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CA Paris, Pôle 6 - ch. 5, 29 avril 2025, n° 22/08737

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/08737

29 avril 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 29 AVRIL 2025

(n° 2025/ , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08737 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQFF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Septembre 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Villeneuve St Georges - RG n° 21/00247

APPELANTE

Madame [X] [N]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Rachel SAADA, avocat au barreau de PARIS, toque : W04

INTIMEE

Association AUVM, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Meggy SAVERIMOUTOU, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 410

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Février 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Stéphanie BOUZIGE, Présidente de chambre et de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Stéphanie BOUZIGE, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Stéphanie BOUZIGE, Présidente de chambre, et par Anjelika PLAHOTNIK, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [X] [N] a été engagée par l'association AUVM suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 juin 2017 en qualité d'éducatrice spécialisée.

Elle a été promue, le 2 janvier 2019, au poste de cheffe de service adjointe, statut cadre et le 10 décembre 2019, au poste de cheffe de service.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Par lettre notifiée le 22 février 2021, Mme [N] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 9 mars 2021 et mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 12 mars 2021, elle a été licenciée pour faute grave.

Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges, le 31 mai 2021, pour contester son licenciement et former des demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts.

Par jugement du 5 septembre 2022, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement pour faute grave de Mme [N] est fondé,

- en conséquence, débouté Mme [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions de ce chef,

- débouté Mme [N] de sa demande de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d'un financement intégral de sa formation Caferuis,

- débouté Mme [N] de sa demande de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'association AUVM , prise en la personne de son représentant légal, de sa demande de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de sa demande de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [N] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 17 octobre 2022.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 16 janvier 2023, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, elle demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel.

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes.

Statuant à nouveau :

- juger que Mme [N] n'a commis aucune faute grave.

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- fixer le salaire de référence de Mme [N] à 4.080,44 euros.

En conséquence,

- condamner l'association AUVM à payer à Mme [N] :

* 13.601 euros à titre d'indemnité de licenciement.

* 16.321,76 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.632,17 euros au titre des congés payés y afférents.

* 20.402 euros à titre d'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

* 1.767,84 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre 176,78 euros au titre des congés payés y afférents.

- ordonner à l'association AUVM de remettre à Mme [N] ses documents de fin de contrat rectifiés (attestation Pôle emploi, reçu pour solde de tout compte, bulletin de paie récapitulatif) sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant notification du jugement, la cour s'en réservant la liquidation de l'astreinte.

- condamner l'association AUVM à payer à Mme [N] la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du financement par l'employeur de la formation « Caferuis ».

- dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal avec anatocisme à compter de la saisine du conseil.

- condamner l'association AUVM au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux procédures.

- condamner l'association AUVM aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 avril 2023, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, l'association AUVM demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [N] de l'ensemble de ses demandes.

- débouter Mme [N] de l'intégralité de ses demandes.

- infirmer le jugement, en ce qu'il a débouté l'association AUVM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 euros.

- juger à nouveau :

- condamner Mme [N] au versement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et condamner Mme [N], en cause d'appel, à 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire : fixer le salaire de référence à 3.830,44 euros.

A titre infiniment subsidiaire, en absence de préjudice spécifique limiter l'indemnité de licenciement sans cause réelle sérieuse à trois mois de salaire de référence eu égard à l'ancienneté de la salariée.

En tout état de cause:

- condamner Mme [N] au versement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, et condamner Mme [N] en cause d'appel à 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 5 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

A titre principal, Mme [N] invoque l'absence de pouvoir de licencier du directeur général de l'association. Elle fait valoir que M. [L] [Z], directeur général de l'association AUVM est signataire de la lettre de convocation à l'entretien préalable et de la lettre de licenciement; que la délégation de pouvoirs produite par l'association AUVM émane de la présidente alors que, selon l'article 16 des statuts de l'association, seul le conseil d'administration détient le pouvoir de nommer ou révoquer tous les personnels; qu'en conséquence, la présidente ne disposait pas du pouvoir de licencier et ne pouvait le déléguer au directeur général; que le directeur général ne disposait donc pas du pouvoir de licencier faute d'avoir été dûment mandaté par le conseil d'administration. Mme [N] conclut donc que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L'association AUVM invoque la délégation de pouvoir du directeur général reçue de la présidente de l'association, laquelle est élue par le conseil d'administration et figure parmi ses membres.

* * *

Si par principe, le président d'une association a le pouvoir de licencier les salariés, les statuts de l'association peuvent attribuer cette compétence à un autre organe et, dans cette hypothèse, le président de l'association perd son pouvoir de licencier au profit de l'organe ainsi désigné par les statuts.

En l'espèce, il ressort de l'article 16 des statuts de l'association AUVM, intitulé "Attributions du conseil d'administration" que celui-ci "est investi des pouvoirs les plus étendus, pour agir au nom de l'association et faire ou déléguer tous actes ou opérations relatifs à son objet ainsi que sa gestion courante.

Tout ce qui n'est pas réservé à l'assemblée générale par les lois et règlement en vigueur et par les présents statuts est de sa compétence.

Le conseil d'administration pourra :

(...) Nommer ou révoquer tous les personnels (...)".

Il en résulte clairement qu'aux termes des statuts, le pouvoir de licencier les salariés relève du conseil d'administration, la présidente, même siégeant au sein du conseil d'administration ou étant membre du bureau de l'association, ne dispose pas de ce pouvoir.

