CA Versailles, ch. civ. 1-5, 30 avril 2025, n° 24/05558
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme de Rocquigny du Fayel
Conseillers :
Mme Igelman, M. Henrion
Avocats :
Me Lafon, Me Chateauneuf, Me Mze, Me Visconti, Me Bertrand, Me Reinhart, Me Brochier
EXPOSE DU LITIGE
M. [O] [P] a été administrateur de la société [13] de mai 2022 au 3 janvier 2024, date de sa démission. La société [13] est une société européenne française, cotée sur le marché [8] [Localité 11]. Elle opère notamment dans les secteurs stratégiques de la défense, des télécommunications, des services financiers, de la santé et des sciences. Elle est un acteur majeur en Europe dans les secteurs du cloud, de la cybersécurité et des supercalculateurs, et se présente comme l'un des leaders mondiaux dans le domaine de la transformation numérique.
La société [12] est une société de gestion de droit luxembourgeois qui détient des participations minoritaires dans diverses sociétés. Elle détient 0,2 % du capital de la société [13].
Par acte du 6 octobre 2023, la société [12] a fait assigner en référé M. [P] en demandant que soit ordonnée sa comparution personnelle à l'audience afin de répondre à une liste de questions définies, ainsi que la communication du courriel que M. [P] a envoyé à l'AMF le 24 octobre 2023.
La société [13] s'est constituée comme intervenante volontaire à titre accessoire.
Par ordonnance contradictoire rendue le 27 février 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit la société [13] recevable en son intervention volontaire à titre accessoire,
- pris acte de la déclaration de M. [P] relative au courriel du 24 octobre 2023 à l'attention de l'AMF et de l'abandon par la société [12] de sa demande de production dudit courriel,
- débouté la société [12] de sa demande de comparution personnelle de M. [P],
- condamné la société [12] à payer à M. [P] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [12] à payer à la société [13] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [12] aux entiers dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros, dont TVA 9,61 euros,
- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a rendu une ordonnance rectificative le 16 avril 2024 ainsi rédigée :
'- disons que c'est par erreur que dans son ordonnance du 27 février 2024 le tribunal n'a pas statué sur la communication du courriel en cause,
- rectifie cette erreur matérielle et dit :
- prenons acte de la déclaration de M. [P] qu'il n'a pas envoyé de courriel le 24 octobre 2023 à l'AMF de laquelle il résulte que le document demandé n'existe pas,
- et disons la demande de la société [12] de communication dudit courriel devenue sans objet, et en conséquence le déboutons de sa demande de communication forcée,
- dit que le greffier mentionnera cette rectification en marge de la minute de ce jugement.'
Par déclaration reçue au greffe le 19 août 2024, la société [12] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 57,65 euros, dont TVA 9,61 euros,
- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 30 décembre 2025 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [12] demande à la cour de :
'à titre principal,
- annuler l'ordonnance rendue le 27 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Nanterre, telle que rectifiée par ordonnance du 16 avril 2024 ;
statuant de nouveau,
- ordonner la comparution personnelle de M. [O] [P], à telle audience qu'il plaira à la cour de fixer, afin qu'il puisse répondre aux questions ci-après :
- confirmez-vous les informations parues dans la presse selon lesquelles vous n'avez pas participé à la réunion du conseil d'administration ayant arrêté le projet de cession '
- pour quelle(s) raison(s) n'avez-vous pas participé à ladite réunion '
- d'autres administrateurs étaient-ils absents lors de cette réunion '
- soutenez-vous le projet de cession présenté le 1er août 2023 ' Expliquez pourquoi.
- pourquoi le communiqué du 1er août 2023 mentionne-t-il l'existence d'un soutien unanime des administrateurs '
- [14] est désormais présenté comme un « actif en décroissance » dont la cession nécessite des augmentations de capital massives. Pourtant, le communiqué de presse du 7 juin 2023 se félicitait pour [14] d'une « exécution solide positionnant [14] sur la voie d'une création de valeur durable », d'un « portefeuille redéfini ciblant des marchés plus étendus et en croissance », bref d'un « rebond » et d'un rehaussement des ambitions à moyen terme. Comment expliquez vous une telle évolution en moins de deux mois '
- pour quelle(s) raison(s) et à quelle date le conseil d'administration a-t-il abandonné le projet de séparation en deux sociétés cotées au profit d'un projet de cession de [14] '
- décrire les conditions dans lesquelles le projet de cession a été présenté aux administrateurs et approuvé (notamment depuis quelle date, à l'initiative de quel administrateur ou de quel membre de la direction, sur la base de quels documents, ').
