai 2024, Monsieur [I] [T] a interjeté appel du présent jugement en toutes ses dispositions.

Dans son deuxième jeu de conclusions en date du 11 septembre 2024, Monsieur [I] [T] demande à la cour d'appel d'Amiens de :

Vu les articles L.651-2, L.653-3 et L.653-8 du code de commerce,

Vu les articles 455, 458 et 700 du code de procédure civile,

Recevoir Monsieur [I] [T] en toutes ses prétentions, fins et conclusions, et les dire bien fondées.

A titre principal :

- Dire et juger que le jugement du 12 mars 2024 rendu par le tribunal de commerce de Beauvais est insuffisamment motivé.

En conséquence :

- Annuler le jugement du 12 mars 2024 rendu par le tribunal de commerce de Beauvais.

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que Monsieur [I] [T] n'a pas commis de faute de gestion justifiant les mesures de comblement de passif et de l'interdiction de gérer.

En conséquence :

- Infirmer le jugement du 12 mars 2024 rendu par le tribunal de commerce de Beauvais en toutes ses dispositions.

En tout état de cause :

- Condamner Maître [W] [E], agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [19], au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Maître [W] [E], agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [19], aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 12 août 2024 formant appel incident, la SELARL [E] [18] demande à la cour d'appel d'Amiens de :

Vu les articles L.651-2 et L.653-1 et suivants du code de commerce,

- Débouter Monsieur [I] [T] de l'ensemble de ses prétentions, demandes, fins, moyens et conclusions ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Beauvais du 12 mars 2024 en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de Monsieur [I] [T] d'une durée de 5 ans ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Beauvais du 12 mars 2024 sur le principe de la responsabilité de Monsieur [I] [T] ;

- Infirmer/réformer le jugement du tribunal de commerce de Beauvais du 12 mars 2024 en ce qu'il a condamné Monsieur [I] [T] à payer à Maître [W] [E], ès-qualités, la somme de 20.000 euros.

Statuant à nouveau de ce chef :

- Condamner Monsieur [I] [T] à payer à Maître [W] [E], ès-qualités, la somme de 5.005.654,21 euros.

Sur les autres demandes, et en tout état de cause :

- Condamner Monsieur [I] [T] à payer à Maître [W] [E], ès-qualités, une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur [I] [T] aux entiers dépens.

Le Ministère Public requiert la confirmation de la décision entreprise au motif qu'il est démontré que le dirigeant a poursuivi abusivement et dans un intérêt personnel une situation qu'il savait irrémédiablement compromise, qu'il a par ailleurs fait du crédit de la société un usage qu'il savait contraire aux intérêts de cette société, et qu'au regard de ces éléments, la sanction est justement proportionnée.

Par ordonnance du 26 septembre 2024, le premier président a débouté M. [T] de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande d'annulation du jugement :

Monsieur [I] [T] soutient que le jugement attaqué encourt la nullité pour défaut de motivation en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Selon lui, le premier juge a occulté ses arguments sans même expliquer les raisons pour lesquelles il n'y a pas fait droit, et a préféré lui prêter de mauvaises intentions, sans avoir pris en compte le contexte de son activité.

L'examen du jugement du 12 mars 2024 ne permet donc pas de savoir pour quels motifs, de droit ou de fait, la lourde condamnation personnelle de Monsieur [I] [T] a été ordonnée.

La SELARL [E] [18] réplique que le premier juge a parfaitement motivé sa décision en visant les pièces versées aux débats, et en tirant les informations nécessaires à leur décision telles que la durée de la poursuite de l'activité déficitaire en l'absence de recapitalisation, le montant des frais d'établissement indûment activés, le montant des prêts garantis par l'État obtenus sur la base des comptes embellis, le différé de cotisations.

La cour constate que contrairement aux allégations de M. [T], la décision querellée est suffisamment motivée, les premiers juges ayant caractérisé même de manière succincte, chacune des fautes retenues contre lui et en ont tiré les conséquences.

Il ne saurait dès lors leur être reproché une violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile de nature à justifier une annulation de la décision litigieuse sur le fondement de l'article 458 du même code.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

Aux termes de l'article L.651-2 du code de commerce, « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l'impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l'article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l'existence d'une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté.

L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. »

Sur l'insuffisance d'actif :

L'article L.624-3 du code de commerce n'impose pas que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif soit chiffré ou réalisé, il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine et que son existence et son montant soient appréciés au jour où le juge statue, peu importe à cet égard que le passif n'ait pas été vérifié dès lors que l'insuffisance d'actif est démontrée, la sanction étant limitée dans cette mesure.