Il ressort de la lettre de convocation à l'entretien préalable du 22 janvier 2021 et de la lettre de licenciement du 12 mars 2021 qu'elles ont été signées par M. [L] [Z], directeur général de l'association AUVM.

L'association AUVM produit une délégation de pouvoir consentie le 8 juin 2018 par Mme [K] [V] [H], présidente de l'association AUVM, à M. [L] [Z], laquelle prévoit que "le délégataire aura la responsabilité d'assurer en lieu et place du déléguant : (...) L'animation et la gestion des ressources humaines : respect de la législation sociale, embauche, exécution du contrat de travail, discipline, fin du contrat de travail (...)".

Or, ne disposant pas du pouvoir de licencier, lequel appartenait, selon les statuts, au conseil d'administration, la présidente de l'association AUVM ne pouvait pas déléguer ce pouvoir au directeur de l'association, lequel n'avait donc pas qualité pour signer la lettre de convocation à l'entretien préalable ni la lettre de licenciement.

Dans ces conditions, le licenciement de Mme [N] est sans cause réelle et sérieuse.

Il convient d'accorder à Mme [N] la somme de 13.601 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, calculée sur la moyenne des salaires des trois derniers mois qui inclues les primes et gratifications obtenues par la salariée sur toute l'année, soit la somme de 4.080,44 euros.

Il sera encore alloué à Mme [N] la somme de 16.321,76 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (selon l'article 9 de l'annexe 6 de la convention collective prévoyant un délai-congé de quatre mois pour les cadres), la somme de 1.632,17 euros au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 1.767,84 euros au titre du salaire dû pendant la période de mise à pied et la somme de 176,78 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire dû pendant la période de mise à pied.

En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (37 ans), de son ancienneté (3 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (4.080,44 euros), des circonstances de la rupture mais également de l'absence de justification de sa situation professionnelle postérieurement au licenciement, il convient d'accorder à Mme [N] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 16.000 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du financement intégral de la formation Caferuis

Mme [N] fait valoir que, par lettre du 11 décembre 2020, l'association AUVM s'était engagée à lui faire bénéficier de la formation dite "Caferuis" (Certificat d'Aptitude aux Fonctions d'Encadrement et de Responsable d'Unité d'Intervention Sociale), de niveau master, d'une durée de 420 heures, qui devait se dérouler du 13 septembre 2021 au 7 mars 2023 et dont le financement avait été programmé par l'employeur. Par l'effet de son licenciement du 12 mars 2021, elle s'est trouvée privée du financement prévu et a donc été contrainte de supporter seule le coût de la formation (3.550 euros qui ont été réglés à l'organisme de formation par ses droits acquis à la formation et 5.150 euros qu'elle a déboursés, hors frais d'inscription, au moyen d'un emprunt à des membres de sa famille). Elle sollicite la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant la perte de chance de bénéficier d'un financement intégral de sa formation.

L'association AUVM conclut qu'elle avait bien programmé une formation (Caferuis) dont le coût était de l'ordre de 8.000 euros et ce, pour le mois de septembre 2021.

* * *

Mme [N] produit un courrier de l'association AUVM du 11 décembre 2020 dans lequel elle informe la salariée qu'elle a accepté la demande de formation "Caferuis", un devis concernant cette formation d'un montant de 8.700 euros, outre les frais d'inscription de 243 euros et un extrait de son compte formation mentionnant un financement de la formation par la somme de 3.550 euros par ses "droits formation".

Il en résulte que, du fait de son licenciement, lequel est sans cause réelle et sérieuse, Mme [N] a été privée, par la faute de l'employeur, d'une formation qualifiante que celui-ci s'était engagé à financer en intégralité.

Mme [N] a suivi cette formation mais a été contrainte de la financer elle-même, notamment par ses droits acquis à la formation et par ses deniers personnels.

Dans ces conditions, il convient d'indemniser le préjudice subi par Mme [N] résultant de la perte de chance de bénéficier du financement intégral de la formation Caferuis. Il lui sera accordé la somme de 8.000 euros de dommages-intérêts à ce titre.

Sur la remise des documents de rupture

La remise d'une attestation Pôle emploi, devenu France travail, et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de l'association AUVM n'étant versé au débat.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'un reçu pour solde de tout compte rectifié, le présent arrêt valant inventaire des sommes versées au salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail.

Sur les intérêts

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, soit à compter du 4 juin 2021.

Les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu'elle est demandée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.

Il est équitable de condamner l'association AUVM à payer à Mme [N] la somme de 4.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en première instance et en cause d'appel.

Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de l'association AUVM, partie succombante par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à l'astreinte et à la remise d'un solde de tout compte,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [X] [N] est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne l'association AUVM à payer à Mme [X] [N] les sommes de :

- 13.601 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 16.321,76 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.632,17 euros au titre des congés payés afférent à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 16.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.767,84 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

- 176,78 euros au titre des congés payés afférent au salaire sur la mise à pied conservatoire,

- 8.000 euros de dommages-intérêts à titre de perte de chance de bénéficier d'un financement par l'employeur de la formation Caferuis,

- 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne la remise par l'association AUVM à Mme [X] [N] d'une attestation Pôle emploi, devenu France travail, et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt,

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2021 et les créances indemnitaires produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

Condamne l'association AUVM aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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