- le détail des conditions envisagées pour la cession (notamment la nature exacte des 1,9 milliard d'euros d'engagements au bilan transférés, et le financement du BFR de [14] par [9] à hauteur de 1 milliard d'euros) a-t-il été présenté au conseil d'administration avant le conseil de fin juillet durant lequel les administrateurs ont voté '
- depuis quand les besoins de liquidité d'Atos justifiant ces augmentations de capital sont-ils évoqués au sein du conseil d'administration '
- depuis quand les augmentations de capital annoncées le 1er août 2023 sont-elles évoquées au sein du conseil d'administration '
- juger que les réponses de M. [O] [P] sont susceptibles de contenir des informations confidentielles et/ou couvertes par des secrets d'affaires, et par conséquent que [12] est soumise à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation de ces informations en dehors des procédures judiciaires qu'elle envisage et pour lesquelles la présente mesure d'instruction in futurum est ordonnée.
- débouter M. [P] et la société [13] de toutes leurs demandes fins et conclusions.
à titre subsidiaire,
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 27 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Nanterre, telle que rectifiée par ordonnance du 16 avril 2024, en ce qu'elle a débouté [12] de sa demande de comparution personnelle de M. [O] [P] ;
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 27 février 2024 par le président du tribunal de commerce de Nanterre, telle que rectifiée par l'ordonnance du 16 avril 2024, en ce qu'elle a condamné [12] à payer 20 000 euros à M. [O] [P] et 15 000 euros à la société [13] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
statuant de nouveau,
- ordonner la comparution personnelle de M. [O] [P], à telle audience qu'il plaira à la cour de fixer, afin qu'il puisse répondre aux questions ci-dessus ;
- juger que les réponses de M. [O] [P] sont susceptibles de contenir des informations confidentielles et/ou couvertes par des secrets d'affaires, et par conséquent que [12] est soumise à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation de ces informations en dehors des procédures judiciaires qu'elle envisage et pour lesquelles la présente mesure d'instruction in futurum est ordonnée.
- débouter en tout état de cause M. [P] et la société [13] de l'ensemble de leurs demandes.
- juger que chaque partie conserva la charge de ses frais et dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 24 janvier 2025 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [13] demande à la cour, au visa des articles 32-1, 145 et 184 et suivants du code de procédure civile, de :
'- confirmer l'ordonnance de référé du 27 février 2024 telle que rectifiée par l'ordonnance rectificative du 16 avril 2024, rendues par le tribunal de commerce de Nanterre (RG n°2023R1062) ;
y ajoutant,
- condamner la société [12] au paiement d'une amende civile pour procédure abusive ; en toute hypothèse,
- rejeter toutes les demandes, fins et prétentions de [12] ;
- condamner la société [12] à verser à la société [13] la somme totale de 20 000 euros
sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 21 janvier 2025 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [P] demande à la cour, au visa des articles 12, 145, 184, 185 et suivants, 462 et 463 du code de procédure civile, 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, L. 225-37 et L. 229-1 du code de commerce, 11 du code de procédure pénale et 20 du code AFEP-MEDEF, de :
'- confirmer l'ordonnance de référé du 27 février 2024 telle que rectifiée par une ordonnance rectificative du 16 avril 2024, rendues par le tribunal de commerce de Nanterre (RG n°2023R1062) ;
- débouter la société [12] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société [12] à verser à [O] [P] la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Philippe Châteauneuf, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
sur la qualité d'actionnaire de la société [12]
La société [12] affirme que sa qualité d'actionnaire n'est pas contestable et qu'elle en justifie.
La cour n'est saisie d'aucune demande au titre de la contestation de la qualité d'actionnaire de l'appelante.
sur la nullité des ordonnances du 27 février 2024 et du 16 avril 2024
La société [12] expose que l'ordonnance du 27 février 2024 indiquait par erreur qu'elle s'était désistée de sa demande de production du courriel adressé par M. [P] à l'AMF le 24 octobre 2023 et qu'elle a donc saisi le premier juge d'une requête en omission de statuer.
Elle explique que le juge des référés a rendu une deuxième ordonnance le 16 avril 2024 afin de rectifier une prétendue « erreur matérielle », sans avoir préalablement convoqué les parties, violant donc ainsi le principe du contradictoire et la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ce qui justifie selon elle l'annulation de l'ordonnance du 27 février 2024, telle que modifiée par l'ordonnance rectificative.