En l'espèce, il n'est pas discuté que l'insuffisance d'actif est de 5.005.654,21 euros (passif définitif ' passif né postérieurement à l'ouverture de la procédure collective (créance Unedic CGEA) - actif), comme retenu par le liquidateur judiciaire, les postes d'actif et de passif se présentant ainsi :

A l'actif :

- solde compte bancaire : 20.183,66 euros

- créances fiscales : 2166,78 euros

- protocole transactionnel : 1500 euros

- cession de stocks : 25.631,57 euros

Total actif : 49.482,01 euros

Au passif (y compris passif postérieur à l'ouverture de la procédure collective) :

-à titre superprivilégié : 212731,06 euros

- à titre privilégié : 676766,77 euros

-à titre chirographaire : 8069733,39 euros

Total passif : 8959231,22 euros, dont 5.055.136,22 euros à titre définitif et 3.904095 euros à titre non définitif.

Sur les fautes de gestion reprochées au dirigeant ayant participé à l'insuffisance d'actif :

Monsieur [I] [T] dirigeant de droit de la société [19] conteste l'ensemble des fautes de gestion qui lui sont reprochées. Il nie avoir mis en 'uvre des opérations ayant eu pour but d'occulter la situation financière obérée de la société et de prolonger artificiellement son existence.

Il fait valoir que les perspectives de croissance qui existaient encore en 2019 ont été mises à mal par la crise sanitaire de 2020, la mise en redressement judiciaire d'un fournisseur en février 2021 et le sinistre survenu sur une machine avant sa mise en service, si bien qu'il n'a pas réussi à redresser la situation malgré tous ses efforts et les prêts aidés :

- en 2019 encore, la société faisait partie des cinq sociétés mondiales les plus innovantes en matière de procédés de lyophilisation et exportait ses produits en Europe, en Asie et aux Etats-Unis. Les prévisions commerciales permettaient même d'envisager un déménagement dans une nouvelle usine à construire sur la zone de [Localité 9]-[Localité 23],

- il avait pleinement confiance dans l'avenir de sa société pour preuve le 27 décembre 2019 la société a absorbé la société [14] (holding) dont il était également le président, et à cette occasion il a réinvesti l'ensemble de ses avoirs industriels de 790000 euros dans la société [19] ;

- le 4 décembre 2019 la société bénéficiait d'un plan de trésorerie solide assorti de prévisions de vente importantes (dont il escomptait un solde de 2.809.423 euros fin juin 2020, avec des encaissements de 13.291.921 euros dont prêt [12] de 393600 euros en décembre 2018, prêt Lease back (BFR) de 225.000 euros et prêt région Picardie (BFR) de 75.000 euros et des charges de 10.601.354 euros), à savoir :

* contrat [5] en phase de négociation finale, (proposition du 9 mars 2018)

* contrat [5] entré en vigueur (proposition du 14 septembre 2018) pour 1.935.000 euros,

* contrat avec [22] en cours de négociation pour un montant d'environ 1.100.000 euros (proposition du 16 novembre 2018)

* contrat avec [10] en cours de négociation pour un montant d'environ 672000 euros (proposition du 29 novembre 2018),

* contrat avec [17] en cours de négociation pour la fourniture d'un important système de refroidissement à basse température pour un montant d'environ 3.000.000 euros (proposition du 6 novembre 2019) ;

- la crise sanitaire et le confinement de l'année 2020 ont mis un coup d'arrêt à la croissance de la société [19] dans la mesure où les facturations prévues à la mise en service ont été retardées du fait de l'absence de mise en service les déplacements étant interdits, les commerciaux à l'export n'ont pu se déplacer si bien que les négociations aux Etats-Unis et au Canada d'un contrat devant rapporter 2.000.000 euros ont pris fin et les contrats de maintenance ont été suspendus sur la France et l'Europe alors qu'ils représentaient environ 25% du chiffre d'affaires ;

- malgré ces difficultés, la société a obtenu la poursuite du contrat [5], la conclusion du contrat avec [17] pour environ 3.000.000 euros et avec le CHU de [Localité 11] pour environ 1.045.000 euros (proposition du 2 mars 2020) ;

