CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 29 avril 2025, n° 22/06129
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Devillers
Conseillers :
Mme Morlet, Mme Zysman
Avocats :
Me Bernabe, Me Msika, Me Ronnel, Me Mallet, MVA Avocats
EXPOSE DU LITIGE
La société anonyme de droit luxembourgeois AlgoQuest System SA, dont M. [W] [B] était administrateur, a été constituée le 30 juin 2010 afin d'exploiter les logiciels de M. [X] [L], mathématicien spécialisé en algorithmique. Ce dernier détenait initialement 70% du capital social de cette société.
Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 7 octobre 2016, les associés de la société AlgoQuest System SA ont décidé d'une augmentation de capital afin de le porter de 31.504,07 euros à 231.504,07 euros par la création de 20 millions d'actions nominatives nouvelles d'une valeur unitaire de 0,01 euro.
M. [L] détenant un droit préférentiel d'associé à la souscription des actions à créer, il devait souscrire 13.120.006 actions nouvelles pour un montant de 131.200,06 euros afin de conserver sa quote-part dans le capital social ainsi augmenté, et ce avant le 3 octobre 2016.
Le 28 septembre 2016, Mme [N] [T] épouse [B] a versé la somme de 131.200,06 euros sur le compte bancaire de la société AlgoQuest System SA, laquelle a été affectée au compte courant d'actionnaire de M. [L].
Le 7 octobre 2016, 13.120.006 actions nouvelles ont été portées au crédit du compte de M. [L] dans le registre des actions nominatives de la société AlgoQuest System SA.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 16 juillet 2020, Mme [B], par l'intermédiaire de son conseil, a indiqué à M. [L] qu'elle lui avait accordé le 28 septembre 2016 un prêt de 131.200,06 euros en vue de souscrire à hauteur de cette même somme à une augmentation de capital de la société AlgoQuest System SA décidée aux termes d'une assemblée générale des associés du 7 octobre 2016, ces fonds ayant été virés directement au compte de la société en contrepartie de sa souscription de 13.120.006 actions. Exposant que ce prêt n'avait fait l'objet d'aucune convention écrite lors de sa conclusion et qu'en conséquence, aucune date d'échéance n'avait été convenue entre les parties en vue de son remboursement, Mme [B] a demandé à M. [L] d'indiquer sous quel délai il entendait la rembourser, lui rappelant qu'il bénéficiait des fonds prêtés depuis quatre ans et demi, sans intérêts contractuels et précisant que l'échéance de remboursement devait intervenir dans un délai raisonnable.
Ce courrier étant resté sans réponse, Mme [B] a, par acte d'huissier du 15 septembre 2020, fait assigner M. [L] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir le remboursement de la somme de 131.200,06 euros prétendument prêtée, fixant le délai de remboursement à un mois suivant la date du jugement à intervenir.
Par jugement du 3 mars 2022, le tribunal a :
- Condamné M. [L] à payer à Mme [B] la somme de 131.200,06 euros, au plus tard le 3 avril 2022, délai à l'issue duquel courront des intérêts de retard au taux légal, sans mise en demeure,
- Dit que ces intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,
- Condamné M. [L] aux dépens, dont distraction au profit du conseil de son adversaire,
- Condamné M. [L] à payer à Mme [B] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- Rejeté les demandes pour le surplus.