Concluant au rejet de cette demande de nullité, la société [13] indique qu'en application de l'article 12 du code de procédure civile, il appartenait au premier juge de requalifier la demande dont il était saisi, qu'en l'espèce l'ordonnance n'a pas omis de statuer sur la demande de la société [12] mais qu'elle indiquait par erreur que celle-ci avait abandonné sa demande de production du courriel litigieux.
Elle souligne que la société [12] ne justifie d'aucun grief puisque sa requête a bien été examinée et jugée et précise d'une part que, s'agissant d'une rectification d'erreur matérielle, le premier juge pouvait statuer sans audience et d'autre part, que l'appelante ne peut se plaindre d'un éventuel manquement au respect du contradictoire à l'égard de ses adversaires.
M. [P] affirme qu'il s'agissait d'une rectification d'erreur matérielle et non d'une omission de statuer et reprend la même argumentation que la société [13].
Sur ce,
L'article 462 du code de procédure civile dispose que : 'les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d'office. Le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.'
En vertu des dispositions de l'article 463 du même code : 'la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s'il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. La demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité. Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune. Il statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement et donne ouverture aux mêmes voies de recours que celui-ci.'
En l'espèce, l'ordonnance du 27 février 2024 indique, sur la question de la communication du courriel du 24 octobre 2023 : 'nous relevons qu'au cours des débats, M. [P] nous indique qu'il n'a adressé aucun courriel ou courrier à l'AMF et qu'à la suite de cette déclaration, [12] renonce à sa demande de communication.'
L'ordonnance du 16 avril 2024 indique :
' Par requête reçue au greffe le 27 mars 2024 , [12] nous saisit sur le fondement de l'article 463 du code de procédure civile, et nous demande de compléter notre ordonnance rendue le 28 février 2024 sous le n° de RG 2023R1062, en statuant sur sa demande de communication d'une pièce dont elle ne se serait pas désistée à Audience.
[12] expose qu'elle ne s'est pas désistée de sa demande de communication d'un courriel que, selon elle, M [P] a adressé à l'AMF, le 24 octobre 2022 (sic), et dont la presse s'est fait l'écho dans deux articles parus dans deux supports différents.
En effet, M. [P] n'a pas remis en cause l'existence de ce courriel dans ses écritures, se limitant à indiquer qu`il était tenu à une obligation de confidentialité. Ce n'est qu'à l'audience que son conseil a affirmé que ce courriel n'existait pas.
En fait, M. [P] dans ses écritures n'admettait pas pour acquis l'existence dudit courriel puisque notamment il reprenait la demande de [12] en la mettant au conditionnel : '[12] sollicite... la production du courriel qu'il aurait adressé le 24 octobre 2023 à l'AMF et dans lequel il aurait dénoncé 'le fonctionnement du conseil d'administration'.
Après l'annonce à l'audience que le courriel en cause n'existait pas, un débat s'est tenu, et M. [P] par la voix de son conseil, en réponse à notre question, a précisé qu'un courrier postal n'a pas non plus été envoyé à l'AMF.
Nous exposons alors que si la pièce demandée n'existe pas, sa communication ne peut être ordonnée, ce que n'ont pas contesté les conseils de [12] au cours des débats, sans qu'il s'agisse d'une renonciation à la demande, en effet.
[12] nous demande donc de statuer sur la communication du courriel en cause, affirmant que son existence n'est pas contestable, mais sans apporter d'élément nouveau à l'appui de ses dires, se fondant seulement sur les deux articles de presse initialement produits, qui affirment qu'un courriel a ou aurait été envoyé sans que cela puisse être vérifié.
En conséquence, nous précisons notre décision dans les termes suivants :
- Prenons acte de la déclaration de M. [P] qu'il n'a pas envoyé de courriel le 24 octobre 2023 à l'AMF, de laquelle il résulte que le document demandé n`existe pas,
- et disons la demande de [12] de communication dudit courriel devenue sans objet, et en conséquence le déboutons de sa demande de communication forcée.'
Le dispositif de cette décision est ainsi rédigé :
'Vu les dispositions de l'article 463 du code de procédure civile,
Disons que c'est par erreur que dans son ordonnance du 27 février 2024 le tribunal n'a pas statué sur la communication du courriel en cause.
Rectifie cette erreur matérielle et DIT :
- 'Prenons acte de la déclaration de M. [P] qu`il n'a pas envoyé de courriel le 24 octobre 2023 à l`AMF, de laquelle il résulte que le document demandé n'existe pas,
- et disons la demande de [12] de communication dudit courriel devenue sans objet, et en conséquence le déboutons de sa demande de communication forcée. (...)
L'erreur étant manifeste, il est statué sans audience.'