- le plan de trésorerie 2020 (août 2020-juillet 2021) s'en est trouvé affecté mais les aides de l'Etat ont permis d'envisager des perspectives positives avec les commandes prévisionnelles de la société [17] pour un montant d'environ 3.000.000 euros (offre du 18 décembre 2020) et par la société [13] pour un montant d'environ 2.440.000 euros (proposition du 4 janvier 2021) ;

- cependant une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 23 février 2021 à l'encontre de la société [16] son fournisseur de premier rang de matériel de génie pharmaceutique pour la fabrication des lyophilisateurs, ce qui a entraîné la dénonciation du contrat de partenariat et l'absence de livraison du matériel escompté (chambre de lyophilisateur) ce qui a entraîné le retard de paiement des deux contrats passés avec [5] ;

- la trésorerie s'est trouvée affectée par le sinistre survenu sur un lyophilisateur livré à Stago qui a suspendu les paiements dans l'attente d'une remise en état du matériel qui a été endommagé le 23 mars 2021 lors des tests avant mise en service définitive avec une estimation des dégâts de 266000 euros,

- le premier semestre de l'année 2021 a été marqué également par le report de l'investissement du lot C20B par la société [17] pour des raisons budgétaires, la perte du contact avec son client historique [13] face à la concurrence chinoise et la lenteur administrative liée à l'entrée en vigueur du contrat avec le CHU [Localité 11], seulement fin juin 2021 ;

- au cours du deuxième trimestre 2021 il a engagé des négociations avec le mandataire de la société [16] pour récupérer le matériel bloqué pour honorer les contrats [5] et éviter un manque à gagner, a déclaré le sinistre à son assureur et a insisté pour une mise en 'uvre rapide du contrat avec le CHU [Localité 11] (courriel du 29 septembre 2021 pour demande d'acompte) et a poursuivi des actions commerciales pour combler le retard de prise de commandes enregistré fin mars 2021,

- durant la période d'observation de 6 mois, il s'est occupé activement à trouver un repreneur mais aucune offre n'a pu être déposée dans ce délai trop contraint.

Il ne peut cependant lui être reproché d'avoir poursuivi une activité déficitaire dans la mesure où :

- la poursuite d'une activité pendant près de trois ans malgré des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social ne constitue pas une faute de gestion, l'absence de reconstitution des capitaux propres dans le délai légal étant imputable aux actionnaires et ne peut donc constituer une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant social pour insuffisance d'actif selon la jurisprudence de la cour de cassation, d'autant qu'il a convoqué une assemblée générale qui le 29 juin 2018 s'est prononcée pour la poursuite de l'activité malgré des capitaux propres de 470.630,50 euros inférieurs à la moitié du capital social de 1.154.048 euros au 31 décembre 2017,

- de faibles capitaux propres n'impliquent pas nécessairement l'état de cessation des paiements dans la mesure où de fortes rentrées de trésorerie peuvent permettre d'y remédier,

- il n'a pas trompé les banques qui ont eu connaissance comme tout prêteur des bilans et comptes de résultats certifiés par un commissaire aux comptes,

- il a pris la décision de déposer une déclaration de cessation des paiements,

- seul l'exercice clos le 31 décembre 2020 a enregistré un résultat déficitaire et la société n'était pas dépourvue de capitaux propres au cours des exercices précédents,

- ce n'est qu'après avoir pris toutes les mesures possibles pour rétablir la situation de la société qu'il a décidé de déclarer la cessation des paiements.

Le dirigeant fait encore valoir que la société n'a, en aucun cas, truqué ou dissimulé le ratio entre ses capitaux propres et son capital social au moment de l'obtention des prêts garantis par l'Etat.

Il ajoute que :

- la société a constamment développé des innovations propres à maintenir sa réputation dans le secteur de la lyophilisation pharmaceutique et a investi dans de nombreux projets de recherche et développement comme le montre la liste des projets retenus pour le crédit d'impôt recherche et innovation 2018-2019 ainsi que les dossiers justificatifs, établis en novembre 2018, des dépenses d'innovation au titre du crédit impôt innovation 2016-2017 ; le tribunal n'a pas démontré en quoi les frais activés ne correspondent pas à des projets dont la société attendait des avantages économiques futurs conformément à l'article L.211-1 du plan comptable général ;

- les nombreux projets entrepris courant 2019 (ci-dessus rappelés tant en cours de négociation que nouvellement conclus tels que [5], [17], [22], [10]) ont justifié l'activation des frais d'établissement et de développement, projets dont la société [19] attendait des avantages économiques et pour lesquels elle a obtenu un crédit impôts recherche et innovation 2018-2019,