Par déclaration du 23 mars 2022, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 juin 2022, M. [X] [L] demande à la cour, au visa des articles 1341, 1347, 1348 et 1892 ancien du code civil de :
- Dire recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [L] à l'encontre du jugement rendu le 3 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,
- Infirmer ladite décision en toutes ses dispositions,
Statuer à nouveau,
- Constater qu'aucun contrat de prêt n'a été conclu entre M. [L] et Mme [B],
- Dire et juger que la reconnaissance de dette produite par Mme [B] en date du 14 septembre 2016 ne constitue pas un commencement de preuve par écrit,
- Débouter en conséquence Mme [B] à payer à M. [L] de sa demande de paiement de la somme de 131.200,06 euros en vertu d'un prétendu contrat de prêt conclu avec M. [L] (sic),
En tout état de cause,
- Condamner Mme [B] à payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il explique qu'en dépit de sa qualité d'associé le plus important mais non majoritaire dans la société AlgoQuest System SA, celle-ci était entièrement dirigée par M. [B] qui le représentait à toutes les assemblées générales ; que lorsque les associés de la société AlgoQuest System SA ont décidé de l'augmentation de capital en raison des difficultés financières de la société, il a suivi les recommandations de M. [B] en acceptant de souscrire de nouvelles actions sans pour autant disposer des fonds nécessaires et a été contraint de trouver des fonds d'un montant égal à la souscription afin de conserver sa place dans la société ; que M. [B] lui a proposé de céder 7 % de ses actions à la société Guirec Limited dont il était également administrateur en contrepartie d'une augmentation de capital à hauteur de 131.200.006 actions qu'il a souscrites le 7 octobre 2016 pour un montant total de 131.200,06 euros; que cette cession a eu lieu le 14 septembre 2016 sans qu'il perçoive de prix en retour et sans même avoir reçu les actes de cession ; que le 28 septembre 2016, pour une raison inexpliquée et en dépit de ce qui avait été convenu initialement, Mme [B] a transféré, en nom propre, la somme de 131.200,06 euros directement sur le compte de la société AlgoQuest System SA.
Il fait valoir qu'il n'a jamais été informé de cette avance consentie par Mme [B] et n'a jamais donné son accord pour une telle opération et n'a jamais signé de reconnaissance de dette en ce sens, l'acte produit par Mme [B] étant un faux, la signature figurant en bas du document n'étant pas la sienne.
Il ajoute que le registre des actions nominatives mentionne, sous forme manuscrite, une date d'enregistrement de la cession au 10 octobre 2016 alors que le prêt serait intervenu le 14 septembre 2016, date du document qu'il conteste correspondant à la prétendue avance de trésorerie consentie par la société Celinvest afin de lui permettre de souscrire à l'augmentation de capital ; qu'en outre, aucun document afférent à la cession de ses actions au profit de la société Guirec Limited ne lui a été remis.
Il affirme qu'il n'a pas perçu le prix de la cession de ses actions ni la somme de 131.200,06 euros au titre d'un prétendu prêt par Mme [B] et que, quelques mois, plus tard, la société Guirec Limited a cédé l'intégralité de ses parts à la société Celinvest, ayant pour seuls actionnaires et administrateurs M. et Mme [B], devenant ainsi associée de la société AlgoQuest System SA.
Il relève que la mise en demeure de rembourser la somme de 131.200,06 euros lui a été adressée le 16 juillet 2020, soit après que le tribunal de commerce de Luxembourg ait, le 15 juillet 2020, déclaré la société AlgoQuest System SA en liquidation judiciaire à la demande de M. [B], précisant que dans le cadre de cette liquidation judiciaire, la société Celinvest a acquis l'ensemble de actifs de la société AlgoQuest System SA.
Il affirme que la somme de 131.200,06 euros correspond au produit de la vente de 7% des actions de la société AlgoQuest System SA qu'il a cédées à la société Guirec Limited, somme qui a été ensuite été apportée à son compte courant d'associé pour souscrire à l'augmentation de capital. Il conteste avoir signé la reconnaissance de dette revendiquée et soutient ne jamais avoir perçu la somme dont le remboursement est réclamé par Mme [B], de sorte qu'en l'absence de remise de la chose, condition essentielle d'un contrat réel, le prêt allégué n'existe pas. Il ajoute qu'en l'absence d'écrit, la preuve de l'existence du contrat de prêt n'est pas rapportée, la reconnaissance de dette, dont il affirme ne pas être l'auteur, ne pouvant constituer un commencement de preuve par écrit dès lors qu'il ne permet pas d'identifier le prêteur, ni même l'emprunteur ; qu'en outre, Mme [B] ne justifie d'aucune impossibilité morale et matérielle de se procurer un écrit, l'urgence ne constituant pas l'une des exceptions de l'article 1348 ancien du code civil et aucune relation de confiance n'existant entre Mme [B] et lui-même.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2022, Mme [N] [T] épouse [B] demande à la cour, au visa des articles 1134, 1153, 1154, 1347, et 1348 (anciens), 1892 et suivants et 1900 du code civil, de :