Il convient de constater que l'ordonnance du 27 février 2024 contenait en réalité à la fois une erreur matérielle tenant à l'abandon de la demande de communication de pièces par la société [12] et une omission de statuer subséquente.
C'est donc à juste titre que la société [12] fait valoir que la possibilité de statuer sans audience, qui n'est prévue qu'en cas de rectification d'erreur matérielle, ne pouvait être appliquée en l'espèce dès lors que le premier juge tranchait également une omission de statuer.
Les deux parties, qui auraient dû pouvoir s'expliquer à l'audience, peuvent se prévaloir de cette atteinte au principe du contradictoire.
En conséquence, il convient d'annuler l'ordonnance rectificative du 16 avril 2024.
Il est constant que la cour d'appel qui est saisie d'une demande d'annulation d'une décision, pour un motif autre que l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, est tenue de statuer sur le fond de l'affaire en vertu de l'effet dévolutif de l'appel.
Cependant, dès lors que la société [12] ne sollicite plus à hauteur d'appel la communication de ce courriel, qu'elle produit au demeurant elle-même (sa pièce n°11), la cour n'est pas saisie de cette demande.
Il n'y a en revanche pas lieu d'annuler l'ordonnance du 27 février 2024 qui, si elle est affectée d'une erreur matérielle, n'encourt cependant aucun motif de nullité.
Sur la demande de comparution personnelle de M. [P]
Fondant sa demande sur l'article 145 du code de procédure civile, la société [12] affirme disposer d'un motif légitime à la comparution personnelle de M. [P] dès lors qu'elle peut envisager plusieurs actions à l'encontre des dirigeants de la société [13] :
- une action en responsabilité civile fondée sur l'article L. 225-251 du code de commerce,
- une action ut singuli sur le fondement de l'article L. 225-252 du code de commerce en réparation de son préjudice personnel d'actionnaire mais aussi du préjudice social subi par [13].
Elle explique que la comparution personnelle de M. [P] lui permettra d'identifier les administrateurs impliqués dans la décision fautive de cession de [14] à M. [S], mais aussi d'obtenir des éléments de preuve utiles concernant les conditions dans lesquelles le conseil d'administration a abandonné le projet stratégique au profit d'un projet de cession et d'augmentations de capital.
La société [12] souligne qu'aucune action au fond n'est actuellement engagée et affirme que la comparution personnelle est une mesure légalement admissible qui peut être ordonnée dans le cadre d'une mesure d'instruction in futurum.
Elle précise que la liste des questions qu'elle a établie ne constitue qu'une suggestion et qu'il appartient au juge de définir les questions sur lesquelles la partie est interrogée.
L'appelante soutient que cette demande est proportionnée en raison de son droit à la preuve, dès lors qu'elle sollicite l'interrogatoire de M. [P] sur une liste de questions définies et strictement limitées, relatives à la décision litigieuse du conseil d'administration et aux actions judiciaires envisagées.
La société [13] affirme que la mesure sollicitée n'est pas légalement admissible en ce qu'elle demande d'ordonner la comparution personnelle de M. [P] dès lors que :
- les dispositions du code civil relatives à la comparution personnelle des parties ne peuvent être mises en oeuvre que par la formation de jugement,
- elle consisterait à faire dicter au juge une liste de questions prédéfinies par une partie et à organiser une audition destinée à mettre en cause la responsabilité de tiers à la procédure, toutes choses illégales,
- elle conduirait à ce que le juge des référés se substitue à l'AMF et au PNF déjà saisis par la société [12], sans les garanties procédurales lors d'auditions durant ces procédures répressives, ce qui constitue un contournement des règles de procédure d'audition applicables.
L'intimée indique ensuite que cette mesure d'instruction n'est pas légalement admissible car elle aurait pour effet de contourner des dispositions d'ordre public : l'obligation d'ordre public de discrétion de l'administrateur, le principe de collégialité du conseil d'administration et le secret des affaires auquel il serait porté atteinte de façon disproportionnée.
La société [13] fait valoir que la société [12] ne dispose d'aucun motif légitime à demander la comparution personnelle de M. [P] puisqu'aucune action ne peut être exercée à l'encontre d'une décision d'entrée en négociations exclusives, qui ne constitue pas la conclusion d'une opération, ces négociations ayant en outre pris fin le 28 février 2024.
Elle souligne avoir au surplus continuellement informé le marché en diffusant de nombreux communiqués de presse.