- cette activation respectait bien toutes les conditions, au demeurant détaillées dans les dossiers de dépenses ;

- en tout état de cause l'activation litigieuse ne peut être remise en question dès lors que les banques ([15] et [21]) qui ont accordé les prêts garantis par l'Etat à la société [19] ont eu connaissance des bilans et comptes de résultats certifiés sincères par un commissaire aux comptes (rapport du commissaire aux comptes du 15 septembre 2020 sur l'exercice clos au 31 décembre 2019 pièce 33),

- il n'a jamais reconnu que l'immobilisation des frais de recherche ne correspondait à aucun projet déterminé ;

Monsieur [I] [T] tient encore à rappeler que l'avance en compte courant constitue un prêt dont le remboursement peut être demandé à tout moment pourvu qu'il ne constitue pas un paiement préférentiel au détriment des créanciers de la société.

Il fait valoir que :

- le remboursement du compte courant de la société [14] à hauteur de 369.053,84 ', qui en tout état de cause n'est pas fautif, a été suivi d'un abandon de créance à hauteur de 400.000 ' par M. [I] [T] qui s'est traduit par un produit exceptionnel du même montant, afin de ne pas nuire à la santé financière de la société [19],

- en procédant à la transmission universelle du patrimoine de la société [14], il a réinvesti tous ses actifs pour près de 790000 euros dans la société [19] et cette opération avait pour objectif, notamment, de compenser le versement de loyers trop élevés durant plusieurs années,

- il ne saurait lui être reproché d'avoir éludé le remboursement de la dette de la société [6] au profit de cette dernière pour 227.725,53 euros alors que le compte courant de la société [6] reste en position débitrice selon l'inscription sur le grand-livre arrêtée au 31 décembre 2021 ;

- les inscriptions comptables sont claires et reflètent la situation de la SAS [19], de sorte qu'aucun soupçon de faute de gestion ou pire, de fraude, ne saurait peser sur Monsieur [I] [T].

La SELARL [E] [18] fait valoir que le dirigeant a commis plusieurs fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif :

- la société a poursuivi l'activité pendant près de 3 ans malgré le constat de capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social au 31 décembre 2017 et sans qu'aucune mesure de recapitalisation ne soit prise dans le délai règlementaire soit avant le 31 décembre 2019.

- seule l'activation de frais d'établissement et de développement non justifiée pour 487.475 ' au 31 décembre 2019 et 150.485 ' au 31 décembre 2020 puisqu'il n'y avait aucun projet déterminé, a permis d'améliorer artificiellement le résultat et la situation financière de la société alors que les exercices 2020 et 2019 étaient en réalité lourdement déficitaires, indépendamment des incidences de la crise sanitaire pour ce dernier, et qu'en l'absence de cette opération comptable les capitaux propres auraient été réduits à environ 226.000 euros au 31 décembre 2019.

Ainsi, incontestablement, la poursuite de l'activité déficitaire a permis une augmentation du passif et donc une aggravation de l'insuffisance d'actif.

Le liquidateur fait encore valoir que la SAS [19] a activé injustement des frais d'établissement et de développement pour 487.475 ' au 31 décembre 2019 et 150.485 ' au 31 décembre 2020, que cette opération était injustifiée mais a permis d'apprécier artificiellement le résultat de la société ce qui a permis de donner une apparence de solvabilité à la société afin d'obtenir deux prêts garantis par l'Etat auprès de la société générale et du [15] pour un total de 823000 euros.

L'activité et les pertes d'exploitation ont été financées outre par les deux PGE, par des prêts [12] (déclaration de 489.894,43 euros au titre du crédit Avance Plus et de 395296,91 euros pour l'aide à l'innovation) et par le différé de règlement des cotisations sociales en 2020 (118.374,49 euros) et 2021 (153.184 euros).

Ainsi, Monsieur [I] [T] a commis une faute de gestion en procédant à une opération comptable injustifiée ayant entrainé l'aggravation du passif du montant des prêts impayés qui ont été obtenus sur la présentation de comptes en réalité insincères puisque :

- l'article R.123-186 du code de commerce prévoit la possibilité d'activation des frais de développement « à la condition de se rapporter à des projets nettement individualisés, ayant des sérieuses chances de rentabilité commerciale » ; qu'afin d'être en mesure d'activer ses coûts de développements, l'entreprise doit respecter l'ensemble des critères cumulatifs : disposer de la faisabilité technique nécessaire à l'achèvement de l'immobilisation, avoir l'intention d'achever l'immobilisation et de l'utiliser ou de la vendre, être capable de vendre ou d'utiliser l'immobilisation, savoir démontrer la façon dont l'immobilisation générera des avantages économiques futurs probables, disposer de ressources nécessaires pour achever le développement de cette immobilisation et évaluer de façon fiable les dépenses de développement » ;