- Déclarer M. [L], irrecevable et, en tout état de cause, mal fondé en tous ses moyens, fins et prétentions d'appel,
- L'en débouter,
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- Condamner M. [L] à lui payer la somme de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Faire masse des dépens de première instance et d'appel,
- Condamner M. [L] aux dépens, lesquels pourront être recouvrés par Me Julien Mallet, avocat au Barreau de Paris, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
Elle explique que M. [L] ne disposant pas de la trésorerie nécessaire pour souscrire à l'augmentation de capital, une « avance de trésorerie » a été envisagée entre M. [L] et la société Celinvest, société patrimoniale familiale des époux [B] dont elle l'administrateur et associée à 50% ; qu'elle était disposée, via la société Celinvest, à lui consentir un tel prêt sans intérêt ; que cette solution a été abandonnée fin septembre 2016 car il est apparu que l'octroi d'un prêt sans intérêt n'entrait pas l'objet social de la société Celinvest ; que la souscription à l'augmentation de la société AlgoQuest System SA devant intervenir avant le 3 octobre 2016, le prêt de 131.200,06 euros a été consenti à M. [L] directement par Mme [B] et le virement a été réalisé le 28 septembre 2016 de son compte sur le compte bancaire de la société AlgoQuest System SA, immédiatement affecté au compte courant d'actionnaire de M. [L], les 13.120.006 actions nouvelles souscrites par M. [L] étant portées au crédit de son compte dans le registre des actions nominatives de la société AlgoQuest System SA.
Elle expose que compte tenu des étroites relations de confiance qui existaient à cette époque entre les époux [B] et M. [L] et de l'urgence absolue dans laquelle se trouvait M. [L] de se procurer les fonds nécessaires, il n'a pas été établi de contrat de prêt écrit entre les parties et aucune date d'échéance de remboursement de ce prêt n'a été convenue à l'époque de la remise des fonds.
Elle fait valoir que M. [L] détenait plus de 70% du capital de la société AlgoQuest System SA et décidait de tout au sein de cette société. Elle relève que contrairement à ce que soutient M. [L], celui-ci a cédé une partie de ses actions de la société AlgoQuest System SA à la société Guirec Ltd (filiale de la société Celinvest des époux [B]) le 10 octobre 2016 pour un prix de 40.800 euros, soit postérieurement à l'augmentation de capital de la société AlgoQuest System SA. Elle précise que M. [L] a signé l'acte de cession et a accusé réception du versement correspondant.
Elle soutient que les fonds dont elle s'est dessaisie ont bien été employés au profit de M. [L], de sorte que la tradition réelle des fonds et leur affectation à la destination convenue entre les parties est démontrée ; que la lettre de M. [L] du 14 septembre 2016, qu'il a incontestablement signée, constitue un commencement de preuve par écrit, au sens de l'article 1347 ancien du code civil, rendant vraisemblable le prêt allégué puisqu'elle évoque expressément l'intention de M. [L] d'emprunter la somme de 131.200,06 euros aux fins de souscrire à l'augmentation de capital ; que le rapprochement entre la date de la lettre en cause (14 septembre 2016), la somme précise de 131.200,06 euros et l'intention déclarée de M. [L] de souscrire à une prochaine augmentation de capital expressément visée dans cette pièce avec les mouvements bancaires des 28 septembre 2016, le compte-courant d'associé de M. [L], le procès-verbal d'Assemblée Générale Extraordinaire du 7 octobre 2016 et les mouvements de titres consécutifs enregistrés sur le registre des actions de la société AlgoQuest System SA justifie que la volonté certaine de M. [L] de contracter un prêt de 131.200,06 euros pour souscrire à l'augmentation de capital a été suivie d'effet par l'accord de Mme [B] à lui consentir le prêt recherché et de l'employer à la souscription de 13.120.006 actions nouvelles dans le capital de la société AlgoQuest System SA.
Elle se prévaut enfin de l'impossibilité morale et matérielle de se procurer un écrit justifiant que les parties n'aient pas établi d'écrit préalablement à la remise des fonds et lui permettant de déroger aux règles probatoires des articles 1341 et suivants du code civil du fait des relations de confiance, expressément reconnues par M. [L], qui existaient entre les parties à la date du prêt litigieux et de l'urgence dans laquelle M. [L] se trouvait de disposer de la somme de 131.200,06 euros afin de souscrire à l'augmentation de capital.
La clôture a été prononcée le 27 novembre 2024.