L'intimée affirme que la société [12] ne démontre pas l'utilité de la mesure qu'elle sollicite, celle-ci étant déjà en possession de toutes les informations nécessaires aux procès qu'elle envisage d'engager puisqu'elle a saisi l'AMF le 12 septembre 2023 et porté plainte auprès du PNF le 9 octobre 2023.
Elle précise que certaines questions sont sans lien avec la solution du litige envisagé.
Reprenant substantiellement les mêmes arguments sur l'incompatibilité des dispositions de l'article 145 avec celles des articles 184 et 185 du code de procédure civile M. [P] indique que le juge des référés saisi d'une mesure d'instruction in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile n'est pas saisi d'un litige né entre les parties, mais uniquement d'une demande de mesure 'avant tout procès', qu'il n'intervient pas comme une « formation de jugement » devant trancher un litige entre des parties et qu'il en résulte que la comparution personnelle ne peut pas être ordonnée dans ce cadre.
L'intimé fait valoir que la mesure de comparution personnelle le priverait des droits de la défense alors même que l'action envisagée par la société [12] peut être de nature pénale et qu'il doit donc pouvoir bénéficier des mêmes garanties que celles mises en oeuvre dans une instance répressive : droit de ne pas s'auto-incriminer, droit de garder le silence, secret de l'enquête et de l'instruction.
M. [P] soutient que les mesures d'instruction sollicitées ne sont pas légalement admissibles en ce qu'elles violeraient l'obligation de confidentialité du conseil d'administration et qu'elles porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret des affaires.
Sur ce,
Selon l'article 145 du code de procédure civile, 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
L'application de ces dispositions suppose que soit constaté qu'il existe un procès non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés par les défendeurs, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.
Il en résulte par ailleurs que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer le bien-fondé de l'action en vue de laquelle elle est sollicitée ou l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit toutefois justifier de la véracité des éléments rendant crédibles les griefs allégués et plausible le procès en germe.
Si l'article 184 du code de procédure civile prévoit que 'le juge peut, en toute matière, faire comparaître personnellement les parties ou l'une d'elles', l'article 185 du même code précise que 'la comparution personnelle ne peut être ordonnée que par la formation de jugement ou par celui des membres de cette formation qui est chargé de l'instruction de l'affaire'.
Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a indiqué que la mise en oeuvre de la comparution personnelle des parties implique nécessairement l'existence d'une instance en cours et ne peut constituer une mesure susceptible d'être ordonnée dans le cadre de l'article 145 du code de procédure civile, soit 'avant tout procès'.
Le juge des référés ne peut donc ordonner la comparution personnelle des parties que s'il considère que cette mesure est nécessaire à la solution du litige qui lui est soumis, ce qui ne correspond pas à la présente hypothèse.
En conséquence, la demande de comparution personnelle ne pouvant être formée à titre principal mais devant être une modalité de l'instruction d'un procès en cours, elle ne constitue pas une mesure légalement admissible au sens de l'article 145 susvisé et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande.
Sur les demandes au titre de la procédure abusive
La société [13] affirme que la société [12], qui a demandé la production forcée d'un document qu'elle avait déjà, a fait preuve d'une 'déloyauté et d'une duplicité iniques', d'une instrumentalisation de la procédure judiciaire et d'une intention de nuire, caractérisée notamment par la médiatisation de l'instance, tous éléments justifiant selon elle sa condamnation au paiement d'une amende civile.
La société [12] souligne ne plus demander en appel la production du courriel litigieux et affirme que son motif légitime est confirmé par l'évolution catastrophique de la situation d'Atos.
Sur ce,
L'amende civile prévue par l'article 32-1 du code de procédure civile est une sanction dont l'initiative appartient non aux plaideurs mais à la juridiction, laquelle n'entend pas en user au cas présent.
L'ordonnance critiquée sera également confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande à ce titre.
Sur les demandes accessoires
La société [12] sollicite l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée à 'des frais de procédure punitifs'.
M. [P] affirme qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge, 'personne physique aux moyens limités', les frais irrépétibles qu'il a dû engager et il souligne que la société [12] a réclamé judiciairement la production forcée d'une pièce qu'elle avait en sa possession.
Il soutient que cette demande artificielle et inutile illustre la volonté de la société [12] d'instrumentaliser la justice, dans le seul but de médiatiser ses positions.
Sur ce,
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société [12] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société [13] et à M. [P] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à leur verser à chacun une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Annule l'ordonnance rectificative du 16 avril 2024 ;
Confirme l'ordonnance du 27 février 2024 ;
Y ajoutant,
Dit que la société [12] supportera les dépens d'appel,
Condamne la société [12] à verser à la société [13] et à M. [O] [P], chacun, la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de président, et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.