- les coûts qui peuvent être activés sont uniquement ceux qui ont été supportés pendant la période de production et les modalités de comptabilisation des dépenses de recherche et développement sont sans rapport avec l'éligibilité au crédit d'impôt recherche ; l'exercice litigieux étant celui clos au 31 décembre 2019, peu importe les dépenses engagées en 2016 et 2017 et en ce qui concerne la liste des projets retenus pour le crédit impôt recherche et innovation 2018/2019, le dirigeant ne démontre pas qu'ils ont été réellement développés pendant l'année 2019,

- aucune plaquette comptable certifiée par un expert-comptable n'est versée aux débats et en tout état de cause le dirigeant ne démontre pas avoir remis des bilans et comptes de résultat à l'appui de ses demandes de prêts qui ont pu être obtenus au vu de simples prévisionnels et à supposer que les banques aient eu connaissance de ces comptes, l'octroi d'un prêt par ses dernières n'équivaut en aucune manière à une validation d'une option comptable.

La SELARL [E] [18] fait enfin valoir que plusieurs mouvements comptables injustifiés ont eu lieu entre les comptes-courants de l'associé unique et du président de la société [19] :

- La société [19] était associée de la société [14] ; le 1er janvier 2019 le compte-courant de la société [14] dans les livres de la société [19] était créditeur de 197.053,84 euros et qu'au cours de cet exercice la société [14] a fait une avance de fonds supplémentaire à la société [19] à hauteur de 172000 euros ; que suivant décision de l'AG du 11 octobre 2019 la société [14] a réduit son capital social par voie de rachat réservé à deux des trois associés et annulation des actions acquises à cet effet ; que le 12 novembre 2019 les titres de la société [14] ont été inscrits à l'actif de la société [19] pour 790000 euros et qu'en contrepartie une créance de même montant a été portée en compte courant créditeur de M. [T] le 12 novembre 2019 ; par suite d'une décision de l'associé unique du 20 novembre 2019 la société [14] a été absorbée par la société [19] aux termes d'une transmission universelle de patrimoine et son compte-courant créditeur de 369053,84 euros a été soldé; le 31 décembre 2019, M. [T] a abandonné une créance à hauteur de 400000 euros ; cet abandon s'est traduit par un produit exceptionnel de montant identique ; le 26 décembre 2019 la participation de la société [19] a été annulée pour 790000 euros et le compte d'actif en rapport a été soldé ; le même jour a été inscrit à l'actif de la société [19] un terrain [Localité 7] pour 3696,75 euros et construction pour 213314,42 euros amorti à hauteur de 203519,92 euros soit un apport immobilisé net de 13491,25 euros.

- Au 31 décembre 2019, le compte-courant de la société [6], associé unique de la société [19], dont M. [I] [T] était cogérant, avait un compte-courant débiteur de 258912,14 euros ; ce compte-courant a été soldé par inscription au crédit d'une « opération diverse » pour 227724,53 euros au 31 décembre 2020 et la contrepartie de cette opération est l'inscription de la somme de 227724,53 euros au débit du compte-courant de M. [I] [T] ; cependant rien ne justifie cette compensation car il n'existe aucune réciprocité des créances, ce d'autant que la position créditrice du compte courant de Monsieur [I] [T] ne ressort pas d'avances faites par ce dernier mais de la contrepartie de l'apport des titres [14] suivi de la transmission universelle de patrimoine à la société [19] ; dans le grand livre arrêté au 31 décembre 2021, le compte-courant [6] est débiteur de 207013,71 euros ; le liquidateur en déduit que M. [I] [T] a éludé le remboursement d'une créance par la société [6] par une opération uniquement comptable puisqu'à aucun moment la société [19] n'a bénéficié des fonds dont la société [6] lui était redevable obérant ainsi sa situation dans les mêmes proportions.

La cour rappelle qu'aux termes de l'article L.225-248 du code de commerce dans sa version en vigueur jusqu'au 11 mars 2023 « Si, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d'administration ou le directoire, selon le cas, est tenu dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l'assemblée générale extraordinaire à l'effet de décider s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société.