Après l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2024, M. [L] a notifié de nouvelles conclusions, le 7 janvier 2025, aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture et de sursis à statuer dans l'attente de la procédure pénale en cours. Le même jour, il a notifié un bordereau de communication de pièces visant cinq nouvelles pièces numérotées 38 à 42. Le 13 janvier 2025, il a communiqué via le RPVA quatre nouvelles pièces.
Par conclusions notifiées le 9 janvier 2025, Mme [T] épouse [B] a demandé de :
- Déclarer M. [L] irrecevable et, à tout le moins mal fondé en sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de sursis à statuer,
En conséquence,
- Débouter M. [L] de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture,
- Déclarer irrecevables les conclusions notifiées par M. [L] le 7 janvier 2025,
- Ordonner le rejet des débats des pièces n° 38 à 42 de M. [L],
- Condamner M. [L] au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [L] aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Julien Mallet, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Au soutien de ses demandes de révocation de l'ordonnance de clôture et de sursis à statuer, M. [L] indique être en mesure de verser aux débats les documents attestant qu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée et que l'instruction pénale, en rapport étroit avec la présente procédure d'appel, est en cours d'instruction. Il fait valoir que l'issue de la procédure pénale conditionne l'issue du présent appel.
Mme [B] fait valoir que M. [L] ne caractérise aucune cause grave révélée postérieurement à l'ordonnance de clôture et se contente de verser aux débats des documents attestant qu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 9 octobre 2023 afin de demander à la Cour de prononcer un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale. Elle relève que les documents versés aux débats par M. [L] sont bien antérieurs au prononcé de l'ordonnance de clôture puisqu'ils datent de 2023, de sorte qu'il pouvait les verser aux débats bien avant le prononcé de l'ordonnance de clôture.
Sur ce
En application de l'article 783 devenu 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, les seules conclusions recevables étant celles contenant une demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Selon l'article 784 devenu 803 du même code, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
En l'espèce, au soutien de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture, M. [L] produit une plainte avec constitution de partie civile contre X déposée le 13 octobre 2023 auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris pour faux et usage de faux concernant la lettre du 14 septembre 2016 invoquée par Mme [B] et retenue par le tribunal comme commencement de preuve par écrit et escroquerie au jugement. Il justifie avoir versé la consignation le 8 décembre 2023.
Si le réquisitoire introductif d'instance date du 20 septembre 2024 et la désignation d'un juge d'instruction du 6 décembre 2024, force est donc de constater que cette plainte avec constitution de partie civile date du 13 octobre 2023 alors que la clôture a été prononcée le 27 novembre 2024, de sorte que M. [L] aurait pu la verser aux débats avant la clôture et ne justifie d'aucun motif d'empêchement.
M. [L] ne justifie donc d'aucune cause grave s'étant révélée postérieurement à l'ordonnance de clôture.
En outre, alors que le document argué de faux par M. [L] a été produit devant le tribunal et que le jugement dont appel a été rendu le 3 mars 2022, sa plainte parait pour le moins tardive.
Il n'y a donc pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2024 et la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue qui sera donnée à cette plainte sera rejetée.
Les conclusions notifiées par M. [L] le 7 janvier 2025 et les pièces n° 38 à 42 communiquées postérieurement à l'ordonnance de clôture seront en conséquence rejetées des débats.
Sur l'existence du prêt
Compte tenu de la date du prêt allégué, le 28 septembre 2016, il sera fait référence aux articles du code civil selon leur numérotation antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, celle-ci n'étant applicable qu'aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.
Le prêt de consommation est, selon les termes de l'article 1892 du code civil, un contrat par lequel l'une des parties livre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité.
L'article 1902 du code civil dispose que l'emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu.
L'existence d'un prêt suppose, d'une part, la remise de la chose prêtée et, d'autre part, un engagement de celui qui l'a reçue de restituer la dite chose.
En application de l'article 1315 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Il appartient en conséquence à Mme [B], qui se prétend créancière, d'apporter la preuve du prêt allégué conformément aux règles qui gouvernent la preuve des actes juridiques, ce qui implique, s'agissant des prêts supérieurs à 1.500 euros, la production d'un écrit en vertu des dispositions de l'article 1341 du code civil.