Si la dissolution n'est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue et sous réserve des dispositions de l'article L. 224-2 de réduire son capital d'un montant au moins égal à celui des pertes qui n'ont pas pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n'ont pas été reconstitués à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social.

Dans les deux cas, la résolution adoptée par l'assemblée générale est publiée selon les modalités fixées par décret en Conseil d'Etat.

A défaut de réunion de l'assemblée générale, comme dans le cas où cette assemblée n'a pas pu délibérer valablement sur dernière convocation, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Il en est de même si les dispositions du deuxième alinéa ci-dessus n'ont pas été appliquées. Dans tous les cas, le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. Il ne peut prononcer la dissolution, si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux sociétés en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou qui bénéficient d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire. »

Si l'absence de reconstitution des capitaux propres dans le délai légal est imputable aux actionnaires en application de ce texte et ne peut constituer une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant social pour insuffisance d'actif (Com 13 octobre 2015, n°14-15.755), le dirigeant commet cependant une faute de gestion s'il ne tire pas les conséquences d'un défaut de reconstitution, spécialement en continuant une activité déficitaire.

En l'espèce suivant le procès-verbal de l'assemblée générale du 29 juin 2018, la résolution suivante a été prise : « L'assemblée générale, après avoir pris connaissance des comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2017, lesdits comptes faisant ressortir des capitaux propres de 470.630,50 euros pour un capital de 1.154.048 euros décide, en application des dispositions du code de commerce, de ne pas dissoudre la société. Les capitaux propres devront en conséquence être reconstitués au plus tard à la date de clôture du deuxième exercice qui suit celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue. »

Cependant dès le 31 décembre 2018 les capitaux propres avaient été reconstitués à hauteur de 588.289 euros, soit plus de la moitié du capital social. De plus il ressort des comptes produits en annexe du rapport du commissaire aux comptes, daté du 15 septembre 2020, sur l'exercice clos au 31 décembre 2019, qui indique qu'il « pas d'observation à formuler sur la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans les documents sur la situation financière et les comptes annuels adressés à l'associé unique », que les capitaux propres avaient été reconstitués à cette date à hauteur de 714.211 euros soit à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social de 1.154.048 euros, grâce à un abandon par M. [T], dirigeant, d'une partie de sa créance sur la société [19] de 790.000 euros, à hauteur de 400.000 euros, précision étant faite dans les comptes annexés au rapport que « Les produits exceptionnels correspondent pour 400.000 euros à un abandon de créance avec clause de retour à meilleure fortune dont la société a bénéficié et pour 17.853 euros au boni de fusion lié à la TUP (transmission universelle de patrimoine) de [14]. »

Grâce à cet abandon de créance, qui résulte d'une partie de l'apport des parts de la société [14] à la SAS [19], l'exercice est devenu comptablement bénéficiaire de 125.922 euros au 31 décembre 2020 alors que les résultats d'exploitation de l'exercice 2019 étaient de -280.077 euros malgré un chiffre d'affaires, en hausse, de 4.138.079 euros (contre 3.701.030 euros en 2018).

La cour estime par conséquent qu'aucune faute du dirigeant ne résulte du fait d'avoir continué l'exploitation avec des fonds propres insuffisants d'un point de vue réglementaire puisque l'insuffisance de fonds propres n'est pas démontrée.

Par ailleurs, la cour constate qu'il ne peut être reproché au dirigeant d'avoir présenté le cas échéant à la [12] (qui a accordé à la SAS [19] un prêt de 700.000 euros le 24 septembre 2020) et à la société générale (qui lui a consenti un PGE de 500000 euros le 22 avril 2020) une situation comptable ne reflétant pas une image sincère et fidèle au 31 décembre 2019 pour apprécier les fonds propres et ainsi obtenir des crédits. En effet il est indiqué dans les comptes, annexés au rapport du commissaire aux comptes susvisé qui les estime sincères, au chapitre des règles et méthodes comptables, que « Les frais de développement immobilisés correspondent au développement de nouvelles gammes de produits qui font l'objet de commercialisation. La durée d'amortissement retenue de 5 ans correspond à la durée prévue de commercialisation de ces modèles. » et que les frais de recherches et de développement figurant dans les immobilisations incorporelles font l'objet d'un détail par projet, notamment le projet « Frigo GWP 0 » dont il est justifié par ailleurs qu'il a fait l'objet de la part de la [12] d'un bon avis de confiance de valorisation au titre du crédit impôt innovation pour la campagne 2018-2019, « pouvant permettre d'obtenir un produit commercialisable en 2020 présentant des performances éco-conceptuelles supérieures comparativement à la version précédente de votre produit et aux produits concurrents (') ».

En 2020, il ne peut lui davantage être reproché d'avoir activé, en 2021, un second prêt garanti par l'Etat pour un montant de 323.000 euros pour soutenir la trésorerie de l'entreprise mise à mal par la crise sanitaire dite crise Covid 19, ces prêts exceptionnels ayant précisément été prévus pour soutenir la trésorerie des entreprises affectées dans leur activité par les mesures de confinement et de restriction de circulation en 2020, ce que ne dénie pas le liquidateur. Il ne peut davantage être fait grief au dirigeant d'avoir obtenu un moratoire pour le paiement des cotisations Urssaf en 2020 et 2021 compte tenu de ce contexte économique exceptionnel qui a, selon les faits caractéristiques indiqués dans la présentation des comptes 2019 à l'AG réunie en septembre 2020, entraîné une baisse de l'activité significative à partir du 17 mars 2020, la mise en place de l'activité partielle pour une partie des salariés et le ralentissement de la chaîne d'approvisionnement, ce qui n'est pas contesté par le liquidateur, étant précisé que malgré des pertes importantes en 2020 avec un résultat d'exploitation déficitaire de 1.039.031 euros l'entreprise a tout de même réussi à obtenir un chiffre d'affaire en hausse puisqu'il était de 4.458.831 euros (dont 547.251 euros de vente de marchandises vendues, 3.024.004 euros de production vendue -biens- et 566.823 euros de production vendue -services), dont 2.469.812 euros à l'exportation, si bien que le dirigeant avait toutes les raisons de croire à la capacité de redressement de l'entreprise.

La cour ne retient donc pas de faute de dirigeant du fait d'avoir inscrit des frais de développement à l'actif du bilan dans les immobilisations incorporelles.

Enfin, la cour constate que le liquidateur, qui ne tire aucune conséquence juridique des mouvements comptables traduisant la transmission universelle de patrimoine de la société [14] à la société [19], n'indiquant pas en quoi elle aurait été défavorable à cette dernière, ne reproche pas au dirigeant les avances en compte courant faites à l'associé unique la société [6], mais uniquement le fait que le compte-courant débiteur de cette dernière a été, durant l'exercice 2020, soldé non par un versement de sa part mais par des débits comptables de même montant du compte-courant créditeur du dirigeant M. [I] [T].

Cependant d'une part il ressort du grand-livre des comptes de 2021 que le compte-courant du groupe [6] était bien inscrit en débit de 217.013,71 euros au 1er janvier 2021 et de 207.013,71 euros au 31 décembre 2021 après un remboursement de sa part de 10.000 euros, tandis que le compte de M. [I] [T] était de nouveau créditeur de 345.000 euros, d'autre part le liquidateur ne démontre ni n'allègue que ces transferts purement comptables entre les deux comptes-courants en 2020 constituent une faute ayant contribué à l'insuffisance d'actif puisqu'ils n'ont ni augmenté le passif ni diminué l'actif et le fait que l'associé unique n'ait pas remboursé lui-même complètement sa dette vis-à-vis de la société [19] ne peut être reproché au dirigeant.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu à l'égard du dirigeant des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif et condamné M. [T] à combler une partie de l'insuffisance d'actif de la société.

Sur la sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer :

Sur les fautes reprochées par le liquidateur :

Sur la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire :

Monsieur [I] [T] rappelle que le seul maintien d'une activité déficitaire ne suffit pas pour prononcer la déchéance à l'égard d'un dirigeant, encore faut-il qu'elle soit réalisée dans un intérêt personnel ; or il estime qu'il a pris les mesures nécessaires au redressement de la société [19] en réinvestissant tous ses actifs industriels et disposait de chances sérieuses de croire à une reprise de la croissance financière, si bien que l'interdiction de gérer prononcée à son endroit est manifestement dépourvue de motifs légitimes, ou à tout le moins disproportionnée.

La SELARL [E] [18] sollicite le prononcé d'une mesure de faillite personnelle sur le fondement de l'article L.653-3 1er du code de commerce dès lors qu'il résulte des éléments ci-avant exposés qu'il peut être reproché à Monsieur [I] [T] d'avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements.