En l'espèce, il est constant qu'aucun contrat de prêt écrit ni aucune reconnaissance de dette conforme aux exigences de l'article 1326 du code civil n'ont été établis entre les parties.
Selon l'article 1347 du code civil, cette règle reçoit exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit, c'est à dire tout acte écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée et qui rend vraisemblable le fait allégué, ou, selon l'article 1348 du code civil, lorsque l'une des parties n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique. Dans ces cas, la preuve du contrat de prêt peut être rapportée par tous moyens, qui implique d'une part de démontrer la remise d'une somme d'argent, et d'autre part, l'accord des parties sur l'obligation du débiteur de rembourser cette somme.
S'agissant de la remise des fonds, il est constant que la tradition est réputée faite lorsque le prêteur a remis les fonds à un tiers pour payer une dette de l'emprunteur.
En l'occurrence, comme l'ont justement relevé les premiers juges, si les fonds ont été virés sur le compte de la société AlgoQuest System SA, il est établi par un extrait du grand livre comptable que M. [L] disposait d'un compte courant d'associé dans la société Algoquest System SA, lequel a été crédité, le 28 septembre 2016, d'une somme de 131.200,06 euros sous l'intitulé « Apport pour augmentation de capital », puis débité du même montant, le 7 octobre 2016, pour le motif « augmentation de capital ». Il ressort par ailleurs du procès verbal de l'assemblée générale extraordinaire de ladite société qui s'est tenue le 7 octobre 2016 devant notaire que le capital social de la société AlgoQuest System SA a été augmenté à concurrence de 159.200,13 euros par la création et l'émission de 15.920.013 actions nouvelles d'une valeur nominale de 0,01 euro chacune dont 13.120.006 ont été souscrites par M. [L] par un apport en numéraire de 131.200,06 euros. En outre, ces 13.120.006 actions nouvelles souscrites par M. [L] ont
été portées au crédit de son compte dans le registre des actions nominatives de la société AlgoQuest System SA.
Il est donc suffisamment démontré que Mme [B] a versé la somme de 131.200,06 euros sur le compte de la société AlgoQuest System SA qui l'a affectée au compte courant d'associé de M. [L] en vue de financer la souscription par celui-ci de nouvelles actions dans le cadre de l'augmentation de capital de la société afin de conserver sa participation majoritaire.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que la preuve de la remise des fonds par Mme [B] était rapportée.
Cependant, la preuve de la remise des fonds à une personne, ou pour son compte, ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle-ci de restituer la somme.
S'agissant de la preuve de ce que les fonds ont été remis à M. [L] à charge pour lui de les restituer, il convient en premier lieu de considérer que Mme [B] ne justifie d'aucune impossibilité morale de se procurer un écrit, M. [L] ayant admis une relation de confiance uniquement avec M. [B], administrateur de la société AlgoQuest System SA, mais non avec son épouse qu'il indique n'avoir rencontrée qu'une fois.
Elle ne justifie pas davantage s'être trouvée dans l'impossibilité matérielle d'exiger un écrit, l'urgence alléguée n'étant pas démontrée.
Elle produit en revanche un écrit de M. [L] daté du 14 septembre 2016 dont les termes sont les suivants : « Je soussigné, [X] [L], déclare par la présente consentir, à hauteur de 131.200,06 ' (cent trente et un mille deux cent euros et six centimes), au remboursement du compte courant de CELINVEST ouvert dans les comptes de la société ALGOQUEST SA. Ce montant de 131.200,06' correspondant à l'avance de trésorerie consentie par la société CELINVEST pour me permettre de souscrire à la prochaine augmentation de capital prévue fin septembre - début octobre 2016. »
Si M. [L] conteste en être le signataire, les premiers juges ont à juste titre retenu que la signature qui figure sur ce document est similaire à celle apparaissant sur les éléments de comparaison produits par l'intimée : passeport, déclaration de bénéficiaire économique du 30 septembre 2016 et procuration donnée par M. [L] à M. [W] [B] pour l'assemblée générale du 7 octobre 2016.
Ce document constitue un commencement de preuve par écrit au sens de l'article 1347 du code civil dès lors qu'il émane de la personne à laquelle on l'oppose et qu'il rend vraisemblable l'obligation invoquée. Il doit être complété par tous éléments extérieurs au commencement de preuve lui-même.