La cour constate que le liquidateur vise l'article L.653-3 du code de commerce qui n'est cependant pas applicable en l'espèce puisqu'il ne vise que les sanctions applicables aux personnes mentionnées au 1° du I de l'article L.653-1 du code de commerce, c'est-à-dire les personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

Aux termes des article L.653-4 ; 4° qui s'applique en l'espèce, et L.653-8 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle, ou bien à la place l'interdiction de gérer, de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, qui a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Or d'une part la cour n'a pas relevé à l'encontre de M. [T] de faute de gestion consistant en la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire, d'autre part le liquidateur ne démontre pas ni n'allègue en quoi poursuite de l'activité déficitaire aurait satisfait l'intérêt personnel de M. [T].

Ce dernier ne saurait donc encourir une interdiction de gérer de ce chef.

Sur l'usage du crédit de la société contraire aux intérêts de cette dernière :

M. [T] fait valoir qu'aucune fraude ne peut lui être reprochée.

Le liquidateur réplique que le dirigeant a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement par l'opération ayant conduit à la réduction du compte courant de la société [6], associé dont il était cogérant, ce qui est condamnable sur le fondement de l'article L.653-4, 3° du code de commerce.

Aux termes des article L.653-4, 3°et L.653-8 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle, ou bien à la place l'interdiction de gérer, de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, qui a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

Cependant la cour constate que le liquidateur ne précise pas le montant qu'il estime avoir été détourné au profit de la société [6], les transferts comptables d'un compte à l'autre qu'il dénonce sont in fine en défaveur du compte-courant du dirigeant M. [I] [T] et n'ont ni augmenté le passif ni diminué l'actif de la société, le liquidateur n'indiquant au surplus pas en quoi ils sont contraires aux intérêts de la société.

Il ne peut donc être reproché à M. [T] d'avoir favorisé la société [6] dont il est le cogérant.

Sur l'omission de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai légal :

M. [T] fait valoir qu'il n'est pas prouvé en quoi il a sciemment tardé à demander l'ouverture d'une procédure collective dès lors qu'il a déposé le bilan dès qu'il s'est aperçu que la société ne serait plus in bonis malgré ses efforts pour redresser la situation financière de la société et les rentrées de trésorerie attendues.

Le liquidateur lui reproche d'avoir omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, alors qu'il ne pouvait ignorer son obligation en raison du montant et de la nature des créances impayées, fait susceptible de donner lieu au prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer sur le fondement de l'article L.653-8 du code de commerce.

La cour rappelle que la faillite personnelle et l'interdiction de gérer sont des mesures facultatives dont le prononcé est laissé à l'appréciation des juges du fond.

Aux termes de l'article L.653-8 du code de commerce, l'interdiction de gérer peut être prononcée à l'encontre du dirigeant qui a « omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

En l'espèce le dirigeant a déclaré la cessation des paiements de la SAS [19] le 29 juillet 2021 soit plus de 45 jours après la date de cessation des paiements fixée par le jugement d'ouverture au 30 mars 2021.

Cependant il y a lieu de tenir compte du contexte de la crise sanitaire dont les effets qui se sont développés à partir du 17 mars 2020 se faisaient encore sentir sur l'activité de la société [19] au début de l'année 2021 du fait du redressement judiciaire d'un fournisseur important fin février 2021 et du retard pris dans la conclusion du contrat avec le CHU de [Localité 11] qui n'a été finalisé qu'en juin 2020, pour considérer que l'omission de M. [T] de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours de la cessation des paiements, soit le 15 mai 2021 au plus tard, procède pour le dirigeant qui a également dû faire face à un sinistre lors des essais d'un lyophilisateur avant mise en service chez un client fin mars 2021, davantage d'une négligence de sa part que d'une volonté délibérée de retarder le dépôt de bilan.

La cour estime par conséquent qu'il n'y a pas lieu de le sanctionner par une interdiction de gérer.

Le jugement sera donc également infirmé de ce chef et le liquidateur débouté de toutes ses demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Eu égard aux circonstances de la cause et à la nature de l'affaire, il est justifié de débouter les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et de dire que les dépens seront mis à la charge du liquidateur.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,

Déboute M. [I] [T] de sa demande d'annulation du jugement,

Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute la SELARL [E] [18], ès qualités de liquidateur de la SAS [19], de toutes ses prétentions,

Dit n'y avoir lieu à condamner M. [I] [T] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la SAS [19],

Dit n'y avoir lieu à prononcer sa faillite personnelle ou une interdiction de gérer contre lui,

Déboute M. [I] [T] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Met les dépens de l'instance à la charge de la SELARL [E] [18], ès qualités de liquidateur.

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