En l'espèce, si ce document fait référence à la somme de 131.200,06 euros ayant permis à M. [L] de souscrire à l'augmentation de capital de la société AlgoQuest qui a effectivement été décidée par les associés le 7 octobre 2016, il mentionne une avance de trésorerie consentie par la société Celinvest et non par Mme [B] et ne prévoit pas un remboursement de cette somme au profit de la société Celinvest mais une autorisation donnée par M. [L] à la société Celinvest de se faire rembourser son compte courant ouvert dans les comptes de la société AlgoQuest.
Ce commencement de preuve n'est corroboré par aucun autre élément démontrant l'obligation pour M. [L] de rembourser à Mme [B] la somme de 131.200,06 euros, les éléments invoqués par cette dernière permettant seulement d'établir que les fonds ont été remis à M. [L] en vue de financer l'acquisition par celui-ci de nouvelles actions dans le cadre de l'augmentation de capital de la société AlgoQuest System SA.
Si Mme [B] explique qu'il avait été dans un premier temps envisagé que l'avance de trésorerie soit consentie à M. [L] par la société Celinvest mais que cette solution avait été abandonnée car il est apparu que l'octroi d'un prêt sans intérêt n'entrait pas dans l'objet social de la société, il ressort de l'extrait du registre et du commerce de cette société qu'elle a pour objet toutes opérations se rapportant directement ou indirectement à la prise de participation sous quelque forme que ce soit, dans toute entreprise, ainsi que l'administration, la gestion, le contrôle et le développement de ces participations. Ces explications sont donc inopérantes.
En outre, il ressort du registre des actions nominatives de la société AlgoQuest System SA le 10 octobre 2016, soit postérieurement à l'augmentation de capital, M. [L] a cédé à la société Guirec Limited, filiale de la société Celinvest, 1.338.248 actions. Mme [B] produit l'acte de cession du 10 octobre 2016 signé par M. [L] et la société Guirec Limited représentée par M. [B] ainsi que le justificatif de l'apport du prix de vente de ces actions, soit la somme de 40.800 euros, sur le compte courant d'associé de M. [L]. Il est également établi que le 15 novembre 2016, la société Guirec Limited a cédé à la société Celinvest 3.421.795 actions. Ces éléments contredisent donc les allégations de M. [L] selon lesquelles il aurait cédé 7% de ses actions à la société Guirec Limited le 14 septembre 2016 en contrepartie de l'augmentation de capital à hauteur de la somme de 132.200,06 euros, sans percevoir de prix en retour. Il parait d'ailleurs incohérent de soutenir qu'une cession d'actions antérieure à l'augmentation de capital aurait pu lui permettre de financer la souscription de nouvelles actions puisqu'il aurait dû en acheter plus pour conserver sa participation majoritaire.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que Mme [B] n'a fait état de ce prétendu prêt et n'en a réclamé le remboursement que par courrier du 16 juillet 2020, soit le lendemain de la liquidation judiciaire de la société AlgoQuest System SA prononcée par jugement du tribunal de commerce de Luxembourg le 15 juillet 2020, sur aveu de faillite de M. [B] en qualité d'administrateur de la société, M. [L] justifiant à cet égard que, dans le cadre de cette liquidation, l'ensemble des actifs de la société AlgoQuest System SA, et notamment les droits de propriété intellectuelle sur les logiciels, a été vendu à la société Celinvest.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [B] ne rapporte pas la preuve de l'obligation pour M. [L] de lui rembourser cette somme de 132.00,06 euros et, partant, de l'existence du prêt allégué.
Le jugement sera en conséquence infirmé et, statuant à nouveau, la cour déboutera Mme [B] de sa demande en paiement formée à ce titre à l'encontre de M. [L].
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de M. [L], seront infirmées.
Statuant de ce chef pour la première instance et en appel, Mme [B], qui succombe, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [L] la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2024 et de sursis à statuer formées par M. [X] [L],
Rejette des débats les conclusions et les pièces n° 38 à 42 notifiées par M. [X] [L] le 7 janvier 2025,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [N] [T] épouse [B] de sa demande en paiement de la somme de 131.200,06 euros,
Condamne Mme [N] [T] épouse [B] aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne Mme [N] [T] épouse [B] à payer à M. [X] [L] la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.